Cours d’agriculture (Rozier)/FILETS

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FILETS. On comprend, sous cette dénomination générale, tous les engins qui se composent de fils tissus & mailles claires et ouvertes, et qui, sous plusieurs noms et au moyen de diverses formes, rendent infiniment plus destructive non seulement la guerre que l’homme déclare aux quadrupèdes, mais encore celle par laquelle il rend les habitans des eaux et de l’air tributaires de ses besoins. C’est surtout dans cette seconde guerre que les filets deviennent des armes auxiliaires de la plus grande ressource ; sans eux, une multitude d’oiseaux et une quantité encore plus grande de poissons échapperoient à nos coups ou à nos ruses. Il suffit, à la rigueur, que l’emploi, le jeu, la destination de toutes les espèces de rets, soient familiers au propriétaire à qui la nature de ses biens offre les avantages de la chasse et de la pêche. Aussi trouvera-t-on dans cet Ouvrage, aux différens articles de poissons, oiseaux, et gibier quelconque, la description la plus exacte qu’il ait été possible de faire, et des filets dont il convient de se servir, et de la manière de les mettre en usage. On a dû supposer, dans ces articles, le chasseur pourvu de tous ces instrumens ; mais il n’est que deux manières de s’en pourvoir : c’est de les acheter dans les fabriques, ou de les fabriquer soi-même. L’achat est la voie la plus simple et la plus expéditive, et convient d’ailleurs aux grands et riches propriétaires dont le superflu doit naturellement alimenter tous les genres d’industrie, dont les travaux s’appliquent à leurs besoins ainsi qu’à leurs jouissances. La fabrication est plus économique, et peut utilement occuper les loisirs de l’agriculteur sédentaire qui passe, loin des villes, et sous l’abri du chaume modeste, les longues soirées des hivers. Dans tous les cas, au reste, j’ai cru qu’il étoit utile pour tous de présenter ici quelques idées générales sur cette fabrication, ainsi que sur les soins qu’exige la conservation des filets. Sans ces soins, en effet, leur destruction s’accélère promptement ; et, de quelque manière qu’on se les soit procurés, il est toujours intéressant et sage de les conserver. Je saisis encore cette occasion de citer, avec un juste éloge, la complaisante intelligence de M. Clavaux qui m’a fourni les principaux matériaux de cet article, dont l’objet est essentiellement de sa compétence, et de recommander sa fabrique aux propriétaires, chasseurs, ou pêcheurs, jaloux de se munir d’instrumens bien travaillés.

Je crois qu’il seroit bien difficile à celui qui n’auroit aucune idée de la manière dont se fait la maille d’un filet, de puiser cette connoissance dans un livre. Le mouvement mécanique qui conduit les contours du fil et les passées de l’aiguille, pour former cette maille, échappe eu quelque sorte à l’œil même par sa prestesse. Comment donc le fixer sous la plume ? comment rendre sensible à la pensée cet entrelacement des différentes branches du même fil, dont la position déterminée, et en même temps cachée par les doigts de l’ouvrier, n’offre ni formes saillantes qu’on puisse saisir et représenter par un dessin figure, ni caractère géométrique qu’on puisse décrire par une expression claire et précise ? Cependant, comme il n’y a bien certainement aucun canton de France où il ne se trouve au moins quelques laceurs, ou faiseurs de filets ; que même, dans une foule d’endroits, la fabrication de plusieurs petits meubles en filet de soie est l’occupation des femmes, j’ai pensé qu’avec ce que je vais dire et le secours des connoissances locales qu’il pourroit se procurer, un homme intelligent parviendroit suffire par lui-même, sinon à tous, du moins à la plupart de ses besoins en ce genre.

Les outils propres à mailler se classent naturellement en tête de toute notion sur l’art de faire le filet. Les premiers sont l’aiguille et le moule, ensuite le valet, les ciseaux, des clous à crochet, ou à grosses têtes, selon que l’on travaille debout ou sur un établi.

Les aiguilles varient en grandeur, selon la force des filets que l’on veut faire. Les plus grandes sont de quatorze pouces environ ; les moyennes de neuf et huit, et les plus petites de six à sept. Leur matière est le bois de coudrier, du fusain ou bois à lardoire, du saule ou du peuplier. Elles ont la forme d’une petite planchette ou réglette épaisse d’une à deux lignes, large de huit à dix sur une des longueurs ci-dessus désignées, terminée en pointe par un bout, et de l’autre entaillée de manière à former une espèce de fourche carrée dont chaque branche ou fourchon a de trois à quatre lignes de long, ce qui donne la même profondeur à l’entaille. Cette entaille se nomme talon, et quelquefois coche. Le bout opposé, qui se termine en pointe ou angle aigu, ne doit pas cependant être aiguisé de manière à piquer ; cela rendroit l’outil incommode et dangereux. On sent que l’extrémité de cette pointe doit être obtuse ou émoussée. De plus, on évide intérieurement cette même pointe en descendant dans la largeur de l’aiguille. Cette ouverture, faite à jour dans le plein, a depuis deux jusqu’à trois pouces de long. Sa largeur se proportionne à celle de l’aiguille, en laissant aux bords latéraux assez d’épaisseur et de force pour donner à cette partie une solidité suffisante. Cette espèce de châssis, qui termine un des bouts de l’aiguille, est destinée à loger et retenir le fil dont on la charge ; et pour cela, on n’opère pas un évidement complet ; mais on ménage, sur le milieu de la largeur de l’aiguille, entre les deux côtés montans du châssis, une portion de bois que l’on taille et arrondit en forme de brochette. Cette partie se nomme languette. Sa pointe est libre ; c’est-à-dire qu’elle est séparée de la pointe intérieure du châssis par un certain intervalle, et qu’elle ne s’élève qu’environ jusqu’au point où les côtés montans du châssis commencent à faire l’angle et se rapprochent entr’eux pour former la pointe de l’aiguille. Il en est qui ne se réservent pas cette languette sur le bois même de l’aiguille, mais qui font l’évidement complet, et ajoutent, pour servir de languette, une petite broche de fer implantée dans le corps de ladite aiguille. Cette invention s’applique aussi au cas où la languette de bois vient à casser. On voit quelques aiguilles d’une construction plus simple : pour celles-là, on forme, en haut et en bas, deux coches d’une grandeur quelconque, en observant seulement que les deux branches de la coche qui doit faire la tête ou la pointe de l’aiguille, se rapprochent, soit par l’effet de la taille, soit par la flexibilité du bois. Mais cette tête, à double pointe, est incommode dans le travail, et est sujette à accrocher les fils. Pour terminer de suite ce qui concerne l’aiguille, je vais indiquer le mode de la charger, emplir, ou couvrir de fil : ces termes sont synonymes. On prend le bout d’une pelote de fil ou de ficelle, pelote que les laceurs appellent lisseau ; et, tenant l’aiguille dans la main gauche, on passe ce bout à la longueur de deux à trois pouces, par le châssis décrit plus haut : on fait deux tours au pied de la languette, et l’on descend la longue branche de son fil, c’est-à-dire celle qui part du peloton, le long d’une des faces de l’aiguille, afin de l’engager entre les deux cornes ou fourchons du talon : en même temps on retourne face pour face son aiguille dans sa main gauche ; c’est-à-dire qu’en la roulant sous ses doigts, on lui fait présenter son autre côté au fil qu’on conduit de la main droite, et remontant ce fil jusqu’à la languette, on l’y engage de nouveau, mais cette fois par un simple demi-tour ; d’où on le redescend sous le talon, pour le remonter encore et répéter ce mouvement jusqu’à ce que l’aiguille soit assez chargée, ou que l’épaisseur du fil qui la couvre n’excède point l’ouverture des mailles que l’on veut faire, et par lesquelles l’aiguille doit passer. Pour engager facilement le fil par la pointe de la languette, on presse légèrement ce petit morceau de bois qui est flexible, avec le pouce ou le second doigt ; ce qui fait incliner sa pointe vers le côté par où on lui présente le fil, en la forçant de sortir hors du plan du châssis, au milieu duquel elle se trouve naturellement encadrée. Les faces, côtés et arêtes de l’aiguille, doivent être bien lisses, pour ne pas accrocher le fil.

Le moule ou second instrument du laceur est un morceau de bois plus ordinairement cylindrique, de quelque bois léger, et susceptible d’un grand poli : on en fait de saule. La longueur commune est d’un demi-pied, et moins. Le diamètre est en proportion de celui qu’on veut donner à la maille. Pour les filets de pêche, on prend des moules de douze, dix, huit et sept lignes de diamètre. En général, l’ouverture de la maille est égale au tour du moule ; et le quart de ce tour donne la longueur d’un des côtés de la maille. Je suppose, par exemple, qu’on veuille une maille d’un pouce en carré, c’est-à-dire dont chacun des fils qui en forment les côtés ait un pouce de long ; on prendra un moule de seize lignes de diamètre : la circonférence ou le tour est à peu près le triple de ce diamètre, ce qui donne quarante-huit lignes, dont le quart est douze et ce sera la dimension des côtés de la maille faite sur ce moule ; ou autrement, le nombre exprimant les lignes de l’étendue du diamètre d’un moule, diminué de son quart, donnera l’étendue des côtés de la maille. Si l’on vouloit augmenter cette maille sans changer de moule, on feroit deux tours de fil, au lieu d’un, autour de ce moule. On peut aussi se servir, au lieu d’un cylindre, d’une règle ou morceau de bois plat et long. Lors même qu’il est question de faire de très grandes mailles, comme dans les filets destinés aux gros poissons, on prend quelque planchette large, telles que les douves d’un tonneau, qui ont depuis six jusqu’à neuf pouces de face. On sent que leur pourtour ou l’ensemble étendue des deux faces donne la longueur des côtés des mailles, c’est-à-dire qu’elles ont depuis un pied jusqu’à un pied et demi d’ouverture.

Le valet d’un faiseur de filets est une règle ou tringle de bois d’une longueur indéterminée, que l’on suspend par son milieu après un mur, au moyen d’un clou et d’un cordon. Chaque extrémité de cette pièce de bois est armée d’un clou à crochet. On passe une maille dans chacun de ces clous, et cet appareil sert à tenir étendue une certaine portion du filet.

On a enfin souvent besoin de ciseaux ; on les prend un peu forts, et d’ordinaire camards, c’est-à-dire arrondis des deux branches, pour pouvoir se porter dans la poche, sans crainte de se blesser.

Après les instrumens de la fabrication des filets, il est bon d’en connoître la matière. C’est le fil et le cordonnet, ou la ficelle. La qualité des fils qui servent à la plus grande partie des filets, est désignée dans le commerce sous le nom de fil en trois. Il y en a de grosseurs très variées que l’on distingue aussi par un numéro. Tous ces fils ne doivent pas être trop tors. On se sert pour certaines pêches et certaines chasses, de rets faits avec du cordonnet ou de la ficelle : ce cordonnet doit être tors à l’envers, c’est-à-dire d’un sens opposé à celui où l’on tord les ficelles ordinaires. Le but de cette précaution est d’empêcher le cordonnet de se replier en spirale sur lui-même dans le travail de la fabrication, ainsi que de se tortiller lorsque le filet va à l’eau.

On fait, sur-tout pour des chasses aux oiseaux, des filets de fil de soie : avec cette matière, on peut réunir, dans une très-grande étendue de filet, la force et la légèreté.

Voilà les premiers élémens de tout filet : sa fabrication résulte de leur emploi. Le premier pas à faire est de former des mailles, le second de les poursuivre de manière à les distribuer selon telle ou telle forme déterminée. Les premières mailles formées s’appellent levure. Lever un filet, c’est le commencer ; le poursuivre, c’est l’achever. Cet achèvement ne résulte pas toujours de la continuation des mêmes mailles ; il faut dans des cas se ménager des espèces de mailles auxiliaires et surnuméraires, qu’on nomme accrues ; dans d’autres, diminuer leur nombre par des rapetisses, quelquefois aussi se donner une rangée de mailles doubles pour pouvoir faire un filet qui tienne à un autre ; c’est sur-tout ce qui a lieu dans les filets dits verveux, où l’on forme des goulets dans l’intérieur du corps du filet.

Revenons sur nos pas, et retournons à la première maille. Toute maille est le résultat du contour d’un fil autour d’un moule, et d’un certain entrelacement qui arrête les deux branches de ce fil par un nœud. Il y a plusieurs manières de faire ce nœud. Les deux essentielles à connoître sont celles qui forment le nœud dit sous le petit doigt, et celui dit sur le pouce. On n’a besoin que du premier nœud pour lever ou commencer toutes sortes de filets : les méthodes contraires, maintenues par la routine, sont dues aux tâtonnemens du métier. Leur moindre inconvénient seroit de rendre la description que j’entreprends tout à fait inintelligible ; elles en ont un plus grand dans la pratique : c’est que les levures, formées par ces méthodes, se commencent par de fausses mailles ou demi-mailles dont il faut, quand les véritables mailles y sont attachées, supprimer l’enlacement postiche, ce qui est à la fois une perte de matière et de temps. Le nœud sur le pouce doit être réservé, dans quelques cas, pour rhabiller, c’est-à-dire raccommoder les filets, et sur-tout pour faire les fausses mailles ou mailles de surcroît dites accrues, qui servent lorsqu’on veut augmenter les dimensions primitives d’un filet ; ce qui résulte de l’augmentation du nombre de ses mailles.

Pour commencer un filet en maillant avec le nœud sur le petit doigt, l’aiguille étant suffisamment chargée, sans couper toutefois la branche du fil qui se dévide d’après la pelote, on prendra un bout de ficelle de huit ou dix pouces de long, dont on noue ensemble les deux extrémités, et qu’ainsi noué on accroche après un clou. Cette ficelle, dont on ouvre les deux branches, s’appelle anse. L’on passe son aiguille dans cette anse, en l’engageant de dessous en dessus. Ce premier mouvement place le fil en croix sur le bas de l’anse, et il se plie là en deux branches dont l’une tient à l’aiguille, et l’autre au peloton. Cette seconde branche, ramenée de dessous en dessus dans l’ouverture de l’anse, ressort encore une fois par-dessous à la longueur d’un ou deux pouces, et pliée en double. On engage, dans ce double, le doigt du milieu de la main gauche pour tenir cette partie de fil ouverte et écartée, et former une seconde anse mobile sous la première, qui ne sert que de point d’appui à ces divers mouvemens. Cela fait, on place son moule entre le pouce et le premier doigt de la main gauche, et on l’approche sous l’anse de corde à une distance à peu près égale au diamètre du moule, en observant que la branche du fil qui tient à l’aiguille passe sur le moule sur lequel on la presse, en mettant le fil sous le pouce. Arrêté là, ce fil descend sur le petit doigt et en fait le tour. On le remonte de là derrière le moule, où le premier doigt le presse et l’arrête en dessous, et à peu près vis-à-vis l’endroit où le pouce presse en dessus. De ce point on jette l’excédant de ce qui sort de l’aiguille en manière de demi-cercle, en allant encore à gauche, à partir du bout du premier doigt de sa main gauche, remontant vers le clou qui tient l’anse, laissant sur cette anse une trace de fil étendue lâche et circulairement, et redescendant sur la droite, de manière que, sans déranger ce cercle, on puisse de la main droite qui tient l’aiguille, et qui a tracé toute cette marche du fil, présenter la pointe de cette même aiguille vers le creux de sa main gauche. On y engage cette pointe sous la partie du fil tendue du pouce au petit doigt, puis, la dirigeant derrière le moule, on la passe en dessus dans l’anse double qu’on a vue formée plus haut sous le doigt du milieu, de manière qu’elle en sorte de dessous en dessus, et que la partie de la branche de fil jetée en demi-cercle sur l’anse, ne soit point touchée par l’aiguille, mais reste, pour le moment, immobile entre cette aiguille et l’anse. L’aiguille étant ainsi engagée, on la lâche pour la reprendre par la tête, et, la tirant toute entière dehors, on serre le nœud que forme ces entrelacemens, en conduisant toujours contre le moule les points du fil, pris sous le premier et le second doigt, et ne dégageant le petit doigt du double qui l’entoure qu’à la dernière extrémité. Si on a bien exécuté tous ces mouvemens, pour lesquels on doit donner à la branche du fil qui tient à l’aiguille une longueur suffisante, on aura fait une première maille d’après laquelle on pourra en poursuivre des milliers. Pour faire la seconde, on reprend, comme la première fois, sous l’anse de corde, une petite portion en double de la branche du fil qui tient au peloton ; ce double s’engage et se tient ouvert toujours par le doigt du milieu de la main gauche, et sert, comme on doit le voir, si on a bien senti les mouvemens de l’aiguille, à fermer la maille entière, en lui donnant quatre côtés. Si l’aiguille s’évide avant que la levure soit achevée, on la recharge d’un autre fil, et lorsqu’elle en est suffisamment remplie, on la coupe pour attacher le nouveau bout au nœud de la dernière maille. Lorsque la levure est achevée, c’est-à-dire qu’on a fait, comme je viens de le dire, un premier rang de mailles proportionné à l’étendue qu’on veut donner à son filet, on dégage le moule de ce rang de mailles, et, le retournant de manière que la dernière maille qui étoit à droite devienne la première sur la gauche, on rapporte son moule sous la courbure inférieure de cette première maille ; puis, recommençant les mêmes mouvemens du fil sur le moule et autour du petit doigt, etc., on opère comme pour le premier rang, avec cette seule différence que le doigt du milieu de la main gauche n’est plus occupé à former d’anses postiches, et que c’est par les mailles qu’on vient de faire qu’on fait ressortir toujours de dessous en dessus la pointe de son aiguille, lorsqu’on l’a engagée sous la branche de fil qui tient au petit doigt : c’est en laçant dans ces mailles que le second rang se noue après le premier. Pour mailler bien également, on observera de tenir bien alignés les nœuds des mailles du premier rang.

Tel est le procédé le plus parfait pour faire une levure. Il en est deux autres un peu plus simples peut-être, mais qui ont quelques inconvéniens. Le premier, consiste à se servir de l’anse fixe après laquelle on attache le fil dont l’aiguille est chargée, au lieu de l’anse postiche et mobile qu’on forme avec le doigt du milieu de la main gauche. Mais, par cette méthode, on ne forme, pour son premier rang, que des demi-mailles au lieu de mailles entières ; de plus, si on avoit une très-grande étendue de filet à faire, il faudroit considérablement allonger son anse pour qu’elle puisse enfiler toute la levure. Le second procédé consiste à faire ses mailles les unes sous les autres ; c’est-à dire que la première maille faite, on dégage le moule, et on l’approche sous cette première maille, laquelle sert d’attache à la seconde qui, elle-même, devient le point d’appui de la troisième, et ainsi de suite. Dans cette manipulation, il faut observer d’abord, pour obtenir la longueur qu’on se propose de donner au côté que l’on travaille, que la maille de cette levure s’allonge en se plaçant en diagonale, et qu’elle se raccourcit lorsqu’on va pour l’ouvrir et qu’on tend la levure horizontalement ; d’où il suit qu’il faut mailler dans une longueur à peu près double de celle qu’on désire obtenir en définitif. Ainsi, pour se réduire à une levure de six pieds, en faisant les mailles les unes sur les autres, ces mailles, travaillées de cette manière, occuperont une longueur d’environ douze pieds. Le plus grand inconvénient de cette méthode c’est que, lorsqu’on forme le second rang, le pincement qui s’opère au bas de chaque maille par le nœud qui attache ce second rang au premier, diminue cette partie inférieure des premières mailles, dont l’angle supérieur ne se trouve plus par-là égal à l’angle inférieur. Une grande pratique donne à un bon laceur l’habitude de corriger cet inconvénient, par le placement de son moule et le serrement de son nœud. Un moule un peu plus gros pour le premier rang seulement, serviroit aussi à y remédier. De ce qui précède, il suit qu’on maille toujours de gauche à droite ; qu’ayant terminé un rang de mailles, on retourne à gauche, et sens dessus dessous, le bout qui se trouve à droite, pour qu’il soit repris par la main gauche. C’est cette même main qui tient nécessairement le moule et le place en bas des mailles ; quand elle est en position, le dos de la main est tourné vers la terre, et la paume vers le ciel. Dans les passées de l’aiguille que j’ai décrits, sa pointe est toujours dirigée de dessous en dessus pour la faire ressortir en l’air et non vers la terre.

Je passe au nœud sur le pouce, appelé ainsi parce qu’on n’y engage point le fil autour du petit doigt ; par-là, il pourroit être pratiqué par un laceur qui seroit privé de ce doigt ; mais lorsqu’on se sert du nœud précédent, on a réservé celui-ci, comme je l’ai dit, pour certains cas particuliers, entr’autres pour les accrues. Soit au reste qu’on travaille après des mailles déjà faites ou que l’on maille sur une anse qui tient lieu de maille, on jette sur le moule le fil qui sort de l’aiguille et qui tient ou à une maille déjà faite, ou qui part du nœud fait sur la branche gauche de l’anse qui tient lieu de maille. Le moule étant entouré d’une première révolution du fil, on passe son aiguille en dessous de la dernière maille faite et au travers ou dans l’anse, et de la même manière ; et de là on le rabat sous l’extrémité du pouce qui presse cette branche contre le moule. L’excédant, à partir de ce point d’arrêt, se déploie de gauche à droite en demi-cercle ; alors la pointe de l’aiguille, portée plus bas que les parties soutenues par la main gauche, se dirige de dessous en dessus, de manière à passer non plus à travers la maille ou l’anse, mais entre leur jambe ou branche la plus à gauche, et par-dessus la partie du fil jetée en demi cercle ; la main droite qui l’a poussée dans ce passage en la tirant par le bas, comme on doit le sentir, l’abandonne pour la reprendre par la tête, et la tirer tout à fait en l’air. On serre alors le fil en tirant à soi, et il en résulte un nœud qui se forme à l’extrémité du pouce. Pour rassembler ce qu’il y a de plus essentiel à dire sur les mailles, je terminerai par la maille double. On fait une maille double, c’est-à-dire deux mailles l’une sur l’autre, en chargeant son aiguille de deux fils. À la fin de la rangée, dégageant l’aiguille, on a une double maille qui part du même nœud. Si, en continuant de mailler, on n’attache le nouveau rang qu’on forme qu’à la maille supérieure, l’inférieure reste libre pour servir de naissance et de point d’appui aux mailles d’un nouveau filet que l’on peut faire partir du sein de l’autre. Ce procédé sert dans des filets de pêche où l’on forme des goulets ou entonnoirs dans l’intérieur d’un autre filet.

Quand on a acquis, par un certain usage, la facilité et l’habitude de conduire ces nœuds et de former ces mailles, on peut, avec un peu d’intelligence, entreprendre toutes sortes de filets. Les filets prennent différens noms, tant par rapport à leurs mailles que par rapport à leurs formes. Par rapport à la maille, on les dit à mailles en losange ou à mailles carrées ; par rapport à leurs formes, quand ils s’étendent en surface avec quatre côtés, on les appelle nappes, toiles, pantières, rets, sennes. Il y en a qui sont composés de trois filets l’un sur l’autre, et on les nomme tramail ou trémail, trémaux ou tramaux, mots dont je pense que le sens étymologique est trois mailles. Enfin, il y a des filets fermés ou faisant le sac, comme les nasses, verveux, pochettes, etc.

Les filets à mailles en losange, et qui doivent s’étendre tout uniment en long et en large, sont les plus simples à faire. Ils résultent de la poursuite indéfinie de la première méthode de mailles que j’ai décrite ci-dessus en parlant du nœud sous le petit doigt. On les dit à mailles en losange, parce que le filet étant étendu dans sa position naturelle, les points ou nœuds de chaque maille sont placés en ligne droite du haut en bas ; de manière que ces mailles sont opposées les unes aux autres, angle à angle.

C’est ainsi qu’on fait les trameaux, nasses, et généralement tous les filets désignés par le nom générique de nappes. Ces filets sont d’ailleurs rectangulaires par leurs formes, c’est-à-dire carrés longs, de manière que la hauteur ou largeur soit moindre que la longueur. J’ai déjà eu plusieurs fois occasion de remarquer qu’il falloit tenir, en fabriquant, leurs dimensions d’un quart ou d’un cinquième environ plus grandes qu’on ne se proposoit de les avoir réellement, parce qu’en montant le filet, et ouvrant ses mailles en tous sens, il s’opéreroit toujours par là un rétrécissement sur les longueurs. Il est assez indifférent de prendre sur la levure la hauteur ou la longueur de son filet. Dans les ateliers de M. Clavaux, on trouve plus de commodité à lever, c’est-à-dire à commencer par le côté qui doit être le plus long. Ainsi, si une nappe doit avoir trente pieds de long sur huit ou six de hauteur, on commence par faire une levure de trente pieds, plus, cinq ou six pieds qu’on donne pour la perte dans le d’étirement des mailles.

Le filet à mailles carrées, soit qu’on le fasse carré en tous sens, soit qu’on le fasse carré long ou rectangle, ne s’exécute pas tout à fait comme le précédent, quant à la conduite des rangées de mailles. La première maille se fait de même ; car toute maille prise isolément est de soi carrée ; elle ne se trouve en losange que par le placement d’une suivante qui s’aligne avec la précédente par la pointe et non par les côtés. Un filet à mailles carrées sera donc celui qui, tendu naturellement, présentera ses mailles placées l’une contre l’autre et côte à côte, comme les carrés d’un damier. Pour faire cette espèce de filet dans les proportions de carré parfait, il faut le commencer par un angle, et aller d’une maille à deux, puis à trois, puis à quatre, jusqu’à ce qu’on ait atteint la longueur latérale que l’on s’est proposé de donner à son carré : alors on décroît d’une maille à chaque rang pour finir par une seule à l’angle inférieur, ainsi qu’on a commencé à l’angle supérieur. C’est dans cette fabrication que les accrues et les rapetisses sont indispensables. Revenons à a première maille : l’aiguille étant suffisamment chargée de fil, on sépare ce fil du peloton et du bout extrême qui pend après l’aiguille ; on fait deux tours autour de son moule ; on noue les deux bras du fil sans couper celui qui tient à l’aiguille, et, dégageant le moule, on a une espèce de maille sans forme ou anse, que l’on passe dans un clou à crochet, observant que le nœud qui la forme et d’où part le fil de l’aiguille, soit sur le milieu à peu près de la branche gauche de l’anse. Sous celle anse on place son moule, on fait une première maille par le procédé ordinaire, et à côté de celle maille on forme une accrue ; c’est-à-dire que, comme je l’ai décrit pour le nœud sur le pouce, on fait passer son fil de dessus en dessous du moule ; puis, passant l’aiguille dans l’anse de dessous en dessus, on ramène ce fil sous le pouce, d’où on le jette à gauche en demi-cercle ; et, passant la pointe de l’aiguille en dessous, entre la jambe gauche de l’anse et à travers ce demi-cercle, on tire et forme le nœud d’où résulte une espèce de seconde anse ou accrue couchée à côté de la première maille. Ceci fait, on dégage le moule, et, retournant ses fils bout pour bout, l’accrue se trouve à gauche et la maille à droite. Le moule étant placé au bas de cette accrue, on maille sur elle comme si elle étoit une véritable maille, et on fait deux mailles de file, l’une qui vient après l’accrue, l’autre après la véritable première maille, et au bout de ces deux mailles on jette comme ci-dessus une nouvelle accrue ; puis, dégageant le moule, on retourne de nouveau le filet ; par-là, cette seconde accrue se reporte à gauche pour commencer sous elle son troisième rang. En poursuivant ainsi, et jetant toujours une accrue de plus après une maille de plus, le nombre des mailles augmentera d’une à chaque rang. Quand on sera parvenu à augmenter jusqu’au point que l’on aura déterminé pour l’étendue de son filet, on fera l’opération inverse des rapetisses ; c’est-à-dire qu’à cette rangée qui détermine le maximum, au lieu d’accroître, on forme sa dernière maille en passant son aiguille dans les deux dernières du rang supérieur que l’on prend et rassemble toutes deux sous un seul nœud ; renouvelant cette opération à chaque fin de rangée, elles diminueront toutes progressivement de chacune une maille, et le filet finira enfin par une, comme il a commence. On voit donc que les rapetisses sont l’inverse des accrues, et qu’elles ont lieu quand on embrasse deux mailles sous le nœud d’une seule. Les filets carrés ont les premières mailles de leur bordure à jambes fort inégales ; ceci est la suite nécessaire de la construction que je viens d’expliquer ; puisque chaque première maille étant faite sous une accrue, sa première jambe part du haut de cette accrue, et sa dernière se rattache au bas ; cela fait qu’il règne autour du filet une espèce de cordonnement formé de mailles sans formes : c’est une sorte de hors-d’œuvre que la construction ne peut éviter. En sortant de la main du laceur, le filet paroît plus long que large, parce, qu’il est étendu sur sa diagonale ; mais, en le détirant et l’étendant carrément, il prend sa forme, et les mailles se trouvent placées comme les quadrilles du damier. D’après ce qui vient d’être dit, la fabrication d’un filet carré long ou rectangle et à mailles carrées, ne présentera pas une grande difficulté. Ce filet diffère du précédent en ce que sa longueur excède sa hauteur ; mais d’ailleurs ses côtés opposés sont parallèles et se joignent à angle droit comme dans le carré. Ces espèces de nappes servent dans la composition des trémaux ou tramaux et filets contre-maillés. C’est entre deux rets de cette espèce qu’on place la toile en losange. (Voyez la description du tramail, à l’article Caille.) Si donc on veut fabriquer un filet carré long, on le commencera comme un filet simplement carré ; et lorsque l’on aura assez maillé, pour que l’un des côtés faits puisse être regardé comme la hauteur qu’on veut donner à son filet, on fera de ce côté une rapetisse, en prenant ensemble, avec l’aiguille, les deux mailles supérieures à la dernière que l’on forme ; puis, poursuivant une nouvelle rangée au bout de celle rangée, on continue de jeter une accrue sous laquelle on maille comme à l’ordinaire, pour terminer encore ce nouveau rang de mailles par une rapetisse. Répétant ce procédé autant qu’il le faudra, et formant toujours ses accrues du même côté et ses rapetisses de l’autre, il en sortira un filet qui cessera de croître du côté des rapetisses, et qui, s’étendant toujours de celui des accrues, acquerra une longueur plus grande que sa hauteur, c’est-à-dire qu’il deviendra un carré long.

Les filets fermés à forme cylindrique, ou en entonnoir, tels que plusieurs de ceux qui servent à la pêche, sont à mailles en losange. Pour fermer tout filet qui doit faire la poche ou le sac, on commence la levure comme ci-dessus ; et lorsqu’elle atteint l’étendue convenable, on passe à la seconde rangée. On dispose tout pour la première maille de cette seconde rangée, comme à l’ordinaire ; mais lorsqu’il s’agit de former le nœud, au lieu de passer son aiguille à travers la maille supérieure du bout qu’on tient, on va chercher la dernière du bout opposé. C’est dans celle-là qu’on passe l’aiguille, et le nœud qui se forme fera cette maille au dessus de la première du second rang qu’on vient de finir. Continuant le même procédé, on attache la seconde maille de ce second rang après celle qui étoit tout à l’heure l’avant-dernière du premier rang ; en poursuivant toujours ainsi, on aura un filet rond comme un baril et aussi long qu’on jugera convenable de le faire. Cette manière de mailler forme le cylindre par une suite de révolutions ou de rangées de mailles qui s’entourent au dessous les unes des autres en spirale, puisqu’on a rattaché la première du second rang sous celle qui se trouvoit la dernière du premier. Si l’on veut que ces filets se terminent en cône, on emploie le procédé des rapetisses, suffisamment décrit aux filets carrés ; si on veut, au contraire, les étendre et leur donner de l’évasement, on a la ressource des accrues. Dans ce cas, ces accrues n’ont pas besoin, comme dans le filet carré, d’être placées exclusivement à la fin de chaque rang. On les jette à toute place et en tel nombre qu’on le juge à propos, en se guidant d’après la forme que l’on veut obtenir. Dans ce cas encore, on fait ces accrues un peu différemment de celles décrites plus haut pour les filets carrés. Ici il s’agit de filet à losange ; après une maille faite, voulant la faire suivre d’une accrue, on commence toujours par placer son fil sur le moule et sous le pouce, d’où, portant l’aiguille sous le moule et sous le filet, on la passe dans la maille d’un rang plus haut, qui répond au dessus de la dernière qu’on vient de former. L’aiguille passée, on rabat le fil sous l’extrémité du pouce, d’où, le jetant de gauche à droite en demi-cercle sur le filet, on rapporte la pointe de l’aiguille en dessous, et on la fait passer, non par la maille où passe le fil, mais entre les branches du fil qui sortent de cette maille et à travers le demi-cercle jeté ci-dessus ; puis, tirant à soi et serrant contre le moule, on a une fausse maille ou accrue qui se place aisément parmi les véritables mailles que l’on poursuit. Lorsqu’on fera le rang de mailles suivant, il se trouvera augmenté d’autant de mailles qu’on aura fait d’accrues.

Tout filet étant fini de mailler, subit encore quelques opérations avant de pouvoir être employé. J’ai déjà eu occasion d’en parler, en décrivant l’usage soit des nappes à alouettes, soit de la pantière, soit du tramail, été. On borde en général tous les filets. Les border, c’est passer par les mailles extrêmes des côtés un cordonnet plus fort que le fil du filet, et qu’on appelle maître ou mètre. On attache ce cordonnet de trois pouces en trois pouces, en le cousant, en quelque sorte, après les mailles avec un bon fil, auquel on fait faire de longues révolutions, comme si on cousoit un grand surget. Ce maître sert à tenir le filet étendu sur toutes ses dimensions, et à en fortifier les bords, précaution bien nécessaire, sur-tout dans les filets qu’on tend et qu’on traîne, comme pantières, tirasses, sennes, etc.

Enlarmer un filet, c’est jeter et attacher sur ses bords des espèces de grandes anses de corde ou de cordonnet, d’une force proportionnée à l’usage de cette enlarrnure, qui sert communément à recevoir des cordes plus fortes ou des bâtons, comme dans des filets de pêche et dans ceux à alouettes.

On monte un filet, quand on le garnit de tout ce qui est nécessaire au service qu’on en attend. Si on a deux ou plusieurs filets pareils qu’on veuille faire servir d’une seule pièce, on les coud en joignant les unes aux autres, par une ficelle, les mailles des deux lisières semblables, reprochées côte à côte.

Les filets de pêche qui doivent garder dans l’eau une situation verticale, sont garnis par le haut, qu’on appelle l’arête du filet, de matières légères ; pour l’ordinaire, ce sont des morceaux de liége percés et passés dans une corde qu’on attache au filet. C’est ce qu’on nomme les flottes. Elles doivent être en proportion de l’étendue et du poids du filet. On emploie au même usage de petites planches de bois léger, tels que le sapin, le tremble, le tilleul. En Allemagne, on a reconnu que l’écorce du vieux peuplier avoit tous les avantages du liége pour la flottaison, et comme elle est d’ailleurs sans autre valeur, l’économie semble en conseiller l’usage. Pour que le bas ou le pied tombe au fond, on y attache, au contraire, des matières lourdes. Ce lest s’appelle la plombée, parce que l’on se sert d’ordinaire de chapelets de balles de plomb, percées et enfilées sur une corde, ou d’espèces de tuyaux cylindriques de ce même métal, coulés exprès pour cela dans une pierre tendre qu’on peut façonner soi-même pour servir de moule. Lorsqu’on coule le plomb, on tient, au milieu du moule, une broche de fer qui sert d’ame, et autour de laquelle se forme le tube cylindrique. On la retire aisément quand le métal est refroidi, surtout si on a soin de faire que cette broche aille un peu en diminuant. Quelques uns, au lieu de plomb, mettent au bas de leurs filets des pierres ou des anneaux de fer.

Les soins que demande la conservation des filets intéressent en quelque sorte davantage leur propriétaire, que la connoissance de leur fabrication. Les filets fatiguent beaucoup, et ce n’est qu’avec des précautions qu’on peut prolonger leur durée. La première de toutes est de les avoir tannés. En se procurant du tan et le faisant bouillir dans l’eau pour y plonger ses filets, on leur donne cet apprêt qui est reconnu propre à les conserver. Les proportions de l’eau au tan doivent être de deux parties et demie contre une ; c’est-à-dire, deux mesures et demie d’eau contre la même capacité pleine de tan. Quand l’eau s’en est suffisamment chargée par une ébullition qui, dans les grandes fabriques, dure jusqu’à dix-huit heures, on retire tout le tan avec un instrument propre à le puiser, et on jette les filets dans l’eau bouillante. Après qu’ils sont imbibés on les fait sécher, en les préservant de la pluie et de la gelée. Les filets de pêche ainsi préparés, résistent à l’eau et y restent des temps considérables sans s’endommager. Outre l’écorce du jeune chêne, celles du saule, du noyer, des sumacs, de l’aulne, ainsi que les bruyères et plusieurs autres végétaux, fournissent aussi du tan.

Le meilleur est celui du chêne : à son défaut, sur-tout pour les filets de chasse, on peut se servir d’une préparation de teinture, et tirée du noyer, qui consiste à lever les écorces de ses racines et à les faire bouillir dans l’eau à la proportion de deux boisseaux d’écorce contre deux seaux d’eau. Après que ce mélange a bouilli une heure, on y plonge et retourne les filets qui, en trempant vingt quatre heures, prennent une teinte brune. Les filets verts, nécessaires pour la chasse aux oiseaux, doivent être de fil teint chez le teinturier, autant que possible. On supplée passablement à cette teinture, dans un cas de nécessité, en prenant du blé vert qu’on hache et pile en bouillie dans laquelle on trempe les filets, en les saturant bien de la partie colorante.

On recommande de ne pas laisser entasser les filets mouillés, mais de les étendre et les faire sécher. On doit les laver aussi quand ils ont servi, sur-tout ceux de pêche. On les tiendra renfermés dans un endroit sec, en les isolant, le plus possible, des lieux qui pourroient donner aux rats et souris la facilité de les approcher.

Le soin qu’on ne doit non plus jamais omettre, est celui de les rhabiller ou ramender, comme disent quelques laceurs. Ce raccommodage les entretient ; il est souvent indispensable pour leur service, qui manqueroit si le filet étoit troué ; enfin, il empêche les trous de s’agrandir, et le filet de se détruire entièrement. S’il ne manque qu’une jambe à une maille, il n’est pas difficile d’en substituer une nouvelle. Si plusieurs mailles sont emportées, il faut, pour réparer la solution de continuité, agrandir d’ordinaire le trou, en coupant les déchirures, et rendant l’ouverture carrée. C’est souvent dans ce cas que le nœud sur le pouce est nécessaire, sur-tout lorsque l’on travaille sur un grand filet, qu’on est obligé d’étendre par terre ou sur une table ; mais on peut aussi rhabiller avec l’autre nœud. Ce qu’on doit se proposer, est de former des mailles bien égales à celles qui existent. Les laceurs expérimentés les forment sur leurs doigts, en prenant la mesure des anciennes. Le fil dont l’aiguille est chargée, étant attaché à l’un des angles du trou, on forme les nœuds des mailles nouvelles sur les nœuds des dernières mailles. Les deux mailles extrêmes du nouveau rang, s’attachent par une simple jambe, sur les côtés du trou. On le remplit d’autant de rangs qu’il est nécessaire, en allant de gauche à droite, et revenant de droite à gauche, parce que souvent il n’est pas possible de retourner le filet. Lorsqu’on a assez de mailles pour fermer le trou par en-bas, on joint ces nouvelles mailles aux anciennes par des jambes qui iront alternativement, en montant et en descendant, des mailles neuves au nœud des mailles anciennes. Les gens du métier conviennent, au reste, que c’est un talent très difficile à acquérir, que celui de rhabiller avec une précision telle qu’il soit difficile de distinguer ensuite l’endroit raccommodé. C’est dans cette partie, le comble de l’art : mais je crois en avoir dit assez pour les usages et les besoins ordinaires. (S.)