Cours d’agriculture (Rozier)/GARDE-CHASSE

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Hôtel Serpente (Tome cinquièmep. 247-248).


GARDE-CHASSE. Personne préposée à la conservation du gibier, à celle des forêts, taillis, & enfin, à détruire les bêtes puantes. Celui des seigneurs de paroisse, s’il est assermenté à la table de marbre de la jurisdiction des eaux & forêts, est cru sur sa parole. Ce n’est pas le cas d’examiner ici si chaque propriétaire peut tuer le gibier qui est dans son champ ; au moins le droit naturel est pour lui, mais le droit civil ne l’est plus aujourd’hui, excepté en Toscane, où le grand-duc l’a rendu au propriétaire, aimant mieux protéger l’agriculture & l’agriculteur, que de favoriser l’oisiveté & les plaisirs destructeurs des seigneurs. L’expérience démontre que le garde uniquement occupé pour la chasse, devient le fléau du village & nuit aux intérêts du seigneur. Cette assertion n’est point un paradoxe. Dès que cet homme est cru en justice sur son simple & seul serment, quel paysan brouillé avec lui pour une cause ou une autre, & qui n’aura même pas un fusil, sera à l’abri de ses poursuites ? On dira, le garde est un honnête homme ; j’y consens ; mais c’est un homme qui a des passions, qui se sent protégé, & qui a toujours la justice de son côté, jusqu’à inscription de faux. Quel est le malheureux paysan en état de prendre cette voie ruineuse, longue, & plus qu’incertain, à cause de la protection que le seigneur accorde à son garde ? S’il succombe, il est ruiné ; s’il gagne son procès, il l’est également, parce que le seigneur chasse le garde, & n’est pas responsable de ses friponneries, de ses vexations, de ses faux rapports, &c. : & on ne plaindra pas la position du cultivateur ! J’ai été témoin de ces faits ; & si les seigneurs de terres aimoient leurs vassaux & vouloient ouvrir les yeux, ils conviendroient que j’ai raison. Le paysan n’ose pas même se plaindre à eux ; car si le garde n’est pas chassé, il devient son ennemi irréconciliable, &c. &c.

J’ai dit que les gardes nuisoient aux seigneurs, non pas parce qu’ils éloignoient d’eux l’amitié & l’attachement de leurs vassaux, objets dont plusieurs se soucient fort peu, mais parce que leurs terres sont dévorées par les lapins. Que l’on me montre une seule seigneurie pourvue de gardes, où ces animaux ne fourmillent point, & je passe condamnation. Si, à leur arrivée, elle est sans lapins, ils y en porteront ; & comme cet animal destructeur multiplie beaucoup, elle en sera bientôt couverte. La raison en est simple ; le garde est chargé de les détruire & à tirer dessus pendant tout le temps de l’année ; il trouve, dans leur proscription, une nourriture quotidienne, & le prix de la peau de l’animal, qui se vend de six à sept sols. C’est un revenu sur lequel il compte ; & pour s’assurer & augmenter les bénéfices, il faut donc laisser aux lapins le droit de dévaster les champs voisins ; de sorte que ce seul homme & les plaisirs du seigneur équivalent à une imposition, une taille réelle sur les biens d’une paroisse.

Je ne dirai pas, quant à la conservation des bois, que ces gardes s’entendent avec les particuliers, & qu’ils leur en vendent en les laissant voler pour le décuple de ce qu’ils en ont reçu ; c’est un mal sans remède.