Cours d’agriculture (Rozier)/INOCULATION

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Hôtel Serpente (Tome cinquièmep. 671-678).


INOCULATION, Médecine Rurale. C’est une opération par laquelle on communique aux enfans & aux adultes la petite vérole.

Cette méthode, inventée par des peuples, qui, sourds aux cris de la nature, qu’une abominable cupidité étouffe, font un trafic honteux de leurs filles, pour peupler les sérails des voluptueux Asiatiques, cette méthode, dis-je, a été adoptée pour conserver la plus chère espérance des familles & des empires : apportée de Constantinople en Angleterre, elle y fut reçue comme un présent du ciel. On en fit d’abord l’essai sur des criminels condamnés à mourir ; elle réussit. Aussitôt (en 1721) la Princesse de Galles, depuis Reine d’Angleterre, fit inoculer, sous les yeux du docteur Han-Sloane, ses enfans, le duc de Cumberland, la feue reine de Danemarck, & la princesse de Hesse-Cassel. En 1755 Mgr. le duc d’Orléans fit inoculer Mgr. le duc de Chartres & Mademoiselle, depuis duchesse de Bourbon.

L’inoculation est regardée en Angleterre, comme un moyen victorieux qui arrête les efforts destructeurs d’un mal très-redoutable. Leur espoir n’est point trompé. Cette méthode s’y est soutenue depuis 1721 ; mais alors elle ne fut pas aussi bien accueillie en France. Des soupçons peu fondés, des craintes pusillanimes, des calculs peu exacts, des scrupules imaginaires la firent proscrire. Trente ans après, M. de la Condamine se rendit l’apologiste de l’inoculation. Tout le monde s’en occupa, les uns pour la faire adopter, les autres pour la faire rejeter. On écrivit pour & contre, avec un égal enthousiasme. Il en est résulté que l’inoculation doit être pratiquée. L’inoculation est tellement répandue en Angleterre, que le premier soin d’un officier est de faire inoculer ses jeunes recrues, si elles n’ont pas eu la petite vérole, & que la première information que fait un maître à son domestique, est s’il a été inoculé, ou s’il a eu la petite vérole. D’après cet exemple, l’inoculation ne devroit plus trouver de contradicteurs. Il est donc à souhaiter pour le bien de l’état, pour l’intérêt de chaque individu, qu’on l’adopte par-tout, & que ceux qui ont été jusqu’ici ses détracteurs, deviennent ses plus zélés partisans, à moins que l’ignorance ou l’opiniâtreté ne les aveugle. Qui pourroit aujourd’hui ne pas reconnoître les avantages qu’elle procure ? Pour les mieux sentir, suivons l’inoculation dans sa marche ; mais il convient de parler d’abord de la préparation qu’on fait subir aux enfans.

Préparer un enfant à l’inoculation, c’est lui donner un état de santé qu’il n’a pas. D’après ce principe, un enfant qui se porte bien, n’a besoin d’aucune préparation. On a vu beaucoup d’enfans être hors d’état d’être inoculés, pour être devenus malades à la suite d’un régime de vie trop sévère auxquels on les avoit réduits.

On ne doit préparer que ceux qui sont souvent malades, pléthoriques, & sujets aux vers, ou qui ont l’estomac surchargé de pourriture. Pour l’ordinaire on fait prendre pendant trois jours consécutifs, à ceux qui ont des vers, un bol fait avec 4 ou 5 grains de mercure doux, autant d’yeux d’écrevisses, & quelques grains de jalap en poudre, qu’on incorpore dans suffisante quantité de conserve de rose. On leur fait avaler par-dessus une tasse d’eau sucrée.

La saignée est indispensablement nécessaire aux jeunes gens fortement constitués & pléthoriques, qui saignent habituellement par le nez, qui sont sujets aux douleurs de tête. Le célèbre Gandoger veut que l’on commence chez eux la préparation par une saignée, & qu’on la répète le lendemain de l’inoculation.

L’on purge d’une manière convenable, ceux qui ont l’estomac & le reste des premières voies embarrassées, ou bien ils sont simplement soumis à l’eau de rhubarbe.

En général, on interdit aux enfans qu’on veut inoculer, toute espèce de viande. On les réduit à la diète végétale, à l’usage des légumes & des farineux cuits à l’eau, & à celui des fruits bien mûrs. Quand on soupçonne chez eux de l’acrimonie dans les humeurs, ou lorsque leur peau est infectée de dartres, de boutons, & de démangeaisons, on leur donne du petit lait pour boisson ordinaire, ou une légère eau d’orge coupée avec parties égales de lait. De plus, on leur fait prendre des bains tièdes une ou deux fois le jour, si leur tempérament peut les supporter.

Toutes ces préparations ne vont pas au-delà de huit jours. On arrive enfin au moment de l’inoculation. Alors on se rapproche de la demeure de l’enfant varioleux dont on a fait choix d’abord. Je dois faire observer qu’il convient de choisir le levain variolique sur un sujet dont la petite vérole soit de bonne espèce, & bénigne, dont les père & mère soient sains ; il convient encore que ce sujet n’ait pas été infecté de gale, de scorbut, de teigne, de dartres, d’écrouelles, ni d’aucun vice essentiel dans la masse des humeurs.

« On mettra à découvert les deux bras de celui qu’on veut inoculer dans une des pièces éloignées de celle où est le varioleux, &, avec une lancette qu’on aura chargée de pus varioleux, en perçant plusieurs boutons en pleine suppuration, on soulèvera doucement l’épiderme, ayant grand soin de ne pas faire saigner la petite plaie qu’on fait ainsi, & qui doit être imperceptible. Enfin, l’épiderme seul doit être détaché à-peu-près comme le font les écoliers dans leurs jeux, lorsqu’ils passent finement des épingles entre la peau & la sur-peau. Il est inutile de rouler la lancette ; on courroit risque de blesser la peau jusqu’au sang, ce qu’il faut éviter très-soigneusement. On fait deux ou trois piqûres pareilles sur chaque bras, & on a le soin de passer le doigt aussitôt après sur l’endroit piqué, & de le frotter afin que le pus qui s’est arrêté en partie au bord de la plaie y pénètre davantage. Ensuite on abandonne l’enfant à lui-même, qui, ne sentant rien, ni n’apercevant aucune blessure, reprend sa première gaieté, que la perplexité d’un moment lui avoit fait perdre.

» Cette manière d’inoculer, toute simple qu’elle est, n’est pas aussi facile dans son exécution, que celle que nous allons décrire : il n’est pas de paysan, pour si rustre qu’il puisse être, ni de nourrice, qui ne soit à même de la pratiquer. Elle consiste à racler avec l’ongle la peau jusqu’à l’excorier, & la frotter avec du pus variolique. On pourroit encore suppléer à une lancette, avec la pointe d’une grosse épingle ou d’un cure-dent chargé de levain varioleux. M. Gardane ajoute qu’il faudroit multiplier les piqûres.

» Il est aisé de voir par le détail où nous sommes entrés, combien cette opération est facile, & comment les personnes les moins exercées peuvent la pratiquer dans tous les temps & tous les lieux. » Trois jours après cette opération, les piqûres commencent à donner des marques d’infection ; on y apperçoit un petit cercle rouge qui s’agrandit de plus en plus, prend la couleur d’un rouge plus foncé, s’élève en bouton, s’enflamme, & suppure ; c’est ordinairement vers le sixième jour que la suppuration locale commence : c’est alors que le bouton varioleux blanchit à son centre, que l’inflammation s’étend à la circonférence, & le noyau devient plus douloureux. Si on examine avec attention cette partie, elle est environnée de plusieurs petits boutons varioleux qui deviennent beaucoup plus sensibles le jour suivant.

À cette époque la fièvre d’invasion commence, elle paroît avec tout l’appareil qui caractérise la petite vérole. Les inoculés ne sont pas aussi gais qu’ils l’étoient auparavant ; ils commencent à se plaindre de mal de tête ; ils se sentent plus foibles & plus abattus ; leur sommeil est interrompu. Si on leur touche les bras ou quelque autre partie du corps, on apperçoit, & l’on y sent des soubresauts. S’ils s’éveillent, c’est toujours avec une sorte de frayeur. Ils sont dégoûtés ; l’appétit leur manque. Tantôt ils sont assoupis, & tantôt tourmentés par la veille.

Tous ces symptômes augmentent le troisième jour ; le délire & les convulsions surviennent : elles sont toujours d’un bon augure, & annoncent la prochaine éruption de la petite vérole. Elle se manifeste à la peau, au quatrième jour, qui est ordinairement le onzième de l’insertion. Les symptômes qui accompagnent la fièvre diminuent, & le nombre des boutons qui constituent cette éruption, est très-petit ordinairement ; il ne passe pas quatre-vingts. Il y a eu des inoculés qui n’en ont eu que deux ou trois, & quelquefois point du tout. Ce cas extrêmement rare, n’empêche pas qu’on ait eu la petite vérole. M. Gardane nous apprend que la fièvre varioleuse bien caractérisée, suffiroit seule pour dissiper toute appréhension ; mais lorsque les piqûres ont suppuré, & qu’il s’est formé autour d’elles un certain nombre de boutons accompagnés de cette même fièvre, & également en suppuration, il n’en faut pas davantage. La suppuration des pustules s’établit à raison du temps de leur apparition, de manière que celles qui constituent la petite vérole locale, sont suppurées, lorsque celles de l’éruption secondaire commencent à s’enflammer : leur dessiccation se fait aussi de la même manière.

Que faut-il faire pendant tout ce temps ? Rien, sans doute. Tout le traitement consiste à laisser les inoculés à l’air libre ; lui seul dissipe les symptômes les plus alarmans ; lui seul encore fait cesser le délire & les convulsions.

Cette méthode de traitement étant simple & facile dans son exécution, mérite la préférence sur des remèdes que certains incubateurs emploient, tels que la poudre de guttête, les fleurs de zinc, & autres de cette nature, qui sont dépourvus de toute vertu relative à l’objet que l’on veut combattre. J’ose assurer que sur 300 enfans que j’ai inoculés, il n’y en a pas eu un seul qui n’ait eu des convulsions. Je ne me suis jamais servi d’aucun de ces remèdes ; l’air frais a été l’unique remède que j’ai employé ; & ce remède ne m’a jamais trompé. Je ne saurois assez souvent le répéter, l’air frais & la nature, sont les seuls & uniques remèdes. Il faut promener les enfans à l’air libre, leur faire prendre leur boisson froide. Si c’est dans les grandes chaleurs, on doit avoir le soin de laisser ouvertes les fenêtres des appartemens où ils sont, ou les faire coucher en rase campagne. L’exercice à cheval est très-salutaire aux jeunes gens inoculés, dont l’éruption est lente & tardive. Les secousses & les différens mouvemens du cheval, sont très-propres à dissiper la crainte qui les agite, & à déterminer l’éruption de la petite vérole. L’usage des bains est encore très-utile. L’érétisme de la peau, ainsi que sa flaccidité, s’opposent souvent à l’éruption. Dans le premier cas, on ordonne un bain tiède ; & dans le dernier, un bain froid. Quoique cela se rencontre rarement, néanmoins il est essentiel de faire connoître l’utilité & l’efficacité d’un moyen aussi simple.

Quand on est parvenu au terme de la dessication des pustules, il faut alors purger plusieurs fois les malades. Les purgatifs employés doivent être analogues à l’âge, à la force, & au tempérament particulier de chaque sujet ; aussi nous ne donnerons aucune formule pour cela : nous nous contenterons de dire qu’ils doivent être plus ou moins répétés, d’après les bons ou mauvais effets qu’ils produiront.

De toutes les méthodes qu’on pratique pour l’inoculation, il n’en est aucune qui mérite la préférence sur celle que nous avons adoptée, elle est connue pour la méthode de Sutton. C’est à ce célèbre incubateur que nous devons les succès brillans & accumulés de l’inoculation.

La méthode par incision ne peut pas supporter le parallèle. Il est impossible, en la pratiquant, de ne point ouvrir quelque petit vaisseau sanguin. S’il est vrai que la petite vérole est une maladie qui n’affecte que la lymphe & la peau, il est à craindre qu’en pratiquant l’incision, on ne la communique au sang. Outre ce grand inconvénient, elle entraîne toujours après elle, une plaie, quelquefois même un ulcère dans l’endroit même de l’incision : on répond à cela, que cette plaie est souvent très-utile, & sert de cautère aux humeurs viciées ; mais, à examiner la chose de bien près, ce prétendu avantage est purement imaginaire, & point du tout conforme à ce que fait la nature au dernier période de la petite vérole.

La méthode de Simon n’est jamais suivie de plaie, ni d’ulcère : l’endroit de la piqûre est aussitôt guéri que la dessiccation commence. Les enfans maigres & décharnés sont à l’abri de toute plaie, & d’une grande déperdition de substance qui les jette souvent dans le marasme, dans un état de consomption & de fièvre lente, dont ils périssent ; ou s’ils sont assez heureux pour en réchapper, leur accroissement & le développement de leurs organes sont au moins bien retardés.

Les saisons les plus propres pour l’inoculation, sont le printemps & l’automne. Beaucoup d’incubateurs leur préfèrent l’hiver : la raison qu’ils en donnent, est que pour l’ordinaire, dans ces deux saisons, il se déclare quelque maladie maligne, dont la petite vérole peut prendre le caractère : en hiver on n’a pas à craindre le même inconvénient. D’ailleurs il est constaté par l’observation, que l’inoculation réussit très-bien dans le fort de l’hiver. Monro rapporte que cent douze personnes ont été inoculées avec le plus grand succès au milieu de l’hiver, dans quelques-unes des îles septentrionales de l’Écosse, où il y avoit à peine assez de matière combustible pour préparer la nourriture. Plusieurs inoculés, pendant tout le cours de l’inoculation, sortoient de la maison, & marchoient pieds nus sur la neige & sur la glace, sans qu’il en ait péri un seul. (Voyez Gatti, Page 130).

Il fut un temps, nous ne le dissimulerons point, où l’inoculation fut quelquefois malheureuse : c’est que la méthode n’étoit pas aussi perfectionnée qu’elle l’est aujourd’hui. Depuis qu’on a tenu un registre exact des inoculés, tout nous rassure sur le compte de l’inoculation. Elle nous centésimoit, elle nous millésime, disoit avant 1760, M. de la Condamine ; & depuis cette époque, il est constant que, sur trois mille inoculés, il en meurt à peine un, sans qu’on puisse raisonnablement en accuser l’inoculation, puisqu’il est démontré par les faits les mieux vérifiés, qu’elle n’expose point la vie des citoyens : qui pourroit donc nous empêcher de profiter d’un secours aussi utile ?

On a prétendu que l’insertion ne garantissoit point de la petite vérole, & qu’on avoit vu des personnes en être attaquées après avoir été inoculées. On pourroit leur répondre, que probablement l’opération avoit été mal faite, que peut-être il n’en étoit résulté aucun bouton. On pourroit ajouter, qu’en se rappelant très-bien que telle personne avoit été inoculée, on avoit oublié, où qu’on feignoit d’oublier que l’inoculation n’avoit point pris, qu’il ne s’étoit fait aucune éruption. Il n’est pas surprenant alors que, par des circonstances dépendantes du tempérament, de la constitution, de la disposition du sujet ; circonstances qui trompent & peuvent tromper la sagacité du plus habile médecin, l’inoculation ayant été nulle, il n’est pas surprenant, disons nous, que quelques années après, ces mêmes personnes aient contracté par communication la petite vérole naturelle.

Mais, supposons que l’inoculation ait rempli sur un sujet le but qu’on se propose, & qu’on ait compté un nombre de boutons assez considérable pour assurer qu’elle a réussi, & que cette personne vienne par la suite à avoir la petite vérole naturelle ; que doit-on en conclure ? que l’inoculation est une méthode inutile ? cette conséquence précipitée seroit vicieuse.

On sait qu’il n’y a guère qu’un quart du genre humain qui soit exempt de la petite vérole, ou qui meure sans l’avoir eue. Les trois quarts sont donc condamnés à en être attaqués. Quand on l’a eue, elle ne revient plus : voilà ce que l’expérience apprend. Cependant il peut se faire, mais rarement, qu’on s’y trouve une seconde fois exposé ; ce qui arrive peut-être à un sur mille. Si la nature ne sauroit empêcher cette récidive extrêmement rare de la petite vérole, pourquoi vouloir exiger davantage de l’art ? En cette occasion, il marche avec elle sur la même ligne, & d’un pas égal : il n’est réduit à manquer ici, que dans le cas où elle manque elle-même ; mais il l’emporte sur elle lorsqu’il exécute l’inoculation.

La petite vérole naturelle moissonne ordinairement le septième de ceux qu’elle frappe. L’artificielle, qui d’abord avoit considérablement diminué cette mortalité, puisque sur cent qu’on inoculait, on en conservoit quatre-vingt-dix-neuf, un seul périssoit, tandis que la naturelle en emportoit quatorze ; l’artificielle, dis-je, a été perfectionnée au point que sur mille elle en perd à peine un, au lieu que la naturelle continue de causer le même ravage, & en tue cent quarante-trois sur mille ; il est constant que si l’on avoit inoculé ces cent quarante-trois personnes, mortes de la petite vérole naturelle, on en auroit sauvé cent quarante-une.

Rozen a observé qu’en Suède la petite vérole enlève toutes les années la douzième partie des enfans, & toujours plus de filles que de garçons, au lieu que les autres maladies font périr plus de mâles.

Peut-on après cela refuser d’avoir recours à une méthode qui arrache tant d’individus à la mort ? Peut-on l’accuser d’être inutile, parce que quelques personnes sont sujettes à une récidive ; ou insuffisante, parce qu’elle n’a pu prolonger à d’autres, des jours que la petite vérole naturelle leur avoit ravis ?

La petite vérole ne laisse que trop souvent des preuves bien sensibles qu’on n’a plus à la redouter : elle imprime sur le visage, des cavités, des sillons profonds, des espèces de coutures ; elle cause des dépôts. Forcée, pour ainsi dire, d’abandonner une victime qu’on lui arrache, elle ne lâche souvent prise, qu’en la privant totalement de la vue, ou en la réduisant à la perte d’une des deux parties qui en sont les organes, ou en les rendant foibles & fluxionnaires. L’inoculation a l’avantage de préserver de tous ces accidens. Elle ne ternit point la peau ; elle n’altère ni sa souplesse, ni son poli, ni sa douceur. Elle ne déforme ni le nez, ni les lèvres : elle ne défigure point les traits.

Un autre avantage qui mérite bien d’être apprécié, dit M. Camper, c’est que, malgré le grand nombre de boutons que l’inoculation fait quelquefois sortir, jamais la petite vérole n’est confluente, & que la chute des croûtes est si facile & si bénigne, qu’il n’en reste jamais la moindre tache.

Combien la terre entière ne nous offre-t-elle pas de malheureux, dont les uns ont les paupières renversées, d’autres, les lèvres monstrueuses, le nez à demi-rongé, ou les conduits de la respiration interceptés ? Combien de jeunes personnes d’une beauté ravissante auparavant, ont perdu, par ce fléau terrible, leur établissement & leur fortune ? Combien de femmes mariées sont devenues l’horreur de leurs époux ? Concluons. Quand la petite vérole ne seroit point le tombeau de l’amour, la beauté des habitans de la terre n’est-elle pas un motif assez puissant pour nous faire admettre l’inoculation qui la conserve ? Le paganisme eût fait de l’inoculation une déesse ; il lui eût élevé des temples, consacré des prêtres, immolé des victimes.

Un autre avantage qui doit accréditer l’inoculation, c’est que par elle on peut espérer d’éteindre un jour la petite vérole. Pourquoi douteroit-on qu’on pût en venir à bout, & délivrer le genre humain de ce fléau destructeur, puisqu’elle n’a pas toujours existé ? Elle n’est pas ancienne ; on ne trouve aucune preuve, aucun témoignage que cette maladie se soit jamais montrée chez les grecs, ni chez les romains. On ne la voit, en effet, décrite ni dans Hippocrate, ni dans Celse, ni dans Galien, ni dans Cælius Aurelianus, ni dans Paul d’Égine, ni dans Arétée de Cappadoce ; elle ne l’a été que par les Arabes, dans le septième siècle de l’ère chrétienne ; & Razès est le premier qui en a donné l’histoire, & indiqué les moyens de curation.

Je n’hésiterai point à avancer que, si par-tout l’on commençoit à inoculer les enfans & les jeunes gens au dessous de vingt ans, on ne réussît à faire disparoître cette terrible maladie. J’ose même présumer qu’après trois générations, (90 ans) l’espèce humaine seroit presque délivrée de la petite vérole.

Camper prétend qu’on a fait depuis moins d’un siècle, cent mille inoculations en Europe ; il n’y a pas encore un fait constaté d’une petite vérole revenue après l’inoculation. Il affirme que si les anti-incubateurs eussent pu affirmer, à leur tour, un fait de cette espèce, ils n’auroient pas manqué d’en noircir l’inoculation, & de publier leur triomphe dans toute l’Europe.

Il seroit temps de commencer l’exécution de ce projet. On connoît la bonté, l’utilité, & la nécessité de l’inoculation : ses succès ont été constans dans toutes les contrées de l’Europe. Ne négligeons donc pas un moyen qui dissipera les craintes perpétuelles où nous sommes pour nos femmes, pour nos enfans, pour nos amis, pour nous-mêmes, & qui nous met à l’abri d’une récidive. M. AMI.