Cours d’agriculture (Rozier)/FORÊTS, restauration des

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FORÊTS, (restauration des) Addition à l’article Forêts, de Rozier.

De toutes parts on se plaint de la disette des bois, du déboisement des montagnes, et de la détérioration des forêts, par la fréquentation des bestiaux, et les abus de jouissance ; en sorte qu’en France la quantité de bois n’y est plus aujourd’hui en proportion avec les besoins de son immense population.

Malgré les précautions salutaires que l’ordonnance de 1669 avoit prescrites contre ces abus, on reconnoissoit déjà, à l’époque de la révolution et depuis la date de cette ordonnance, une diminution d’environ un tiers dans la consistance de ses bois et forêts[1]. Pendant la révolution, les précautions ont été négligées en partie, quelques unes même ont été abolies, et l’état actuel des bois et forêts de la France en est le fâcheux résultat.

Leur restauration est donc d’une bien grande importance pour la prospérité générale et particulière de la France.

Le gouvernement connoît cette importance, et s’occupe avec activité de la restauration des bois nationaux ; mais il n’est pas seul propriétaire des bois de la France, (il n’en possède tout au plus que la moitié) et, pour faire cesser la disette de bois qu’elle éprouve, il est nécessaire que tous les autres propriétaires puissent concourir également, chacun suivant ses facultés, à la restauration de leurs bois.

Pour parvenir à ce résultat, deux conditions nous paroissent indispensables à remplir : la première est de faire connoître à tous les propriétaires les procédés les plus économiques qu’ils doivent employer pour restaurer leurs bois ; nous allons essayer de les exposer d’après notre popre expérience. La seconde dépend du gouvernement : elle consiste à procurer aux propriétaires de bois, placés dans des localités éloignées des lieux de grande consommation, des débouchés assez avantageux pour les indemniser suffisamment de leurs avances et de leurs soins.

Ces deux conditions sont très-naturelles ; car, pour se livrer à un travail quelconque, il faut savoir le faire, et avoir intérêt à s’y livrer.

La restauration des bois se compose, 1°. de toutes les améliorations dont leur administration est susceptible ; 2°. d’une bonne conservation.

Cet article sera donc divisé en deux parties : la première traitera de toutes les améliorations dont l’administration des bois est susceptible ; et la seconde contiendra les principes de leur conservation.


PREMIÈRE PARTIE.
Améliorations dont l’administration des bois est susceptible.

Les améliorations dont l’administration des bois est susceptible, consistent d’abord dans un aménagement combiné avec la nature du terrain et les essences de bois qu’il produit : nous en avons suffisamment exposé les principes à l’article Bois de ce Supplément. Et ensuite, 1°. dans les semis et plantations des futaies qui n’ont pas repoussé de souche, ou dans de nouvelles plantations de pleins bois, et dans le repeuplement des vides actuels des bois ; 2°. dans des plantations d’arbres isolés ; 3°. dans les travaux à faire pour empêcher les approches des bestiaux, les anticipations des cultivateurs riverains des bois, et pour faciliter les débouchés des forêts.


CHAPITRE PREMIER.

Semis, plantations et repeuplement des bois.
Section première. Semis et plantations des bois.

§. I. Choix du terrain et des essences de bois. Le but que l’on doit se proposer, en plantant un terrain en bois, est d’en retirer, après la plantation, un revenu plus grand que celui qu’il produisoit en culture ordinaire.

Cette plantation doit donc, comme toute autre amélioration agricole, être déterminée par le résultat de la comparaison de l’ancien revenu de ce terrain avec celui qu’il produira en bois, déduction faite des intérêts des fonds avancés.

Il résulte de ce précepte, 1°. qu’on ne doit pas planter des bois dans les bonnes terres, les prairies, les pâturages gras par eux-mêmes, et ceux que l’on peut rendre tels par irrigation, parce que, dans cet état, ces propriétés donneront toujours un revenu plus considérable que si elles étoient plantées en bois.

2°. Que, dans toutes les localités où le bois de chauffage est à bas prix, comme à dix francs la corde et au dessous, il ne faut pas planter de bois, parce que, quelque foible que soit le revenu des terres ans les localités, il sera toujours supérieur à celui qu’on en retirerait, plantées en bois, intérêts d’avances déduits.

Ce n’est donc que dans les localités où, le bois est à un prix supérieur à dix francs la corde, et sur les terres médiocres, et mauvaises de ces localités, que les propriétaires pourront se livrer aux plantations avec un avantage certain ; et cet avantage sera d’autant plus grand, que le prix du bois de chauffage y sera plus élevé.

Mais les terrains médiocres et mauvais, que nous désignons pouvoir être avantageusement plantés en bois, ne sont pas également propres à nourrir les mêmes essences de bois. Pour retirer le plus grand avantage des plantations, il faut donc ne confier à chaque nature de terrain que l’essence, ou les essences de bois qui peuvent y prospérer. Leur accroissement y sera plus rapide, leur végétation plus belle, et leur produit plus considérable.

Ainsi, après avoir consulté les besoins de la localité, et avant de planter, un propriétaire consultera aussi la nature du terrain qu’il voudra planter, afin de pouvoir choisir avec sécurité parmi les essences qui lui conviennent, celles dont le produit sera le plus avantageux.

Voyez Rozier, article Forêts, et chacun des arbres forestiers ; voyez aussi le chapitre premier de notre Ouvrage sur l’Aménagement et la Restauration des Forêts.

§. II. Différentes manières de planter des pleins bois. Il y a plusieurs manières de planter des pleins bois : toutes exigent des avances, mais il y en a qui sont plus dispendieuses les unes que les autres. Malheureusement la jouissance la plus prompte d’une plantation résulte toujours des avances plus grandes qu’on aura faites pour l’établir et l’entretenir

D’ailleurs, quelle que soit la manière que l’on adopte dans les plantations, l’étendue de leur dépense n’est pas la même dans les différentes natures de terrains. Il y en a dont la culture offre plus ou moins de difficultés à vaincre, et alors elle est plus ou moins dispendieuse. Les terrains sablonneux sont les plus faciles à cultiver ; les terrains glaiseux sont les plus difficiles.

La plantation la plus dispendieuse est celle que l’on fait dans un terrain préalablement défoncé de douze à quinze pouces de profondeur. Ce défoncement ne peut être fait qu’à bras d’hommes, et comme il occasionne une grande dépense au propriétaire, il n’emploie guères ce moyen que dans les plantations destinées à la décoration de sa maison.

On connoît quatre manières de planter des pleins bois avec moins de dépenses.

La première consiste à préparer le terrain qu’on veut planter, en le cultivant à la houe. On le cultive à plat, si le sol est sain et léger, et en planches bombées ou en rayons, s’il est humide.

La seconde consiste à cultiver ce terrain, à la houe, par rayons de deux pieds de largeur, avec des intervalles non cultivés. On plante dans les rayons cultivés.

La troisième consiste à cultiver tout le terrain à la charrue, lorsque le site le permet, et à lui donner plus ou moins de façons pour en rendre la terre bien meuble.

La quatrième consiste à ne cultiver ainsi à la charrue que la partie du terrain dans laquelle on doit semer ; le surplus reste inculte comme dans la seconde manière de planter.

La culture à bras permet de planter le terrain ainsi préparé en plants enracinés ou en semis ; mais celle à la charrue n’admet que les semis.

À ces quatre manières économiques de planter, nous en ajouterons d’autres encore plus économiques, dont nous avons également éprouvé le succès, et qui sont d’autant plus importantes à connoître, qu’une fois les plantations faites, elles n’exigent plus d’autres soins que ceux de conservation.

La première est de planter en pots. On fait, sur le terrain à planter, et sans culture préliminaire, des trous de douze à quinze pouces de diamètre, sur un pied de profondeur. On les remplit, de six à huit pouces, de la meilleure terre sortie de ces trous. On place convenablement les plants enracinés sur cette terre, et on les recouvre ensuite avec le reste de la terre des trous. Mais on ne peut faire usage de cette manière de planter que dans des terres légères ; car, si l’eau séjournoit dans les pots, comme cela arriveroit dans des terrains glaiseux, elle chanciroit bientôt les racines des plants, et ils périroient.

La seconde manière consiste à lever, avec la houe ou avec la bêche, des gazons sur le terrain à planter. On place un plant enraciné dans chaque trou, et on le recouvre avec les gazons.

Cette manière de planter ne réussit que dans les années pluvieuses ; dans celles qui sont sèches, il reprend peu de plants. Cependant elle peut servir à repeupler les vides des bois, d’une manière économique.

La troisième consiste à semer des graines de bois dans de petits carrés de huit à douze pouces de côté, dont on a préparé la terre à l’avance pour la rendre meuble.

La quatrième consiste à planter, dans le terrain qu’on veut mettre en plein bois, quatre cents jeunes plants d’ypréaux ou trembles, par arpent, ou deux cents plants de haute tige de ces mêmes essences, convenablement et également espacés. On les laisse croître en arbres pendant quatre ans, et on les recèpe ensuite. Il pousse de leurs racines, même avant leur recépage, une grande quantité de drageons qui remplissent les intervalles des souches. Avant la chute des feuilles de l’année du recépage, on sème sur le terrain des graines de bois durs en assez grande quantité, afin qu’après avoir été recherchées par les mulots, les corbeaux et les pies, il en reste suffisamment pour garnir le terrain de ces dernières essences.

Les graines restantes se trouveront recouvertes par les feuilles tombées des bois blancs, qui les préserveront de la sécheresse et de la gelée. Au printemps suivant elles germeront, et se développeront très-bien sous l’ombrage du recru des bois blancs.

Une cinquième manière de planter des bois, qui n’est que la simple imitation de la nature, consiste à semer, à l’automne, à graines perdues, sur des terres incultes et couvertes d’épines, de bruyères, de genêts, ou d’autres arbustes ou de grandes plantes parasites.

Cette manières planter est sans doute la plus économique, mais elle est bien incertaine, et la jouissance de la plantation se fait attendre bien long-temps. Elle n’est d’ailleurs praticable que sur les terrains d’une certaine consistance ; car si le sol est trop léger, il vaut mieux le cultiver et le planter à la charrue.

Lorsqu’on prépare à bras d’hommes le terrain à planter, un seul labour suffit, pourvu que la terre soit bien émiée.

Si on emploie la charrue à cette préparation, il faut donner trois bonnes façons au terrain, si on peut semer ou planter en automne ; et quatre façons, quand la plantation ne peut se faire qu’au printemps.

§. III. Des charrues propres aux plantations des bois. Pour la préparation des terrains destinés à être plantés en bois, il faudra se servir des meilleures charrues locales, celle avec laquelle on donne aux terres la première façon ; mais elle ne seroit pas convenable pour l’entretien des plantations dans leurs premières années. Cette charrue à deux roues, et est attelée de deux chevaux de front. Ces roues et ces chevaux feroient plus de tort aux plantations que les binages ne pourroient leur être utiles.

On éviteroit bien cet inconvénient en faisant donner à bras d’hommes les binages des plantations ; mais ce moyen est beaucoup plus dispendieux que l’entretien à la charrue.

Pour employer la charrue à cet entretien, il faudroit se procurer une charrue sans roues, qu’un seul cheval puisse faire mouvoir dans les terres légères ; et si la consistance du terrain exigeoit qu’on mît deux chevaux sur cette charrue, il faudroit les y atteler de file.

L’araire de Provence, dont on se sert aussi dans la Limagne d’Auvergne, peut donner une idée de la charrue que nous croyons propre à cet usage. Malheureusement son soc en pointe arrondie, ne fait le plus souvent que détourner les mauvaises herbes, il ne les coupe pas. Il faudroit donc lui donner une forme plus tranchante pour rendre cette charrue propre aux binages de nouvelles plantations.

§. IV. Des temps favorables pour semer ou planter des pleins bois. (Voyez Rozier, art. Forêts.).

§. V. Espacement des plants et des graines dans la plantation des pleins bois. La qualité du sol et l’aménagement que l’on se propose d’adopter pour les bois plantés doivent déterminer le nombre des plants qu’il faut y planter. Il est cependant nécessaire d’en planter ou d’en semer un plus grand nombre que cette combinaison ne l’exige, parce que, particulièrement dans les plantations économiques, les plants ou les graines sont exposés à bien des accidens qui empêchent de reprendre beaucoup de plants, ou de prospérer beaucoup de graines,

Si, d’ailleurs, les plantations présentoient trop de plants par la suite, il sera facile de les éclaircir, à moins qu’on ne veuille laisser ce soin à la nature,

1°. Espacement des plants dans la plantation des futaies. Les plantations en futaies ne doivent être confiées qu’aux meilleurs terrains, ainsi que nous l’avons déjà dit.

Les arbres en seront plantés à haute tige, par rangées éloignées de douze pieds les unes des autres, et ils seront espacés également de douze pieds sur chaque rangée.

Si le terrain à planter est frais, quoique profond, on plantera la futaie moitié en chênes et moitié en frênes. Dans ce cas, on placera les chênes sur un rang, et les frênes sur l’autre, alternativement. Les rangées seront tracées à douze pieds de distance les unes des autres, et les arbres espacée à dix pieds seulement sur chaque rangée. On entretiendra ces arbres, et on formera leur tige, comme il sera dit ci-après pour les arbres plantés isolément, et on remplacera soigneusement, pendant les cinq premières années, les arbres de cette plantation qui viendroient à périr.

On trouvera un avantage particulier dans cette manière de planter une futaie ; à cinquante ou soixante-dix ans, suivant la bonté du terrain, les frênes auront acquis assez de grosseur pour être employés très-utilement dans le charronnage. On les coupera donc alors, et leur absence sera pour les chênes restans un véritable éclaircissement.

Si le terrain à planter se trouvoit léger, il faudroit substituer le pin ou le hêtre au frêne, et conduire, d’ailleurs, la plantation comme nous venons de le prescrire.

Si on veut planter cette futaie en plants enracinés, on espacera les rangées à dix pieds, et les plants à six pieds. Enfin, si l’on veut semer cette futaie, on espacera les rangées à dix pieds, et les graines à six pouces.

Dans ces deux derniers cas, on cultivera les plants ou les semis à bras d’hommes. Les intervalles seront labourés à la charrue ; et si, dans ces intervalles, on sème des grains pendant les premières années, le succès de la plantation sera plus assuré.

De ces trois manières de planter une futaie, la première est sans doute la plus dispendieuse ; mais elle promet la jouissance la plus prompte. Cependant les arbres de cette futaie ne pouvant pas pivoter, ne pousseront que des racines horizontales. Ainsi, malgré l’espacement avantageux que nous avons donné à ces arbres, leurs racines se rapprocheront les unes des autres, en avançant en âge, et finiront même par s’entrelacer ; ce qui abrégera leur longévité.

La seconde manière est moins dispendieuse, mais la maturité des arbres qu’elle produira sera plus tardive. Elle présente aussi le même inconvénient que la première manière de planter une futaie, parce que les arbres n’y pivoteront pas.

Enfin, la troisième manière de planter une futaie est celle qui exige le moins de dépenses ; mais elle donne une jouissance encore plus tardive que la seconde. Cependant, lorsque les arbres de cette futaie auront acquis un certain âge, elle sera mieux garnie, et présentera une végétation beaucoup plus belle que dans les deux autres manières, si on l’éclaircit comme nous l’avons prescrit à l’article Bois de ce Supplément, parce que les arbres de cette futaie ayant été semés, ils pourront pivoter.

2°. Espacement des plantations en gaulis. Si on veut planter des bois que l’on destine à être coupés en gaulis, c’est-à-dire à être aménagés de quarante-cinq à soixante-dix ans, il faut les placer dans des terrains de qualité requise. Si on plante ces bois en plants enracinés, il faut les disposer par rangées éloignées de huit pieds les unes des autres, et espacer les plants à quatre pieds sur chaque rangée.

Ces rangées seront dirigées du levant au couchant, afin que l’ombrage des plants puisse préserver du soleil du midi les plantations intermédiaires dont nous allons parler. Deux ans après cette première plantation, on plantera entre les rangées, et à quarante ou cinquante pieds de distance les uns des autres, des trembles de haute tige, ou des ypréaux, ou des bouleaux, ou des pins de bonne espèce, ou un mélange de ces différens arbres. Si, au défaut de pins de haute tige, on est obligé de semer des graines de cet arbre, on attendra, pour les semer, que la première plantation donne un ombrage suffisant pour protéger leur germination et leur développement.

Si, au lieu de planter les gaulis en plants enracinés, on se déterminoit à les semer, on le fera par rangées espacées de huit pieds, et on espacera les graines à six pouces sur chaque rangée. On orientera ces rangées, comme dans le premier cas, et lorsque les semis auront acquis une certaine force, on plantera également des plants de haute tige dans les intervalles des rangées, et aux mêmes distances.

Ces plantations seront soigneusement entretenues pendant quelques années. On donnera trois binages à bras aux pieds des plants, ou le long des semis, dont un au printemps, un autre dans l’été, et le troisième en automne.

Les intervalles de ces plantations pourront être labourés à la charrue ; on leur donnera annuellement deux façons. On pourra semer des grains de mars dans les intervalles, jusqu’à ce qu’ils soient plantés, et le produit, leur récolte couvrira les frais d’entretien de la plantation.

3°. Espacement des plantations en taillis. Nous comprenons sous cette dénomination tous les bois susceptibles d’être aménagés de vingt à quarante ans.

On plantera les bois de cette classe par rangées orientées, ainsi que nous l’avons indiqué pour les plantations en gaulis. Si le terrain est assez bon, les rangées seront espacées de six pieds. Dans les terrains médiocres et mauvais, on les espacera seulement à cinq pieds. Si cette plantation doit être faite en plants enracinés, on espacera les rangées à quatre pieds sur chaque rangée dans les bons terrains, et à cinq pieds dans les médiocres et les mauvais. Si on la fait en semis, les graines en seront espacées à six pouces sur chaque rangée, quelle que soit la nature du terrain.

Si on plante ces bois en pots, on les espacera à quatre pieds en tous sens, et on mettra deux plants dans chaque pot. Enfin, si on sème par bouquets, on placera cinq à six graines bien disséminées dans chaque petit carré. En général, il vaut mieux semer que planter dans de mauvais terrains, le succès de la plantation est plus certain ; et, si l’on peut couvrir le semis par des grains, cette plantation sera très-économique.

Dans les bons fonds, il est avantageux de planter des bois de différentes essences. On peut les planter, savoir : les trois quarts essence de chêne, et le surplus en essence de hêtre, de frêne, d’arbres résineux et de bois blancs, le tout bien mélangé.

Dans les fonds de qualité inférieure, on pourra planter ou semer deux tiers essence de chêne, et l’autre tiers en hêtre et bouleau.

Lorsque les sèves de ces plantations donneront des pousses de trois pouces de longueur et au dessus, leur succès sera assuré, et elles n’auront plus besoin que d’une bonne conservation.

Section II. Repeuplement des vides des pleins bois. Les vides qu’on apperçoit dans les pleins bois peuvent être occasionnés par deux causes très-différentes.

Si des bois trop clairs sont placés sur de bons fonds, leurs vides sont dus à fine mauvaise conservation, et à la fréquentation des bestiaux. Alors, en interdisant leur entrée aux bestiaux, il est facile de repeupler ces vides.

Mais, si les bois dans lesquels on trouve des vides croissent dans un terrain de mauvaise qualité, ces vides peuvent n’être dus qu’à la mauvaise qualité du fond, et alors ces bois ne sont susceptibles d’autre amélioration que d’être soumis à un aménagement plus rapproché.

Pour repeupler les vides des bois, il faut d’abord empêcher l’enlèvement des faînes et des glands, deux ans avant et deux ans après leur coupe ; par cette précaution, les petits vides de ces bois se repeupleront naturellement et sans aucune dépense.

Quant aux grands vides, on les regarnira par les plants, les semis, ou les provins.


CHAPITRE II.

Plantation des arbres isolés. Avant la révolution, les grandes routes, les chemins vicinaux et usagers, et même les endroits les moins dommageables des terres en culture, étoient plantés d’arbres utiles dans toutes les localités où le bois avoit une grande valeur ; et cette richesse territoriale offroit de grandes ressources aux besoins du charronnage, des arts et du commerce. Maintenant ces arbres n’existent plus, et ce n’est que depuis deux ou trois ans que l’on commence à réparer ces pertes.

Après la plantation des pleins bois, celle des arbres épars contribuera aussi à la restauration des bois de la France, sinon aussi puissamment, du moins d’une manière plus précoce, puisque, toutes choses égales d’ailleurs, le même arbre met moins de temps à prendre toute sa croissance, lorsqu’il est isolé, que quand il est en massif.

Cette propriété des arbres isolés est remarquable, en ce qu’on ne peut l’obtenir que lorsqu’ils croissent dans un terrain de qualité convenable à leur essence.

On remarque en effet que les arbres isolés ne présentent une végétation aussi précoce, que dans un sol où ils trouvent une nourriture assez abondante pour réparer les pertes qu’une trop grande évaporation de sève, ou, si nous pouvons nous exprimer ainsi, qu’une trop grande transpiration leur occasionne pendant l’été, et pour fournir encore à leur accroissement.

Lorsqu’ils sont en massif, ils n’ont pas besoin d’une nourriture aussi abondante ; leur tige, préservée de l’ardeur du soleil et du contact immédiat de l’air libre, transpire peu, et alors les arbres peuvent prospérer dans un sol moins substantiel. Aussi peut-on planter des pleins bois dans des terrains de quatre à six pouces d’épaisseur végétale, tandis qu’il faut au moins douze pouces à celle épaisseur, pour pouvoir y planter avec succès des arbres isolés.

Par-tout où le bois de chauffage sera à 10 francs la corde, et au dessous, on ne trouvera pas d’avantage à planter des arbres ; et si on s’y détermine, on ne plantera que dans les fonds les meilleurs, et les essences de bois susceptibles de produire à leur maturité les marchandises les plus chères.

Lorsque le bois de chauffage est à 20 fr. la corde et au-dessus, dans une localité, on peut y planter toutes les bonnes essences de bois, mais avec des avantages relatifs aux prix des marchandises que l’on pourra en retirer.

Ainsi, avant de planter, on consultera les besoins des lieux où les bois devront se consommer, afin de pouvoir choisir avec connoissance de cause les essences les plus avantageuses, et on les plantera ensuite dans les terrains qui leur conviennent.

Mais ces préceptes ne suffisent pas encore aux propriétaires pour les guider dans leurs plantations ; il faut aussi qu’ils connoissent l’art de bien planter, de dresser la tige des arbres, et d’entretenir les plantations ; car s’ils sont obligés de s’en rapporter à des étrangers pour diriger et surveiller leurs plantations, ils doivent s’attendre à être trompés et sur la qualité des arbres, et sur les frais de plantation, et sur les précautions à prendre pour en assurer le succès.

Nous allons donc parcourir avec eux les différens rameaux de cette partie intéressante de l’agriculture.

Section Première. Des pépinières. Tout propriétaire qui veut planter avec succès et économie doit d’abord se procurer une pépinière en semis[2], afin d’en obtenir des plants enracinés, et ensuite une pépinière en plants de haute tige. Les arbres déjà acclimatés dans les pépinières reprendront beaucoup mieux à leur transplantation définitive, que s’ils étoient tirés de pépinières éloignées, et ils coûteront beaucoup moins.

On doit proportionner l’étendue de ces pépinières sur celle des besoins.

Si le terrain qu’on y destine est bon, une perche de vingt-deux pieds de superficie, semée en graines espacées 4 à quatre pouces, contiendra quatre mille trois cents plants. Les mêmes graines, étant espacées à cinq pouces dans un terrain de qualité inférieure, la même perche en superficie ne contiendra plus que deux mille huit cents plants.

Dans les pépinières de plants de haute tige, on espacera les plants enracinés, que l’on tirera de la pépinière en semis, à deux pieds sur chaque rangée, et on tracera les rangées à deux pieds six pouces les unes des autres. Alors chaque perche de terrain contiendra quatre-vingt-seize à cent plants.

Ainsi, si l’on veut planter annuellement trois cents arbres de haute tige, on se procurera d’abord une pépinière de cette espèce, de quatre perches de superficie, et on l’augmentera annuellement de deux ou trois perches.

Par cet arrangement ou se procurera, tous les ans et de la manière la plus économique, la quantité de sujets dont on à besoin.

Il faut observer que, lorsque le terrain premier planté sera épuisé de sujets, on pourra le remettre en pépinière de la même espèce, mais seulement après trois ans d’une autre culture. Après son défrichement, il rapportera abondamment, et sans engrais, toutes les plantes qu’on voudra lui confier.

§. 1. Terrains propres aux pépinières. Nous ne dirons pas, comme la plupart des auteurs qui ont écrit sur les plantations, qu’il faut placer les pépinières sur les terrains les meilleurs : tout sol qui présente une épaisseur végétale de douze à quinze pouces est susceptible de remplir cette destination.

D’ailleurs, les arbres sortis de pépinières placées dans les meilleurs terrains, ou rendus tels par la prodigalité des engrais, comme dans presque toutes les pépinières du commerce, réussissent difficilement lorsqu’ils sont transplantés dans des terrains moins bons. Les arbres ne trouvant plus, dans leur nouvelle habitation, autant de principes nutritifs que dans la pépinière, doivent nécessairement y languir, et le plus grand nombre périt ensuite.

Ce n’est donc pas le meilleur terrain disponible qu’il faut choisir pour établir une pépinière, mais celui qui conviendra le mieux au propriétaire, pourvu qu’il ait une épaisseur végétale de douze à quinze pieds.

Si l’on n’a que des terrains glaiseux de disponibles pour cet usage, on les marnera, ou on les mélangera avec du sable ou des cendres lessivées, avant de les défoncer. Ce mélange les rendra plus légers. Ces terrains sont-ils maigres ? on les couvrira de bonnes terres, ou de tourbes terreuses pulvérisées. On les améliorera ensuite avec du fumier long, que l’on répandra sur la pépinière après la plantation. Le fumier ainsi disposé fera plus d’effet sur la plantation, que s’il avoit été enfoui en défonçant le terrain. Nous en avons l’expérience.

Dans le choix des terrains destinés aux pépinières, on affectera le moins mauvais à la pépinière de plants de haute tige, et on placera la pépinière en semis dans le terrain de qualité inférieure.

§. II. Formation des pépinières en semis. (Voyez Rozier.)

§. III. Formation et conduite des pépinières en plants de haute tige, Après avoir préalablement défonce le terrain de quinze à dix-huit pouces de profondeur, et l’avoir rendu bien meuble, on plantera, comme nous l’avons dit, les plants enracinés par rangées, éloignées de deux pieds six pouces les unes des autres, et on y espacera les plants à deux pieds sur chaque rangée.

Par cet espacement général, les hautes tiges acquerront des racines plus longues, et, lors de leur transplantation définitive, on pourra les arracher facilement, sans endommager les racines des arbres restans.

Nous n’entrons pas dans de plus grands détails sur cette plantation, parce qu’ils se trouvent dans Rozier, et nous passons de suite à la formation de la tige de ces jeunes plants.

L’art de former les tiges des arbres élevés dans les pépinières n’est pas assez connu des propriétaires. Il est, pour ainsi dire, concentré parmi les pépiniéristes de profession, et ils l’emploient à la formation des tiges des arbres fruitiers et des arbres d’agrément. Nous l’avons appliqué avec succès à la formation de la tige des arbres utiles, et, comme c’est dans la tige de ces arbres que l’on trouve les bois œuvrés les plus chers, il en résulte que sa publicité est d’une grande importance. La première année de la plantation des plants enracinés, on choisira, parmi les bourgeons qu’ils auront développés, ceux qui présenteront la végétation la plus vigoureuse, quelle que soit la place qu’ils occupent sur la petite tige qu’on aura laissée à ces plants. Ces bourgeons, ou plutôt ces petites branches seront destinées à former la tige des plants, et, à cet effet, on les conservera intactes. S’il s’en présentoit plusieurs de même force sur le même plant, on choisiroit pour tige la branche la mieux disposée pour cette destination, c’est-à-dire ou celle du bourgeon le plus élevé, ou quelquefois celle du bourgeon le plus près de terre, suivant que l’une ou l’autre promettra la tige plus droite.

Dans le cas où le bourgeon le plus près de terre seroit choisi pour branche-tige, il faudra rabattre la tige du plant jusqu’à un demi-pouce de cette branche-tige. La branche-tige étant choisie, on la laissera intacte, et on rabattra les autres branches depuis deux jusqu’à quatre pouces de leur naissance, suivant leur grosseur ; plus elles seront petites et déliées, et plus il faudra les écourter.

Pendant l’été de la seconde année, on supprimera les chicots des branches écourtées l’année précédente, et on rabattra en éventail les branches les plus basses de la branche-tige, suivant leur grosseur. Une partie de la sève s’arrêtera dans ces chicots ; le surplus se portera dans la branche-tige, et alors elle prendra une grosseur proportionnée à sa hauteur.

La troisième année, toujours en été, on supprimera les chicots de l’année précédente ; on rabattra les nouvelles branches les plus basses de la tige ; il faudra seulement les moins écourter que l’année précédente, afin de forcer l’arbre à prendre de la grosseur, et de l’empêcher de filer trop promptement.

La quatrième année, même conduite.

Si, malgré ces précautions, on rencontroit des tiges trop hautes et trop déliées, il faudroit les arrêter à huit pieds de hauteur. Leur tête étant coupée à cette hauteur, la tige reprendra bientôt de la grosseur.

Enfin, s’il existe dans la pépinière des plants qui résistent à la formation de leur tige, il faut les couper près de terre, afin d’essayer d’en obtenir des branches plus vigoureuses et mieux disposées.

Par l’exposé de la conduite des pépinières en plants de haute tige, dont nous avons éprouvé le succès, on voit qu’il est facile de diriger la sève des arbres, de manière qu’on peut, à volonté, la porter en abondance dans telle branche qu’on voudra choisir, et, conséquemment, qu’on peut, à volonté, en accélérer ou en retarder l’accroissement.

Les arbres de cette plantation ayant acquis une grosseur de trois à cinq pouces de tour à six pieds de hauteur de tige, ils sont bons à transplanter ; et, si la pépinière a été convenablement entretenue, elle doit en présenter déjà beaucoup de cette force à la quatrième année de la plantation.

On peut cependant transplanter ces arbres un peu moins gros que nous ne le prescrivons ; mais alors il faut leur donner des tuteurs, et leur conservation exige beaucoup de soin.

On peut aussi les transplanter plus gros ; mais, pour qu’ils puissent bien reprendre, il faut leur laisser des racines proportionnées à leur grosseur.

Lorsque les arbres de la pépinière seront assez gros pour être transplantés, et que les trous destinés à les recevoir seront ouverts, on les lèvera à la fourche, et on évitera d’en contusionner les racines. On coupera les petites racines à la serpette, et les grosses avec une pioche bien tranchante. On aura d’ailleurs l’attention de conserver à ces arbres des racines les plus longues qu’il sera possible de les obtenir, sans endommager celles des arbres voisins.

Section II. Transplantation et conduite des arbres. Formation de leur tige.

§. 1°. Transplantation des arbres de la pépinière. Si la terre est suffisamment trempée en octobre, on ouvrira les trous destinés à recevoir les arbres que l’on veut planter en novembre et décembre suivant.

Pendant ce temps, les terres que l’on extraira de ces trous se bonifieront. Les trous auront quatre pieds de côté, et deux pieds de profondeur. On séparera les terres qui en proviendront : on placera d’un côté les terres supérieures, et d’un autre les terres inférieures. On labourera le fond des trous, d’un bon fer de bêche.

Avant de planter, on jettera, dans le fond de chaque trou, les terres supérieures qu’on a séparées à cet effet ; on les mélangera même avec des gazons, si on peut s’en procurer facilement. Les autres terres serviront à remplir les trous après la plantation.

On rabattra les branches de l’arbre avant de le planter. On en rapprochera les nœuds proprement, et le plus près possible de la tige. On coupera ensuite cette tige en biseau, et bien nettement, à sept pieds six pouces de hauteur, afin que l’arbre étant planté, les bestiaux ne puissent pas atteindre aux branches dont sa tête se chargera.

Des auteurs très-estimables conseillent de ne point couper les têtes des arbres en les tram plantant ; mais cette manière de planter est très-dispendieuse, et exige d’ailleurs beaucoup trop de soins pour pouvoir être employée dans les plantations simplement utiles ; nous ne pourrons donc l’adopter que dans les plantations d’agrément.

Enfin, après avoir préparé les racines de l’arbre, on le placera sur un lit de terre meuble qu’on a disposé dans le trou ; savoir : à trois ou quatre pouces de profondeur, dans les terrains humides ; à cinq et six pouces, dans les terrains plus sains ; et à sept et huit pouces, dans les terrains les plus légers. On les plantera d’ailleurs avec toutes les précautions indiquées dans Rozier.

Cet arbre étant ainsi planté, on l’armera d’épines que l’on serrera fortement contre la tige avec deux ou trois liens, et on le buttera, afin de le préserver du frottement des bestiaux, et de le garantir de la sécheresse et des secousses des grands vents.

Dans quelques localités, on arme les arbres avec de la paille tordue. Cette armure est préférable à la première. Elle dure plus long-temps ; mais elle est plus dispendieuse, et les pâtres la dégradent plus facilement.

Les deux premières années de la plantation des arbres isolés, on leur donnera trois façons. La troisième année n’en exigera plus que deux ; et la quatrième, on ne cultivera que les arbres les plus foibles.

Dans les plantations faites dans des terrains légers, il faut avoir l’attention d’attirer les eaux au pied des arbres ; et dans les terrain humides, il faudra les en éloigner : le buttage remplira cette dernière condition.

D’ailleurs, il ne faut jamais planter ni par la gelée, ni par la pluie.

§. II. Espacement que l’on doit adopter dans la plantation des arbres isolés. L’espacement qu’il faut donner à ces arbres dépend, 1°. de la qualité du sol dans lequel on les plante, 2°. de l’essence de ces arbres.

Si le terrain à planter n’a pas une grande profondeur, et qu’on veuille y planter des chênes ou des hêtres, il faut les espacer de vingt à vingt-cinq pieds.

Si ce terrain étoit d’ailleurs propre à la culture du frêne, ou des meilleures espèces de bois blanc, on pourra y espacer les chênes de vingt-cinq à trente pieds, et planter entre chacun un frêne, ou un arbre de bois blanc. Ces derniers auront acquis leur maturité, avant que les chênes ou les hêtres puissent avoir besoin de toute la place occupée par les arbres intermédiaires.

Si on veut planter des ormes sur ce terrain, on ne pourra planter aucun arbre intermédiaire, ou les espacera de seize à vingt pieds. Il faut cependant excepter le saule de cette disposition, lorsque la nature du terrain le permettra. Alors on espacera les ormes de vingt à vingt-quatre pieds, et entre chacun on plantera un saule. Les ormes, dans la suite, feront périr les saules ; mais, avant cette époque, on en pourra retirer quatre, cinq, et jusqu’à six tontures.

Si le terrain à planter est de nature à n’admettre que des frênes, on y espacera les arbres de quinze à dix-huit pieds. Il en seroit de même pour les platanes.

Si ce sont des ypréaux ou des trembles, on les espacera de douze à quinze pieds, sans mélange d’autre essence de bois.

Si ce sont des châtaigniers ou des noyers, on les espacera comme les chênes, mais sans mélange d’autre essence, afin de ne pas nuire au développement de leurs têtes.

Si ce terrain convient également à la culture du noyer et du châtaignier, ou pourra y planter alternativement un noyer et un châtaignier, en observant le même espacement que pour les chênes.

Lorsqu’on plante des arbres dans des terrains dont la couche végétale a beaucoup d’épaisseur, les espacemens que nous venons d’indiquer peuvent être diminués. Les chênes et les hêtres y seront espacés de quinze à vingt pieds, lorsqu’ils seront sans mélange d’aucune autre essence, ou de vingt-deux à vingt-cinq pieds, avec un frêne ou un platane entre deux. Les ormes sans mélange y seront espacés de quinze à dix-huit pieds ; et les ypréaux, les trembles et les peupliers, à dix ou douze pieds

Il faut observer à cet égard que, pour les frênes, les platanes, les ypréaux, les trembles et les peupliers, un sol de dix-huit pouces d’épaisseur est un sol profond, tandis qu’il n’est qu’un terrain de qualité médiocre pour les meilleures essences.

§. III. Formation de la tige des arbres plantés isolément. Lorsque les arbres sont en massif, ils s’élèvent naturellement, et acquièrent de belles tiges sans le secours de l’art, si d’ailleurs ils croissent dans un terrain de qualité convenable ; mais il n’en est pas ainsi des arbres plantés isolément. À quelques exceptions près, ils deviendroient tous pommiers, si on abandonnoit à la nature le soin de former leur tige. Dans cet état, leur plantation n’est pas aussi avantageuse que lorsqu’on sait leur procurer de belles tiges.

Voici les procédés que nous employons, à cet effet, dans nos plantations personnelles, et nous affirmons qu’il nous ont toujours complètement réussi.

Dans la première année de leur plantation, les arbres isolés poussent beaucoup de bourgeons le long de leur tige. Si on laissoit croître ces bourgeons, ils se partageroient la sève de ces arbres, et ils n’offriroient que des buissons. Il faut donc les ébourgeonner soigneusement, tous les deux mois, pendant cette première année, afin de forcer la sève de s’élever en abondance dans la partie supérieure de leur tige, et d’y pousser des branches vigoureuses. Cet ébourgeonnement se fera tout le long de la tige de chaque arbre, en commençant par le bas, et en remontant jusqu’à un pied de son extrémité. Les bourgeons qui pousseront dans cette partie sont destinés à former la tête de l’arbre, et on les conservera intacts jusqu’au mois d’août. À cette époque, on ne conservera que les quatre bourgeons les plus forts de cette partie, et on retranchera le surplus.

Après cette opération, on choisira, parmi ces bourgeons conservés, la branche la plus verticale et la plus vigoureuse. On la conservera intacte, comme étant destinée à prolonger la tige de l’arbre, et à être identifiée avec elle. Ensuite, on écourtera légèrement les trois autres branches, afin de diriger spécialement dans la branche-tige la plus grande portion de la sève.

La seconde année, on continuera l’ébourgeonnement de la tige. On rabattra au croissant, et à un pied de cette tige, les branches écourtées l’année précédente, et on écourtera en éventail les branches latérales de la branche-tige, avec les mêmes précautions que nous avons indiqué dans la conduite des pépinières de plants de haute tige.

La troisième année, on supprimera les branches écourtées l’année précédente, et on écourtera les nouvelles branches latérales de la branche-tige. La quatrième année, mêmes opérations ; mais il ne faudra supprimer qu’un tiers des branches écourtées l’année précédente, afin que l’arbre puisse prendre une grosseur proportionnée à son élévation.

La cinquième année, on laissera reposer l’arbre, afin que sa tête prenne de la force.

La sixième année, on supprimera le reste des chicots de la seconde année, et la moitié des branches de la troisième année qui ont été écourtées dans la quatrième ; et on écourtera, toujours avec les mêmes précautions, les nouvelles pousses latérales de la branche-tige.

Enfin, on répétera les mêmes procédés tous les deux ans.

Il faut observer que la branche-tige ne sera pas toujours placée assez près de l’extrémité de la tige de l’arbre, pour qu’il ne reste pas un chicot au-dessus. On le rabattra le plus près possible de la naissance de la branche-tige, lorsque cette dernière aura acquis assez de grosseur pour pouvoir embrasser ce chicot avec son écorce ; et, en polissant la plaie convenablement, elle sera recouverte d’écorce au bout de deux ou trois ans, par la branche-tige, de manière à ne plus présenter, avec l’ancienne, qu’une seule et même tige.

De six à quinze ans de plantation, on doit laisser aux arbres isolés, en les émondant, autant de hauteur de tête que de longueur de tige, afin de leur procurer une grosseur proportionnée à leur hauteur. À vingt ans et au-dessus de cet âge, on les émondera jusqu’aux deux tiers de leur hauteur totale, mais jamais plus haut. Ce sont les proportions es plus belles et les plus avantageuses que l’on puisse donner à ces arbres.

Les nœuds des branches ou chicots supprimés par l’émondage doivent être rasés proprement sur la tige, de manière à n’y laisser aucune protubérance, aucun champignon. On coupera ces branches à la hachette, et on polira leurs nœuds avec une serpe droite ; la partie inférieure sera parée de bas en haut, et la supérieure, de haut en bas, afin de ne pas déchirer l’écorce environnante. En parant ces plaies, on les rendra un peu plus larges, et cependant elles seront beaucoup plus promptement recouvertes par l’écorce que par la manière ordinaire d’émonder ces arbres.

C’est par ces procédés que l’on parviendra à procurer de belles tiges aux arbres plantés isolément. Malheureusement ils ne sont guères connus que dans les environs de Paris, où même on commence à les négliger. Par-tout ailleurs, même dans les départemens de la France où le bois est le plus cher, ces arbres présentent des tiges difformes et couvertes de protubérances, depuis la tête jusqu’au pied, parce que, pour en obtenir tous les quatre ans un émondage plus abondant, on les a toujours émondés jusqu’à leur cime. Par cet usage, ils acquièrent, à la vérité, une hauteur plus grande que ne le comporte leur essence, mais leur tige frêle est très-facile à rompre par les vents, et sa difformité ne permet d’en retirer le plus souvent que du bois de chauffage.

On voit, par ce que nous venons de dire, que l’art de planter ne consiste pas seulement à savoir faire un trou et à y placer un jeune arbre tout élevé, mais il demande aussi la connoissance des moyens de le dresser avant la plantation, et de la manière dont il faut le conduire lorsqu’il est planté.

Ces connoissances sont d’autant plus nécessaires aux propriétaires, que le nombre des bons planteurs est très-petit, et que, dans les localités éloignées des grandes villes, on se trouve presque toujours obligé d’en former. Et comment former de boas planteurs, si l’on ignore soi-même l’art de bien planter ? D’un autre côté, mieux on plante, et moins les plantations sont dispendieuses, parce que leur reprise étant plus assurée, on n’est pas obligé de recommencer.

L’arbre le mieux soigné n’exigera qu’une dépense de douze à trente sous, suivant les localités, à le prendre depuis son entrée en pépinière jusqu’au moment qu’on l’abandonne à la nature. Cet arbre, qui a coûté si peu à planter et à dresser, peut valoir, à sa maturité, de six francs à cinq cents francs, suivant son espèce, son âge, et sa position !

Ainsi, avec un sacrifice annuel de vingt-cinq à trente francs, on peut planter en vingt ans, cinq à six cents pieds d’arbres ; et, si on porte ce sacrifice à mille francs, on peut en planter vingt mille pendant le même temps. Avec ces sacrifices annuels, bien foibles sans doute pour l’homme aisé et l’homme riche, quelles ressources leur famille ne trouvera-t-elle pas dans ces plantations à leur maturité !

Ce grand avantage doit frapper tout propriétaire bon père de famille, et le déterminer à se livrer aux plantations. Il trouvera d’ailleurs une grande jouissance à faire travailler l’indigent, en améliorant ses propriétés, et à en augmenter la valeur, en contribuant à la prospérité de son pays. Car, il ne faut pas se le dissimuler, la disette des arbres est si grande en France, que chaque arbre qu’on plante doit y être regardé comme un bienfait. C’est le tribut que la patrie doit attendre de tout propriétaire aisé. Lui seul peut planter ; il ne sacrifiera à cet acte de patriotisme qu’une partie de son superflu, tandis que le pauvre y mettroit son nécessaire.


CHAPITRE III.

Travaux à faire pour empêcher les bestiaux d’entrer dans les bois, et les anticipations des cultivateurs riverains des bois, et pour faciliter les débouchés des forêts. Parmi ces travaux, il y en a qui doivent être exécutés aux frais des propriétaires, mais aussi il y en a d’autres qui doivent être à la charge du gouvernement. Ces derniers font partie des encouragemens que nous désirons lui voir accorder aux propriétaires de bois, pour les exciter à leur restauration.

Section Première. Travaux convenables pour empêcher les anticipations sur les bois, et les préserver de l’entrée des bestiaux. Pour empêcher les anticipations sur les bois, on se contente ordinairement de les entourer par des fossés de trois pieds de largeur, qui sont bien suffisans pour borner la propriété, mais qui sont trop faciles à franchir par les bestiaux, pour qu’elle ne soit pas habituellement exposée à leurs incursions ; et, comme nous le verrons dans la seconde partie de cet article, la dent des bestiaux est aussi pernicieuse pour les bois, que peuvent l’être les anticipations des cultivateurs riverains. On empêchera les unes et les autres en entourant les bois, sur leurs rives, par des fossés de cinq pieds de largeur avec une forte relevée du côté des bois.

Quant aux anticipations des riverains propriétaires de bois, un bornage contradictoire, avec de petits fossés de distance en distance, placés dans les endroits les moins dommageables, et dans la direction de l’alignement des bornes, préviendront toutes les difficultés qui pourroient s’élever sur ces limites.

Section II. Travaux à faire pour faciliter les débouchés des forêts. Rien n’est à négliger dans l’administration d’une certaine quantité de bois ; et, si par des travaux particuliers on parvient à augmenter la valeur de leur feuille dans une proportion avantageuse, en ayant égard à la dépense qu’ils auront occasionnée, il est clair qu’une bonne administration doit les entreprendre.

Le bois de chauffage n’a pas la même valeur dans les différentes localités de la France, et c’est son prix plus ou moins élevé qui donne à la feuille de leurs bois une valeur plus ou moins grande.

D’un autre côté, le prix du bois de chauffage n’est le plus bas que dans les localités où les bois sont en grandes masses, et qui sont privées de débouchés faciles et avantageux ; en sorte qu’en procurant aux bois de ces localités les débouchés qui leur manquent, on augmentera leur valeur.

Pour donner un exemple de l’augmentation que de semblables travaux peuvent procurer au prix du bois, nous citerons qu’il y a environ quarante ans, mon père fit ouvrir, dans la Brie, un ruisseau flottable d’environ quatre lieues de cours. Les travaux lui occasionnèrent une dépense de six mille francs, et, aussitôt qu’ils furent confectionnés, les bois sur pied y doublèrent de prix.

Cet exemple n’est pas le seul que nous pourrions donner ; et si nous faisions histoire de l’augmentation que les ruisseaux flottables, les rivières rendues navigables, et même les grandes routes, ont procurée au revenu des bois qu’ils traversent, nous verrions que cette augmentation a été d’autant plus considérable et plus avantageuse, que les bois se trouvoient moins éloignés des lieux de grande consommation. D’ailleurs, les travaux ne sont pas dispendieux eu égard aux avantages qu’ils procurent, mais ils doivent être proportionnés à ces avantages.

Ainsi, si une forêt de moyenne étendue est située dans une localité privée de débouchés ; en ouvrant à travers une route ferrée, dirigée sur la rivière navigable ou flottable la plus prochaine, ou sur une grande route conduisant à une ville très-peuplée, on pourra y faire quelquefois doubler le revenu de cette forêt, et donner alors à ses propriétaires un grand intérêt à sa restauration.

Quelquefois, pour produire le même effet, il suffira de ferrer les plus mauvais pas des chemins de vidange, et d’établir des pontceaux par-tout où ils seront nécessaires. Si les bois sont en plus grandes masses, ces simples travaux ne seroient plus suffisans pour augmenter leurs revenus autant qu’il seroit possible, et il faut en entreprendre de plus étendus.

Ils consisteront à ouvrir des ruisseaux flottables, à bois perdus ou en trains, suivant l’importance de ces bois et la quantité d’eau qu’on pourra réunir, et y multiplier leurs embranchemens autant qu’il sera nécessaire ; à rendre navigables les rivières qui en seront susceptibles, et à prolonger la navigation de celles qui sont déjà navigables dans une partie de leur cours, lorsqu’elles s’approchent de forêts de grande étendue.

Ces différens travaux peuvent être exécutés avec la plus grande économie, et les modèles en existent encore en France. Les ruisseaux flottables de la forêt de Villers-Cotterets, la navigation du Gros-Morin qui se jette dans la Marne à Condé, près Meaux ; etc., sont des exemples de ces travaux économiques.

Ils produiront encore, dans les bois qu’ils traverseront, une amélioration dont nous n’avons pas encore parlé. En réunissant les eaux de toutes les parties humides d’une forêt, on les desséchera ; et alors ces parties seront susceptibles d’être regarnies de bonnes essences de bois, et améliorées comme les parties les plus saines.

Enfin, si les bois de certaines localités se refusoient absolument à ces différentes améliorations, il faudroit y établir des usines pour en consommer les produits.

On nous objectera peut-être qu’en faisant augmenter le revenu des bois dans ces localités, nous augmenterons la dépense de leurs consommateurs.

Nous en convenons ; mais les travaux ou les établissemens qui occasionneront cette augmentation, y procureront plus de travail ; ils donneront plus de valeur aux autres denrées et à la main-d’œuvre, et alors les habitans y trouveront une compensation avantageuse.


SECONDE PARTIE.


CONSERVATION DES BOIS ET FORÊTS.

On ne s’est jamais fait une idée assez exacte de l’importance qu’il y avoit à bien conserver les bois, pour empêcher leur destruction. Cette importance est telle, que ce seroit en vain qu’on leur donneroit l’aménagement le plus avantageux, et qu’on s’occuperoit sans relâche de leur restauration, s’ils ne sont pas mieux conservés que par le passé. Les mêmes abus produiroient les mêmes destructions, et les bois de la France seroient bientôt anéantis.

C’est à la nature que la France doit la plus grande partie de ses bois ; et, si rien ne la contrarioit, elle sauroit les entretenir et même les agrandir, et ne laisseroit à ses habitans que le soin d’en recueillir les produits a leur maturité.

Suivant les anciens cosmographies, l’ancienne Gaule étoit couverte de forêts. Les douze millions d’arpens de bois, que nous admettons exister encore en France, sont donc, peut-être, les restes de plus de quatre-vingt millions d’arpens qu’elle possédoit il y a deux mille ans.

De tous les bois détruits en France, depuis cette époque, la main des hommes n’y a peut-être pas contribué pour la vingt-cinquième partie ; le surplus a été anéanti, par les animaux broutans.

L’homme, d’ailleurs, peut bien préjudicier à l’abondance des bois en les coupant prématurément ; mais cet abus ne nuit pas à leur reproduction, et il ne peut les détruire qu’en les arrachant.

Il n’en est pas de même des animaux broutans : les bois qu’ils fréquentent habituellement sont détruits en plus ou moins de temps, suivant l’âge plus ou moins avancé auquel on les livre à leur pâturage.

Pour donner une idée de la rapidité, avec laquelle les bois livrés au pâturage des bestiaux sont détruits, nous en citerons deux exemples authentiques.

Premier Exemple. — Forêt d’Orléans. Par un procès-verbal de réformation des bois de cette forêt, fait en 1671, elle contenoit, tant en bois du domaine qu’en bois tenus en gruerie, cent vingt-un mille arpens. Et par un autre procès-verbal de réformation, fait en 1721, elle ne contenoit plus que quatre-vingt-sept mille sept cent vingt-sept arpens sept perches. Ainsi, en cinquante ans, cette forêt a perdu plus du quart de sa superficie.

L’ingénieur Phnguet, (qui a donné ces détails dans son Traité sur la réformation et l’aménagement des forêts, Orléans, 1789) attribue cette perte à six causes :

1°. Au droit qu’ont quarante-huit communes de mener paître leurs bestiaux dans cette forêt ;

2°. Au défaut de bornage et de clôture ;

3°. À un aménagement trop âgé pour la nature du terrain ;

4°. Au mauvais régime de l’administration de cette forêt ;

5°. À la jouissance commune des bois tenus en gruerie ;

6°. Au grand éloignement des bois du centre de l’administration.

Et il observe ensuite, 1°. que les pertes n’ont été éprouvées que sur les contours de la forêt, comme étant plus exposés au broutement journalier des bestiaux, 2°. que l’intérieur de cette forêt présentoit déjà beaucoup de vides en 1671 ; mais que ces vides étoient très-agrandis en 1721.

Deuxième exemple. — Bois et forêts du pays de Foix, du Couserans et du marquisat de Mirepoix. Suivant un procès-verbal de réformation des bois de ces pays, fait en 1667, par M. de Froidure, ces bois y alimentoient quarante-quatre forges et huit martinets roulans. Suivant M. le baron de Dietrich, (description des mines et minerais des Pyrénées, 1786) la plus grande partie de ces usines ne marche plus, et cette extinction tient à la destruction des bois, opérée par le pâturage des bestiaux.

Si l’on pouvoit se procurer des procès verbaux de consistance ancienne et moderne sur les autres forêts de l’empire, ils fourniroient tous des preuves incontestables que leur destruction est particulièrement due au pâturage des bestiaux[3].

On doit donc regarder la suppression du droit de pâturage dans les bois, comme la base fondamentale de leur conservation.

L’estimable Plinguet, et d’autres auteurs forestiers, craignent cependant de voir supprimer ce droit si destructeur. Ils pensent que cette suppression occasonneroit la ruine des communautés qui en ont la possession, parce qu’étant privées de cette ressource pour nourrir leurs bestiaux, elles seroient obligées de laisser leurs terres en friche, et d’abandonner l’éducation des bestiaux. Ils croient aussi que cette suppression seroit une atteinte à la propriété de ces communautés.

Ces motifs paroissent d’abord sans objection ; cependant nous allons essayer de les combattre, et de concilier le droit de propriété de ces communautés, avec la nécessité impérieuse de restaurer les bois de la France. La suppression du droit de pacage est commandée par l’intérêt le plus pressant, et a un but d’utilité publique que personne ne peut plus contester ; elle doit donc être prononcée.

Mais elle exige une juste et préalable indemnité envers les communautés qui en ont la possession appuyée sur des titres authentiques. Pour établir cette indemnité, il faut réduire à leur juste valeur les ressources que le droit de pacage procure aux communautés usagères pour la nourriture de leurs bestiaux. Or, les bestiaux de ces communautés ne peuvent pâturer que dans les bois dits défensables, c’est-à-dire, ayant cinq feuilles et au dessus.

À cinq ans, il pousse peu d’herbes sous les bois, et celles qu’on y trouve sont, à cause de l’ombrage, sans saveur et sans qualité. Aussi, en y entrant, les bestiaux commencent-ils par brouter les bourgeons du taillis, ou plutôt les pousses de l’année, et ne paissent l’herbe de ces bois que lorsque la première ressource est épuisée.

Sous les taillis de six à huit ans, l’herbe devient de plus en plus rare, et à mesure qu’ils deviennent plus âgés, elle disparoît totalement. Les bestiaux doivent y mourir de faim. Ainsi, en retranchant de ces grandes ressources, que le droit de pacage procure aux communautés usagères pour la nourriture de leurs bestiaux, le droit d’en abuser en broutant et détruisant les bois, (droit qu’on ne peut jamais leur avoir concédé) elles se réduisent à un bien foible pâturage de mauvaise qualité, dont il faudroit souvent cinquante arpens pour équivaloir au produit d’un bon arpent de prairie artificielle.

L’indemnité qui résultera de sa suppression, ne doit donc pas être considérable.

On pourroit y satisfaire dans chaque localité où ce droit est exercé, en abandonnant à chaque communauté usagère, et à sa proximité, une certaine quantité de terrain prise sur les parties des bois les plus dévastées, et proportionnée à la quantité de bestiaux que son droit, légalement exercé, pouvoit nourrir.

Au moyen de cette indemnité en nature, on ne doit plus craindre que la suppression du droit de pacage puisse entraîner la ruine des communautés usagères, ni le délaissement de leurs terres cultivées, ni même l’abandon de l’éducation des bestiaux, si d’ailleurs la localité est favorable à cette industrie agricole.

Au surplus, on compte en France environ soixante mille communes ; il y en a tout au plus quinze mille qui jouissent du droit de pacage. Les trois quarts des communes de la France sont donc privées de cet avantage ; leurs terres sont elles incultes ? Les terroirs de ces communes ne présentent-ils pas au contraire une population plus grande, des bestiaux plus nombreux, et sur-tout d’une plus belle espèce,[4] une agriculture mieux entendue, et des récoltes plus abondantes, que ceux des communes usagères ? On doit donc être convaincu que la suppression du droit de pacage ne produira aucune des suites fâcheuses que l’on craignoit, et que sans cette suppression la restauration des bois est impraticable. Il existe encore d’autres droits d’usage qui sont aussi des germes de destruction des bois, et dont la suppression est également commandée par les circonstances, sauf une juste et préalable indemnité envers les communautés qui en jouissent légitimement.

Le premier qui se présente est le droit d’essartage ou écobuage, qu’exercent depuis long-temps les communautés usagères de la Haute-Champagne, du pays de Liège et du Luxembourg, dans les coupes ordinaires des bois de ces pays. Cet usage est très-pernicieux ; il fait périr beaucoup de souches et une grande quantité de glands ; il éclaircit les bois, en diminue successivement le produit, et par cela même, menace d’une inaction future les nombreuses usines qu’ils alimentent.

Le second est l’abandon qu’on est dans l’usage de faire d’une certaine quantité d’arpens de bois que l’on affecte au service des usines, et qui est connu sous le nom d’affectations.

Les maîtres de forges ne voient, dans l’usage des bois qui leur sont affectés, que la faculté de se procurer, presque gratuitement, la quantité de charbon nécessaire à la consommation annuelle de leurs usines. Les bois sont mal exploités, parce qu’ils négligent tout ce qu’ils ne croient pas susceptible d’être converti en charbon ; ils sont dalleurs, en général, coupés dans un âge trop peu avancé ; et, si ces bois ont encore le malheur d’être grevés d’autres droits d’usage au profit des communautés environnantes, ils sont bientôt détruits par le concours des abus des charbonniers, des maîtres de forge et de ces communautés usagères. (Voyez le Baron de Diétrich, déjà cité.)

Il en est de même des autres droits connus sous les noms d’usage, de chauffage, ainsi que des jouissances indivises, telles que les bois tenus en gruerie, ségrairie, tiers et dangers ; tous présentent les mêmes abus de jouissances et de véritables causes de destruction des bois.

Les rédacteurs de la fameuse ordonnance de 1669 connoissoient tous ces abus ; et, comme alors la disette des bois, et sur-tout des arbres anciens, ne se faisoit pas encore sentir, ils se sont contentés de soumettre la jouissance de ces droits à une surveillance immédiate. Mais, s’ils n’ont pas eu la gloire d’arrêter ces abus, ils ont celle d’avoir laissé, dans cette ordonnance, un monument durable de leurs connoissances et de leur prévoyance, et un modèle à suivre pour la rédaction du nouveau Code forestier.

Le gouvernement s’est déjà occupé de réformer une partie des abus que nous avons indiqués, et qui se sont beaucoup augmentés pendant la révolution.

Par un arrêté des Consuls, du 19 ventose an 11, les bois des communes, des hospices et des établissemens publics, sont soumis au même régime que les bois nationaux ; et leur administration, garde et surveillance, en sont confiées aux mêmes agens.

Par la loi du 28 ventose an 11, les communes qui jouissent des droits de pâturage, de pacage, de chauffage, et autres usages de bois tant pour bâtimens que pour réparations dans les forêts nationales, sont tenues d’en justifier par titres authentiques dans un délai de six mois, sinon, et ce délai passé, défenses leur sont faites d’en continuer l’exercice, à peine d’être poursuivies et punies comme délinquantes.

Enfin, par la loi du 9 floréal an 11, les défrichemens de bois sont défendus pendant vingt-cinq ans, sous peine, 1°. de remettre en nature de bois une égale quantité de terrain ; 2°. d’une amende qui ne pourra être au dessous du cinquantième et au dessus du vingtième de la valeur des bois arrachés. Les semis ou plantations de bois des particuliers, ne seront soumis à ces dispositions qu’après vingt ans de plantation.

La même loi oblige les particuliers à faire, six mois à l’avance la déclaration des futaies qu’ils sont dans l’intention de couper, hors les cas d’urgence, au conservateur forestier de l’arrondissement. Celui-ci en préviendra le préfet maritime dans l’arrondissement duquel sa conservation sera située, pour qu’il fasse procéder à la marque des arbres propres au service de la marine ; mais le paiement de ces arbres devra s’effectuer avant l’enlèvement, qui ne pourra être retardé plus d’un an après la coupe, faute de quoi le propriétaire sera libre de disposer de ses bois.

Ces lois conservatrices ne sont que les préliminaires du Code forestier que le gouvernement nous promet, et les sages motifs qui les accompagnent doivent nous faire espérer qu’il contiendra toutes les dispositions nécessaires pour arrêter la destruction des bois et encourager leur restauration. (De Perthuis.)

  1. Motifs du projet de loi sur les droits d’usage, dans les forêts, par M. de Fermont, conseiller d’état.
  2. Cette première pépinière devient inutile, si l’on-est à la proximité de bois capables de fournir la quantité de plants enracinés nécessaire à la formation de la pépinière en plants de haute tige.
  3. C’est aussi à la négligence des gardiens de ces bestiaux, qu’on doit attribuer le plus grand nombre des incendies qui qui ont eu lieu dans les bois, il y a quelques années.
  4. Il faut bien que l’usage du droit de pacage ne soit pas favorable aux bestiaux, car tous ceux qui vivent habituellement dans les bois n’offrent que des espèces dégénérées ; tels sont les chevaux et les vaches des Ardennes, du Luxembourg, etc.