Cours d’agriculture (Rozier)/CERISIER

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Hôtel Serpente (Tome secondp. 634-655).


CERISIER. M. Tournefort le place dans la septième section de la vingt-unième classe, qui comprend les arbres à fleurs en rose dont le pistil devient un fruit à noyau, & il l’appelle cerasus sativa. M. von Linné le classe dans l’icosandrie monogynie, & le regarde comme une espèce du genre du prunier, & il le nomme prunus cerasus.

Avant d’entrer dans aucun détail sur cet arbre & sur ses espèces, il convient de donner une idée claire du mot cerisier, afin d’éviter toute confusion. Par le mot cerise, on désigne, à Paris & dans les provinces voisines, la cerise acide, & on nomme guigne, bigarreau, les cerises douces. Dans les autres provinces, au contraire, on appelle griotte la cerise acide ; & la cerise douce, cerise proprement dite. J’aurai soin de faire remarquer cette différence de dénomination en parlant de chaque espèce en particulier.


Plan du travail sur le Cerisier.


Chap. I. Observations sur son origine.
Chap. II. Caractère du genre.
Chap. III. Description de ses espèces.
Chap. IV. De sa culture.
Chap. V. De ses propriétés.


CHAPITRE PREMIER.

Observations sur l’origine du Cerisier.


Tous les auteurs modernes ont assez généralement copié les anciens, & se sont accordés à dire, d’après Ammian Marcellin, que Lucullus fut le premier qui fit transporter les cerisiers de Cerasunte à Rome. Pline dit qu’avant la victoire remportée par Lucullus sur Mithridate, les cerisiers étoient inconnus à Rome l’an 680 ; & que de Rome, cent vingt ans après, ces arbres passèrent en Angleterre. On a conclu des passages des différens auteurs, que la cerise n’étoit pas originaire d’Europe. Ne donneroit-on pas trop d’extension, & ne généraliseroit-on pas un peu trop cette conclusion ?

J’accorderai volontiers que la cerise n’étoit pas connue à Rome avant la victoire de Lucullus ; mais on ne doit pas conclure d’une petite partie de l’Europe pour l’Europe entière. Ne pourroit-on pas encore dire que Lucullus apporta des greffes ou des arbres de Cerasunte, dont la qualité du fruit étoit supérieure à celle des cerisiers sauvages, qui ne fixoient pas l’attention des romains ? ou peut-être ces cerisiers sauvages n’existoient pas en Italie, parce que cet arbre aime les pays froids ? Pline ajoute qu’on n’a pas pu naturaliser cet arbre en Égypte, sans doute à cause de la chaleur du climat.

Il me paraît que le type de presque toutes les espèces de cerisiers aujourd’hui connues, existoit dans les Gaules, & y a toujours existé. Nos grandes forêts en fournissent la preuve. Entrons dans quelques détails à ce sujet.

On sait que l’origine du pêcher, de l’abricotier, du lilas, est asiatique. Ces arbres ont été multipliés en France, & leurs graines, répandues par hasard dans les bois voisins des habitations des hommes, ont germé, & enfin ont donné des arbres de leur espèce.

On trouvera peut-être encore un marronnier d’Inde, levé au milieu des forêts de Marly, de Saint Germain, &c. ou un acacia dans celles du midi de la France, &c. & ces arbres sont fort étonnés de se trouver dans une semblable situation ; mais si on pénètre au fond de ces immenses forêts qui sont restées de l’ancienne Gaule, & éloignées de toute habitation, comme la forêt de Compiègne ou celle d’Orléans, ou dans les pays de montagnes qui représentent la nature sauvage, comme les Ardennes, les Vosges, les forêts de Bourgogne, de Champagne, de Franche-Comté, de Suisse, &c. on n’y trouvera jamais ni pêchers, ni abricotiers, ni lilas, ni marronnier d’Inde, ni acacia, &c. Cependant c’est dans ces mêmes forêts qu’on trouve en très-grande abondance le cerisier des bois ou merisier, qui est un arbre égal en hauteur aux autres grands arbres des forêts, & que je crois être le type des cerisiers à fruits doux, nommés guignes à Paris.

Aucun auteur ne rapporte si Lucullus a réellement enrichi la campagne de l’ancienne Rome, des espèces de cerises acides & douces. Il y a même lieu de penser que les huit espèces de cerises citées par Pline, avoient été produites postérieurement à la première époque, soit par les semis, soit par l’hibridicité ou mélange des étamines, puisque toutes ont des noms romains, comme l’apronienne, la lutacienne, la cécilienne, la julienne, &c. Les romains ont même emprunté un mot celtique pour caractériser une cerise fondante ou remplie d’eau ; ils l’ont appelée duracine, du mot dur, qui veut dire eau, ainsi que dor. Si Lucullus avoit rapporté de Cerasunte ces différentes espèces, elles auroient conservé le nom sous lequel elles étoient connues dans leur pays natal, & ils n’auroient pas été obligés d’emprunter un mot celtique plutôt qu’un mot grec ; & le terme duracine suppose déjà que cette cerise existoit dans le pays des descendans des celtes. Pline parle des cerises de la Gaule Belgique, de celles qui croissent sur les bords du Rhin ; enfin, il ajoute : « il n’y a pas cinq ans, que les laurines ont commencé à paroître ; elles ont été nommées ainsi, parce qu’elles ont été greffées sur des lauriers ; elles ont une amertume qui ne déplaît point. » Ce fait seul suffit pour prouver les expériences mises en pratique par les romains, afin de parvenir à perfectionner les fruits.

Je regarde, ainsi que je l’ai dit, le merisier comme le type général des cerises à fruit doux ; & les différentes espèces de merisiers qui se rencontrent dans nos forêts, comme le type secondaire des espèces de cette famille. L’existence des différentes espèces de merisiers n’en point idéale ; j’en ai reconnu plusieurs de très-marquées, de très-sensibles, je ne dis pas aux yeux du botaniste qui généralise trop, mais à ceux du cultivateur. Je prie ceux qui habitent le voisinage des grandes forêts, de vérifier ce fait par eux-mêmes, & de s’occuper à les classer ; objet dont il est impossible de m’occuper aujourd’hui. Je leur aurai la plus grande obligation, s’ils ont la bonté de me communiquer le résultat de leur travail.

Outre le merisier à fruit doux très-sucré, très-vineux, on rencontre dans les forêts un cerisier moins fort, moins élevé que le merisier, dont le fruit a plus de consistance, plus de fermeté, & est moins coloré. Je le regarde comme le type des cerisiers nommés bigarreaux, & un autre cerisier sauvage, nommé cerisier à la feuille, parce qu’il a des feuilles attachées aux queues des cerises, comme une espèce qui se rapproche des bigarreaux.

Je conviens que les fruits de ces derniers arbres & de plusieurs autres qu’on pourroit encore citer, sont plus ou moins amers, & quelques-uns sont très-acerbes ; mais ne peut-on pas supposer qu’on aura trouvé le fruit d’un arbre plus doux ou moins amer, ou moins acerbe qu’un autre, & qu’on l’aura greffé ; enfin, que de greffe en greffe, le fruit se sera perfectionné ? On connoît l’heureuse métamorphose produite par l’effet de la greffe ; & après la cinquième greffe, je suis parvenu à rendre très-douce la chair d’un pommier sauvage, quoique la greffe ait toujours été prise sur les pousses des années précédentes c’est-à-dire, en greffant cinq fois de suite franc sur franc.

Il existe encore une autre espèce de merise à fruit acide, approchant de celui nommé griotte en province & cerise à Paris, qui est le type des cerises à fruit acide. Voilà donc l’origine des trois divisions de la famille des cerisiers (je parle le langage des jardiniers) indigènes à nos climats. Tout me porte à croire que la culture a fait le reste, & que Lucullus a fort bien pu donner aux romains la connoissance des cerisiers qu’ils n’avoient pas, & que ce riche cadeau a seulement contribué à perfectionner nos espèces gauloises, s’il est vrai qu’elles ne le fussent pas déjà à cette époque. En effet, ces différentes espèces de merisiers se perpétuent de noyau ; le fruit, il est vrai, dégénère si la graine est confiée à une mauvaise terre ; & si l’on refuse des soins à l’arbre, peu-à-peu, il reviendra au point d’où il est parti ; mais malgré cela, on reconnoîtra toujours ou la merise noire à fruit doux & sucré, ou la merise à fruit plus ferme, plus dur & plus cassant, ou la merise à fruit acide. Peut-être dira-t-on que la première espèce mérite seule le nom de merise, que les autres forment des espèces à part, & ne sont pas des merises. Quand cela seroit, il n’en resteroit pas moins prouvé que nos anciens druides mangeoient des cerises avant que Lucullus en enrichît l’Italie, où il fait trop chaud pour que les arbres y réussissent, & que les fruits aient un parfum aussi agréable que ceux des climats plus froids. Peut-être trouveroit-on, à une certaine hauteur & température des Apennins, les mêmes cerisiers sauvages que dans les Gaules, ce qui ne changeroit rien au principe que je viens d’établir. Notre richesse dans les espèces de cerisiers, nous fait voir avec indifférence les fruits des forêts ; & le pépiniériste & l’homme riche songent seulement à vendre des arbres, ou à jouir de leurs fruits.


CHAPITRE II.

Caractère du genre du Cerisier.


La fleur est composée de cinq pétales attachés au calice par leur onglet ; le calice est d’une seule pièce à cinq découpures, & se dessèche & tombe avant que le fruit ait acquis sa grosseur, & souvent même dès qu’il est noué ; quelquefois il subsiste jusqu’à la maturité du fruit : une vingtaine d’étamines environ, sont attachées sur les parois intérieures du calice, & le pistil occupe le milieu de la fleur.

Le fruit couvert d’une écorce fine, luisante, fraîche à l’œil : la chair est un composé de petites cellules qui contiennent un suc doux ou acide, suivant l’espèce. Dans certaines, la chair tient au noyau ; dans d’autres, elle s’en sépare, & quelques-uns de ces noyaux tiennent au pétiole. Le noyau est une substance ligneuse, blanche, plus dure dans les fruits acides, & il renferme dans son milieu une amande.

Quatre écorces revêtent le tronc & les branches des cerisiers. L’enveloppe extérieure est forte, dure, solide, coriace : la seconde a les mêmes caractères, mais elle est plus mince & moins dure : la troisième est molle & spongieuse. La direction des fibres de ces trois écorces est en spirale : les fibres de la quatrième sont suivant la longueur des branches, & sa substance est blanche & molle.

Les cerisiers ont les trois espèces de boutons ; (voyez ce mot) ceux à bois sont placés à l’extrémité des branches, plus pointus que les suivans ; ceux à feuilles sont implantés le long des jeunes branches ; ils sont plus gros & moins pointus que les premiers, & il en sort un petit faisceau composé de huit à dix feuilles ; voilà le berceau dans lequel sont préparés & nourris les boutons à fleurs & à fruits qui paroîtront l’année suivante. Les boutons à fruits sont plus gros & plus ronds que les deux premiers.

Les feuilles sont placées alternativement sur les branches ; elles sont ovales, lanceolées, dentées, en manière de scie, portées par de longs pétioles. L’intensité de la couleur verte du dessus ou du dessous de la feuille, varie suivant les espèces : le dessous est toujours d’un vert plus clair. Une grosse nervure occupe le milieu de toutes les feuilles, & cette nervure est le prolongement du pétiole ; elle se ramifie en sept ou huit nervures plus petites ; & de celles-ci il en part une infinité d’autres plus petites encore.


CHAPITRE III.

Des espèces de Cerisiers.


Les auteurs ont divisé en deux classes la famille des cerisiers ; ils ont rangé dans la première les fruits en cœur & dans la seconde les cerisiers à fruits ronds. Ne seroit-il pas plus naturel de diviser les cerisiers d’après la manière d’être de leur fruit ? La première classe contiendroit les fruits dont la chair est tendre, fondante, & dont le suc est doux : la seconde, les fruits dont la chair est ferme, cassante, & le suc doux : la troisième, enfin, comprendroit les fruits à suc acide. Cependant, pour ne pas m’écarter de la loi tracée par M. Duhamel, à qui nous sommes redevables d’excellens traités sur tous les arbres, & en particulier sur les arbres fruitiers, j’adopte ses mêmes divisions, & je rends par conséquent hommage au maître qui m’instruit ; je ne laisserai jamais passer aucune occasion sans lui témoigner ma reconnoissance.


Section première.


Première Classe.


Des Cerisiers à fruits en cœur.
Des Merisiers.

I. Merisier à petit fruit. Cerasus major sylvestris fructu cordato minimo, subdulci, aut insulso. Duh.

Je regarde ce merisier, si on doit l’appeler ainsi, comme le type des bigarreautiers ; & on en trouve dans les bois plusieurs espèces ou variétés qui diffèrent par la couleur de l’écorce de leur fruit, ou rouge ou noire, ou un peu blanche. Cette dernière imite assez celle de la cire, mais un peu colorée & veinée de rouge. La saveur du fruit n’est pas agréable ; sa chair est sèche : le noyau occupe presque tout le fruit très-petit, & il est adhérent à la chair.

La fleur est proportionnée au volume du fruit ; ses pétales sont très-blancs, froncés sur leur bord, & en forme de cœur. Le même bouton en produit deux ou trois. J’en ai vu un pied dont le bouton donnoit jusqu’à sept fleurs.

Les feuilles. Leur longueur est du double de leur largeur ; elles sont portées par un pétiole grêle, & par conséquent pendantes : leur contour est dentelé en manière de scie, & les dentelures inégales ; la partie inférieure est d’un vert blanchâtre, & la supérieure d’un vert luisant.

Cet arbre s’élève beaucoup dans les forêts, se multiplie de lui-même par ses noyaux. Il est très-utile pour les pépiniéristes ; c’est sur cette espèce de merisier qu’ils greffent toutes les espèces de cerisiers ; & ils ont alors de beaux sujets. Quelques-uns enlèvent ces pieds dans les forêts, les transplantent dans leurs jardins, & les y greffent. Plusieurs cherchent moins de façon ; ils greffent leurs sujets dans les bois mêmes, & lorsque la greffe a bien repris, ils transplantent & vendent l’arbre. M. Duhamel remarque que la greffe se décolle facilement sur cette espèce de merisier : il veut sans doute parler de la greffe en écusson ; mais je n’ai rien observé de semblable sur la greffe en fente, (voyez le mot Greffe) même sur les merisiers dans les bois. Il ne faut pas, il est vrai, que ce sujet se trouve étouffé par d’autres grands arbres ; & j’avoue que les pépiniéristes dont l’habitation n’est pas éloignée des forêts, doivent préférer ce dernier parti : il est pour eux plus économique que les autres.

Il seroit satisfaisant de savoir le nom du premier amateur qui, à force de soins, est parvenu à se procurer le merisier à fleur double, & comment il y est parvenu, ou enfin, si cette précieuse variété est due au hasard. Il diffère du premier seulement par ses fleurs doubles, c’est-à-dire, chargées de pétales comme la rose, & disposées de la même manière ; de sorte que la fleur, par elle-même, est isolée & très-agréable à la vue, & infiniment plus encore, lorsque l’on considère l’arbre qui en est chargé : il devient le plus bel ornement des bosquets du printems. On voit ordinairement les fleurs simples qui deviennent doubles par excès de soins & de nourriture, perdre les parties de la génération, c’est-à-dire, les étamines & les pistils. Ici c’est tout le contraire, les étamines sont en grand nombre, le pistil est monstrueux ; en conséquence il ne se change pas en fruit. On peut donc dire que les fleurs ont toutes les parties de la génération, & que si elles sont infécondes, c’est à cause du vice d’organisation.

II. Merisier à gros fruit noir. Cerasus major sylvestris fructu cordato nigro, subdulci. Duh.

M. Duhamel regarde ce merisier comme une variété du précédent. Je suis fâché de ne pas être du sentiment de ce grand homme : la différence totale de la manière d’être de l’arbre & de son fruit, établit un caractère très-marqué ; d’ailleurs je ne crois même pas qu’elle soit due à la culture, puisque j’ai trouvé ces merisiers dans des forêts très-éloignées de toute habitation. Il est certain que si l’on considère cet arbre d’après les idées que les botanistes se sont faites des genres, des espèces & des variétés, il est clair qu’on ne le regardera que comme une simple variété ; mais alors il faudroit condamner toutes les autres espèces de cerisiers à subir la même loi, & même, à l’exemple de M. von Linné, les engloutir toutes dans le genre du prunier. L’agriculture est obligée de subdiviser plus que le botaniste.

La fleur du merisier à gros fruit noir est moins grande que celle du précédent, ses pétales plus arrondis, un peu rougeâtres ou veinés, & son calice d’un rouge vif.

Son fruit a la peau noire, fine, luisante, la chair tendre, d’un rouge foncé, très-vineuse, douce & sucrée, adhérente au noyau.

Ses feuilles sont d’un vert plus brun, & leurs nervures rougeâtres.

Les bourgeons (voyez ce mot, ainsi que celui de Bouton) différent des premiers par leur couleur plus brune, & ils sont moins forts : de ces boutons il sort trois ou quatre fleurs.

Le tronc & les branches sont en total moins forts, moins grands que ceux du premier merisier.

C’est avec le fruit de cet arbre qu’on prépare le ratafia de cerise, dont on parlera au Chapitre cinquième, ainsi que du marasquin & du kirschwaser.


Section II.

Des Guigniers de Paris, nommés Cerisiers en Province.


I. Guignier à fruit noir. (Voyez planche 24, n°. 1) Cerasus major hortensis fructu cordato, nigricante, carne tenerâ & aquosâ. Duh.

Les fleurs s’ouvrent peu ; les pétales creusés en cuilleron, arrondis & sillonnés dans l’extrémité supérieure, très-minces ; le calice se replie vers le péduncule, ses découpures sont très-profondes & sont terminées en pointe à leur sommet.

Le fruit est représenté de grandeur naturelle, il est exactement figuré en cœur ; le péduncule est implanté dans un enfoncement. En A, on voit le fruit coupé perpendiculairement, & en B, la forme de son noyau ; la peau du fruit est fine, d’une couleur brune, tirant sur le noir ; la chair & le suc sont ordinairement d’un rouge foncé lors de sa maturité. Le noyau B est adhérent à la chair, alors un peu mollasse, ce qui engage à le cueillir un peu avant cette époque.

Les feuilles sont presque ovales, allongées aux deux extrémités, plus étroites vers le pétiole ; les bords dentés en manière de scie, & les dentelures inégales ; leur couleur est d’un vert foncé par-dessus, & d’un vert clair en dessous. Les feuilles qui naissent des bourgeons sont un quart plus longues que celle des branches à fruits. On remarque ordinairement à la base de chaque feuille deux petites glandes opposées & séparées par le pétiole ; les feuilles sont pendantes.

Les bourgeons ont une écorce brune & ils sont assez gros ; les boutons le sont moins & plus longs.

Cet arbre s’élève moins que le merisier, ses branches sont plus chargées de feuilles, & sont plus touffues. Le tems de la maturité de son fruit est au mois de Mai ou de Juin suivant le climat.

Le guignier qu’on vient de décrire a produit une variété dont le fruit est également noir, mais plus petit & moins allongé ; sa chair est plus fade lors de sa maturité, & le noyau est blanc ; il mûrit à la même époque que le précédent.

Dans le territoire de Côte-Rôtie, près de Vienne, mais dans le Lyonnais, on cultive un guignier ou cerisier, qu’on devroit appeler hâtif, puisque c’est le premier pour la maturité au moins dans ces climats. Je regarde cette espèce comme beaucoup moins éloignée de son état primitif que les autres. La couleur de son fruit est d’un rouge tendre. Il est plus gros vers la queue qu’à son extrémité. On pourroit, absolument parlant, le comprendre à cause de sa forme, dans la famille des bigarreautiers, & sur-tout du no 3, mais sa chair n’est point dure, ferme & cassante. Elle renferme au contraire beaucoup d’eau légèrement sucrée & peu aromatisée. Il me paroît qu’on en doit faire une espèce à part.

II. Guignier à gros fruit blanc. Cerasus major hortensis fructu cordato, partim albo, partim rubro, carne tenerâ & aquosâ. Duh.

Le fruit ; sa couleur est d’un blanc de cire d’un côté, lavé de rouge de l’autre ; sa chair est blanche & plus ferme, son eau est blanche & plus agréable, son noyau est très-blanc, très-adhérent à la chair.

L’écorce de ses bourgeons est de couleur cendrée, & le vert de ses feuilles est plus pâle que celui des espèces précédentes. Le fruit mûrit de dix à quinze jours plus tard.

III. Guignier à fruit rouge, tardif, ou Guigne de fer ou de Saint-Gilles. Cerasus major hortensis fructu cordato, rubro, serotino, carne tenerâ & aquosâ. Duh. Il commence à fleurir, dit M. Duhamel, vers la fin d’Avril, & son fruit est mûr en Septembre & Octobre. Je n’ai jamais vu cet arbre, & M. Duhamel n’en donne aucune description.

IV. Guignier à gros fruit noir luisant. Cerasus major hortensis fructu cordato, nigro, splendente, carne tenerâ, aquosâ, sapidissimâ. Duh.

Sa fleur est plus petite que celle des espèces précédentes ; les pétales sont un peu concaves, & leur extrémité est fendue en cœur, le calice est d’un vert rougeâtre du côté de l’ombre, & d’un rouge brun du côté du soleil.

Le fruit a une peau noire, polie & luisante ; sa chair est rouge, tendre sans être molle, son eau abondante, d’un goût relevé & agréable, son noyau un peu teint de rouge.

L’arbre est de la même grandeur, de la même force que les autres guigniers ; ses bourgeons sont jaunâtres, arrondis, & comme cannelés à leur extrémité ; leurs boutons sont longs, peu pointus ; ceux à fruit sont de forme ovale, & très-renflés dans leur milieu ; ce guignier mûrit à la fin de Juin, & son fruit est sans contredit préférable à tous les autres.

Dans les environs de Lyon, & sur-tout au village de Loire, pays assez froid, relativement aux autres villages qui l’avoisinent, à cause de sa position au nord, on cultive sur des hauteurs le guignier ou cerisier dont on vient de parler ; son fruit y est délicieux, mais il a une variété qui lui est préférable encore, c’est le guignier ou cerisier à gros fruit noir, luisant, & à courte queue. En effet, elle n’a pas un pouce de longueur. C’est à mon avis, la plus aromatisée de toutes les guignes ou cerises. Si un amateur s’occupoit à rassembler les différentes espèces de cerisiers cultivés dans les provinces de ce royaume, il en découvriroit un grand nombre d’espèces qui le récompenseroient bien de ses peines.


Section III.

Des Bigarreautiers.


I. Bigarreautier à gros fruit rouge. (Planche 25, n°. 1.) Cerasus major hortensis fructu cordato majore saturè rubro, carne durâ & sapidissimâ.

Ses fleurs s’ouvrent peu, & leurs pétales sont terminés en rond à leurs extrémités ; les étamines sont de longueur inégale ; le calice d’un vert clair. M. Duhamel a remarqué un phénomène assez singulier : le péduncule qui soutient la fleur a à peine un pouce de longueur lorsque la fleur commence à épanouir, & lorsqu’elle est passée, il se trouve alongé jusqu’à trois pouces.

Le fruit est gros, convexe d’un côté, applati de l’autre, & divisé par une rainure assez profonde qui règne sur toute sa longueur. Sa peau est polie, brillante, d’un rouge foncé du côté du soleil, & d’un rouge vif du côté de l’ombre. Sa chair est ferme, cassante, succulente, parsemée de fibres blanches ; son eau est un peu rougeâtre, bien parfumée & excellente ; le noyau est ovale & jaunâtre. La place qu’occupe la figure du bigarreau dans cette gravure, n’a pas permis de représenter cette branche à fruit dans une plus grande étendue. Qu’on se figure l’espace compris entre A & B, chargé de boutons à fruits, du centre desquels s’élancent deux ou trois péduncules avec les fruits qu’ils soutiennent, de manière qu’ils se touchent.

Les feuilles sont d’un vert clair, dentées en manière de scie, & à dentelures égales, grandes, pointues aux deux extrémités, & la largeur, prise dans le milieu, est la moitié de leur longueur.

Cet arbre est à-peu-près de la même grandeur que les guigniers ; son bois est plus gros, ses branches moins nombreuses & ses feuilles plus pendantes ; l’écorce des bourgeons est d’un brun clair. Ils sont courts & gros, & les boutons, soit à bois, soit à fruit, sont gros & assez arrondis. La maturité du fruit est plus tardive que celle des guignes ; elle a lieu dans les mois de Juillet & Août.

On ne digère point aussi facilement le bigarreau que les guignes ; il pèse à l’estomac de certaines personnes, & leur cause des indigestions si elles en mangent un peu copieusement.

II. Bigarreautier à gros fruit blanc. Cerasus major hortensis fructu cordato majore, hinc albo, indè dilutè rubro, carne durâ sapidâ. Duh.

Il diffère du précédent par la couleur du fruit d’un rouge très-clair du côté du soleil, & d’un blanc de cire du côté de l’ombre ; par sa chair qui est moins ferme & plus succulente ; enfin par l’écorce de ses bourgeons qui est cendrée.

III. Bigarreautier à petit fruit hâtif. Cerasus major hortensis fructu cordato minore, hinc albo, indè dilatè rubro, carne durâ dulci. Duh.

La peau du fruit, marquée d’une simple ligne, est d’un rouge tendre du côté du soleil, & d’un blanc de cire du côté de l’ombre, mais légèrement rose. Sa chair est blanche, moins dure que celle des autres bigarreaux, cassante, beaucoup plus ferme que celle des guignes ; son eau a un goût relevé, & son noyau est blanc. La maturité de ce fruit concourt avec celle des guignes.

M. Duhamel parle d’un bigarreautier que je ne connois point, & il le désigne sous le nom de belle de Rocmont ; voici ce qu’il en dit. Il est moins aplati & moins alongé que le bigarreau rouge. Le côté aplati n’a point de rainure sensible, il n’est divisé que par une ligne blanchâtre très-peu marquée ; le péduncule est planté dans une cavité assez profonde, évasée, ronde dans son pourtour.

Sa peau est très-unie & brillante, d’un beau rouge pur dans quelques endroits, par-tout ailleurs marbrée, ou tiquetée finement de jaune doré ; le côté de l’ombre est d’un rouge lavé.

Sa chair est ferme & cassante, un peu jaune sous le côté où la peau est plus haute en couleur, un peu tiquetée de très-petits points rouges autour du noyau, blanche dans le reste.

Son eau est abondante, vineuse, & très-agréable ; son noyau est marbré de rouge. Cet excellent bigarreau mûrit au commencement de Juillet & mérite d’être moins rare.


Section IV.

Seconde Classe.


Cerisiers (à Paris) à fruits ronds, appelés Griottiers en province.


Le port de l’arbre suffit seul pour distinguer ceux de cette classe, de celle des cerisiers ou guigniers, & bigarreautiers. Ils ne s’élèvent jamais autant que les autres, leurs branches sont plus multipliées, plus chiffonnes & moins fortes ; leurs feuilles plus fermes sur leurs queues, moins grandes, d’un vert plus foncé ; les fleurs plus petites, mais plus ouvertes ; leurs fruits ronds, fondans, acides, & la peau se sépare aisément de la chair.

On pourroit, si on le vouloit, diviser cette famille en deux ordres ; dans le premier, on rangeroit les arbres à fruits rouges, & dans le second les arbres à fruits noirs. Ces distinctions auroient peu d’utilité.

I. Cerisier nain précoce ou Griottier en province. Cerasus pumila fructu rotundo minimo acido præcociori. Duh. (Voyez Planche 26, n°. 1.)

Sa hauteur en plein vent est de six à huit pieds ; la flexibilité & la longueur de ses branches le rendent propre à l’espalier ; s’il ne mûrissoit pas aussi promptement, il ne mériteroit pas la peine d’être cultivé.

La fleur est composée de cinq pétales minces, alongés, étroits, froncés sur les bords ; le calice est court proportion gardée avec la longueur des pétales.

Le fruit est le plus petit de toutes les espèces de cerises ou griottes de cette famille, rond, aplati par ses extrémités. Sa peau est dure, d’un rouge clair avant sa parfaite maturité, alors sa couleur est plus foncée ; sa chair est blanchâtre, sèche, un peu colorée en rouge lorsque le fruit est mûr ; son eau est fortement acide, & même un peu âpre ; sur quelques pieds le noyau occupe les deux tiers du fruit ; sur d’autres il est plus petit.

Les feuilles sont petites, si on les compare à celles des guigniers, &c. d’un vert plus noir, dentées en manière de scie irrégulièrement.

Les bourgeons sont, comme on l’a dit, longs & fluets, bruns du côté du soleil, & gris du côté opposé. Les boutons sont très-pointus, petits, alongés, & des boutons à fruits sortent communément deux cerises soutenues par des péduncules assez courts.

Le fruit est mûr dans le courant de Mai. On le greffe sur des drageons de cerisier à fruit rond, ou sur le cerisier de Sainte-Lucie.

II. Cerisier ou Griottier hâtif. Cerasus sativa fructu rotundo medio, acido, præcoci. Duh. (Voyez Pl. 24, n°. 2, pag. 640.)

La fleur est très-ouverte, ses pétales arrondis, le pistil gros & saillant ; les divisions du calice finement dentelées.

Le fruit est beaucoup plus aplati vers la queue qu’à l’autre extrémité. Sa peau rougit de bonne heure, mais le fruit n’est exactement mûr que lorsque la peau est d’un rouge plus foncé ; sa chair est presque blanche, son eau douce, agréablement acide. Le noyau est presque rond, & un peu pointu à son extrémité supérieure.

Les feuilles se tiennent droites, celles des bourgeons sont plus grandes que les autres ; elles sont légèrement dentelées, d’un vert foncé & luisant.

L’arbre est beaucoup plus grand que le précédent, moins que les guigniers & les bigarreautiers, chargé de beaucoup de branches qui se soutiennent très-mal ; les boutons sont ovales & pointus, & font avec les bourgeons un angle assez ouvert ; les fleurs sortent souvent trois ou quatre du même œil, & comme les yeux sont rapprochés, il n’est pas rare de voir des grouppes de fruits de huit à neuf, & même plus.

On le greffe sur le merisier pour lui donner un pied un peu élevé ; l’époque de la maturité du fruit est à la fin de Mai ou au commencement de Juin.

III. Cerisier commun, ou Griottier à fruit rond. Cerasus vulgaris fructu rotundo. Duh.

Toutes les espèces de cette famille provenues de noyau, portent ce nom ; elles varient beaucoup par la grandeur de l’arbre, la manière de disposer ses branches, la qualité du fruit & le tems de sa maturité. C’est le griottier le plus rapproché de son état primitif. Je suis persuadé que si on le livroit à lui, que le terrain sur lequel il végète ne fût pas cultivé, que si on semoit de suite les noyaux du premier arbre ainsi abandonné à lui-même, que si on semoit encore les noyaux de ces seconds arbres, puis des troisièmes, on parviendroit à la dégénérescence exacte de l’espèce, & enfin elle seroit réduite à l’état sauvage dont j’ai parlé au premier Chapitre, & d’où la patience & l’industrie de l’homme l’ont tirée.

Le griottier commun a un grand avantage : comme il est moins éloigné de son état primitif, comme il végète dans son pays natal, il est plus robuste, & craint moins les effets du froid rigoureux que les autres griottiers plus perfectionnés & policés. Il faut des circonstances bien extraordinaires pour qu’il ne se charge pas chaque année d’une assez grande quantité de fruit, & lorsque la saison est propice, il en est surchargé.

La culture ou le hasard ont procuré deux jolies variétés de cet arbre : c’est le cerisier ou griottier à fleur double & à fleur semi-double, & tous deux produisent le plus joli effet dans les jardins ornés, & dans les bosquets d’été.

La fleur semi-double est formée par une vingtaine de pétales, du milieu desquels s’élèvent assez souvent deux pistils. M. Duhamel a observé que lorsque les fleurs à double pistil nouent leur fruit, ce qui n’arrive communément que sur les vieux arbres, le fruit est jumeau ; que les pistils de quelques fleurs se développent en petites feuilles vertes, & ces fleurs sont stériles ; enfin, que les fleurs à un seul pistil & en très-petit nombre, produisent du fruit.

La fleur double est composée d’un plus grand nombre de pétales ; du milieu s’élève un pistil monstrueux ou dégénéré en plusieurs feuilles vertes. Ces fleurs sont moins belles que celles des merisiers à fleur double ou semi-double.

IV. Cerisier ou Griottier à la Feuille.

On le trouve dans les bois. Son caractère particulier est d’avoir une feuille alongée, à dentelures inégales, pointue des deux côtés, peu renflée dans son milieu, & ayant des glandes à sa base & quelquefois des stipules. Cette feuille est adhérente à la queue qui soutient le fruit, & cette queue est longue. Le port de l’arbre est semblable à celui des autres griottiers, c’est-à-dire, que ses branches sont longues, fluettes, pendantes, &c ; son fruit est dans son état sauvage, & il sert plus à la nourriture des oiseaux qu’à celle des hommes ; il est très-acide, même âpre & très-petit.

M. Duhamel parle d’une belle cerise à la feuille, que je n’ai jamais vue. Voici ce qu’il en dit : « Son fruit est gros & beau, aplati sur un côté, divisé d’une extrémité à l’autre par une ligne un peu enfoncée. Il diminue beaucoup de grosseur vers la tête, ce qui, joint à son aplatissement, lui donne la forme d’une grosse guigne raccourcie : la queue est bien nourrie, lavée de rouge à l’extrémité qui s’implante dans le fruit, au milieu d’une cavité assez profonde, mais étroite. La peau est d’un rouge brun, très-foncé ; la chair est rouge ; l’eau est aigre. Dans son extrême maturité, elle perd assez de son aigreur pour ne pas déplaire à ceux qui aiment que la cerise ait le goût un peu vif, mais au moins elle est très-bonne en compote. Le noyau est gros & très-légèrement teint : sa maturité est à peu près à la mi-Juillet.

V. Cerisier ou Griottier à trochet. Cerasus sativa multifera, fructu rotundo medio, saturè rubro. Duh.

Sa fleur ressemble à celle du cerisier hâtif ; sa taille, ses feuilles & ses bourgeons tiennent le milieu entre le cerisier précoce & le cerisier hâtif ; ses fruits sont de médiocre grosseur, la peau d’un rouge foncé dans sa pleine maturité, la chair délicate, un peu fortement acide. Les fruits sont si nombreux sur les branches fluettes, qu’elles succombent sous le poids.

VI. Cerisier ou Griottier à bouquet. Cerasus sativa fructu rotundo, acido, uno pediculo plures ferens. Duh. (Voyez Pl. 26 n°. 2, p. 643.) Cette espèce est très-singulière par la forme de ses fleurs, & par la manière dont les fruits se grouppent ensemble.

La fleur ; le nombre des pétales varie de cinq à sept ; les étamines sont en grand nombre, ainsi que les pistils dont le nombre est depuis un jusqu’à douze. Si toutes les fleurs devenoient fruits, ils offriroient un coup-d’œil bien particulier ; mais la majeure partie avorte, & les bouquets sont seulement composés de deux, de trois, de quatre ou de cinq fruits.

Le fruit est rond, aplati par les extrémités, forme un grouppe à l’extrémité de la queue, plus nombreux sur les vieux arbres que sur les jeunes. On voit en A la disposition des pistils, & en B la manière dont ils sont placés lorsqu’ils adhèrent au noyau ; quoique les fruits se touchent, ils ne sont point collés les uns contre les autres ; leur peau est un peu dure, d’un rouge clair & vif ; la chair est blanche, & son eau acide.

L’arbre a les branches très-touffues, foibles, pendantes ; les bourgeons sont fluets, rougeâtres du côté du soleil, & d’un vert jaunâtre du côté de l’ombre ; les boutons sont petits & obtus. Cet arbre est une variété du précédent, & il donne son fruit dans le mois de Juin.

VII. Cerisier, ou Griottier de la Toussaint, ou tardif. Cerasus sativa æstate continuâ florens ac frugescens. Duh. (Voyez Pl. 25, n°. 2, p. 641.)

La fleur s’ouvre moins que celle des cerisiers à fruits acides ; les pétales sont presque planes, & un peu pointus à leur sommet ; les étamines blanches & leur sommet jaune ; les découpures du calice profondes, à dentelures fines & régulières.

Le fruit est petit, porté sur une très-longue queue ; sa peau est dure, d’un rouge clair ; sa chair est blanche & son eau acide ; le noyau est blanc.

L’arbre s’élève à la même hauteur que le précédent ; & il lui ressemble par la disposition & la forme de ses branches. Elles sont chargées de boutons à bois & de boutons à fruit seulement. Ces derniers produisent de petits bourgeons, dont les trois ou quatre premiers yeux sont des boutons à bois pour l’année suivante ; les autres boutons s’alongent, & donnent dans le même tems une ou deux fleurs ; les premières fleurs paroissent en Juin, & l’arbre en produit pendant tout l’été. Il a de commun avec l’oranger, d’avoir en même-tems des boutons de fleurs, des fleurs épanouies, des fruits qui nouent, d’autres verts, d’autres qui commencent à rougir, & d’autres qui sont mûrs. Si on n’a pas le soin de dégarnir cet arbre de la prodigieuse quantité de branches chiffonnes, les fleurs des branches de l’intérieur avortent. La partie de la branche qui a donné du fruit se dessèche pendant l’hiver, & périt. S’il ne produisoit pas du fruit dans une saison si reculée, il ne vaudroit pas la peine d’être cultivé.

VIII. Cerisier, ou Griottier de Montmorency, gros Gobet, Gobet à courte queue. Cerasus sativa fructu rotundo majore acutè & splendidè rubro, brevi pediculo. Duh. (Voy. P. 24, n°. 3, pag. 640.)

La fleur a ses pétales arrondis, un peu froncés sur les bords, le calice est à cinq dentelures pointues.

Le fruit est gros, fort aplati à ses deux extrémités ; la queue est courte, grosse, implantée dans une cavité évasée ; la peau d’un beau rouge vif peu foncé ; la chair délicate, d’un blanc un peu jaunâtre ; l’eau abondante, agréable, peu acide ; le noyau blanc, petit.

Les feuilles petites, longuettes, dentées en manière de scie, & les dentelures un peu mousses ; celles des branches à fruit moins grandes que les autres.

L’arbre médiocrement grand, ses bourgeons d’un brun plus clair du côté de l’ombre que de celui du soleil ; ils sont très-fluets. Les boutons sont petits, arrondis, couverts d’écailles brunes. Son fruit mûrit en Juillet.

IX. Cerisier, ou Griottier de Montmorency. Cerasus sativa fructu rotundo magno, rubro, gratè acidulo. Duh.

Sa fleur est plus grande que celle du précédent, & son fruit moins gros & moins comprimé, plus arrondi, d’un rouge plus foncé, & plus hâtif d’environ quinze jours.

X. Cerisier, ou Griottier de Villenes à gros fruit rouge-pâle. Cerasus sativa fructu rotundo majore, dilutiùs rubro, gratissimi saporis vix aciduli. Duh. (Voy. Pl. 24, n°. 4, p. 640.)

La fleur est moins ouverte que celle des deux précédens. Ses pétales sont très-concaves, froncés & repliés en dedans par les bords.

Le fruit est gros, bien arrondi par la tête, couvert d’une peau fine, teinte d’un rouge clair, que l’extrême maturité fonce un peu ; sa chair succulente, blanche ; son eau abondante, très-agréable, relevée d’une très-légère acidité.

Les feuilles d’un côté d’un vert peu foncé, & de l’autre d’un vert très-clair ; elles se terminent par une pointe aiguë, & leurs bords sont garnis de dentelures inégales.

L’arbre surpassé par sa hauteur les deux précédens, soutient mieux ses branches, & pousse ses bourgeons verticalement. Les bourgeons ont le double de grosseur de ceux du gros gobet, & sont moins rouges. Les boutons sont une fois plus gros & plus longs, & tous sont pointus. Il sort deux à trois fruits du même œil, qui mûrissent dans le courant de Juin.

XI. Cerisier de Hollande. Cerasus sativa paucifera, fructu rotundo magno, pulchrè rubro, suavissimo. Duh. (V. pl. 26, n°. 3, p. 643.)

La fleur grande, moins ouverte que celle des cerisiers à fruits ronds ; son pistil moitié plus long que les étamines ; les bords des pétales sont un peu échancrés, & les découpures du calice aiguës & lisses.

Le fruit est gros, presque rond, soutenu par de longues queues bien nourries ; sa peau est d’un très-beau rouge ; sa chair fine d’un blanc un peu rougeâtre ; son eau douce, très-agréable, légèrement teinte ; son noyau est un peu rougeâtre.

Les feuilles sont grandes, ovales, aiguës par leurs extrémités ; leur contour à dentelures inégales ; leur pétiole d’un rouge foncé du côté du soleil.

L’arbre est le plus grand de tous les cerisiers-griottiers ; les branches sont moins nombreuses & plus nourries que celles des arbres de cette famille ; les bourgeons forts, d’un rouge brun du côté du soleil, d’un vert jaunâtre du côté de l’ombre, recouverts & comme marbrés de gris clair. Les boutons sont gros, longs, rassemblés, & de chaque bouton il pend depuis deux jusqu’à quatre fruits. Les fleurs de cet arbre sont sujettes à couler : la maturité du fruit est dans le milieu de Juin.

XII. Cerisier à fruit ambré, à fruit blanc. Cerasus sativa fructu rotundo magno, partim rubello, partim succineo colore. Duh. (Voy. Pl. 26, n°. 4, page 643.)

Ce cerisier devient le plus grand de sa classe ; il soutient bien ses branches, quoique fort longues ; ses bourgeons sont forts, ses yeux fort gros, ses feuilles grandes, ses fleurs nombreuses, peu ouvertes ; son fruit est la plus excellente de toutes les cerises, souvent peu abondant, gros, arrondi par la tête, porté par une queue assez longue ; sa peau est fine, de couleur d’ambre, que la maturité lave, en quelques endroits, de rouge fort léger, ou bien le soleil la teint de rouge clair, & le côté de l’ombre est mêlé de rouge jaune ; son eau est très-abondante, douce, sucrée, sans fadeur ; sa maturité est vers la mi-Juillet ; je n’ai jamais vu ce fruit ni l’arbre qui le produit.

XIII. Griottier. Cerasus sativa fructu rotundo, magno, nigro, suavissimo. Duh. (Voy. Pl. 27, n°. 1.)

Les fleurs s’ouvrent bien ; leurs pétales plus larges que longs, fortement creusés en cuilleron ; le calice rougeâtre, petit, à découpures aiguës.

Le fruit est gros, aplati vers la queue, sillonné dans l’aplatissement qui règne d’un côté de sa hauteur ; sa queue bien nourrie, placée dans une cavité assez large, la peau fine, luisante & noire ; la chair ferme, d’un rouge brun foncé ; son eau d’un beau rouge, très-douce, très-agréable.

Les feuilles grandes, d’un vert très-foncé, terminées en pointes longues & aiguës, pliées en gouttière, dentelées inégalement.

L’arbre moins grand que le précédent, soutient bien son bois, plus gros & moins nombreux ; ses bourgeons sont gros, courts, d’un rouge brun peu foncé du côté du soleil, verts du côté de l’ombre ; ses boutons gros par la base, terminés en pointe ; ils sont très-rapprochés, & de chacun il sort deux ou trois fruits de manière que les fruits environnent la branche ; ce qu’on n’a pas pu représenter dans la gravure, à cause du peu d’espace. Le fruit mûrit au commencement de Juillet.

On connoît encore le cerisier à petit fruit noir & à très-petit fruit noir, qu’on appelle grosse & petite cerise à ratafia, & qu’on ne doit pas confondre, à cause de la singularité de la nomenclature, avec les merisiers destinés au même usage, qui sont des fruits tardifs, petits & amers ; ils mûrissent en Août : leur peau est épaisse, d’un rouge obscur fort approchant du noir ; la chair & l’eau d’un rouge foncé.

XIV. Griottier de Portugal. Cerasus sativa fructu rotundo, maximo, è rubro nigricante, sapidissimo. Duh. (Voy. Pl. 27, n°. 2, p. 647.)

La fleur bien ouverte, bien arrondie ; les pétales plus larges que longs, plissés dans le milieu & sur les bords ; le calice est court, les découpures obtuses à leur extrémité.

Le fruit très-gros, applati par les extrémités, & un peu par un côté. La queue est grosse, sur-tout à son insertion dans le fruit, dans une cavité profonde & évasée ; sa peau est cassante, d’un beau rouge brun tirant sur le noir ; sa chair ferme, d’un rouge foncé, & s’éclaircit vers le noyau ; l’eau d’un beau rouge, abondante, légèrement amère & excellente ; le noyau petit, pointu à son sommet.

Les feuilles sont grandes ; leur plus forte largeur est vers le sommet terminé en pointe ; leur circonférence est garnie de dentelures profondes & inégales ; celles des bourgeons ont un quart de longueur de plus que celles des branches à bois.

L’arbre est de hauteur médiocre, pousse de fort gros bourgeons courts & bien garnis de grandes feuilles ; les boutons sont gros, courts, souvent doubles ou triples. Il sort de chacun deux ou trois fruits ; il mûrit en Août.

Cette espèce de cerise est nommée par quelques-uns royale, archiduc, royale de Hollande, cerise de Portugal.

XV. Griottier d’Allemagne, Griotte de chaux, grosse Cerise de M. le Comte de Saint-Maure. Cerasus sativa, fructu subrotundo, magno, è rubro nigricante, acido. Duh. (Voy. Pl. 27, n°. 3, page 647.)

La fleur moins ouverte que celle des cerisiers ; ses pétales plus larges que longs, fort concaves, plissés souvent en forme de cœur ; le calice petit, ses découpures profondes, arrondies à leur base, aiguës à leur sommet.

Le fruit a la forme alongée ; il est plus renflé vers la queue qu’à l’autre extrémité ; sa queue est menue, longue, implantée dans un enfoncement peu creusé ; la peau est d’un rouge brun foncé & presque noir ; la chair d’un rouge foncé ; l’eau abondante, trop acide ; le noyau un peu teint en rouge, terminé en petite pointe.

Les feuilles des branches à fruit sont petites, courtes, pointues, dentées finement & régulièrement ; celles des bourgeons sont plus longues d’un tiers, terminées par une longue pointe, dentées inégalement & profondément.

L’arbre ; son bois est menu, alongé, se soutient mal ; ses bourgeons sont longs, menus, fluets, d’un brun rougeâtre ; les boutons sont longs, bien nourris, obtus. Il sort trois ou quatre fleurs de chaque bouton. Le fruit est mûr à la mi-Juillet.

Dans le Poitou, dans l’Angoumois, & dans les provinces circonvoisines, on cultive un cerisier ou griottier de Paris, nommé guindoubier, & son fruit guindoux. La queue en est courte, forte ; le fruit très-gros, très-charnu, très-coloré, rempli d’une eau abondante, excellente & bien parfumée. Il est étonnant qu’il ne soit pas plus multiplié dans les autres provinces du royaume.

XVI. Royale Chery-duke. Cerasus sativa multifera, fructu rotundo, magno, è rubro subnigricante, suavissimo. Duh. (V. Pl. 25, n°. 3, p. 641.)

Les fleurs bien ouvertes ; les pétales ovales & creusés en cuilleron, attachés par de longs onglets.

Fruit, gros, un peu comprimé par les deux extrémités ; la queue médiocrement grosse, toute verte ; la peau d’un beau rouge brun, tirant sur le noir dans l’extrême maturité du fruit ; la chair rouge & un peu ferme ; l’eau très-douce, le noyau surmonté de quelques proéminences du côté de la queue, & pointu de l’autre extrémité.

L’arbre s’épuise à produire des fruits ; il est d’une grandeur au-dessous de la moyenne ; les bourgeons sont légèrement teints de rouge du côté du soleil, & d’un vert clair à l’ombre ; ils sont courts. Les boutons sont petits, longs, pointus ; & d’un même bouton il sort depuis deux jusqu’à cinq fleurs qui nouent facilement : aussi la branche est-elle environnée de fruit par grouppes, qu’on n’a pas pu représenter dans la gravure. Le fruit mûrit au commencement de Juillet.

On compte plusieurs variétés de ce cerisier : les plus estimées sont le may duke, ou royale hâtive, qui mûrit au commencement de Juin, & souvent en Mai ; la royale tardive, dont le fruit mûrit en Septembre ; il est beau, mais trop acide ; la royale tardive ou la holmans-duke, qui est une très-bonne cerise. Je ne connois aucune de ces variétés ; mais je demande si elles ressemblent beaucoup aux espèces que l’on transporta de Rome en Angleterre, cent vingt ans après que Lucullus les eut apportées à Rome.

XVII. Cerise-Guigne. Cerasus sativa multifera, fructu subcordato, magno, è rubro nigricante, suavissimo. Duh. (Voy. Pl. 27, n°. 4, p. 647.)

Les fleurs peu ouvertes, les pétales un peu creusés en cuilleron, assez semblables à celles du précédent.

Fruit, gros, aplati sur les côtés, sans rainure ; la queue menue, implantée dans une cavité large & profonde ; la peau d’un rouge brun foncé, & presque noire dans sa maturité ; la chair un peu molle, colorée comme la peau, s’éclaircit auprès du noyau ; son eau douce, d’un goût agréable & rouge ; son noyau ovale, alongé, pointu à son extrémité.

Ses feuilles semblables à celles du précédent.

L’arbre plus grand que le chéry-duke ; ses bourgeons gros, forts, de longueur médiocre ; ses boutons grouppés en grand nombre à l’extrémité des branches à fruit, ce qu’on n’a pu représenter dans la gravure, donnent chacun depuis trois jusqu’à cinq fleurs. Cet arbre est une variété perfectionnée du précédent : il mûrit à la fin de Juin.

De cette variété, il en est provenu une autre, nommée royale-nouvelle, qui fleurit depuis la mi-Juin jusqu’à la mi-Juillet. Elle diffère de la première par sa couleur un peu plus claire, & sa forme un peu plus arrondie.

Cerises suivant l’ordre de leur maturité.
May-duke     Guindoux.
Cerise précoce Cerise à gros fruit rouge pâle.
Guigne blanche Gros bigarreau blanc.
Guigne noire Gros bigarreau rouge.
Bigarreau hâtif Cerise guigne.
Cerise hâtive Gros gobet.
Cerise commune Cerise ambrée.
Guigne noire luisante Griotte.
Cerise à bouquet Griotte de Portugal.
Cerise à trochet Griotte d’Allemagne.
Cerise de Montmorency Cerise commune tardive.
Chery-duke Cerise de la Toussaint.


CHAPITRE IV.

De la culture du Cerisier.


Tout sol de nature calcaire & légère est excellent pour le cerisier. Il réussit moins bien dans les fonds argileux, ou dont le grain de terre est trop compacte, ainsi que dans les endroits humides. Dans ces derniers terrains sur-tout, la fleur est sujette à couler, & la meilleure espèce de cerise y a peu de goût.

Les cerisiers ne se plaisent pas dans les pays & dans les expositions trop chaudes. On ne doit y planter que ceux de primeur, & leur fruit sera toujours au-dessous du médiocre. Il aime les pays de montagnes, les lieux élevés ; il y est plus tardif, il est vrai, mais son fruit est beaucoup plus parfumé. Sa bonté dédommage amplement d’une jouissance anticipée de deux ou trois semaines ; l’arbre s’en porte mieux, & subsiste plus long-tems.

La majeure partie des cerisiers se multiplie & se reproduit de noyau. La greffe cependant est préférable & plus expéditive, puisqu’il faut attendre que l’arbre provenu du noyau donne son fruit, afin d’être à même de juger de sa qualité. J’invite ceux qui peuvent sacrifier une légère somme à des expériences, à multiplier les semis ; sur la totalité, ils seront peut-être assez heureux pour avoir de nouvelles espèces : sinon ils auront des sujets pour greffer les espèces qu’ils desireront. Il conviendroit encore qu’ils mariassent les étamines d’une espèce avec le pistil d’une espèce différente. Voyez ce que j’ai dit du mélange des étamines à la page 195 du tome premier, au mot Abricot, ainsi que pour les semis, page 197.

Le merisier est, de tous les arbres de cette famille, celui qui réussit le mieux pour recevoir la greffe. D’ailleurs, ses pieds sont droits, forts & vigoureux, & il ne pousse point de rejetons de ses racines ; c’est le meilleur arbre pour les hautes tiges. Après lui viennent les cerisiers à fruits ronds, ou griottiers en province. Ceux-ci ont la facilité de se reproduire de drageons ; & si on veut les multiplier, il suffit de couper le tronc de l’arbre entre deux terres, ou de l’éclater à la naissance des racines. (Voyez ce qui est dit de l’acacia, tome I, page 208.) Si on les greffe, ils poussent beaucoup de drageons.

Le cerisier de Sainte-Lucie ou Mahaleb, (voyez ce mot) est encore très-bon pour recevoir la greffe de tous les cerisiers ; il réussit assez bien même dans les plus mauvais terrains, & très-bien dans les terrains passables.

Toutes les manières de greffer sont bonnes pour le cerisier : l’écusson, à la pousse des jeunes sujets ; en fente, lorsque le pied est fort, ou lorsque l’on veut changer la tête de l’arbre, sont les méthodes les plus sûres de greffer. (Voyez le mot Greffe)

Il faut bien aimer à tyranniser les arbres pour disposer leurs branches contre des murs, pour les tailler en espalier ou en buisson. Cet arbre a conservé, malgré nos soins, son principe sauvage ; il veut pousser à sa fantaisie, & suivant la loi prescrite par l’auteur de la nature. La serpette meurtrière du jardinier veut le contraindre de se prêter à ses volontés, il dépérit & meurt promptement.

Ne cherchez pas à donner à l’arbre destiné au plein-vent une forme gracieuse & symétrique, sans quoi vous payerez cher votre attention déplacée. S’il meurt des branches, laissez-les sécher sur pied, un coup de vent les cassera, & l’arbre sera net. Quant aux branches chargées de gomme, ce qui arrive toujours par une transpiration arrêtée, ne les abattez pas, elles périront d’elles-mêmes ; leur retranchement feroit une nouvelle plaie à l’arbre, où il se formeroit une plus grande quantité de gomme. En général, le cerisier à fruit en cœur se coiffe & pyramide bien ; ceux à fruit rond se chargent de trop de branches ; mais comme la nature n’a rien fait en vain, & comme cet arbre n’est pas créé pour le simple coup-d’œil, il aura soin de se débarrasser de ses branches superflues. Ce langage paraîtra singulier à ceux qui ont toujours la serpette à la main ; mais qu’ils prennent la peine de comparer la durée de l’arbre façonné suivant leurs caprices, ou celle de l’arbre conduit par les mains de la nature. En un mot, la véritable forme du cerisier est le plein-vent.

J’avoue, malgré ce que je viens de dire, qu’un mur garni de branches de cerisier disposées en espalier offre un joli coup-d’œil ; dans la première saison, la multiplicité de ses fleurs & leur ordre symétrique flattent la vue ; ensuite le vert foncé des feuilles contraste parfaitement bien avec la vivacité & la couleur tranchante des fruits, depuis qu’ils rougissent jusqu’à leur parfaite maturité. Ce que j’ai dit de la taille du cerisier à plein-vent s’applique en partie à celui-ci, c’est-à-dire, qu’il faut être très-discret dans la taille & dans l’ébourgeonnement. C’est de la multiplicité des brindilles (voyez ce mot,) que dépend celle des fruits. Tous les bourgeons de cerisiers à fruit rond sont, comme on l’a remarqué, menus, fluets, & par conséquent ils se prêtent avec une facilité extrême au palissage ; il vaut mieux conserver & palisser ceux qui ont poussé sur le devant des tiges que de les couper. La multiplicité des branches à fruit fait que l’arbre a peu de gourmands ; s’il monte trop haut, on peut le rabaisser ; les boutons percent facilement l’écorce, & garnissent les places vides. Encore une fois, je le répète, craignez de trop couper des branches.


CHAPITRE V.

Des propriétés du Cerisier.


I. Propriétés médicinales. Le fruit est rafraîchissant, nourrissant, laxatif quand il est bien mûr, astringent lorsqu’il est encore vert. On regarde les feuilles comme laxatives & les noyaux comme diurétiques. La cerise acide ou griotte tempère la soif. Son suc étendu dans beaucoup d’eau, édulcoré avec suffisante quantité de sucre, convient dans les fièvres où il y a ardeur, soif, & tendance vers la putridité. Le cerisier à fruit doux ou le guignier cause des vents dans les premières voies.

II. Des propriétés du bois. Si la couleur du bois se soutenoit, il seroit un arbre précieux pour l’ébénisterie. Le merisier a son bois plus serré, plus dur que les cerisiers à fruit en cœur & à fruit rond. Dans quelques provinces on fait avec les branches de celui-là de très-bons échalas pour les vignes, sur-tout si on a eu le soin de les écorcer, des cerceaux de tonneau, si elles sont assez droites & assez longues ; & dans quelques autres endroits, les grandes branches unies au tronc & fendues dans les proportions convenables, servent à faire des cerceaux pour les cuves.

III. Des propriétés économiques du fruit. Je pense que l’on ne trouvera pas déplacé le petit épisode sur le kirsch-wasser, & non pas kervaser, comme on prononce en France, liqueur spiritueuse qu’on obtient par la distillation des différentes espèces de cerises sauvages. La distillation de cette liqueur forme une branche de commerce assez considérable dans les montagnes d’Alsace & de Franche-Comté, mais principalement dans les cantons de Bâle, de Berne, &c. Comme l’arbre qui produit la cerise propre à cette distillation est fort commun dans toutes nos forêts & sur nos montagnes, il seroit à desirer que ce genre d’industrie s’étendît en France, & rien n’est plus facile.

Le kirsch-wasser se fait avec la merise noire à suc doux, & avec la cerise ou griotte à fruit rouge & acide. Ces cerisiers donnent des fruits en abondance, même dans les vallons au pied des glaciers de Grindelvald. La liqueur qui provient du merisier à fruit noir est infiniment plus délicate que celle tirée de la cerise acide. Souvent on mêle les deux fruits ensemble, & on a tort. On a plus grand tort encore lorsqu’on mêle à ces deux fruits les prunelles & les sorbes. Alors la liqueur est détestable & nuisible à la santé. Voici la manière de la préparer.

Prenez telle quantité qu’il vous plaira de cerises des bois, noires, vineuses, teignant fortement les doigts, nommées merises, lorsqu’elles seront au point d’une parfaite maturité. Ôtez-en les queues, & mettez-les dans un vase quelconque, où elles seront écrasées & bien réduites en pâte. N’écrasez pas tous les noyaux, mais seulement un tiers, ou la moitié tout au plus. Les merises ainsi préparées, jettez le tout ensemble dans un tonneau, pour les laisser fermenter (voyez ce mot) pendant six ou sept jours. Si c’est dans un grand vase ouvert, couvrez-le bien, afin que la liqueur ne s’évente pas. Lorsque la fermentation est achevée, prenez une quantité de ces merises & de leur suc, que vous jetterez dans un alambic (voyez ce mot) garni de toutes ses pièces. Ayez l’attention de ne pas le remplir, & de laisser un demi-pied de vide. Vous verserez pour la première fois sur les merises mises dans l’alambic, une pinte ou une pinte & demie d’eau de merise distillée, & mêlez le tout exactement. Si on repasse par une seconde distillation la liqueur qu’on obtiendra dans la première, cette addition est inutile ; le kirsch-wasser en sera plus fort.

Commencez par donner un feu doux, modéré & par degré, & ayez soin de remuer de tems en tems toute la masse avec un bâton, afin que le marc ne s’attache pas au fond. Lorsque la masse annonce les premiers bouillonnemens, couvrez la chaudière de l’alambic de son chapiteau, armez-le de son serpentin, de son réfrigérant, & ayez grand soin que son eau soit fraîche & jamais chaude ; renouvelez-la lorsqu’elle commencera à s’échauffer. La plus grande attention à avoir, est de ne pas presser le feu. Si la distillation coule trop vite ou trop fort, c’est une marque qu’il y a trop de feu, & la liqueur sentira l’empireume. Elle doit couler goutte à goutte. Tant que la liqueur sera claire comme l’eau de roche, ce sera une preuve que la distillation de la bonne liqueur n’est pas à sa fin ; mais dès qu’elle paraîtra louche, changez aussi-tôt de récipient, & recevez dans un autre ce qui continuera à distiller. Prenez garde cependant que cette liqueur louche ne contracte le goût de feu ou de brûlé qui ne se perd jamais. Conservez cette eau louche pour une seconde distillation, & vous distillerez jusqu’à ce que vous n’ayez plus de fruit fermenté.

Celui qui desirera la perfection du kirsch-wasser, fera très-bien de distiller au bain-marie, (voyez Distillation) la liqueur n’aura jamais aucun mauvais goût, & on ne craindra pas de brûler l’alambic, ni de gâter la liqueur en poussant le feu.

Plusieurs distillateurs de kirsch-wasser n’ont point de réfrigérant sur le chapiteau de l’alambic, ni même de serpentin, mais un simple tuyau qui s’adapte au bec de l’alambic, & traverse un tonneau ou tel autre vaisseau rempli d’eau : il n’est donc pas étonnant que la plus grande partie de cette liqueur qu’on vend dans le commerce, ait un goût de feu. À Grasse en Provence, les distillateurs d’eau de senteur, &c. ont un filet d’eau froide qui passe perpétuellement par le réfrigérant. Mais consultez ce que j’ai dit au mot Alambic, en parlant des réfrigérans.

Presque tout le marasquin du commerce est fait avec le kirsch-wasser mêlé avec une quantité proportionnée d’eau ordinaire & de sucre.

J’ignore la composition du marasquin de Zara, presqu’île de la Dalmatie. Le nom de marasquin vient de marasque, qui est le nom donné par les italiens à une cerise acide, ou griotte. Mais cette cerise est-elle la même que celle dont on se sert à Zara ? Ce qui prouveroit le contraire, c’est la différence des deux qualités de marasquins. Les vénitiens ont fait tout ce qu’ils ont pu pour perfectionner leur marasquin, mais celui de Zara mérite la préférence à tous égards.

Dans les pépinières de Montbard, en Bourgogne, on vendoit un arbre sous le nom de cerisier de Zara, dont le fruit étoit rouge & acide ; mais qui pourra constater que les premiers noyaux soient venus de Zara ? & quand même on les auroit apportés à Montbard, il ne seroit pas encore décidé que c’étoit avec le fruit de cet arbre qu’on y faisoit le marasquin. Je prie très-instamment les personnes entre les mains desquelles cet Ouvrage tombera, & qui sont dans le cas d’aller à Zara, ou d’y avoir des correspondances, de me procurer des noyaux des cerisiers dont on fait le marasquin ; je leur en aurai la plus grande obligation, ainsi que des espèces de cerisiers cultivés ou sauvages de Cerasunte. Je leur demanderai encore de me procurer un détail bien circonstancié du procédé suivi dans la fabrication du marasquin.

Si on doit s’en rapporter à ce qui est dans l’Art du Distillateur & Marchand de liqueurs, publié par M. Dubuisson, en 1779, tome I, pag. 324, on aura le procédé de Zara. L’auteur dit le tenir d’un savant piémontois, sujet de Sa Majesté le feu Roi de Sardaigne, qui a résidé fort long-tems à Venise & à Zara.

« On se sert d’une espèce de cerise sauvage qui ne croît qu’en Dalmatie : ce fruit est aromatique, & le goût de son amande est un peu semblable à celui de nos avelines. (Cette définition très-imparfaite, se rapporteroit plutôt au fruit du merisier qu’à celui de la cerise aigre.) On recueille ces fruits lorsqu’ils ont atteint leur parfaite maturité. On les sépare de leurs queues ; on écrase fruits & amandes, & le tout est jeté dans une cuve destinée à les faire fermenter ; on délaye ensuite avec le jus de ce fruit, autant de livres de miel blanc qu’on a écrasé de quintaux de cerises ; puis on le jette dans la cuve, on foule, & quand le liquide a éprouvé le même degré de fermentation qu’on fait subir aux raisins, on le verse dans de grands alambics, au fond desquels on a préalablement placé une grille construite en deux parties qu’on adapte l’une à côté de l’autre, & dont les mailles sont assez serrées pour que le marc ne se précipite pas au fond du vaisseau qu’on couvre de son chapiteau, armé de son réfrigérant, & on procède à la distillation. Six mois ou un an après avoir converti ce vin en eau-de-vie, on rectifie cette liqueur au bain-marie, & on répète cette opération autant de fois qu’on estime devoir le faire, c’est-à-dire, jusqu’à ce que l’esprit soit dépouillé de tout corps hétérogène ; ce qu’on connoît à l’odeur & à la saveur agréable de cette liqueur. On fait fondre du sucre blanc dans une suffisante quantité d’eau simple, on le mêle avec l’esprit-de-vin, & on laisse vieillir le mélange. »

Les auteurs & les voyageurs qui parlent de Zara, ne disent rien de satisfaisant sur la marasque. Dans un ouvrage intitulé : État de la Dalmatie, imprimé en 1775, & dont l’auteur, nommé Grisogono, est né en Dalmatie, dans la ville de Trau, on lit que la marasque ne se trouve abondamment que dans la province de Poglizza, qui est une petite république indépendante au milieu de la Dalmatie, & que par-tout ailleurs elle est très-rare ; que les paysans de cette province en exportent une très-grande quantité dans des barques, ou par terre à dos de cheval, dont la plus grande partie se vend aux fabricateurs de rossoli qui sont dans toutes les villes voisines ; de manière que l’excellente qualité de ces fruits rend ces rossolis parfaits & supérieurs à tous ceux qui se font en Italie & dans d’autres pays. Il est visible que ce que l’auteur entend par rossoli, est le marasquin.


Cerise. Pêche. (Voyez ce mot)