Cours d’agriculture (Rozier)/VOLIÈRE

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VOLIÈRE. La demeure habituelle des pigeons fuyards ou libres, se trouvant développée au mot Colombier, et décrite séparément de tout ce qui intéresse les mœurs et l’éducation de ces oiseaux, j’ai cru devoir en faire autant pour la volière, que Rozier n’a point décrite, et offrir en même temps quelques vues sur les espèces de pigeons auxquelles elle sert de gîte.

La volière doit être établie dans un endroit où le chaud et le froid ne se fassent point trop sentir ; il faut qu’elle tire ses jours du côté du levant ou du midi, qu’elle soit meublée de nids de figure carrée, assez profonds pour y asseoir un pigeon à l’aise ; leur nombre est ordinairement en raison de trois par paire de pigeons ; on la meuble de terrines de plâtre, de paniers d’osier, qu’on attache au mur, ou bien on construit des cabanes de bois d’un pied en tous sens, ou bien encore on pratique des trous dans l’épaisseur des murs. Mais ces différens nids sont sujets à des inconvéniens ; on reproche aux cases en planches, dans lesquelles on met un plateau de plâtre, de s’imbiber trop facilement de la partie humide de la fiente, et de contracter par là une odeur qui finit par occasionner des maladies aux pigeons. Les paniers d’osier ont aussi leurs inconvéniens ; outre que la vermine trouve plus aisément à s’y loger, les petits sont exposés à tomber souvent ; et, si on n’a pas le soin de les replacer aussitôt dans leurs nids, ils ne tardent pas à être massacrés par les autres. Les plâtres peuvent être avantageusement remplacés par des terrines de terre cuite vernissées ; ces dernières, à la vérité, sont d’un prix à peu près double, mais la facilité de les nettoyer à grande eau, et sur-tout leur durée, dédommagent au delà de l’excédant de la dépense. Les cavités pratiquées dans l’épaisseur du mur sont trop fraîches, et ne paroissent pas leur convenir ; quelques amateurs ont été jusqu’à faire fabriquer, en terre cuite, des pots assez ressemblans à ceux qu’on place pour recevoir les moineaux. Il faut avoir l’attention de placer les nids dans l’endroit le moins clair de la volière ; car les pigeons, comme tous les autres oiseaux, lorsqu’ils veulent pondre ou couver, recherchent toujours l’obscurité.

On ne sauroit trop recommander de balayer souvent la volière, d’en faire nettoyer sous ses yeux toutes les parties, de faire transporter à quelque distance la colombine et les autres immondices ; de renouveler la paille des nids tous les trois ou quatre jours au moins pendant l’incubation, sans quoi la fiente qui les entoure ne tarderoit pas à leur procurer de la vermine. Il ne faut pas négliger non plus de changer souvent leur eau en été, et de la faire dégeler dans les grands froids. Il faut encore avoir le soin de mettre de la paille fraîche dans les nids aussitôt qu’on en a enlevé les petits, parce que les pères tiennent aux nids dans lesquels ils ont déjà élevé leur famille. Moyennant cette précaution et cette propreté, qu’on peut porter à l’excès, j’ose affirmer qu’il est rare d’avoir des pigeons attaqués d’autre maladie que de l’incurable vieillesse.

Il y a des espèces de pigeons qui mettent, beaucoup de paille dans leurs nids, d’autres qui n’en mettent que quelques brins. Il est bon d’avoir la précaution de les dégarnir quand il y en a trop, parce que les œufs pourroient tomber et se casser, et d’en mettre quand il n’y en a point, attendu que les œufs, à nu sur la planche, roulent de dessous la femelle, qui ne peut les embrasser comme il faut, se refroidissent, et ne sont plus bons à rien. Pour éviter ces inconvéniens, on fera bien de leur préparer soi-même leurs nids, de rompre la paille, afin qu’elle se prête mieux à la forme qu’on veut leur donner, et que les œufs ne puissent glisser entre, ce qui arrive quand elle n’a pas été préalablement brisée.

Des pigeons de volière. C’est le nom qu’on donne le plus généralement aux pigeons mondains et autres de cette race. Ils sont plus ou moins gros et féconds ; mais si l’on vise au profit, les pigeons communs, et en général les moyennes espèces, sont ceux qui paroissent devoir être plus multipliés, pourvu toutefois qu’on les ait choisis beaux et bien forts, qu’ils aient de l’ardeur, l’œil vif, la démarche fière, le vol roide. Ces pigeons sont d’une fécondité telle que, dans le cercle de quarante jours, la femelle pond, nourrit sa progéniture, et est déjà occupée d’une autre couvée ; ils sont aptes à se reproduire dès l’âge de six mois. On a observé que le principe de la reproduction étoit plus promptement développé dans les mâles que chez les femelles. Ce n’est guères qu’à la fin de la seconde année qu’ils sont dans leur plus grande vigueur.

On ne peut pas aisément, dans les jeunes pigeons, distinguer au premier coup d’œil le mâle de la femelle ; les premiers ont, en général, le bec et la tête plus forts ; mais le roucoulement est le signe le plus assuré auquel on puisse les reconnoître ; dans certaines variétés on connoît le mâle au panache, c’est-à-dire à des taches noires que, à quelques exceptions près, les femelles n’ont jamais.

Lorsqu’on désire obtenir des sujets forts et vigoureux, il est avantageux d’avoir recours au croisement des races ; mais quand il s’agit de conserver ce que les amateurs appellent pigeons de genres, il faut observer avec soin de n’y employer que les espèces dont la grosseur est une des beautés, tandis qu’il faut éviter le croisement lorsque l’on veut conserver les petites espèces dans leur forme ordinaire. Si au contraire on ne cherche qu’à obtenir de forts pigeonneaux, il importe peu de mélanger les races, en observant néanmoins de donner à la femelle un mâle plus gros qu’elle.

Il seroit à souhaiter que la race des pigeons mondains fût sans défaut, car il n’est pas rare d’y rencontrer des individus stériles ; du reste, c’est la plus excellente race pour le produit, et une des meilleures pour la qualité des pigeonneaux.

Quand on peuple une volière, ou qu’on veut remplacer les pigeons invalides, on conserve ordinairement les pigeons nés en septembre ou octobre, parce qu’ils sont dans toute leur force au mois de mars suivant. On sait qu’un ou deux mâles non appareillés suffisent pour porter le trouble dans l’habitation, et pour déranger toutes les pontes ; aussi quelques amateurs ont-ils la précaution de retirer de la volière, aussitôt qu’ils mangent seuls, tous les jeunes pigeons qu’ils destinent à augmenter le nombre des nids, ou à remplacer ceux dont l’âge annonce la prochaine stérilité. Ils les réunissent dans un endroit qu’ils nomment l’appareilloir, et les y laissent jusqu’à l’époque où le roucoulement des mâles et la coquetterie prononcée des femelles ne laissent aucun doute sur le sexe des individus ; alors, à moins que vous n’en ayez de différentes races, que vous ne vouliez croiser, ne gênez point leurs inclinations, et laissez-les faire leur choix. Vous vous apercevrez bientôt des affections mutuelles ; vous transporterez dans la volière les paires qu’un même sentiment a déjà unies. Il y a même de l’inconvénient à mettre indistinctement un mâle et une femelle pour qu’ils s’accouplent. Dans ces ménages brusquement formés, avant que les soins mutuels en fassent le lien, la discorde règne plusieurs jours. Le mâle exerce sur la femelle une tyrannie, qui va jusqu’à la frapper presque continuellement à coups de bec, et à la tourmenter sans cesse. Il est ennuyeux d’être témoin de cette dissension, qui dure plus ou moins, qui se termine à la vérité par une union indissoluble, mais qu’on peut éviter, en laissant à l’inclination de la femelle, dans un appareilloir, le choix de l’objet auquel elle doit vouer une fidélité sans bornes, et presque sans exemple. Heureux néanmoins des époux dont l’union est précédée de quelques momens d’orage, pour n’être suivie que d’une continuité de jours sereins ! Le couple une fois uni demeure joint toute la vie ; mais si l’un d’eux vient à mourir par quelque accident ou autrement, celui qui survit cherche et trouve à former une nouvelle alliance.

Quels que soient la qualité de la nourriture des pigeons, et les soins qu’on leur donne, il arrive souvent qu’ils font des œufs clairs, c’est-à-dire qui ne sont pas fécondés. Quand on s’en apperçoit, il faut les ôter de dessous la couveuse, et leur substituer, si l’on veut, ceux d’une autre paire, dont on voudroit multiplier l’espèce ; sans quoi le temps qu’ils emploiroient à couver ces mauvais œufs seroit entièrement perdu, tandis que ceux dont on a enlevé les œufs pondent de nouveau au bout de quelques jours.

Pour manger de bons pigeonneaux, il ne faut pas attendre qu’ils mangent seuls, parce qu’alors ils maigrissent ; leur chair n’a plus cette finesse et cette délicatesse qui caractérisent les pigeonneaux de volière. C’est lorsqu’ils ont environ un mois, et qu’ils sont sur le point de sortir de leurs nids, qu’il faut les prendre ; mais si l’on veut manger d’excellens pigeonneaux, il faut les engraisser de la manière suivante :

Lorsque les pigeonneaux seront parvenus au dix-neuf ou vingtième jour, que le dessous de leurs ailes commencera à se garnir de plumes ou de canons dans la partie des aisselles, retirez-les de la volière, placez-les ailleurs dans un nid, et couvrez-le avec une corbeille, un panier, qui refuse l’accès à la lumière, et laisse un libre passage à l’air. Tout le monde sait qu’on doit, en général, tenir dans l’obscurité les animaux qu’on veut engraisser artificiellement. Ayez des grains de maïs qui auront trempé dans l’eau environ vingt-quatre heures : retirez deux fois par jour, le matin de bonne heure, le soir avant la nuit, chaque pigeonneau hors de son nid ; ouvrez-lui le bec avec adresse, et faites-lui avaler chaque fois, selon son espèce et sa grosseur, depuis cinquante jusqu’à quatre-vingts et même cent grains de maïs humecté. Continuez dix ou quinze jours de suite, et vous aurez des pigeons d’une graisse aussi fine que celle des plus belles volailles du monde. Il n’y aura de différence que dans la couleur. Je puis certifier le succès de cette recette.

Les pigeons, comme tous les autres animaux, ne sont pus exempts de maladies. Il n’est pas douteux que ceux qui sont captifs n’y soient plus sujets que les pigeons fuyards, qu’ils n’en aient même qui soient inconnues à ces derniers, et qui appartiennent à la condition domestique, laquelle a cependant pour eux quelques avantages, quoi qu’on en dise. Nous ne dirons que deux mots sur les maladies, parce qu’il faudroit énoncer leurs symptômes et le traitement qu’il faut leur faire subir, et qu’il nous manque à cet égard des données certaines.

La goutte, la mue même, est pour le pigeon captif une maladie souvent aussi cruelle que la dentition l’est pour d’autres animaux. Quelquefois un pigeon meurt après avoir long-temps souffert, faute d’avoir pu se défaire de trois ou quatre plumes de l’aile. On peut prévenir cette mort en prenant l’individu, et en lui arrachant les plumes avec soin, de peur de les rompre ou de déchirer les parties adhérentes par un mouvement trop brusque et trop fort.

Quelques pigeons sont tellement avides, qu’ils se gorgent d’alimens, au point que, ne pouvant pas être digérés, ils restent dans le jabot, s’y corrompent, et font souvent mourir l’animal. Cela arrive souvent, sur-tout lorsqu’ils ont été trop long-temps sans manger. Dans ce cas, on les renferme dans un bas, qu’on attache à un clou, de manière qu’ils aient les pieds inférieurement. Dans cette position, on ne leur donne qu’un peu d’eau de temps en temps. Mais ce procédé manque quelquefois ; alors on est obligé de fendre le jabot avec une paire de ciseaux bien pointus, ou un canif ; on retire l’aliment corrompu, on lave, et on le recoud. Cette méthode a souvent réussi, mais elle fait perdre au jabot sa forme ronde. Quelques personnes font une ligature qui intercepte la partie du jabot, qui contient la nourriture non digérée, et elles la laissent jusqu’à ce qu’elle tombe d’elle-même, emportant avec elle la partie du jabot qu’elle entouroit. On sent aisément les suites d’un semblable moyen, qui, au reste, est immanquable.

Les pigeons sont quelquefois attaqués par une espèce d’insecte, qui dévore sur-tout les pigeonneaux qui viennent d’éclore. Ces insectes, connus vulgairement sous le nom de punaises des pigeons, leur sont d’autant plus funestes, qu’ils s’introduisent dans leurs oreilles, et les privent entièrement du repos nécessaire à leur santé et à leur accroissement. Pour y remédier, il faut semer dans le nid de la poudre de tabac, et en répandre aussi sur les pigeonneaux ; par ce moyen, on parviendra à les détruire.

Aux îles de France et de la Réunion, les pigeons sont aussi tourmentés par des espèces de punaises qui nuisent à leur multiplication ; mais on les détruit en mettant dans le pigeonnier un panier que l’on remplit d’herbes quelconques ; au bout de quelques jours on retire ces herbes, dans lesquelles ces insectes n’ont pas manqué de se réfugier, et on les jette au feu ; par ce moyen, aussi simple qu’économique, on parvient à en délivrer les pigeons.

Les pigeons ne sont pas non plus exempts des maladies contagieuses. M. Lendormy, médecin célèbre à Amiens, a remarqué que la cause qui a ravagé, il y a quelques années, les colombiers dans les environs de Montdidier, dépendoit en partie des cendres rouges vitriolique employées sur les terres comme engrais, et que le pigeon avaloit pour amour pour tout ce qui est salé, d’où il résulte nécessairement du désordre dans l’économie animale.

Le moyen de prévenir les maladies des pigeons consiste, nous le répétons, à maintenir dans le colombier une extrême propreté, à le laver, à le blanchir quelquefois au lait de chaux, et à n’y pas laisser séjourner trop long-temps la colombine. En un mot, tout ce qui peut prévenir le méphitisme et écarter les vermines, contribue essentiellement à conserver les pigeons dans l’état de santé et de vigueur. (Parmentier.)