Cours d’agriculture (Rozier)/GREFFE (supplément)

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GREFFE, (Jardinage pratique.) Addition. Les nombreux avantages qui dérivent de la greffe, pour la prompte multiplication des espèces précieuses et l’amélioration de leurs fruits, devoient nécessairement fixer les regards des cultivateurs instruits des lois de la physique végétale, qui étudient la marche de la nature dans une pratique éclairée. Il en est résulté des méthodes nouvelles, des procédés plus parfaits, d’une réussite plus certaine, et plus de clarté dans l’exposition des manières diverses d’opérer. Nous nous faisons un devoir de les consigner dans un ouvrage où notre désir est de décrire toutes les méthodes avantageuses pour la prospérité des campagnes.

La théorie de la greffe consiste à appliquer et faire coïncider exactement les écorces des greffes avec les sujets ; à choisir les époques les plus avantageuses des mouvemens de la sève ; à ne greffer l’une sur l’autre que des variétés de la même espèce, des espèces du même genre, ou des genres d’une même famille ; à observer l’analogie des végétaux dans le mouvement de leur sève, dans la permanence ou la caducité de leurs feuilles, et dans la qualité de leurs sucs propres ; enfin à mettre de la célérité dans l’opération et de la justesse dans l’union des parties.

Les époques auxquelles on doit greffer, sont, la sève montante pour les greffes en fente, en couronne, par juxtaposition, et pour les écussons, à œil poussant ; la sève au milieu de son cours pour quelques arbres résineux ; et la sève descendante pour les jeunes sujets très-abondans en sève, et greffés à œil dormant.

On distingue quatre sortes de greffes, savoir : par approche, en fente, par juxtaposition, en écusson, lesquelles se divisent et se subdivisent en plusieurs autres.

La greffe par approche se fait sur tronc et sur branches. La première, de trois manières : 1°. en réunissant les deux troncs par un point de contact et conservant à chacun sa tête ; 2°. en coupant la tête du sauvageon pour la remplacer par celle de l’arbre utile ; 3°. un arbre ou plusieurs étayant une tête d’arbre utile, dont le tronc est vicié et menace ruine.

La greffe par approche sur branches se fait de cinq manières : 1°. Deux arbres étêtés greffés par une de leurs branches latérales ; 2°. plusieurs branches de différens arbrisseaux composant une haie, greffés sur plusieurs points ; 3°. branches d’un franc planté en terre et greffé par son extrémité supérieure sur un sauvageon ; 4°. plusieurs jeunes plants dont les tiges réunies dans un cylindre se soudent ensemble et ne forment plus qu’un tronc ; 5°. quatre quartiers, de quatre espèces d’arbres différens réunis en un seul tronc, et ne devant pousser que par l’œil de l’extrémité du bourgeon.

La greffe en fente se fait dans le cœur du bois, ou en couronne. Dans le premier cas, elle est dite en poupée, lorsque le jeune tronc, ou les grosses branches fendues, portent deux greffes de bourgeons d’arbres francs, et elle est dite en croix, lorsque le jeune tronc, ou les grosses branches, sont fendues en quatre parties, et portent quatre greffes d’arbres francs. Dans le second cas, elle se subdivise en quatre sortes : 1°. à cinq bourgeons, lorsque les greffes sont placées entre le bois et l’écorce sans fendre le cœur du bois ; 2°. à six bourgeons, lorsque les greffes sont placées entre le bois et l’écorce sans fendre le premier, mais en incisant la seconde ; 3°. à l’anglaise, lorsqu’on place sur un jeune sujet un rameau d’égale grosseur, et lorsqu’on les assujettit au moyen d’une double entaille ; 4°. à oranger, lorsqu’on remplace la tige d’un oranger de deux à trois ans, par un rameau du même arbre fleurissant.

On compte cinq espèces de greffes par juxtaposition :

1°. En anneau, dans laquelle on enlève un anneau cortical d’une tige de sauvageon, et on le remplace par un anneau d’arbre franc portant un ou deux boutons à bois.

2°. En flûte, qui consiste à enlever sur un sauvageon un cylindre d’écorce de sa tige supérieure, et le remplacer par un cylindre de pareille dimension et muni de plusieurs yeux d’arbres francs.

3°. En cheville, dans laquelle on fait un trou, dans le corps du bois d’un sauvageon, et on le remplit par un bourgeon taillé en forme de cheville, tiré d’un arbre franc.

4°. En spatule, qui consiste à faire une entaille dans le corps du bois d’un sauvageon, d’un demi-pouce de profondeur, et le remplir par un bourgeon d’arbre franc, taillé en spatule.

5°. Par inoculation, c’est-à-dire, en relevant un bouton à fleur d’une branche pour la porter sur une autre du même arbre.

La greffe en écusson se fait aussi de cinq manières. On dit qu’elle est à œil sans bois, lorsque l’écusson est dénué de la petite portion d’aubier avec laquelle on le lève ordinairement ; à œil boisé, lorsqu’il y a une petite couche d’aubier conservée sous l’écusson ; à la pousse, lorsque la tête du sauvageon est coupée immédiatement après la pose de la greffe ; à œil dormant, lorsque la tête du sujet est conservée jusqu’au printemps suivant ; avec chevron brisé, lorsqu’on fait une incision au dessus des écussons. Ou emploie cette dernière sur les arbres résineux ou trop abondans en sève.

Les précautions à prendre pour se procurer des greffes sûres, consistent dans le choix des rameaux, et dans le temps de les cueillir. On doit employer uniquement celles de la dernière ou de l’avant-dernière pousse, et dont les yeux sont bien formés, les cueillir pendant l’hiver, pour les greffes en fente, et à l’instant de greffer, pour les greffes en écusson.

Les yeux du milieu des rameaux sont meilleurs pour les greffes en écusson, et les quatre ou cinq yeux inférieurs pour les greffes en fente.

On conserve dans le cellier, en terre, les rameaux à greffes en fente, et on met dans l’eau, ou on enveloppe de mousse fraîche ceux en écusson, après en avoir coupé les feuilles.

Lorsqu’on veut les faire voyager, on les fiche dans un fruit aqueux, ou dans de l’argile mouillée, ou on les met dans des boîtes avec de la mousse ou autre herbe fraîche.

Les analogies convenables à la réussite des greffes consistent dans l’organisation interne qui s’annonce par la configuration des parties externes, dans la densité des bois : un bois dur reprendra difficilement sur un bois tendre ; dans la chute ou la permanence des feuilles : un arbre toujours vert, peut reprendre sur un arbre qui se dépouille, et vice versa ; mais ils ne vivront pas long-temps ensemble : dans le mouvement de la sève qui doit monter et descendre en même temps dans le sujet greffé et dans celui qu’on greffe ; dans les sucs propres qui doivent avoir les mêmes qualités : une sève caustique se mélange difficilement avec un suc doux.

Traçons maintenant de quelle manière on doit opérer chacune de ces greffes, en suivant le même ordre, mais en passant sous silence les méthodes déjà exposées dans le Cours.

1°. Greffes par approche sur tronc. Deux arbres, l’un sauvageon, l’autre à bons fruits, se trouvent placés à quelques pieds de distance ; le sauvageon est jeune et plein de vigueur, l’arbre à bons fruits est vieux, sur le retour, son tronc est vicié et annonce un dépérissement prochain. Il convient, dans ce cas, de reprendre en sous-œuvre l’arbre à bons fruits, de replacer sa tête sur une bonne souche, et de le rajeunir. Pour y parvenir, on rapproche les deux troncs au point de se toucher dans une partie ; on fait une incision parfaitement semblable à chaque tronc au point de contact ; on réunit les deux plaies de manière que les écorces coïncident exactement ; on les lie avec de la ficelle, on place dessus un emplâtre d’onguent de Saint-Fiacre ; on recouvre le tout avec de la paille, ou mieux encore avec de la toile ; on diminue le volume de la tête des deux arbres, pour donner moins de prise au vent ; après la reprise, on supprime la tête du sauvageon. On enlève ensuite ou on laisse, si on le juge à propos, la souche du franc.

Un arbre dans la rigueur de l’âge est cassé par le vent, ou quelque autre accident, au dessus de la greffe et dans une ligne de pleins vents : on veut profiter d’un beau tronc desservi par un grand nombre de racines excellentes et susceptibles de fournir à une végétation rapide et durable. On doit alors employer la seconde espèce de greffe par approche. La plaie du tronc cassé est d’abord parée avec soin, puis couverte d’onguent de Saint-Fiacre. Dans l’automne, on plante à peu de distance du tronc un arbre déjà fort. Au printemps suivant, lors du mouvement de la sève, on fait au tronc une entaille triangulaire sur la partie de son diamètre qui regarde le jeune arbre qu’il doit recevoir. On fait à la tige du jeune arbre, au point où il doit s’unir au tronc, deux entailles dont le résultat doit être que la plaie faite au jeune arbre forme le coin qui doit remplir le vide du tronc ; on réunit la tige du jeune arbre au tronc, en ayant l’attention de faire coïncider exactement les écorces. On ligature les deux arbres, pour qu’ils n’éprouvent point d’oscillations ; on couvre ce qui reste de plaie apparente avec l’onguent, et l’opération est terminée.

Veut-on activer la végétation d’un grand arbre, auquel on attache du prix, doubler la durée de son existence, et enfin lui donner une vigueur surnaturelle ? on emploie la greffe en étai. Cette greffe a pour but de multiplier les bouches nourricières des arbres, sans accroître sensiblement leurs moyens de déperdition. Elle consiste à réunir plusieurs troncs, pour subvenir à la consommation d’une seule tête. Des jeunes troncs sains et munis d’une grande quantité de racines étendues au loin, entés sous une tête dont le tronc est débile et suranné, lui portent toute la vigueur du jeune âge. Ainsi, aux deux côtés de l’arbre qu’on veut aviver, on plante, dès le commencement du printemps, deux arbres congénères ; s’ils ne sont pas de même espèce, ils doivent être de la plus grande force, c’est-à-dire de six pouces de diamètre, si l’arbre auquel ils doivent être unis est déjà gros. On les plante inclinés à l’angle d’environ vingt-cinq degrés, sur le tronc du vieil arbre. Après les avoir plombés, on affermit la terre sur leurs racines, on leur coupe la tête, non à angle droit, mais en biseau. On fait deux entailles au tronc du vieil arbre, et en sens contraire à celle des jeunes arbres, de manière à ce que ces trois parties réunies, il ne reste ni vide ni éminence. Les deux troncs des jeunes arbres, étant réunis par leur extrémité à celui du vieil arbre, on les ligature solidement, on recouvre les plaies avec de l’onguent de Saint-Fiacre.

L’essentiel de cette opération, est de faire coïncider exactement les écorces ensemble par tous les points de contact. Si, au lieu de deux arbres, on en ajoute deux autres, ces quatre étais, placés sur les quatre côtés, soutiendront le vieil arbre en l’air, et le maintiendront contre les efforts des ouragans les plus violens. On peut employer cette sorte de greffe pour un arbre précieux par les qualités de ses fruits, ou par tout autre mérite, dont le tronc vicié par des chancres n’offre plus une garantie de l’existence de l’individu.

Dans ce cas, lorsque les greffes seront bien consolidées avec le tronc de l’arbre, on pourra supprimer celui-ci dans toute la partie qui se trouvera au dessous des étais.

Greffe par approche sur branches. Deux arbres, placés à une distance qui ne permet pas à leurs troncs de se joindre pour être greffés en approche, offrent quelquefois des branches latérales qui peuvent se réunir : dans ce cas, il est facile de les greffer.

On choisit deux branches de deux arbres voisins, dont l’une appartient à un arbre sauvageon, et l’autre à un arbre rare, mais d’espèces congénères ; on coupe la tête aux deux arbres, on ne laisse sur chacun d’eux que la branche qu’on veut greffer ; on entaille ces deux branches à demi-épaisseur, on joint les deux plaies, on les ligature avec de la filasse, de laine filée ou de la ficelle, suivant la grosseur des branches greffées ; on fait une poupée autour de la greffe, on la soutient par un tuteur qui empêche toute vacillation ; on pince les extrémités des deux rameaux greffés ; lorsque la greffe est reprise, on sépare la branche du bon arbre pour la laisser sur le sauvageon ; on lui donne une position verticale au moyen d’un tuteur, si l’on veut en faire un arbre élevé, on marcotte cette greffe au point de son bourrelet, si l’on veut avoir un arbre franc de pied, ce qui est le parti le plus avantageux.

Les greffes en losange, les boutures greffées, celles par réunion de tiges, ou même par la réunion de parties de tiges, sont décrites dans le Cours.

Greffes en fentes. La greffe en couronnes à six bourgeons se fait, lorsqu’on a intérêt de placer sur la couronne d’un sauvageon plus de cinq bourgeons ou greffes, et il est indispensable de varier un peu le procédé.

Après avoir coupé la tête de l’arbre et paré sa plaie avec la serpette, on fait autant d’incisions à l’écorce du bord de la couronne, qu’on a de greffes à placer ; elles doivent être verticales et exposées à égale distance dans toute la circonférence de la couronne ; elles doivent fendre l’épiderme et toutes les couches du liber jusqu’à l’aubier, et avoir un ou deux pouces de longueur, suivant la force des greffes. On soulève les deux lèvres de l’écorce par la partie supérieure avec la spatule du greffoir, et on introduit la greffe. Ces greffes doivent être taillées en coin, du côté de leur bois, et conserver toute leur écorce, recouvertes de l’écorce du sujet : on doit prendre soin qu’il ne reste aucun vide sous la greffe. Au reste, on fait une ligature et une poupée comme dans les autres.

La greffe en fente en couronne à l’anglaise n’est encore connue que d’un petit nombre de cultivateurs ; on la pratique pour des arbres dont le bois est très-dur. Elle mérite d’être plus répandue.

On choisit un jeune sujet dont la tige ait depuis la grosseur d’une plume jusqu’à celle du doigt ; on lui coupe la tête le plus obliquement qu’il est possible, ensuite on le fend, dans le milieu de son diamètre, d’environ six à huit lignes. On choisit, sur l’arbre que l’on veut greffer, une branche de même grosseur que le sujet ; on donne à sa coupe la même forme, mais en sens contraire ; on fend également dans le milieu de son diamètre cette greffe, mais en remontant et dans la même longueur que le sujet. On présente la greffe au sujet pour s’assurer si, étant mise en place, son bois et son écorce coïncideront exactement avec le bois et l’écorce du sauvageon. Il convient d’enlever avec le greffoir, au sujet et à la greffe, en sens contraire, une portion d’écorce en prolongation de la première plaie. Cette pratique a pour objet de donner plus de points de contact aux écorces réciproques, et d’assurer la reprise. On écarte ensuite avec la pointe du greffoir la fente perpendiculaire faite au sujet, et l’on y fait entrer la portion de la greffe qui forme le coin pratiqué par la fente inverse qui lui a été faite. Il faut ajuster, avec beaucoup de soin, la greffe sur le sujet pour que toutes les parties soient exactement en rapport. On ligature à la manière ordinaire, et on forme une petite poupée.

Cette greffe, offrant une plus grande quantité de points de contact, est plus sûre ; elle est aussi plus solidement établie et moins sujette à être décollée, parce que son bois se trouve emboîté dans celui du sujet. Elle produit aussi des tiges de plus belle venue que celles que donnent ordinairement les autres greffes en fente, puisque le sujet et la greffe sont de même grosseur, et placés dans la même direction.

Sous tous les rapports, cette greffe mérite d’être pratiquée. Plusieurs espèces de chênes d’Amérique, de châtaigniers, de hêtres, de charmes, etc. ne réussissent que par son moyen.

La greffe en fente à couronne à oranger paroît être une invention moderne, et avoir été faite par un jardinier de Pontoise, près Paris. Il s’en servit utilement pour sa fortune, en greffant des orangers de deux ans de semis, qui se couvroient de fleurs l’année même dans laquelle il les greffoit.

Pour cela, on choisit sur un oranger un rameau fait, garni de ses ramilles marquant des fleurs, et de grosseur semblable à celle du sujet ; on fait une entaille au sujet sur l’un des côtés de sa partie supérieure, dans la longueur d’un pouce environ, et au tiers de l’épaisseur de sa tige. On fait une pareille entaille au rameau à greffer dans sa partie inférieure, et en sens contraire au sujet. On présente les deux parties l’une sur l’autre, pour s’assurer qu’elles s’emboîtent exactement, diminuer l’excédant de bois qui pourroit se trouver à l’une ou l’autre des parties, et empêcher que les écorces ne coïncident tant par le bas que par le haut et sur les côtés. Assuré que toutes les parties se joignent bien ensemble, il faut les accoller, les ligaturer avec de la filasse trempée dans de l’onguent de St-Fiacre, et faire une poupée oblongue qui recouvre la plaie un pouce au dessus et au dessous ; placer les sujets sous un châssis ou une bâche, à une température de vingt degrés d’une chaleur humide, et les défendre pendant six à huit jours des rayons du soleil.

Cette opération se fait à la fin du printemps sur des sujets abondans en sève. Ordinairement les feuilles de ces greffes ne fanent que médiocrement, et pendant les premiers jours de leur pose. Elles reprennent en deux ou trois jours, mais ne sont consolidées qu’au bout de huit ou dix mois. On laisse la poupée pendant une année. Les boutons de fleurs des rameaux épanouissent et donnent du fruit qui parvient à maturité.

Ces sortes de greffes ne durent pas longtemps ; les raisons en sont faciles à concevoir. 1°. Le tissu fibreux du sujet et de la greffe, quoique de même nature, offre une grande différence dans leur densité. Dans le sujet il est lâche, dans la greffe il est serré et compacte. 2°. Le sujet ne peut fournir la quantité de sève nécessaire à l’entretien d’un rameau chargé de feuilles permanentes, qui produit beaucoup de fleurs, et, enfin, au grossissement des fruits.

Si on choisissoit un rameau sans brindilles, peu garni de feuilles, et qu’on ne lui laissât porter ni fleurs ni fruits, il n’y auroit pas de raison pour que la greffe qu’on en feroit ne durât autant que les autres espèces.

La greffe en fente et par juxtaposition se pratique de la même manière que la greffe en fente ordinaire ; mais, au lieu d’une seule languette qu’on introduit dans la fente, on laisse une partie latérale revêtue de son écorce, et on la joint immédiatement à l’écorce du sujet, coupée obliquement. De cette manière, la sève a une voie de plus pour pénétrer dans la greffe, et y monte d’autant plus sûrement, que les deux écorces se coïncident parfaitement au sommet de l’angle que forment les deux languettes. Le succès de cette greffe est pour ainsi dire certain. À peine sur cent arbres greffés ainsi avec soin, en manque-t-il cinq ou six.

Greffes en écusson. Dans les grandes pépinières où l’on greffe, par saison, vingt à trente milliers d’arbres en écusson, quatre personnes concourent à la confection d’une greffe. La première prépare le sujet (c’est-à-dire qu’elle coupe les petits rameaux qui se trouvent dans le voisinage du lieu où doit être placée la greffe. La seconde fait les incisions qui doivent recevoir les écussons ; La troisième lève les yeux de dessus les rameaux à greffe, et les pose sur le sauvageon. La quatrième et dernière fait les ligatures. Au moyen de cette marche bien entendue, il est possible de greffer plus de douze cents arbres dans une journée, et de ne pas se laisser surprendre par la retraite de la sève ; ce qui arrive souvent.

La préparation des sujets doit avoir lieu quelques jours avant le greffage, parce que la suppression de plusieurs rameaux occasionne un ralentissement dans le cours de la sève, qui peut nuire à la réussite de l’opération.

On greffe en écusson à l’époque de l’ascension des deux grandes sèves, savoir, au printemps et au commencement de l’automne. Ces instans s’annoncent bien visiblement par le développement des bourgeons au printemps, et par la croissance de nouvelles feuilles à l’automne. On s’en assure encore d’une manière plus directe, en examinant si l’écorce des arbres quitte facilement le bois, et si celui-ci est couvert d’une légère couche d’humeur visqueuse.

Après quinze ou vingt jours que les écussons ont été posés, et qu’il commence à se former un bourrelet au dessus de la ligature, il convient de la desserrer, pour qu’elle n’étrangle pas l’arbre et n’occasionne pas la rupture de la tige qui lui est supérieure. Le nœud coulant par lequel on a dû terminer cette ligature est bien nécessaire dans cette circonstance, et économise beaucoup de temps. On déroule le fil de laine, pour le rétablir d’une manière moins serrée, et seulement pour contenir les parties et les abriter du contact de l’air.

Lorsque la greffe a bien poussé, on coupe la tête du sauvageon sur lequel elle a été posée. Il est quelques variantes sur la manière de faire cette opération.

Les uns coupent la tête à quelques lignes au dessus de l’œil, et donnent, pour raison de cette pratique, que le bourrelet est moins saillant, et que la tige en devient plus droite sur son tronc. Cela est vrai.

Les autres coupent la tige du sujet à quatre à cinq pouces au dessus de l’écusson, et donnent pour motifs, que cette extrémité leur sert de tuteur pour attacher le jeune bourgeon produit par l’œil de la greffe, et l’empêcher d’être décollé par le vent. Ce motif est bon, et mérite d’être pris en considération. Ainsi chacun de ces opérateurs a de bonnes raisons pour suivre sa pratique.

Il est une troisième classe qui, profitant des avantages des deux procédés, font disparoître leurs défauts. Ils commencent par couper la tête de leurs sujets à cinq pouces au dessus de la greffe, pour arrêter la sève et la faire passer dans son bourgeon. Ils se servent de cette espèce de chicot pour faire un tuteur à leur jeune bourgeon. L’année d’ensuite, ils suppriment ce chicot au dessus de la greffe, et les deux buts sont remplis. La tige se dresse sur son pied, et le bourrelet ne déforme pas la tige de l’arbre.

On remplace le chicot par un tuteur d’une dimension proportionnée à celle du bourgeon qui, alors, a quatre à cinq pieds de long.

L’ébourgeonnage des sujets greffés mérite de la surveillance, pour ne pas laisser croître au dessus de la greffe une grande quantité de jeunes branches qui, dévoyant la sève de la greffe, l’empêcheroient de profiter, ou même la feroient périr d’inanition. Il faut visiter les sujets greffés de temps en temps, et supprimer tous les bourgeons qui paroissent sur la tige. Cette opération se fait très-vite, puisqu’il ne s’agit que d’empoigner la tige du sujet au dessous de la greffe, et de promener la main ainsi fermée de haut en bas pour décoller tous les petits bourgeons qui commencent à percer sur le tronc.

Ce qui vient d’être dit convient à toute la division des greffes à écusson : les diverses espèces et variétés offrent quelques différences dont on va traiter successivement.

Lorsqu’on ne place qu’un œil sur un sauvageon, cela s’appelle greffer à écusson simple. C’est ce que l’on pratique le plus ordinairement dans les pépinières, où l’habitude de cette sorte de greffe et l’habileté des greffeurs les rendent d’une sûreté telle que, sur cent, il en manque souvent moins de dix. Cependant il est des accidens occasionnés par des causes météorologiques, indépendantes du greffeur, qui rendent beaucoup plus incertaine la réussite des greffes ; tels sont les vents secs qui, arrêtant tout à coup la circulation de la sève, empêchent l’union de la greffe au sujet, et font périr celle-ci. Dans ce cas, il convient d’arroser abondamment les sujets nouvellement greffés, si l’on en a la possibilité : on rétablit ainsi la circulation de la sève. Quelquefois de petites chenilles ou d’autres larves d’insectes rongeant l’œil de l’écusson, en rendent ainsi la greffe inutile ; le seul moyen à employer est de tuer ces insectes. Ces divers accidens ont engagé les cultivateurs à placer plusieurs écussons sur le même sujet, lorsqu’ils attachent beaucoup de prix à la multiplication d’arbres rares.

Il est quelques espèces d’arbres, sur-tout parmi les étrangers, dont le bois est dur, tels que les fusains, les houx, les orangers, etc., aux greffes desquels il ne faut laisser que le moins d’aubier possible. Après avoir levé l’œil de dessus le rameau avec la pointe du greffoir, on coupe tout le bois qui le portoit avec la pointe du greffoir ; on coupe tout le bois qui pourroit se trouver dans la longueur de l’écorce qui forme l’écusson, et on n’en laisse qu’une couche infiniment légère sous l’œil seulement. Il faut bien prendre garde, en faisant cette opération délicate, de ne pas éborgner l’œil, c’est-à-dire, de ne pas enlever le corculum, où réside la vie du nouveau bourgeon.

Il est bien certain que, moins on peut laisser de bois, ou, pour parler plus exactement, d’aubier sous un écusson, plus sa réussite est assurée. Le bois établit un corps intermédiaire, entre l’aubier du sujet, et l’écorce de la greffe, qui empêche le cambium qui suinte par les canaux médullaires du sauvageon de pénétrer les pores de l’écusson, et de le souder intimement avec le sujet. Cependant il est beaucoup d’espèces d’arbres, sur-tout parmi les fruitiers, lorsque les sujets sont bien en sève, à la réussite desquels un peu de bois ne nuit pas, parce que la sève étant très-abondante, il se trouve une assez grande quantité de points de contact pour opérer la soudure ; mais il n’en est pas moins vrai que cette union est moins solide que si l’écorce de l’écusson touchoit dans presque toutes les parties à l’aubier du sujet. La grande quantité de ruptures des bourgeons des greffes, qui a lieu chaque année dans les pépinières, ne proviendroit-elle pas de cette cause ?

De In greffe en écusson à la pousse. Cette sorte d’écusson se fait au printemps lorsque les arbres entrent en sève, et commencent à gonfler leurs boutons ; elle se pratique comme toutes les autres greffes de la même série, mais avec cette différence, qu’au lieu de laisser la tête du sujet, on la lui coupe immédiatement après que l’écusson est posé. Il en résulte que son œil pousse sur-le-champ, et que son bourgeon a plusieurs pieds de long à la fin de la saison. Les greffes destinées à cette sorte d’écusson doivent être cueillies quatre à cinq jours avant que de les poser ; on les lie par petites bottes qu’on enterre de trois ou quatre pouces par le gros bout, dans une plate-bande fraîche et au nord ; il en résulte que ces greffes, étant moins avancées en sève que les sujets, s’y attachent plus promptement, et sont plus sûres à la reprise.

Si l’on gagne du temps par ce procédé, on perd d’un autre côté des sauvageons, ou au moins ils perdent de leur mérite. Lorsque les greffes ne sont point reprises, on est obligé de rabattre la tige du sujet au dessous de l’endroit où l’on a fait les incisions, ce qui diminue son mérite d’une part, et d’une autre, comme on l’a étêté en pleine sève, et qu’on a supprimé tous les bourgeons qui se disposaient à pousser au dessous du point où l’on avoit mis la greffe, il en résulte que ce sujet a perdu sa première sève. De plus encore, que, n’ayant pas eu de feuilles qui aient tiré de l’atmosphère les gaz et autres fluides nécessaires à son existence et à celles de ses racines, il est dans un état de langueur et de souffrance dont il ne peut se rétablir que pendant la fin de l’année. Ainsi on ne peut le greffer avec sûreté que l’année suivante ; ce motif est la raison pour laquelle on préfère, dans les grandes pépinières d’arbres fruitiers, la méthode de greffer à œil dormant. Cette raison économique ne doit point déterminer les particuliers qui ne sont point marchands, et qui peuvent faire le sacrifice de quelques sauvageons ; une année d’une jouissance plus hâtive doit être pour eux le motif déterminant

De la greffe à écusson à œil dormant. Cette greffe est celle qui est la plus généralement pratiquée dans les grandes cultures d’arbres, et particulièrement dans les pépinières de Vitry, de Lucienne et des environs de Versailles ; elle est la moins coûteuse, la plus expéditive et la plus sûre, pour une très-grande partie de végétaux ligneux, de toutes celles qui sont pratiquées à présent.

Cette greffe s’effectue à la seconde sève avec des yeux de la pousse du printemps précédent, pris à l’instant ou peu de jours avant de les lever et de les mettre en place. La manière de l’opérer est celle que nous avons décrite avec étendue, à l’article des greffes en écusson en général. Toute la différence qui distingue cette variété, c’est qu’au lieu de couper la tête du sujet, pour faire pousser l’œil de la greffe sur-le-champ, on la laisse jusqu’au printemps suivant : pendant cet intervalle, l’œil de la greffe reste dans l’inaction, et semble dormir comme s’il n’avoit pas échangé de rameau. Au printemps, lorsque la sève se met en mouvement, on coupe la tête aux sujets dont la greffe est bonne, on supprime à rez de la tige toutes les branches qui ont crû au dessous de la greffe. On ne laisse, par ce moyen, pour seul canal à la sève des individus, que l’œil de l’écusson. Elle s’y porte sans partage et donne naissance à des bourgeons qui s’élèvent souvent à plus de cinq pieds de haut. Si l’on eût coupé la tête à ces greffes peu de jours après qu’elles ont été opérées, comme le font quelques cultivateurs, ces greffes n’eussent pas manqué de pousser dès le commencement de l’automne. Mais pour peu que l’hiver eût été rude, on auroit pu craindre que le jeune bois de ces greffes, qui n’auroit pas eu le temps de s’aoûter, et qui n’offroit qu’une consistance herbacée et très-aqueuse, n’eût été détruit ou au moins très-fatigué par les gelées. Ainsi, en voulant gagner du temps par une mesure précipitée, on en perd réellement de très précieux : dès que la mi-août est arrivée, il est prudent de ne greffer qu’à œil dormant pour la plus grande partie des arbres de pleine terre.

De la greffe en écusson à yeux doubles. Les greffes ne réussissent pas toujours, soit parce que le sujet ou la greffe ne sont pas dans un état favorable à la réussite, soit parce que l’opération aura été mal faite, ou soit enfin par quelqu’accident météorologique. Lorsqu’on attache du prix à la multiplication d’une espèce, au lieu d’une greffe on en pose deux et quelquefois un plus grand nombre sur le même sujet. Il en résulte un plus grand nombre de chances pour la réussite. Mais ces greffes ne doivent pas être placées au hasard. Pour plus de facilité, les cultivateurs les placent à l’opposite l’une de l’autre, afin que la même ligature serve pour deux greffes. Il n’en résulte aucun inconvénient, lorsque le sujet sur lequel on greffe est à branches opposées, comme dans les frênes, les lilas, les phylliréas. Quand il arrive au contraire que les branches sont alternes, il doit résulter de cette contrariété un malaise qui peut nuire, sinon à la réussite de l’écusson, du moins à sa vigueur, à sa prospérité durable. Autant qu’il est possible, il faut seconder la nature et ne pas la contraindre. Il est donc prudent, lorsqu’on place plusieurs greffes sur un sujet, de les poser dans l’ordre où la nature les eût disposées elle-même.

La greffe avec chevron brisé ne se pratique que pour les arbres résineux et autres qui abonnent en sève visqueuse, et qui sont susceptibles de noyer leurs yeux et de les faire périr par surabondance de nourriture.

On l’opère comme toutes les autres greffes en écusson ; toute la différence consiste en une double incision qu’on fait au dessus de la greffe, lorsqu’on s’aperçoit que l’œil est bien soudé et que la sève descend avec trop d’abondance. Cette incision doit être faite précisément au dessus de la greffe et avoir la figure d’un chevron brisé A. Son effet est, en coupant les vaisseaux séveux dans la partie de l’écorce qui se trouve au dessus de la greffe, d’empêcher la sève, qui descend de l’arbre vers les racines, de s’arrêter dans l’incision, nécessitée par la greffe et de noyer l’œil.

C’est à Magneville qu’on doit ce procédé ingénieux, qui met à même de multiplier, par la voie des greffes, une série d’arbres très intéressans, qu’on n’avoit encore pu propager, jusqu’à lui, que de graines. (Th.)