Cours d’agriculture (Rozier)/GRÊLE (supplément)

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GRÊLE. La cause physique de ce météore, d’autant plus terrible qu’il n’exerce ses ravages qu’a l’instant, pour ainsi dire, où l’espoir d’une abondante moisson dédommageroit le cultivateur de ses soins, de ses peines et de ses avances ; la cause physique, dis-je, a été complètement développée par Rozier ; il n’a pas pourtant indiqué les ressources que peuvent encore se procurer les malheureux habitans des campagnes, qui viennent d’éprouver une pareille calamité. En attendant que les physiciens aient découvert le moyen de conjurer la grêle, comme ils sont parvenus à éloigner la foudre de nos édifices publics, nous allons faire en sorte de réparer cette omission, et insérer dans cet Ouvrage un extrait de notre avis aux cultivateurs dont les récoltes ont été anéanties par la grêle du 13 juillet 1788, qui a ravagé cent lieues carrées du pays le mieux cultivé.

On a pu, dans les temps d’ignorance, croire que la grêle frappoit la terre de stérilité pour quelques années, et portoit avec elle un poison capable de nuire aux productions végétales qu’Où essaieroit de faire venir aussitôt après sa chute ; mais aujourd’hui qu’on sait, à n’en pouvoir douter, que ce météore n’est autre chose qu’une eau très-pure réduite en glaçons par le moyen de l’électricité, il est évident qu’elle ne sauroit produire d’autre effet que le refroidissement momentané, et le tassement du sol sur lequel elle est tombée, et d’exercer une action mécanique plus ou moins destructive sur les végétaux : il y a donc lieu d’espérer de tirer encore parti de terrains ainsi ravagés, et d’y cultiver quelques plantes utiles, en supposant que la saison ne soit pas trop avancée, que le hâle et la sécheresse ne s’opposent pas à leur développement ; mais, avouons-le, il reste bien peu de ressources quand c’est dans le courant d’août que ce fléau a désolé nos champs.

Tout le monde sait que plusieurs espèces de cultures peuvent encore être entreprises vers le milieu de juillet, et même au commencement d’août, lorsqu’on n’a pour objet que d’obtenir une nourriture pour les bestiaux ; il ne faut alors qu’un simple labour, semer, herser, pour, dans l’espace de deux mois et demi, changer les terrains grêlés en prairies. Il faut étudier les espèces de grains qui conviennent le mieux à la qualité du sol, et surtout celles dont il sera le plus facile de s’approvisionner : telles sont l’orge, l’avoine, le seigle et les semences légumineuses, connues sous le nom collectif de dragées, de grenailles et de bisailles, principalement la vesce hâtive, ou petite vesce, grain qui peut se semer avec l’avoine à la fin de juillet. Ces prairies fauchées à l’époque de la fleuraison, fourniroient un fourrage excellent, qu’on pourroit faire faner et conserver pour la nourriture de l’hiver ; mais il vaudroit mieux toutefois, si la saison le permettoit, attendre que le grain fût formé, et le faire servir de semence dans les terres qui auroient été ravagées par la grêle à une époque très-voisine de la maturité. Il ne s’agiroit alors que de labourer légèrement pour enfouir la semence, et de herser. Le hersage et le labourage sont des opérations essentielles après une grêle ; elles servent à remuer une terre qui a été battue à sa surface, et à rétablir à la superficie la terre végétale que cette eau congelée a plus ou moins refroidie.

Si les pois, les fèves, les vesces et leurs différens mélanges, sont couchés contre terre par la grêle, et qu’elle ait froissé la plupart de leurs tiges, il est très-difficile alors de tirer parti de ces plantes et d’en faire un fourrage de bonne qualité : ce seroit en vain qu’on compteroit sur une nouvelle végétation, elle ne sauroit être d’imparfaite dans ce moment. M. Yvart croit qu’il est préférable de les enfouir à la charrue, et on est amplement dédommagé de ce léger sacrifice par l’engrais abondant que cette opération procure. Les terres traitées ainsi sont ensemencées à l’automne et ne reçoivent point de fumier. Cette méthode d’engraisser les terres par l’enfouissement des plantes, est trop peu pratiquée. Il seroit bien à souhaiter qu’elle devînt plus générale dans les cantons sur tout où le transport des engrais est coûteux et difficile.

On a quelquefois essayé d’abandonner à eux-mêmes des grains qui s’étoient ainsi naturellement ressemés, pour en obtenir une récolte l’année suivante ; mais cette méthode, qui réussit communément pour l’orge, a rarement du succès pour le seigle et pour le blé : on en a eu la preuve par des expériences faites dans les années précédentes. Cependant plusieurs anciens cultivateurs se souviennent d’avoir vu, dans une calamités à peu près semblable, mettre en usage cette pratique avec avantage. Quand la saison est avancée, que les épis de seigle et de froment sont totalement battus par la grêle et que le grain est répandu également sur la terre, on pourroit alors faire couper et ramasser la paille qui, dans les cantons grêlés, est ordinairement rare et chère. On herse avec des herses de fer, et on laboure légèrement suivant la nature du sol ; dans un fonds sablonneux, le grain donne avant l’hiver un fourrage sain et abondant.

La germination et la végétation sont, dans les terres fortes, plus lentes que dans les fonds secs et légers : on pourroit attendre l’époque des semailles pour cette opération ; et quand bien même, comme l’a judicieusement observé M. Bourgeois, économe de la ferme nationale de Rambouillet, on n’auroit que du fourrage au printemps, les terres n’en seroient pas moins propres à être ensemencées en avoine après l’hiver.

Dans l’espoir de tirer quelque parti de plusieurs pièces de terre alternées en seigle, dont les grains avoient été répandus sur le sol par la grêle, M. Yvart avoit commencé à en labourer quelques unes, comptant obtenir du fourrage par ce moyen ; mais il a cru devoir suspendre son opération jusqu’à l’époque ordinaire des semailles, persuadé que le grain enfoui alors donneroit, l’année suivante, une récolte passable en grains ; et sa conjecture a été vérifiée ; mais l’orge et l’avoine ont rarement du succès dans ce cas, parce que la moindre gelée saisit ces grains lorsqu’ils germent ; quelquefois même, quoique bien levés, ils périssent par le froid et l’humidité.

Il a tenté avec succès un autre moyen pour profiter de l’orge et de l’avoine inséminés sur le sol par la grêle ; il consiste à faire manger ces grains par des dindons, des oies et autres volailles, ou bien par des cochons, en les conduisant sur les lieux, et les y faisant garder : on sait que cette nourriture les engraisse promptement.

Quoiqu’une récolte médiocre en grain soit toujours plus avantageuse que la meilleure en fourrage, j’observe que ce mode de semailles aura toujours des inconvéniens, ceux, entr’autres, de ne pouvoir évaluer que par apperçu la quantité de semence, d’enterrer en même temps une foule de mauvaises graines qu’on auroit séparées par le van, par le crible, et d’être exposé à en perdre beaucoup, par les dégâts des oiseaux, jusqu’au moment des semailles.

Les cultivateurs revenus de leur premier effroi, n’ont pas un moment à perdre pour se procurer la plus grande quantité de fourrage ; ils doivent se presser de faucher les prairies artificielles qui ont été froissées et hachées sous les coups redoublés des glaçons ; c’est un moyen d’accélérer la renaissance du feuillage, et d’augmenter le regain.

L’orge fomentée, ou sucrion, hordem nudum, lève très-promptement, et il ne seroit pas impossible qu’elle vînt encore à maturité avant l’hiver. L’escourgeon pourroit être cultivé également avec avantage, et fauché avant l’hiver.

On peut encore semer jusqu’en septembre, pour obtenir un fourrage de bonne qualité et très-propre à la nourriture des moutons, la graine de spergule : la manière de cultiver cette plante, qui est peu connue des agriculteurs de quelques départemens, est décrite dans ce Supplément. La réussite en est assurée si la saison favorise sa prompte germination ; ensemencée avec les vesces, les lentillons et les pois gris, elle fournit un fourrage abondant.

La gesse blanche peut fournir un très-bon fourrage, et grener avant les gelées, pour être mangée en vert comme les petits pois.

La chicorée sauvage est du nombre des plantes qui pourroient encore être semées à cette époque critique ; et, en supposant qu’il fût trop tard pour en obtenir une récolte en automne, ce seroit au moins une ressource pour le commencement du printemps suivant.

Le blé noir de Tartarie, qui n’est qu’une variété du sarrasin ordinaire, et qui mériteroit de lui être préféré à cause de sa précocité, de son abondance, soit en grains, soit en feuillages, le blé de Tartarie présente encore l’espérance d’un succès assuré ; il résiste à la pelée et à l’humidité : l’une et l’autre espèces peuvent également réussir, et offrir les mêmes ressources.

Le maïs ou blé de Turquie, pourvu qu’il n’ait pas été séché au four, est, sans contredit, un des meilleurs fourrages qu’on puisse procurer aux bestiaux ; il faudra le semer plus dru que lorsqu’il s’agit d’en récolter le grain ; et, en le coupant aux approches des gelées d’automne, il aura acquis sa plus grande hauteur.

Ce ne seroit point assez, sur-tout dans une année où les fourrages sont abondans, de s’être borné à augmenter la nourriture des bestiaux, il faut pourvoir à celle des hommes ; et on peut même, à cet égard, espérer encore quelques ressources.

Au mois de juillet, on est encore à temps de cultiver la betterave champêtre ; Commerel l’a semée plusieurs fois à la volée, avec succès, dans le courant du mois d’août, sur une terre meuble et fraîchement labourée ; on l’enterre avec un fagot d’épines, et quelquefois avec le rouleau. Cette plante ne peut être transplantée ; les racines en sont moins volumineuses, mais elles poussent, au bout de cinq ou six semaines, des feuilles propres à la nourriture des hommes et des bestiaux ; on les récolte jusqu’aux gelées : les racines qu’on enlève de terre à cette époque servent pendant tout l’hiver.

Il n’existe plus, en juillet, de pommes de terre dans nos marchés ; l’espèce même la plus hâtive exige toujours, pour compléter sa végétation, le cercle de quatre mois environ, et à peine en reste-t-il trois jusqu’aux premières gelées blanches ; mais je puis annoncer, d’après l’expérience, que cette plante, quoiqu’en pleine floraison au moment où son feuillage aura été haché par la grêle, est encore en état de procurer une récolte : il s’agit seulement d’en chausser le pied soit par un léger binage, soit en la butant.

La pomme de terre, comme le topinambour et les autres racines potagères, en bravant ainsi l’effet destructeur de la gelée, prouveront sans doute de quelle importance il seroit de donner encore plus d’extension à leur culture ; et ce n’est pas la seule occasion où les malheurs auront rendu l’homme plus sage que sa philosophie.

Après avoir indiqué aux habitans des cantons frappés par la grêle quelques unes des ressources qu’ils peuvent mettre à profit pour augmenter leur subsistance et celle des bestiaux, il y a un autre objet à remplir, et sur lequel mon collègue Thouin a bien voulu m’éclairer dans la note qui suit.

Les blessures que la grêle fait aux arbres sont long-temps à se guérir ; il en est même qui ne se rétablissent jamais, et la perte qu’elle occasionne est souvent considérable ; elle perce les feuilles, casse les branches, meurtrit l’écorce des rameaux et du tronc, ou lui fait des plaies plus ou moins graves, à raison de son volume.

La dilacération des feuilles, lorsqu’elle est portée à un certain point, arrête la végétation des arbres : quoiqu’il faille peu de temps pour la rétablir, il arrive très-souvent que les fruits qui n’ont pas été abattus par la grêle, tombent peu de temps après ; il en est de même des feuilles déchirées, qui sont chassées par de nouvelles, mais l’arbre est bientôt rétabli.

Les fractures des branches occasionnent une perte beaucoup plus considérable, parce qu’il faut infiniment plus de temps pour la réparer. Indépendamment de la perte du jeune bois destiné à porter des fruits l’année suivante, on perd encore l’espoir de récoltes abondantes pendant deux ou trois ans. Il est rare que les branches abattues par la grêle soient cassées net ; elles sont ordinairement éclatées, elles emportent avec elles des lanières d’écorces, ou elles laissent des chicots irréguliers, fendus dans leur longueur. Ces deux fractures sont fort dangereuses pour les arbres, sur-tout dans une saison où la sève est dans toute son activité, et le soleil dans toute sa force ; l’eau qui s’introduit entre le bois et l’écorce, les sépare bientôt, et l’effet du hâle, de la sécheresse et de l’humidité, occasionne des maladies souvent mortelles, telles que la carie, les chancres et les gouttières. Il est important, pour les prévenir, de couper ces branches éclatées, rompues, ou simplement tordues, à quelques pouces au dessus de leur rupture, et de se servir, pour cette opération, d’un instrument bien tranchant ; on doit, autant que cela est possible, faire en sorte que ces coupes soient dirigées vers l’aspect du nord, qu’elles soient bien unies, et qu’elles aient assez de pente pour que l’eau des pluies ne puisse s’introduire dans les petites gerçures qui se font dans le cœur du bois. À cette précaution, on doit joindre celle de mettre un emplâtre de Saint-Fiacre, dont voici la composition : on fait un mélange de terre argileuse, de bouse de vache, délayées avec de l’eau en consistance de mortier ; on le recouvre d’un peu de mousse longue ou de linge, le tout fixé à la branche par un osier, moyennant quoi les plaies se guériront en peu de mois.

Les plaies de l’écorce, occasionnées par la grêle sur les tiges et sur les branches des arbres, seroient peu dangereuses quand elles ne sont pas en grand nombre, si l’on pouvoit, quelques heures après qu’elles ont été faites, en rapprocher les bords, couper tous les segmens qui ne tiennent que par une trop petite partie, et abriter ces blessures du contact de l’air ; mais lorsqu’il s’est passé quelques jours, il convient d’employer un autre moyen. Il suffit souvent de cinq ou six heures, pour que les bords des plaies faites à l’écorce, se dessèchent et changent de couleur, sur-tout si le soleil survient après l’orage et que le hâle soit considérable : l’air pénètre entre le bois et l’écorce, et sépare ces deux parties. Dans ce cas, il convient de couper avec une serpette bien tranchante, l’écorce jusqu’au vif, c’est-à-dire de supprimer toutes les parties qui auront changé de couleur, qui n’auront plus d’adhérence avec le bois, ou qui seront meurtries ; ensuite il faut enduire ces plaies avec de l’onguent de St-Fiacre, et les recouvrir avec de grandes feuilles d’arbres contenues par des liens.

Lorsque les plaies sont trop nombreuses, et qu’elles sont accompagnées de beaucoup de meurtrissures, ce qui arrive plus communément à la vigne et aux jeunes arbres des pépinières, le plus court et le plus sûr est de couper rez terre les tiges de ces arbrisseaux, parce que ces plaies et ces contusions, en obstruant l’écorce, gênent la circulation de la sève, et n’en font jamais que des sujets difformes, aussi inutiles que désagréables à la vue. Mais il faut se hâter de faire cette opération, parce que s’il survenoit une sécheresse, les souches repousseroient difficilement ; au lieu que dans ce moment, où la seconde sève est en activité et la terre humectée à une certaine profondeur, on peut encore espérer des pousses vigoureuses, qui auront le temps de s’arrêter avant les gelées. À cette précaution, on ajoutera celle de donner un fort binage à la terre pour l’ameublir, parce que l’effet de la grêle est de battre la terre et de la durcir.

Je pense que, dans une circonstance à peu près semblable à celle où l’on s’est trouvé en juillet 1788 et 1792, il convient de ranimer l’ame abattue des cultivateurs, en leur disant ce que l’on sait et ce que l’on pense ; ils prendront, dans le conseil qu’on leur donnera, ce qui pourra convenir à leur situation, au sol qu’ils cultivent, à leurs ressources locales, et à l’époque de la saison. Mais à quoi serviroient ces conseils, si les habitans des campagnes, auxquels on les adresse, sont abattus, découragés et dénués des premiers moyens, et s’ils sont dans l’impossibilité de les suivre ?

Le gros fermier est à plaindre, sans doute ; mais il a des droits à des remises, et n’est pas entièrement privé de ressources ; le sort du petit cultivateur est bien plus digne de la commisération publique ; il avoit semé ses trois ou quatre boisseaux de grains, il soupiroit après la récolte pour avoir de quoi ensemencer, l’automne, son petit héritage, et subsister pendant l’hiver ; et manquant de tout, le voilà menacé, ou de périr de misère ou d’arroser de ses larmes le morceau de pain qu’on voudra bien lui donner, si la bienfaisance éclairée ne vient à son secours. Ce n’est pas de l’argent, c’est du grain pour vivre et pour ses semailles. On pourroit même exercer la charité, en lui prêtant seulement du blé pour semer cette année, à la condition de le rendre à la récolte de l’année suivante, poids pour poids, mesure pour mesure.

On vient d’annoncer dans les journaux un projet d’assurance des récoltes contre le ravage de la grêle ; il s’est formé, dans l’arrondissement de Toulouse, une de ces associations ; elle est naissante, et composée seulement de 326 propriétaires : néanmoins on en a déjà recueilli les plus heureux effets : vingt-deux cultivateurs, dont les récoltes avoient été entièrement dévastées par les orages, ont reçu une indemnité qui répare leurs pertes. Combien il est à désirer que ces institutions s’étendent ! elles peuvent sécher bien des larmes, en offrant le seul moyen de réparer des pertes nécessairement irréparables, et de prévenir la ruine de cent familles, annuellement victimes des fléaux de la nature. (Parmentier.)