Cours d’agriculture (Rozier)/PIGEONS SAUVAGES

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PIGEONS SAUVAGES, (Chasse.) On distingue les pigeons sauvages, en ramiers et en bisets.

Les ramiers, bien que sauvages, aiment cependant tellement le séjour des grands arbres, qu’on en a vu fréquenter, au sein de Paris même, ceux des jardins des Tuileries et du Luxembourg. Ils font leur nourriture favorite des glands, des faînes, des merises, des fraises même, dont ils sont friands. Ils causent aussi de grands ravages parmi les blés versés. Ces données servent à guider le chasseur pour les approcher. Quoique ces espèces soient sédentaires en France, cependant, comme elles aiment la chaleur, il en émigre des bandes assez nombreuses vers le commencement de l’automne, ce qui donne lieu à une grande destruction de ces oiseaux dans les gorges des Pyrénées, où ils s’engagent pour gagner l’Espagne. Au printemps, ils reviennent, s’apparient, et se nichent au sommet des arbres, les ramiers entre les branches, et les bisets dans des trous. Le roucoulement du ramier, plus fort que celui du pigeon, conduit le chasseur sous l’arbre où il est branché, pourvu, que celui-ci n’avance qu’à mesure que l’autre chante, et s’arrête dès que l’oiseau cesse. L’heure favorable de cette chasse est le matin, jusqu’à huit ou neuf heures, et le soir depuis cinq ; les ramereaux se laissent plus aisément approcher ; le printemps et l’été sont les saisons de cette chasse ; il faut aussi choisir un jour serein. Le ramier se tait en hiver, et même pendant la pluie. Ce gibier est excellent, et fait regretter qu’on ne puisse le façonner assez bien à la domesticité pour qu’il veuille s’y reproduire. On assure pourtant que les anciens y étoient parvenus. On suppose que peut-être on y réussiroit aussi, si l’on se donnoit la peine d’élever de jeunes ramiers dans une enceinte très-vaste, bien que fermée de filets, enceinte qu’on rétréciroit de génération en génération. Quoi qu’il en soit, voici les principales chasses au moyen desquelles on se les procure.

On englue un chêne, au haut duquel on place un ramier chaperonné. Quand il passe des ramiers, on fait lever cette espèce d’appelant, qui attire les autres sur l’arbre, où ils se prennent aux gluaux ; d’autres tendent, comme pour les alouettes, des rets saillans, sur-tout pendant l’hiver, lorsqu’il a neigé ; et, nettoyant la place des filets, ils y sèment des glands, des faînes, etc., et y attachent, s’ils le peuvent, des ramiers, pour servir d’appelans. Les bisets sont des premiers à donner dans ce piège. L’auteur de l’Aviceptologie conseille d’employer la vache artificielle pour les approcher, sur-tout lorsqu’ils se jettent sur les blés versés. Dans la saison des amours, il y a un grand avantage à les attendre sous les arbres, lorsqu’on sait imiter le cri de la femelle ; mais il faut que les tons soient bien justes, et cela est regardé comme difficile. Les merisiers, les hêtres et les chênes, sont en tout temps de bons postes d’affût pour un tireur adroit. C’est sur-tout en automne qu’on leur fait une chasse fructueuse dans les taillis semés de beaucoup de chênes de réserve. Pour cela, il faut qu’un grand nombre de chasseurs se réunissent ; les uns pour se poster sous les chênes, les autres pour battre les bords du bois. Les pigeons que ces derniers font lever, vont se remettre sur les grands arbres, où les chasseurs postés les tirent. Ceux qui échappent à leurs coups volent vers la plaine, d’où ils se rabattent vers une autre partie du bois. Mais les personnes qui longent les lisières observent cette nouvelle remise, et vont encore les en déloger. Ces différens mouvemens, exécutés avec précision, sont suivis d’un grand succès. Cette chasse cependant est moins fructueuse pour les bisets que pour les ramiers, parce que les premiers ont le vol beaucoup plus élevé et plus étendu que ceux-ci. Il est une autre chasse du même genre à peu près, mais réservée pour l’hiver, et appelée le tintamarre ou le charivari. Elle est décrite et attestée par Belon, le père de l’Ornithologie française ; on la trouve aussi dans le poëme de Claude Gauchet, intitulé : Les Plaisirs des Champs. Ces autorités me portent à croire que l’auteur de l’Aviceptologie a eu tort de la révoquer en doute. Voici en quoi consiste cette méthode :

On s’assure, en envoyant du monde au bois, de la partie où se retire le gibier ; cela s’appelle coucher les ramiers. Cette précaution prise, une bande nombreuse se rassemble le soir, à environ neuf heures, et s’achemine vers la forêt, portant des bassins ou ustensiles de cuivre, dont le choc est propre à produire beaucoup de bruit ; d’autres chasseurs, au nombre de sept ou huit, s’arment de fusils ; on se munit aussi d’une lanterne. La troupe, arrivée à la forêt, commence le tintamarre, afin que les pigeons, entendant ce bruit venir de loin, s’y habituent, et ne s’en épouvantent pas assez pour s’enfuir à mesure qu’il approchera. Parvenus ainsi sous les arbres indiqués pour leur retraite, on allume du feu, afin de les découvrir parmi les branches, et on les tire, le charivari continuant toujours, sans que le bruit du fusil fasse d’autre effet que de les faire changer de branche. Belon attribue le succès de cette chasse à la stupeur que le charivari inspire à ces pauvres oiseaux, qui s’épouvantent si fort, dit-il, qu’ils ont peur et n’osent partir ; par quoi les arbalétriers qui sont au dessous les tirent, etc.

La chasse qui se fait dans les gorges des Pyrénées, lors du passage des ramiers à l’automne, et de leur retour au printemps, exige un grand appareil. Comme c’est une pratique locale, et fondée sur les circonstances particulières à ces contrées du passage des oiseaux et de la disposition des localités, je me contenterai d’indiquer ici les principales dispositions nécessaires pour y réussir. On commence par préparer au fond des gorges des arbres élevés, entre lesquels on puisse tendre d’immenses filets, au moyen d’anneaux ou de poulies, comme les pantières aux bécasses. Des huttes ou cabanes cachent les hommes, qui lâchent à propos les filets ; d’autres cabanes, élevées sur de grandes perches ou sur des arbres très-hauts, recèlent d’autres chasseurs, qui, armés de certaines palettes de bois blanchi, faites à peu firès comme un battoir de blanchisseuse, lancent en l’air ces instrumens, qui semblent aux pigeons des oiseaux de proie, et les font donner dans les filets ; d’autres emploient des flèches garnies de plumes d’oiseaux de proie, et les lancent avec un arc ou arbalète, parmi les bandes de ramiers, pour éviter de se jucher au haut d’un arbre. (S.)