Cours d’agriculture (Rozier)/MAHALEB, ou BOIS DE SAINTE-LUCIE

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Hôtel Serpente (Tome sixièmep. 357-358).


MAHALEB, ou BOIS DE SAINTE-LUCIE. Tournefort le place dans la septième section de la vingt-unième classe destinée aux arbres à fleur en rose, dont le pistil devient un fruit à noyau, & il l’a appelle cerasus racemosa silvestris, fructu non eduli. Cette dénomination n’est pas exacte ; mais on l’a conservée, malgré l’erreur. Von Linné le nomme prunus padus, & il le classe dans l’icosandrie monogynie.

Fleur. Semblable à celle du cerisier, (Voyez ce mot) mais elle est plus petite, & son fruit n’est pas mangeable.

Feuilles. Simples, entières, ovales, dentées à leurs bords, terminées en pointe, portées sur des pétioles. On trouve des glandes à leur base & sur les pétioles.

Racine. Ligneuse, rameuse, traçante.

Port. Le même à-peu-près que celui du cerisier ; mais son bois est dur, coloré en brun, veiné, odorant ; ses fleurs sont disposées à l’extrémité des tiges, en grappes rameuses ; les feuilles sont placées alternativement sur les tiges.

Lieu. Les bois de l’Europe tempérée, & particulièrement près du village de Sainte-Lucie en Lorraine, d’où il a tiré son nom.

Cet arbre mérite, à beaucoup d’égards, qu’on donne plus d’attention à sa culture. Il devient d’une grande ressource pour retenir les terres des coteaux trop inclinés. Dans les terreins stériles par l’abondance de la craie, du plâtre, de l’argille, & même du sable, les débris de ses feuilles, Les insectes qu’il nourrit, forment, à la longue, de la terre végétale, & ses racines pénètrent & soulèvent une partie du sol, & donnent la facilité aux eaux pluviales de pénétrer ces terres compactes & dures ; enfin, peu-à-peu ces places ne présentent plus à l’œil le spectacle désolant d’une aridité extrême. L’arbre de Sainte-Lucie se multiplie par les semis, & par la séparation du pied du tronc, des rejets produits par ses racines.

Si on veut se procurer une excellente haie de clôture dans un bon fonds de terre, le semis est à préférer par celui qui n’aime pas hâter mal-à-propos sa jouissance. Si on craint la dent des animaux, les ravages des passans, il vaut mieux, faire le semis chez soi ; & après la première, ou la seconde année, tirer les pieds de la pépinière, sans mutiler, couper ou briser le pivot des racines. Cette manière de procéder est moins expéditive que celle des jardiniers ou des pépiniéristes, qui, d’un seul coup de bêche coupent l’arbre en terre, & l’en retirent, garni de quelques racines latérales : autant vaut-il se servir des rejets ; mais le succès est bien supérieur dans la première méthode, soit pour la reprise de l’arbre, soit pour sa durée, soit pour sa belle végétation. La conservation du pivot, exige que la tranchée qui doit recevoir l’arbre, soit plus profonde que les tranchées faites pour les haies ordinaires. Après avoir planté ces arbres, on les coupe à un pouce au-dessus de la surface du sol, & on conduit ces haies, afin de les rendre impénétrables même aux chiens, ainsi qu’il a été dit à l’article Haie. Consulter ce mot.

La conservation du pivot est bien plus essentielle encore, lorsqu’il s’agît de garnir des terreins crayeux, argilleux, &c., puisque le but que l’on se propose est de diviser l’intérieur de ce sol, & de le forcer à recevoir l’eau. À cet effet on ouvre, à la distance de huit à dix pieds, un fossé proportionné à la longueur du pivot & au diamètre des racines. S’il est possible de garnir cette fosse avec une bonne terre, l’arbre profitera beaucoup plus. Il faut le couper à un pouce près de terre, afin d’avoir plutôt un taillis qu’un arbre… Si on n’a pas un nombre suffisant de pieds, on peut semer dans ces fosses des noyaux, ils pivoteront insensiblement, ils pénétreront dans le sol. Si chaque année on veut un peu travailler les alentours des fosses, la végétation sera plus hâtive. Enfin, lorsque les branches du taillis auront acquis une certaine hauteur & grosseur, on les couchera dans des fosses profondes qu’on creusera tout autour ; on ne laissera qu’un seul brin dans le milieu, & on le ravalera à un pouce de terre, afin qu’il buissonne de nouveau. Ces opérations, ces mains-d’œuvres sont coûteuses, j’en conviens ; mais elles sont indispensables, pour des gens aisés qui ont dans la proximité de leurs habitations des endroits arides, où les autres arbres ne peuvent venir ; ils proportionneront l’étendue de l’entreprise leurs facultés ; & sans se déranger, ils pourront, chaque année, ouvrir un certain nombre de fosses.

Le produit de cet arbre les dédommagera, à la longue, de leurs avances. Ses branches, un peu fortes, sont très-recherchées par les tourneurs & par les ébénistes, & le pis aller est d’en faire du bois de chauffage, ordinairement très rare dans les pays de craie. On peut citer l’exemple de la Champagne pouilleuse. À l’ombre de ces arbres, l’herbe s’y établira peu-à-peu, & on aura par la suite un assez bon pâturage d’hiver pour les troupeaux. L’avantage le plus précieux est la formation de la terre végétale sur la surface du champ, & la division du sol. Le mahaleb figure très-bien dans les bosquets de printemps ; il fleurit en même temps que le cerisier, & ses grappes de fleurs produisent un joli ester.