Cours d’agriculture (Rozier)/HYDROMEL

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Hôtel Serpente (Tome cinquièmep. 595-597).


HYDROMEL. Breuvage fait avec le miel & l’eau. Dans cet état on l’appelle hydromel simple & vineux, lorsqu’il a subi la fermentation. (Voyez ce mot). Ce que j’ai dit dans cet article relativement au vin, s’applique à tous égards à l’hydromel, puisque sa base est le miel, substance mucilagineuse & sucrée, & de nature à éprouver seule la fermentation vineuse. Or, dès que l’eau & le miel ont fermenté ensemble, ils donnent un vin dans toute l’étendue du mot, duquel on peut retirer l’esprit de vin par la distillation, ou bien convertir ce vin en vinaigre, qui ressemblera assez bien à ceux faits avec les vins muscats & autres vins sirupeux.

Du choix du miel dépend la bonne qualité de l’hydromel ; il faut qu’il soit blanc, agréable au goût, sans mélange de farine dont on se sert souvent pour masquer la couleur jaune du vieux miel ; cette farine hâteroit sa fermentation acide. Le miel de Mahon ou de Narbonne est préférable à celui de tous les autres cantons.

On délaie, autant qu’il est possible, ce miel dans l’eau la plus pure. La proportion est, par exemple, de 20 livres de miel sur trente pintes d’eau ou 60 livres d’eau poids de marc. La coutume ordinaire est de jeter le tout dans une chaudière pour le faire bouillir, afin que le miel lâche les corps étrangers qui lui sont adhérens, & on a grand soin d’enlever avec une écumoire les impuretés qui surnagent la liqueur. Enfin, on continue ébullition jusqu’à ce que en y plongeant un œuf, il reste soutenu par la liqueur, ce qui suppose nécessairement qu’elle est réduite à un état sirupeux & concentré.

J’avoue n’avoir jamais fait d’hydromel, mais s’il est permis de juger par analogie, cette manipulation me paroît défectueuse. En effet, nous voyons que, dans les années très-sèches, & de grande maturité des raisins muscats, le moût qu’ils rendent par l’expression, est si doux, si sucré, si rapproché, que la fermentation a beaucoup de peine pour s’y établir ; cependant ce moût, malgré sa ténacité, ne sauroit supporter un œuf, d’où je conclus que l’hydromel ne doit pas être aussi rapproché qu’on le suppose ; mais je conviens en même temps que si le miel est trop délayé dans l’eau, la fermentation passera promptement à l’acéteuse. Il doit donc y avoir un milieu entre le trop de fluidité & le trop de viscosité de la liqueur. Les Romains, au rapport de Palladius, manipuloient différemment ; voici comme l’Auteur s’explique : « On prendra, au commencement des jours caniculaires, de l’eau de fontaine ; le lendemain on mettra dans trois parties de cette eau une partie de miel non écumé ; & après avoir partagé ce mélange avec soin dans des vales bien nets, on le fera agiter continuellement pendant cinq heures par des enfans impubères qui remueront les vases à cet effet ; après quoi on le laissera exposé à l’air pendant 40 jours, & pendant 40 nuits ».

Peu importe que les enfans soient impubères ou non ; mais il n’en est pas ainsi de l’agitation qu’ils impriment à la masse, au moyen de laquelle chaque partie mielleuse est vraiment mêlée & dissoute par l’eau. Après le repos, les impuretés doivent monter à la surface, & être expulsées hors du vaisseau lors de la fermentation. Je crois ce procédé supérieur au premier, sur-tout si l’on opère dans les provinces du midi ; & sur-tout pendant les grandes chaleurs de l’été. Reprenons la description de l’hydromel à la manière des modernes.

Lorsque l’eeuf frais ne submerge point, & seulement lorsque la moitié de son épaisseur est enfoncée dans le fluide, on passe la liqueur à travers un tamis, & on l’entonne tout de suite dans un baril que l’on remplit. On le place ensuite dans un lieu où la chaleur est le plus également répandue qu’il est possible depuis 17 à 18 degrés du thermomètre de Réaumur, en observant que le trou du bondon soit légèrement couvert & non bouché. Les phénomènes de la fermentation paroîtront dans cette liqueur, & subsisteront pendant deux à trois mois, suivant la chaleur ; après quoi ils diminueront d’eux-mêmes. Il faut observer pendant cette fermentation, de remplir de temps en temps le tonneau avec une semblable liqueur dont on aura, pour cela, conservé une partie à part, afin de remplacer les immondices que la fermentation fait sortir en forme d’écume.

Lorsque les phénomènes de la fermentation cessent, & que la liqueur est devenue bien vineuse, alors on transporte le tonneau à la cave, & on le bondonne exactement ; un an après on met l’hydromel en bouteilles.

Je préférerois d’attendre au moins deux ans. Il n’en doit pas être de l’hydromel comme du vin ordinaire, dont la fermentation insensible est moins active lorsqu’elle s’opère fur de petites masses. L’hydromel au contraire doit éprouver une fermentation plus forte, à moins qu’on ne se détermine à l’attendre pendant vingt ans, avant qu’il ait entièrement perdu son goût mielleux ; j’aimerois mieux, pendant la première année, tenir la barrique dans un cellier que dans une cave ; il a besoin de la chaleur pour diviser & atténuer sa viscosité. Je préférerois encore de le laisser, pendant l’hiver, exposé à un certain degré de froid, pourvu qu’il ne gèle pas, par ce moyen il se dépouillera plus aisément de l’odeur & du goût particulier au miel. Ce qu’il y a de très-certain, c’est qu’après un certain nombre d’années, si l’hydromel a été bien fait, bien conservé, on peut le servir comme vin de liqueur étranger, approchant beaucoup de celui de Malaga. Combien de pareils vins on vend à Paris & dans les grandes villes sous cette dénomination ? Ces vins pèsent a l’estomac comme tous les vins sirupeux, & l’ivresse qu’ils causent à ceux qui en boivent trop, est très dangereuse. Au mot Vin, en parlant de la fabrication de quelques vins composés, nous indiquerons les avantages qu’on peut retirer de l’hydromel.

L’hydromel simple, qu’on prépare pour remède, doit être renouvelé deux fois par jour dans les grandes chaleurs, & une fois chaque jour dans les jours tempérés. On s’en sert en gargarisme, pour déterger les ulcères de la bouche ; en lavement, afin de terminer l’évacuation des matières fécales, en adoucissant les parois des intestins qui le reçoivent.