Cours d’agriculture (Rozier)/DÉGEL

La bibliothèque libre.
Hôtel Serpente (Tome troisièmep. 649-651).


DÉGEL. Adoucissement de l’air, assez considérable pour faire fondre la glace. Il y a deux sortes de dégel ; celui qui est amené insensiblement par l’élévation du soleil sur notre horizon, élévation qui met un terme à la durée de l’hiver : le froid seroit perpétuel, si les rayons du soleil tomboient toujours très-obliquement sur la terre que nous habitons. L’autre espèce de dégel a lieu pendant l’hiver, lorsque les vents du sud repoussent les vents du nord, & apportent avec eux un air plus chaud, & beaucoup d’humidité. Pendant le dégel, il arrive des phénomènes trop singuliers, relativement aux arbres, pour les passer sous silence.

I. Pendant plusieurs jours avant le dégel, la vivacité du froid augmente ; le vent du nord souffle avec plus de force, le ciel est plus net, les étoiles plus scintillantes ; &, chaque soir, avant & au moment que le soleil se couche, sa partie du midi paroît tapissée d’une couche d’un rouge brun. C’est le vent du sud qui gagne peu à peu la partie supérieure de l’atmosphère, rabaisse le vent du nord, se rend plus actif sur les individus, par l’évaporation qu’il occasionne, enfin, par les fortes rosées qui, dans ce cas, forment le givre. (Voyez ce mot) Si les deux vents se contrarient pendant plusieurs jours, les arbres en seront couverts. J’ai souvent observé que les froids rigoureux & de longue durée étoient dus au combat opiniâtre de ces deux vents. Si, dans cet intervalle, le vent du sud cédoit complètement, la rigueur du froid diminuoit, augmentoit quand il reprenoit un peu, enfin, étoit anéantie, lorsqu’il parvenoit à dominer & à expulser son antagoniste.

II. Au commencement du dégel, le froid paroît diminuer, & diminue réellement ; cependant il semble augmenter d’intensité, par rapport à nous. L’humidité de l’air en est la cause.

III. Pendant le froid, les arbres, leurs troncs, les plantes se contractent, se crispent sur eux-mêmes, & occupent moins d’espace : par le dégel, ils reviennent au même point.

IV. Si le froid est rigoureux, les arbres se fendent depuis l’enfourchement de leurs branches jusqu’aux racines. Souvent la fente a plusieurs lignes de diamètre dans les jeunes sujets, & sur les troncs d’arbres elle est proportionnée à leur grosseur. Au dégel, tout reprend sa même forme, & à peine, dans les jeunes arbres, apperçoit-on les vestiges de cette fente perpendiculaire. Dans la suite, elle est recouverte par l’écorce, dont les deux bords ou lèvres s’identifient ou se greffent l’un dans l’autre ; mais la division du bois reste toujours la même, & la réunion des deux lèvres forme une arrête sur le tronc.

V. J’ai observé dans nos derniers grands froids, pendant lesquels il y eut plusieurs dégels & plusieurs reprises alternatives de froid, que la fente dont je parle se forme au premier dégel, mais qu’au second elle reste entr’ouverte. N’est-ce pas par rapport à cette circonstance que les noyers éclatés en 1709, ont conservé cette fente, & que les deux bords de l’écorce n’ont pu la recouvrir ?

VI. On croiroit peut-être que la fente s’opère du côté du nord ; c’est tout l’opposé. Je n’en ai vu aucune qui ne fût au soleil de midi ou de deux heures. Outre les raisons de ce phénomène, données au mot Brûlure des Arbres, Tome II, p. 479, je crois devoir en ajouter une autre. L’arbre se resserre par le froid, & plus dans la partie du nord que dans toute autre : dans celle du midi, au contraire, l’humidité est plus extérieure & en plus grande quantité, parce que, pendant le jour, les rayons du soleil font couler sur elle l’eau glacée dans les parties supérieures ; d’ailleurs il pénètre cette écorce, ce bois, en ouvre les pores ; mais, comme la contraction a lieu du côté du nord, elle tire à elle des deux côtés, & avec égale force, les parties relâchées par la chaleur ; elles cèdent à cette force sans cesse agissante, n’ont aucune résistance à lui opposer, & la fente s’exécute dans un clin d’œil.

VII. Si, pendant le froid, le ciel est toujours couvert, le phénomène sera beaucoup plus rare ; mais il aura également lieu, si le froid est très-rigoureux, parce que la partie du midi du tronc de l’arbre est toujours plus relâchée qu’aucune autre, parce que le point premier de la crispation est au nord, & qu’il s’étend sur les deux côtés.

On ne connoît aucun remède à ce funeste accident : rarement un arbre ainsi fendu prospère ; il végète d’une manière triste & languissante, & la plupart des arbres périssent. J’ai vu des noyers, dont le tronc étoit éclaté pendant l’hiver de 1709, & qui, suivant le rapport des anciens du pays, n’avoient plus augmenté en grosseur ; je les ai toujours vu les mêmes.