Cours d’agriculture (Rozier)/MANDRAGORE

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Hôtel Serpente (Tome sixièmep. 400-402).


MANDRAGORE. (Voyez planche X, pag. 400.) Tournefort la place dans la première section de la première classe, qui renferme les herbes à fleur en cloche, dont le pistil devient un fruit mou, & il l’appelle mandragora fructu rotundo. Von Linné la nomme mandragora officinarum, & la classe dans la pentandrie monoginie.

Fleur. B. Calice d’une seule pièce à cinq découpures pointues ; la fleur est d’un violet-pâle ; c’est un tube menu à sa base, renflé dans son milieu, évasé & à cinq découpures ; les étamines au nombre de cinq C ; & un pistil occupant le centre de la fleur.

Fruit. Mou, rond, succulent. E le représente coupé transversalement, afin de montrer l’arrangement des graines F qui sont blanches, aplaties, de la forme d’un rein.

Feuilles. Grandes, ovales, & partant du collet de la racine ; elles sont rudes au toucher.

Racine A. Grosse, pivotante quelquefois divisée en deux ou en quatre.

Port. Il s’élève d’entre les feuilles plusieurs petites tiges, chacune porte une fleur.

Lieu. Indigène en Italie ; cultivée dans nos jardins, la plante est vivace.

Propriétés. L’odeur des racines est forte & puante ; l’écorce étant desséchée, a une saveur âcre & amère ; les feuilles sont dessicatives, atténuantes, résolutives ; l’écorce est un violent purgatif par le haut & par le bas. On observe aussi qu’elle est narcotique & assoupissante. L’extrait de la racine à haute dose, purge à l’excès, il excite le vomissement, il rend le sommeil agité, & il abat les forces vitales & musculaires. À petite dose, il tient le ventre libre, & dispose au sommeil. Quoique cette plante doive être regardée comme un poison, donnée par des personnes peu instruites, elle peut être employée utilement dans plusieurs cas ; les médecins de Vienne en Autriche, donnent la racine en infusion, à la dose d’un demi-scrupule à un scrupule, dans les maladies cancéreuses.

Culture. Elle vient très-bien dans Un terrein léger & substantiel. On sème la graine dès qu’elle est mûre, ou au premier printemps, contre de bons abris, ou sous chassis, suivant le climat. Les pots sont nécessaires au semis, afin de mettre en terre la plante lorsqu’elle a acquis une certaine grosseur, afin de ne pas endommager son pivot. Dans le nord, on la garantit de la rigueur des hivers, soit en la remettant dans l’orangerie, soit en la couvrant avec de la paille de litière.

Il est étonnant combien les charlatans ont abusé de la crédulité du peuple, en lui montrant ce qu’ils appelloient des mandragores mâles ou femelles, auxquels ils attribuoient des propriétés merveilleuses. Il falloit avoir le visage voilé, & ne jamais regarder la plante pendant tout le temps qu’on mettoit à la tirer de terre, crainte de mourir ; il falloit l’enlever lorsque la lune étoit dans tel signe du zodiaque, & dans tel de ses quartiers, &c. J’ai vu des mandragores qui représentoient assez bien les parties de l’homme ou de la femme, & cette ressemblance tient à un tour de main. On choisit à cet effet une mandragore à forte racine, laquelle, après quelques pouces d’étendue, se bifurque en deux branches. Comme cette racine est molle, elle prend aisément l’empreinte qu’on veut lui donner, & elle la conserve en se desséchant. Je ne détaillerai pas un procédé que tout le monde doit concevoir ; je dirai seulement, que pour représenter les poils qui accompagnent les parties de la génération, on implante près-à-près des grains de bled, jusqu’à ce que le grain soit enfoui, mais le germe en-dehors. L’humidité de la racine se communique au grain, il germe, & lorsque le germe est assez grand, on met la racine dans un four modérément chaud, afin de dessécher le germe, & le grain ne paroît plus, parce qu’il est recouvert par le resserrement de la racine. Notre but en donnant ces détails est uniquement de détruire une erreur fort accréditée dans les campagnes, & de fournir le moyen de démasquer la charlatanerie lorsque l’occasion s’en présente. Ces mêmes botteleurs font encore voit de prétendus basilics, avec des yeux bleus, & dont le seul regard tue l’homme, si le basilic le voit le premier. C’est avec une jeune raye, (poisson de mer,) qu’on fabrique ce monstre fabuleux.