Cours d’agriculture (Rozier)/INONDATIONS

La bibliothèque libre.
I. M.
Marchant (Tome douzièmep. 175-178).


INONDATIONS, (Agriculture pratique.) Lorsqu’une grande calamité vient frapper une province, détruire l’espérance des récoltes dans les sols les plus riches, le premier soin de l’homme industrieux est d’arrêter ses ravages ; l’objet le plus utile de la science est de réparer ces malheurs, et de convertir les maux passagers que l’on éprouve en une source de richesses et de prospérité future. Si le laboureur ignorant voit ses champs ensemencés inondés par des rivières grossies par des neiges, ou de longues pluies, ou par d’épouvantables orages, attéré par le malheur présent, il est loin de penser que de nouvelles semences confiées à propos à la terre puissent réparer ses pertes, il est loin de voir le limon déposé sur ses prairies devenir pour elles-mêmes une source de richesses et de fertilité en leur procurant le meilleur des engrais.

Manière dont se doivent conduire les cultivateurs dont les terres ensemencées ont été inondées. Les dommages que les gelées et les inondations peuvent causer dans les terres ensemencées en grains ont plus ou moins d’étendue. Si l’action combinée de ces fléaux a exercé son influence sur des espaces considérables, les cultivateurs savent que, lorsque leur ouvrage, dans des pièces de terre ensemencées en automne, est détruit entièrement par le séjour de l’eau ou par la gelée, il faut, au printemps, y semer d’autres grains dont la végétation s’accomplit en quelques mois.

En 1709, les blés gelèrent. Dans beaucoup de communes on laboura les champs précédemment ensemencés, et on y répandit de l’orge, qui produisit en telle abondance, qu’on souffrit peu de la perte des blés.

Certains terrains, trop battus par l’eau, doivent être labourés de nouveau, plus ou moins superficiellement ; un hersage préparatoire est nécessaire à d’autres ; et, dans d’autres, on peut se contenter de semer et de herser après.

Mais il arrive plus ordinairement que l’inondation et la gelée ne maltraitent que des portions de champs.

Si ces portions sont peu considérables, on peut réparer promptement le mal, en employant une pratique rarement usitée en France, mais dont le succès est assuré. C’est ici que nous ne pouvons nous dispenser de donner des détails.

On prendra des touffes de froment, de seigle ou d’escourgeon, qu’on voudra repiquer ; on les lèvera avec soin, et on les préservera de la sécheresse.

On les séparera en plusieurs brins, laissant à chacun des racines.

On plantera ces brins à la distance de trois à six pouces les uns des autres, suivant l’ébat des plants et la qualité des terres.

Les trous auront environ trois pouces de profondeur.

On se servira d’un plantoir ou d’une cheville ordinaire, comme pour repiquer des légumes, ou, ce qui vaudra beaucoup mieux, d’un plantoir à plusieurs branches qui seront écartées convenablement et assujetties par une traverse dans laquelle on fixera un manche. Avec ce dernier instrument on fait plusieurs trous à la fois.

Avant de planter on remuera la terre, s’il en est besoin, avec les instrumens du pays les plus expéditifs.

Lorsque le temps est sec, il faut choisir l’après-midi pour cette opération : le matin convient également, si le ciel est disposé à la pluie, ou le temps couvert.

Quelques sarclages qu’on fera dans la suite rendront la végétation plus vigoureuse.

L’avantage de cette manière de réparer les pertes partielles des grains, c’est que ce qui est repiqué mûrit aussi promptement que les parties semées en automne, qui ont résisté à l’inondation et à la gelée, en sorte que tout le champ peut être récolté en même temps.

Lorsque les dégâts, sans être immenses, occupent des espaces très-étendus, lorsqu’ils n’ont pas eu lieu par petites places, mais dans des portions continues du même terrain, il est utile de planter à la charrue, opération prompte et facile. Dans ce cas, on doit labourer en faisant des sillons qui n’aient que quatre pouces de profondeur.

Des cultivateurs, hommes, femmes ou enfans, suivent la charrue et posent les plants à la manière dont on repique le colza dans beaucoup de pays.

De toutes les plantes qu’on peut repiquer au printemps, le seigle est celle qui reprend le mieux, parce qu’il a une végétation plus forte et plus accélérée. Dans toute autre circonstance, il est démontré que le repiquage ne sauroit être avantageux. (Voyez Blé, plantage.)

Manière dont se doivent conduire les propriétaires dans les prairies qui ont été inondées. Les rivières, en débordant, déposent sur les prés, et par des alluvions subites, des limons plus ou moins fertiles, plus ou moins abondans.

Si ces dépôts limoneux sont gras et non graveleux, si leur couche est peu épaisse, c’est un puissant amendement pour les prés qu’ils recouvrent, quoiqu’ils nuisent aux récoltes du moment. Alors ces dépôts doivent y être précieusement conservés.

Si ces dépôts de bonne qualité sont assez épais pour faire craindre que l’herbe ne puisse pas les percer, événement assez peu commun, il faut, lorsque cela est possible, enlever la plus grande partie ; ce sera une puissante ressource pour les engrais ; elle dédommagera avec usure des avances qu’on pourra consacrer à son emploi.

Lorsque l’excédant de la couche de ces dépôts peut être enlevé pour le répandre sur d’autres terres, principalement sur celles plantées en vignes, il faut auparavant calculer les moyens de transport les plus économiques.

Des ouvriers, placés en relais, conduisant des brouettes sur des planches, offrent le meilleur moyen pour retirer des prés, lorsque leur étendue n’est pas trop considérable, les alluvions qu’on veut en extraire. Vient ensuite celui des bêtes de somme, que l’on charge avec des vaisseaux de bois percés de petits trous, pour en laisser échapper l’eau surabondante. Des camions triangulaires à bascule sont à préférer pour de grands travaux, à cause de la facilité de leur déchargement. Ceux que l’on voudroit employer dans les prés devroient avoir des roues dont les jantes seroient très larges.

L’enlèvement de ces couches limoneuses doit être prompt, afin de diminuer le danger de leurs émanations, qui est toujours proportionné à l’étendue de leur surface, et afin de se ménager au plus tôt la récolte du terrain qu’elles recouvroient.

Ces couches limoneuses devroient servir principalement à relever les berges des rivières qui les ont produites, et à diminuer ainsi les accidens qu’occasionnent toujours leurs débordemens. On pourroit y en déposer plus que moins ; cet excédant, après sa maturité, pourroit servir comme un excellent engrais pour les prés ou autres terrains auxquels on voudroit les consacrer. Il faut veiller seulement à ce que ces dépôts, amoncelés sur les berges, ne puissent pas retomber dans le lit des rivières, dont ils obstrueroient le cours,

Toutes ces terres limoneuses entassées éprouveront, par la chaleur de l’été, une fermentation utile à la perfection de l’engrais qu’elles doivent fournir ; car elles sont plus ou moins mélangées : en les répandant ensuite sur les terres, immédiatement avant la gelée, elles y recevront, par son action, la division nécessaire à leur effet.

Mais si ces dépôts charriés par l’eau sur les prés et de bonne qualité ont une couche trop épaisse pour permettre à la meilleure herbe de croître, et que cependant leur excédant ne puisse être enlevé faute du moyen d’exécution, il faut bien alors renoncer à ces prés, et cultiver cette terre nouvelle comme toute autre qui lui seroit analogue. Après plusieurs hersages pour favoriser l’évaporation de l’humidité, il sera nécessaire de donner plusieurs labours profonds, afin de détruire les fortes plantes de ces prairies, derniers signes de leur précédente végétation.

Si ce nouveau sol pouvoit être assez promptement préparé, on pourroit encore y semer, avant l’automne, des navets et turneps. Ce seroit un moyen de remplacer, pour les bestiaux, la nourriture que l’ancienne superficie devoit leur procurer ; on y fera ensuite, au printemps, des semis de chanvre. Enfin, après une culture de deux ou trois années, ces terrains pourroient être remis en prés.

Si ces dépôts, suites des débordemens, sont par couches minces et de mauvaise qualité, ce qui est infiniment rare, il faut se résoudre à les laisser sur les prés ; ils y rendront le service de détruire la mousse, et l’on peut les bonifier. À cet effet, on y mêlera, le plus tôt qu’il sera possible, avec la herse à dents de fer, une petite quantité de fumier bien consommé. En ameublissant la terre par ce moyen, on procurera à l’herbe qu’elle recouvre la facilité de percer à travers. Enfin, si ces dépôts, ce qui est peu commun, sont épais et de mauvaise qualité, il faut encore se résoudre à les laisser sur les prés. Les cas où ils pourroient être employés d’une manière utile, sont trop rares, pour établir en principe la nécessité de les enlever. Alors ces prés devront être cultivés comme les autres terres auxquelles ils sont devenus semblables : on observera cependant que ces terrains étant plus humides, ils seront susceptibles de fournir des produits plus abondans et de recevoir des cultures plus variées. Il ne faut pas oublier qu’avec de l’eau, du sable, des engrais et un travail assidu, on obtient encore des récoltes fructueuses.

On doit se hâter de couvrir ces nouveaux terrains d’une plante quelconque ; si légère qu’en soit la ressource pour la nourriture des animaux, leur culture est indispensable pour la salubrité de l’air. La végétation n’est jamais plus belle qu’au milieu des émanations délétères que l’homme ne peut respirer sans de grands dangers : les plantes, au contraire, s’en nourrissent, et n’exhalent à leur place que l’air le plus pur.

Les alluvions, en général, sont moins fâcheuses qu’on ne le croit ; il y a même beaucoup de circonstances où les engrais qu’elles fournissent à l’agriculture peuvent les faire regarder comme une de ses plus puissantes ressources.

Les alluvions procurent d’autres avantages. En relevant des sols fangeux et marécageux, elles les consolident et les rendent alors susceptibles de toutes les cultures les plus productives.

Si les alluvions naturelles sont les sources de ces inappréciables avantages, il faut, lorsque la nature nous refuse ce secours, les obtenir par des alluvions artificielles.

Un ruisseau supérieur, une prise d’eau dans une petite rivière, menée, dans des temps d’orage, sur un terrain, en suivant lentement ses pentes, retenue à propos par des batardeaux pour donner à l’eau le temps de déposer son limon, sont les moyens simples que l’observation nous offre pour imiter la nature. (I. M.)