Cours d’agriculture (Rozier)/PYROTECHNIE

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PYROTECHNIE. L’agent qui concourt le plus immédiatement à l’accroissement et à la prospérité de nos fabriques, c’est le feu ; c’est lui qui, primitivement, exerce la plus haute influence sur les combinaisons qu’il faut pour ainsi dire créer pour les besoins de la vie ; c’est lui qui modifie les productions que la nature met entre les mains de ceux qui s’occupent de la fabrication d’objets nécessaires aux arts et à la société ; c’est lui enfin qui offre à l’économie domestique tant de moyens dont l’application est si généralement utile. Cependant, avec un agent aussi puissant, nous manquerions bientôt de tout, si les alimens de la combustion venoient à réduire les opérations des fabricans, et si la société avoit à compter, au nombre de ses plus fortes dépenses, celle du combustible. Déjà on s’alarme, avec juste raison, sur le prix actuel du bois ; mais que seroit-ce dans quelques années, si cette augmentation, étoit progressive comme elle l’a été depuis cinq à six ans ? Il importe donc que ceux qui se livrent à des recherches utiles aux arts et à la société, mettent au nombre de leurs travaux les plus essentiels, tous ceux qui peuvent tendre à nous procurer les moyens de diminuer la consommation du combustible.

Ç’a été dans l’intention de contribuer pour ma part à perfectionner nos moyens de constructions pyrotechniques, que depuis plusieurs années je dirige mes recherches vers cet objet. J’ai successivement fait connoître les diverses observations qu’elles m’ont donné lieu de faire ; mais il s’en falloit de beaucoup que je crusse le mieux que j’indiquais, comme le nec plus ultrà de la perfection. Je disois, au contraire, que les innovations que je proposois donneroient lieu de faire de nouvelles observations, et que celles-ci ajouteroient encore aux lumières que nous aurions alors.

C’est à l’examen de la classe des Sciences physiques et mathématiques de l’Institut national, que j’ai successivement soumis le résultat de mes observations ; c’est cette savante Société qui a alimenté mon zèle par les invitations réitérées qu’elle m’a faites de continuer des recherches et des travaux qu’elle avoit jugés dignes de son approbation.

Cependant, l’art de construire les fourneaux, les cheminées et les poêles étoit encore bien éloigné du degré de perfection auquel on doit désirer qu’il arrive.

La plupart de ceux qui se livrent à ces différens genres de constructions, conduits le plus souvent par une aveugle routine, et dépourvus de connoissances physiques et chimiques suffisantes pour se rendre raison des phénomènes qui accompagnent toute espèce de combustion, négligent de prendre des précautions essentielles, qui, en assurant à leurs constructions un effet plus certain, offriroient encore l’avantage d’obtenir avec une moindre quantité de combustible, une chaleur beaucoup plus intense.

Ce qui se passe dans les lampes d’Argan et d’émailleur, a servi de base à mon travail. En examinant avec attention l’effet de ces deux lampes, j’ai reconnu que le plus grand foyer de chaleur résidoit seulement à l’extrémité du jet de la flamme, et que son intensité étoit toujours en raison de la rapidité de son jet.

Guidé par cette simple observation, j’ai cherché à en faire l’application aux fourneaux d’évaporation, et par suite à toutes les autres espèces de constructions pyrotechniques. Les nombreux avantages que j’en ai obtenus ont confirmé la théorie que j’avois établie. Mais il me restoit encore beaucoup à faire pour empêcher que la chaleur produite ne se bornât pas à une première action ; celle sur-tout que le courant d’air entraîné par les cheminées dut particulièrement fixer mon attention ; car on doit être effrayé de l’immense quantité de combustible qu’il faut brûler en pure perte, pour entretenir à une température aussi élevée un courant d’air dont on peut à peine calculer la rapidité.

La condition du problème à résoudre étoit donc de n’évacuer le courant d’air, que nécessite une combustion quelconque, qu’après lui avoir enlevé une partie du calorique dont il s’est imprégné en traversant le foyer où s’opère la combustion ; ce qui alors devoit réduire cette perte indispensable à son minimum, et procurer, par cela seul, une économie de combustible qu’aucune construction de ce genre n’avoit encore offerte.

Pour arriver à ce but, on conçoit combien d’obstacles durent d’abord s’opposer au succès que je me projettois d’obtenir ; car la rapidité avec laquelle s’échappe un courant d’air chaud, lui laisse à peine le temps de déposer son calorique dans l’intérieur du fourneau où s’opère la combustion.

Ce fut le fourneau à réverbère, tel qu’il sert dans nos laboratoires, qui me parut fournir l’exemple le plus remarquable des défauts qu’ont presque tous les fourneaux de cette espèce, celui de perdre une chaleur presqu’égale à celle du foyer. Je conviens cependant qu’il est des opérations où il n’en peut être autrement ; mais alors cette perte doit être limitée tandis que dans le cas dont je parle, elle ne l’est pas.

Il ne faut pas déduire, de ce que je viens d’avancer, que la rapidité avec laquelle s’opère une combustion quelconque ne soit pas une des causes qui concourent à augmenter son énergie ; c’est même en accélérant l’introduction de l’air extérieur dans le foyer, qu’on augmente l’intensité de la chaleur, et qu’on détermine la combustion la plus prompte et la plus complète. Mais est-il nécessaire que la cheminée soit perpendiculaire au foyer pour augmenter l’énergie de la combustion ? Je dis affirmativement, non. Il faut au contraire, à mesure que la chaleur s’élève dans l’intérieur d’un fourneau, faire rétrograder le courant d’air que transmet au dehors la cheminée ; par ce moyen, on accumule le calorique dans la voûte du fourneau, l’air incandescent y est refoulé, il y circule ; ce qui donne le temps au calorique d’exercer son action sur les corps qu’on y soumet.

Que l’on calcule la quantité de bois que brûlera un fourneau dont la cheminée sera perpendiculaire au foyer, avec celle que consommera celui dont la cheminée rendra le courant d’air rétrograde ; certainement l’économie de combustible que procurera cette dernière sera de plus de moitié, et les effets cependant auront été les mêmes.

Voici ce qui arrive dans l’un et l’autre cas : dans le premier, la température ne peut être soutenue qu’à la faveur de beaucoup de combustible, puisqu’à mesure que la chaleur est développée, elle est aussitôt emportée par le courant d’air dont la rapidité est presque incalculable.

Dans le second cas, le courant d’air qu’on a forcé à être rétrograde, établit une pression qui se fait sentir dans tout l’intérieur du fourneau ; c’est cette pression qui concentre et qui accumule le calorique, c’est elle qui règle l’énergie de la combustion ; c’est elle enfin qui s’oppose à ce que le combustible se réduise en cendre aussi promptement qu’il l’est dans tous les fourneaux dont les courans ne sont pas limités.

Combien, à l’air libre, ne faudroit-il pas de combustible pour produire les mêmes effets que ceux qu’on produiroit dans un fourneau, quelque mauvais qu’il fût ?

Là, le facile accès de l’air et le courant qui s’établiroit sur tous les points du foyer, modifieroient constamment la chaleur et la combustion. On ne pourroit donc, dans une semblable circonstance, élever la température qu’aux dépens d’une quantité considérable de combustible. Eh bien ! nos fourneaux à courant d’air rapide sont précisément des constructions où on ne peut élever la température qu’aux dépens de beaucoup de combustible.

Il en est de même de nos cheminées dont les tuyaux sont perpendiculaires à leurs foyers ; plus on y fait de feu, et plus, dans un instant donné, l’air de dehors a d’accès dans ce foyer ; circonstance qui concourt constamment à refroidir nos appartemens. C’est donc ce déplacement successif d’un air chaud par un air froid qui empêche la chaleur de s’accumuler dans nos habitations ; c’est donc cette cause qui nécessite que nous brûlions beaucoup de bois, et qui nous empêche de conserver la chaleur dans l’intérieur de nos appartemens.

Comme ces sortes de constructions doivent avoir de larges ouvertures pour que leurs foyers nous transmettent la chaleur rayonnante, et pour nous faire jouir de l’agrément de voir le feu, elles ne peuvent se prêter aussi facilement que les fourneaux à faire rétrograder le courant d’air.

Cependant, comme il importoit à l’économie domestique de lui procurer les moyens d’obtenir plus de chaleur avec moins de combustible, qu’on en obtient ordinairement avec beaucoup, j’ai cherché, d’après les principes que je viens de développer, à faire rétrograder le courant d’air de nos cheminées, et à le faire circuler dans des corps qui puissent facilement transmettre le calorique dans l’intérieur des appartemens. De cette manière, je suis parvenu à économiser les trois quarts du combustible, et à faire tourner au profit de nos habitations, la presque totalité de la chaleur résultante d’une combustion quelconque.

J’ai ensuite appliqué le même principe aux poêles, et les divers systèmes de circulation que j’ai établis dans une seule colonne, produisent autant d’effet qu’on en obtiendrait avec deux poêles de même dimension, et qui consommeroient chacun le double de combustible.

On voit combien l’application d’un principe va avoir d’influence sur la perfection de toutes nos constructions pyrotechniques, et combien elle va porter loin l’économie du combustible.

La théorie que je viens d’établir peut acquérir une nouvelle force de démonstration, en faisant connoître ici les résultats de diverses expériences que j’ai faites, en présence des autorités constituées du département de la Seine, avec des poêles et des cheminées construites d’après mes principes.

Le samedi 6 pluviôse an 13, à six heures du matin, un thermomètre de Chevalier, division de Réaumur, placé en dehors d’une des croisées de la chambre où se faisoient mes expériences, étoit à trois degrés et demi au dessous de glace, et ceux de l’intérieur de l’appartement étoient à six degrés au dessus de zéro. Je pesai vingt-cinq livres de bois neuf passablement sec ; la longueur de chaque morceau étoit de treize à quatorze pouces ; il y en avoit vingt morceaux.

Le feu fut allumé à six heures et demie ; à sept heures, trois morceaux de bois qui étoient à peine consumés, avoient déjà élevé la température de l’appartement à huit degrés et demi ; j’observe que l’appartement où se sont faites ces expériences, a quinze pieds et demi en carré, et dix pieds et demi de hauteur, et qu’il y a deux grandes croisées et deux portes vitrées.

À sept heures, on ajouta un quatrième morceau de bois, et à sept heures et demie la chaleur étoit à dix degrés et demi. Enfin, à huit heures, où un instant auparavant on avoit mis deux morceaux de bois pour entretenir la combustion, le thermomètre étoit à douze degrés, celui du dehors n’étoit plus alors qu’à deux degrés au dessous de glace.

Le bois qui fut brûlé les deux premières heures se trouva peser six livres et demie ; ce qui faisoit environ le quart de celui qui avoit été pesé, et celui qui fut brûlé les deux heures d’ensuite ne pesa que trois livres et demie. Pour expliquer cette différence, il suffit d’observer que les deux premières heures il a fallu ajouter à la température de l’appartement, et qu’ensuite on n’a plus eu qu’à l’entretenir au même degré. La température moyenne de l’appartement fut constamment, ce jour-là, de douze degrés.

Ces expériences, qui ont été continuées pendant huit jours avec la même exactitude, m’ont donné lieu d’apprécier, d’une manière très-rigoureuse, l’économie que procure une cheminée construite d’après mes principes.

J’avois annoncé que cette économie pouvoit être des cinq huitièmes ; mais l’expérience prouve au contraire qu’elle est des trois quarts, et que la chaleur des appartemens est presque double de celle qu’on obtiendroit avec trois fois plus de combustible.

Il en est de même de mes poêles ; la chaleur qu’ils procurent dans l’intérieur des appartemens est double de celle qu’on obtiendroit avec les poêles ordinaires, même en y brûlant le double de combustible.

Il n’y a pas de doute que l’adoption de ces nouvelles constructions ne devienne bien favorable à l’économie politique, domestique et manufacturière ; on ne peut donc trop insister sur la réforme de toutes nos anciennes constructions pyrotechniques ; l’intérêt de tous doit la provoquer, puisque tous, nous concourons chaque jour, chaque heure, à augmenter la disette du combustible.

Curaudau.

Pour faire apprécier à sa juste valeur le mérite des découvertes de M. Curaudau, l’Éditeur de cet Ouvrage croit devoir consigner ici le Rapport fait à l’Institut National, sur ses procédés pyrotechniques.

Extrait d’un Rapport fait à la classe des sciences physiques et mathématiques de l’Institut National, le 22 pluviôse an 13, par MM. Berthollet et Guyton, chargés d’examiner et de lui rendre compte des avantages qui résultent des poêles et cheminées de l’invention de M. Curaudau.

Le rapporteur (M. Berthollet,) après avoir rappelé à la classe, que précédemment la même commission lui avoit rendu un compte très-favorable des avantages que réunissoient différentes constructions pyrotechniques de M. Curaudau, lui soumet le résultat de l’examen qu’elle a fait de ses nouveaux poêles et cheminées.

« M. Curaudau (dit le rapporteur,) a modifié son procédé, de manière qu’il n’est ni dispendieux ni embarrassant. »

Il observe ensuite que la pièce où l’auteur avoit établi sa nouvelle cheminée, portoit par-tout l’empreinte de la fumée à laquelle l’ancienne avoit été sujette ; et que d’après les dispositions qu’il donnoit à sa construction, elle ne laissoit échapper aucune fumée dans l’appartement : il ajoute que la combustion qui s’opéroit dans cette cheminée, étoit alimentée par une petite quantité de bois, qui y brûloit avec vivacité, et que la chaleur qui se dégageoit du combustible étoit conservée dans l’appartement ; ce qui contribuoit l’entretenir très-échauffé, avec beaucoup moins qu’une construction ordinaire n’en auroit exigé.

« Ce qui caractérise le procédé de M. Curaudau (continue le rapporteur,) c’est 1°. qu’il sépare entièrement le foyer où se fait la combustion du tuyau qui sert à concentrer la chaleur ; ayant soin de donner aux parois du foyer l’inclinaison la plus propre à refléter la chaleur rayonnante et à diriger les gaz dans un tuyau central. Par là, la combustion s’établit promptement et se fait avec facilité ; au lieu que dans les poêles et cheminées où l’on cherche à concentrer la chaleur par des circonvolutions autour du foyer, on a d’abord une grande masse à échauffer, en sorte que l’on n’obtient que lentement l’effet de la combustion, et qu’avant que toute cette masse soit échauffée, l’on est souvent exposé à la fumée.

(La cheminée de M. Curaudau est donc exempte de ce grave inconvénient.)

« 2°. Que le système des tuyaux de tôle, leur facile emboîtement et leur distribution retiennent toute la chaleur, et la transmettent promptement.

» Ces tuyaux, qui servent de réservoir à la chaleur, l’auteur les place dans une cheminée derrière la glace, dont il recouvre le parquet d’un tissu : par cette disposition, la forme ordinaire des cheminées est maintenue, et l’air qui se trouve échauffé dans le vide, que la glace recouvre, est continuellement déplacé et renouvelé ; ce qui donne à la construction de M. Curaudau l’avantage d’admettre une glace sans qu’elle soit exposée à un excès de chaleur.

» 3°. Que tous les appareils n’exigeant que de la tôle, leur prix est inférieur aux constructions imaginées jusqu’à présent. »

Enfin, MM. Berthollet et Guyton citent le fait suivant comme une preuve de la perfection que l’auteur a su donner à ses poêles et cheminées.

« Nous avons vu un petit fourneau-poêle entretenu avec du bois, faire bouillir avec activité une chaudière, et le tuyau qui servoit de cheminée, ouvert dans la chambre, sans qu’il s’en exhalât aucune fumée ; ce qui prouve que tout ce qui étoit combustible produisoit son effet et étoit consommé.

» Nous pensons donc (conclut le rapporteur,) que par une heureuse application des principes physiques de la combustion et de la communication de la chaleur, les appareils de M. Curaudau offrent des avantages réels dans les différens emplois du bois, dont l’économie et le bon usage sont d’un grand intérêt pour la société. »

La classe a approuvé le rapport et en a adopté les conclusions. La minute est signée Guyton, et Berthollet, rapporteur. Certifié conforme à l’original. À Paris, le 23 pluviôse an 13. Le secrétaire perpétuel de la classe, signé Delambre.