Cours d’agriculture (Rozier)/DOMESTIQUE

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Hôtel Serpente (Tome quatrièmep. 38-39).


DOMESTIQUE, ou serviteur de la maison. Je ne parlerai pas des serviteurs de villes, race d’hommes la plus corrompue & la plus méprisable, qui, par esprit de paresse abandonne les campagnes, où elle vivroit en travaillant & avec honneur.

On distingue aux champs deux classes de domestiques, dans la première est placé le maître, le maître valet qui, en l’absence du maître, a l’inspection sur les autres, ordonne le travail, le dirige & travaille lui-même ; enfin, il est chargé de la nourriture de ceux soumis à ses ordres ; sous un nom différent, on connoît encore une autre espèce de maître-valet, appelé homme d’affaire ; il dirige & ne travaille pas. La seconde classe comprend le charretier chargé du soin des chevaux, des mules, &c. le beuvier & les laboureurs ; chacun à son district.

Dans presque tous les cantons du royaume il y a une époque fixe à laquelle on en prend de nouveaux, pour suppléer ceux que l’on renvoie ou qui s’en vont d’eux-mêmes ; ici, c’est à la St. Jean d’été ou à Noël ; là, à la St. Martin, à St. Michel ; &c. ces époques sont en général dictées par l’ordre des récoltes. Dans plusieurs provinces il existe des loix injustes, relativement à ces malheureux domestiques ; en Languedoc, par exemple, un valet arrêté à la St. Michel, ne peut quitter son maître qu’à la St. Michel suivante ; vient-il à sortir dans le mois d’août ? on lui retient ses gages & même ses hardes, & le maître injuste a le droit de le renvoyer chaque jour de l’année en lui payant ses gages. On voit bien que les gens riches ont fait la loi. Il arrive qu’un valet, mécontent de son maître, fait mal l’ouvrage, ou en fait si peu que le maître est forcé de le renvoyer. Je demande, dans ce cas, qui perd le plus ou du maître ou du valet ? Renvoyé par le maître, il reçoit ses gages, & le champ a été mal cultivé. Il résulte de cette loi, que sur cent valets, à peine il y en a dix qui passent deux ou trois années de suite dans la même métairie ; dès-lors, pourvu qu’un travail quelconque soit fait, peu leur importe, puisqu’ils ne prennent pas le plus léger intérêt à l’avantage du maître. Soyez humains, raisonnables & bons, & vous aurez de bons domestiques, à moins que cette classe d’hommes dans le canton, ne soit aussi pervertie que celle des grandes villes.

Il est essentiel, & c’est le point le plus important, d’avoir un bon maître-valet ; toute la régie de la métairie roule sur lui. Avant de l’arrêter, prenez les informations prescrites au mot Bail, page 129 du Tome II, & n’épargnez pas l’argent si vous en trouvez un convenable ; son bien-être l’attachera à vous, à son travail & à ceux qui lui seront soumis. Comme il est simplement le premier entre ses égaux, il ne convient point qu’il parle en maître, qu’il soit impérieux & dur. Les inférieurs supportent difficilement le joug qui pèse, les esprits s’aigrissent, la discorde survient, & souvent, pour rétablir la paix, il tant faire maison nette. Il est démontré que le maître ne gagne jamais rien aux déplacemens multipliés, parce que, d’après la réputation du maître-valet, on est réduit à prendre les sujets qui ne peuvent se placer ailleurs, & par conséquent tout ce qu’il y a de plus mauvais. La bonne intelligence cessée, se rétablit très-difficilement. De temps à autre rendez-vous à votre métairie à l’heure des repas, afin d’examiner si vos gens sont nourris, si les alimens qu’on leur donne sont de bonne qualité ; l’homme qui languit, travaille mal, & le maître y perd doublement. Lorsque le maître-valet vous aura avancé qu’il a fait telle opération que vous lui avez demandée, vérifiez tout de suite & sur-tout dans les commencemens, afin de l’accoutumer à l’exactitude, & pour votre propre tranquillité, sans qu’il s’en apperçoive ; épiez ses démarches, suivez son travail, jusqu’à ce que vous soyez parfaitement convaincu qu’il se comporte en honnête homme. Lorsqu’il prêchera exemple aux autres valets, le maître sera assuré de la bonté du travail, & de l’ordre qui régnera dans la métairie. N’augmentez jamais les gages de ce chef, mais ne plaignez pas les gratifications ; pour les mériter, il en travaillera mieux. Cette manière de penser ne plaira pas à plusieurs particuliers de quelques-unes de nos provinces, où l’on tient pour maxime, qu’à tous les valets en général on ne doit faire ni injustice ni grace, mais s’en tenir strictement à ce qui a été convenu. Il faut donc que la classe des maîtres soit aussi perverse que celle des domestiques, puisqu’ils leur donnent le moins qu’ils peuvent, marchandent avec eux jusqu’à un petit écu, choisissent par préférence ceux qui exigent le moins de gages. Sans attachement réciproque, sans espoir d’aucun soulagement de plus, le travail s’en ressent ; j’insiste sur cet objet, parce qu’il me révolte. J’aime mieux être dupe de mes domestiques que d’attendre d’eux ce que j’exige d’un cheval, ou d’un bœuf, moyennant la botte de fourage.