Cours d’agriculture (Rozier)/OIES SAUVAGES

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OIES SAUVAGES, (Chasse.) La subtilité des sens des oies sauvages, la méfiance qui les fait se précautionner contre leurs ennemis, en posant une sentinelle uniquement occupée à veiller pour la troupe, lorsqu’elle dort ou qu’elle pâture, rend l’approche de ce gibier extrêmement difficile, et sa chasse peu fructueuse. Il est néanmoins de l’intérêt des propriétaires de l’écarter de ses champs, où l’oie exerce des ravages notables, surtout dans les jeunes blés, qu’elle va pâturant et même qu’elle arrache lorsque la terre est humide. Aussi, dans les cantons marqués par leur passage, est-on obligé quelquefois de faire garder les champs. Ce passage commence dans les premiers jours de novembre ; les oies arrivent alors du nord et s’avancent, selon la rigueur du froid, vers des pays de plus en plus méridionaux. Elles aiment à s’abattre dans de vastes plaines, d’où elles découvrent aisément autour d’elles, et évitent ce qui éveille leur défiance. Par la même raison, elles cherchent les grandes eaux ; et les plaines ou marécages les plus vastes leur conviennent mieux que les petits. Différens en cela des canards, ces oiseaux pâturent le jour dans les champs, et vont passer la nuit à l’eau. Leur rassemblement est toujours marqué par des cris assez vifs. Vers le milieu du jour, il est aussi ordinaire que les oies quittent les champs pour aller à l’eau, boire et se laver. Ce passage diurne dure de midi à trois heures. Après l’hiver, elles reparlent en bandes pour les climats du Nord.

C’est sur la connoissance de tous ces détails que les chasseurs combinent leurs ruses pour approcher ce gibier, dont la chair, quoique dure, est cependant estimée, et contre lequel d’ailleurs ses ravages arment les habitans des campagnes. On l’attend aux heures indiquées ci-dessus, au bord des eaux qu’on sait qu’il fréquente. Un chasseur caché dans une hutte bien faite, peut, en se mettant à l’affût, en abattre un petit nombre. Lorsque la pièce d’eau dont on est voisin, et que les oies fréquentent, est très-étendue, elles ne manquent pas de s’éloigner des bords. Pour les atteindre, on conduit une barque en pleine eau, et on la laisse quelques jours sans s’y transporter, pour accoutumer les oies à cette vue. On s’y rend ensuite pour les heures de l’affût, et on peut encore en tirer quelques unes. Mais en général les coups de fusil les dispersent, et ce n’est pas de suite qu’on peut espérer de les attendre au même endroit. Lors des très-grandes gelées, et que la terre est couverte de neige, la privation des eaux et de nourriture rend les oies bien moins sauvages. On les approche alors et on les tue plus facilement ; mais aussi elles sont bien moins en chair, ainsi que tout autre gibier.

La Hutte ambulante et la Vache artificielle (Voyez ces mots) sont les meilleurs moyens connus dont on puisse se servir pour approcher les oies. Mais il faut, sur-tout pour l’usage de la première machine, une patience à toute épreuve, et avancer si lentement que les branchages mêmes de la hutte n’en soient pas agités. Au défaut d’une vache artificielle complète, des paysans se servent seulement d’un bonnet de carton façonné en tête de vache ; du bout de leurs manches, ils laissent pendre deux morceaux d’étoffe qui figurent à peu près des jambes de devant ; et, vêtus eux-mêmes d’une couleur brune, marchant courbés, et imitant l’allure de la vache qui paît, ils parviennent, en tournoyant, et par une marche oblique, à approcher les oies à la portée du fusil. Il est à propos, pour tirer ces oiseaux, d’avoir, s’il est possible, des canardières ou de longs fusils. À leur défaut, on peut forcer la charge de poudre, et, dans tous les cas, on se sert de plomb double, de celui qui est employé pour le lièvre, tant parce qu’on tire presque toujours de loin, que parce que la plume serrée de l’oie lui vaut une espèce de cuirasse.

Les oies domestiques attirent fréquemment les oies sauvages. On peut s’aider de cette connoissance, dans plusieurs occasions : par exemple, on peut, par un temps de gelée, tendre une grande nappe, selon les mêmes procédés que quand on veut prendre des alouettes à la ridée. Il faut indispensablement préparer son filet à l’entrée de la nuit, afin qu’il reçoive la neige, s’il en tombe, et n’en pas approcher le matin pour ne pas ôter les traces de l’influence de l’air, telles que le givre, etc., dont l’absence suffiroit pour tenir l’oie en méfiance. On attache aussi sur les lieux, des oies domestiques pour servir d’appelans. Le lendemain matin, le chasseur, caché dans une fosse éloignée du piège, de quarante à cinquante pas, et où aboutit la corde de tirage qui abat le filet, attend l’arrivée des oies ; et, si son filet est bien mobile, il peut espérer de faire un bon coup. Lorsqu’il a neigé, on recommande au chasseur de se couvrir d’un drap blanc Je croirois volontiers que ce ne seroit pas non plus sans succès qu’on répandroit dans un champ ensemencé, fréquenté des oies sauvages, différens collets à ressort proportionnés à leurs forces ; mais peut-être aussi la préparation et le placement de ces pièges, qu’il faudroit tenir très-multipliés, entraîneroit trop de perte de temps et même de dégâts, pour qu’il en résultât un grand avantage.

Les oies sauvages s’abattent dans plusieurs cantons du nord de la France ; mais les lieux cités pour être les plus fréquentés par ces animaux sont Granges-sur-Seine, les plaines de la Beauce, de la Brie et de la Champagne. (S.)