Cours d’agriculture (Rozier)/ODONTALGIE

La bibliothèque libre.
Hôtel Serpente (Tome septièmep. 131-134).


ODONTALGIE. Médecine rurale. C’est ainsi qu’on appelle la douleur des dents, maladie très-ordinaire, & le plus souvent accompagnée des plus vives douleurs ; ceux qui en sont attaqués, sont quelquefois tourmentés par la fièvre ; leur visage est très-monté en couleur ; la joue qui répond au siége du mal est très-tendue, les malades y ressentent un battement & une sorte de frémissement. L’inflammation & la douleur ne se bornent pas toujours aux gencives, elles embrassent quelquefois toute la capacité de l’oreille, tant en dedans qu’en dehors, s’étendent même jusqu’au cerveau, & excitent le délire.

L’odontalgie a pour cause immédiate la carie, qui mettant le nerf de la dent à découvert, laisse ce nerf exposé à l’action des causes externes ; mais les causes éloignées n’en sont pas moins énergiques ; elles sont assez nombreuses, & se joignent quelquefois à la carie ; c’est alors que la douleur est des plus vives. On a vu dans cet état des gens attenter à leur vie pour s’en délivrer.

Elle peut être aussi occasionnée par la suppression de la transpiration, par celle des règles, du flux hémorroïdal, & d’autres évacuations périodiques. Elle est très-souvent excitée par la répercussion de quelque humeur dartreuse, érysipélateuse.

On sait, par expérience, que le changement de temps, le passage d’un endroit chaud dans un lieu froid, la négligence de se bien couvrir la tête, sur-tout lorsqu’on n’est pas accoutumé à aller tête nue, déterminent à coup sûr la douleur des dents chez les personnes qui sont naturellement disposées à contracter cette maladie.

L’âcreté du sang & de la lymphe, un exercice trop violent, l’air froid & humide, les intempérances dans le boire & le manger ; l’abus des boissons spiritueuses ; enfin, tout ce qui peut exciter l’inflammation, raréfier le sang & les humeurs, peut la déterminer.

Très-souvent le mal de dents dépend d’un vice scorbutique qui affecte les gencives ; mais dans ce cas, comme l’observe Buchan, les dents sont quelquefois gâtées, & tombent sans causer de grandes douleurs.

Les hommes en général sont moins sujets que les femmes aux maux de dents. Celles-ci y sont plus exposées dans les premiers mois de leurs grossesses, & sur-tout immédiatement après l’accouchement : la moindre erreur dans le régime, la plus légère exposition à l’air froid &£ humide, leur occasionne cette maladie qui devient quelquefois funeste. Les dents sont d’une si grande importance pour la digestion, que l’on ne doit négliger aucun moyen pour les conserver. En général, le peuple ne prend aucune précaution pour cela. Le défaut de propreté, la négligence de se rincer la bouche tous les jours, la rage de nettoyer les dents avec tout ce qui se présente, comme aiguille ou épingle, ne contribuent pas peu à en endommager l’émail, & l’air qui pénètre dans leur substance ne manque jamais de les gâter.

1°. Détourner les humeurs de la partie malade ; 2°. diminuer leur volume ; 3°. discuter celles qui font l’engorgement local ; 4°. enfin, arracher la dent ; telles sont les indications que l’on doit avoir en vue dans le traitement de l’odontalgie.

Les purgatifs doux, plus ou moins répétés, & les bains des jambes dont on augmente l’activité & l’énergie par l’addition d’une demi-once de moutarde en poudre, ou d’une forte dissolution de savon commun, seront d’un grand secours pour détourner les humeurs de la partie malade.

L’application des sangsues est un remède qui ne manque jamais de produire de bons effets ; mais malheureusement on trouve toujours des personnes qui regardent ce secours, ou comme inutile, ou comme funeste, & qui ne veulent pas ou qui empêchent les malades, d’y avoir recours.

L’odontalgie produite par la suppression de la transpiration, doit être combattue par l’usage des boissons diaphorétiques, & des frictions sèches sur la peau. On fera la saignée du pied, si la maladie dépend de la suppression des règles, & on appliquera des sangsues à l’anus, si elle est causée par la suppression du flux hémorroïdal.

La diète austère, la saignée du bras, les délayans, les antiphlogistiques, seront employés pour calmer l’inflammation locale, ainsi que les cataplasmes émolliens, qu’on renouvellera toutes les deux heures pour diminuer l’irritation, & procurer le relâchement des parties voisines qui se trouvent intéressées.

Si malgré tous ces moyens, la douleur & l’inflammation viennent à augmenter, il faut s’attendre à une suppuration ; le malade ne doit rien négliger pour la favoriser. Pour cela on fera recevoir dans sa bouche la vapeur de l’eau chaude, & il tiendra une figue grasse entre la gencive & la peau.

Le mal de dents par fluxion sur les gencives, ne résiste pas long-temps à l’application d’un vésicatoire à la nuque, ou entre les deux épaules ; c’est seulement dans ce cas que l’on doit permettre aux malades de mâcher certaines substances propres à déterminer une excrétion abondante de salive, telles que la racine de pyrètre, de gingembre, de gentiane, la racine du lis d’eau à fleurs jaunes, &c. Quand les douleurs sont très-vives, on est forcé d’avoir recours aux narcotiques pour obtenir quelque soulagement ; on applique avec succès un emplâtre de mastic ou de gomme élemi à la région des tempes. L’emplâtre d’opium a souvent produit de bons effets.

On applique aussi entre la dent qui cause la douleur & la dent voisine, un peu de coton imbibé de laudanum liquide.

Si la dent est creuse, il sera très avantageux de la plomber, afin d’empêcher le contact immédiat de l’air extérieur, ou bien d’en remplir le vide, en y mettant une pilule faite avec parties égales d’opium & de camphre.

Il n’est pas toujours aisé de découvrir la carie d’une dent. Telle dent est soupçonnée d’être cariée, qui ne l’est pas ; il faut donc avant de l’arracher, s’assurer si elle est saine ou gâtée. Il faut frapper sur sa couronne avec un instrument d’acier, ou un stilet ; ce contact a souvent découvert le mal par la douleur qu’il a produite sur une dent saine en apparence. « Quand la carie des dents est apparente, si elle est disposée de façon que l’on puisse plomber la dent avec succès, on peut la conserver par ce moyen ; lorsque cela n’est pas possible, il faut en laisser détruire le nerf par le cautère actuel ; mais hors le cas où le plomb peut conserver la dent, les odontalgiques ne sont que des secours palliatifs dans la carie. Le parti le plus sûr est de faire arracher la dent, pour s’épargner les douleurs cruelles si sujettes à récidive, pour se délivrer de la puanteur de la bouche, & empêcher la communication de la carie à d’autres dents.

Il est bon d’avertir qu’on ne doit jamais se faire arracher une dent dans le fort de la douleur ; il faut attendre que l’inflammation & la tension des parties affectées aient disparu ou beaucoup diminué ; cette opération faite à contre-temps, pourroit produire les plus grands maux, tels que l’abcès des sinus maxillaires, &c. M. AMI.

On ne fait point assez attention qu’à force de frotter ses dents pour les tenir propres, soit avec des opiats dont la base est le corail réduit en poudre, soit avec des espèces de brosses, on use l’émail des dents, & que cet émail est le conservateur de la partie intérieure qui correspond au nerf. La brosse dont on se sert en général, est un morceau de jonc des Indes, & le même que celui dont on se sert pour les cannes, pour les badines ; mais on a eu soin d’en enlever l’écorce, de le laisser infuser pendant quelques jours, dans une infusion colorée, afin qu’on ne reconnoisse pas son origine. On sépare par un ou par les deux bouts les filamens qui composent le jonc, & de leur séparation il en survient une brosse toujours trop dure. Les petites brosses de crins un peu flexibles sont préférables à tous égards.

Nous devons à M. de Magellan, le dernier rejeton de la famille de l’illustre navigateur de ce nom, la connoissance de ce qu’on appelle le tartre des dents, qui est dû à de petits vers qui se logent à leur base. Un peu de vinaigre uni à l’eau parvient à les détruire, si on répète le nettoiement chaque jour. Cette méthode bien simple est la meilleure pour tenir la bouche propre & raffermir les gencives.