Cours d’agriculture (Rozier)/RAT, MULOT, SOURIS

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Hôtel Serpente (Tome huitièmep. 525-529).


RAT, MULOT, SOURIS. Ces animaux sont de la même famille & d’espèces différentes ; il convient cependant de réunir dans un même article ce qui concerne leur destruction. Ces animaux sont trop connus pour perdre le temps à les décrire.

Les rats nuisent aux fruits qu’ils dévorent, ainsi qu’aux blés & autres grains farineux ; les mulots font beaucoup de mal dans les prairies, dans les terres, où ils creusent une multitude de souterrains ; les souris infestent les maisons & rongent tout ce qu’elles trouvent. J’ai fait un certain nombre d’expériences sur les souris & sur les rats, mais non pas sur les mulots. Les gros rats dévastent les colombiers, & mangent les pigeons qui sont encore dans le nid. Le seul moyen de prévenir leurs dégâts, est de rechercher attentivement les ouvertures par lesquelles ils peuvent s’y introduire, & de les boucher ou avec du fer blanc ou en maçonnerie. Pour les empêcher de monter par les angles du colombier (consultez ce mot), on a soin d’en couvrir une partie avec deux feuilles de fer blanc placées l’une sur l’autre, & encore mieux en établissant une saillie en pierre de six pouces de largeur qui doit régner à l’extérieur & autour du colombier. Ces moyens suffisent quand le colombier est isolé, à moins que les rats n’y pénètrent par dessous. Un carrelage bien fait & un rang de carreaux placés sur champ tout autour & bien joints, mettent à couvert de leurs tentatives.

Pour détruire les rats dans les greniers, dans les magasins à blé, on a la détestable coutume de mêler de l’arsenic avec de la farine. On s’en sert également contre les souris dans l’intérieur des maisons. Il en résulte que des enfans & même de grandes personnes sont souvent victimes de cette imprudence.

Le gouvernement & tous les parlemens du royaume ont prononcé des peines graves contre ceux qui vendent de l’arsenic, & les ont obligés d’inscrire sur un registre le nom de la personne qui l’a acheté, ainsi que sa quantité. Cette précaution est efficace quand il s’agit de personnes inconnues & suspectes. Mais qu’une personne en demande à son apothicaire ou à son maréchal, elle en aura sans peine & s’en servira pour détruire quelques rats ou souris qui l’incommodent. Le mal qui résulte de cette incommodité ne peut pas être mis en comparaison avec le risque d’occasionner la mort à un ou à plusieurs individus ; encore si l’arsenic étoit le seul moyen de détruire ces animaux, mais on en connoît plusieurs d’aussi efficaces. Pourquoi ne pas prohiber absolument la vente de l’arsenic, dont la couleur & la configuration, quand il est réduit en poudre, ressemble entièrement à du sucre ou au sel très blanc de nos cuisines ?

L’expérience de tous les temps & de tous les lieux a prouvé que la noix vomique étoit un poison décidé pour tous les quadrupèdes. C’est donc le cas de s’en servir ici, & je l’ai fait avec succès. Les gros rats aiment singulièrement les raisins desséchés ou de panse, vulgairement nommés de carême. On choisit les grains les plus frais, on les ouvre par le milieu, on saupoudre l’intérieur de noix vomique réduite en poudre aussi fine que de la farine ; enfin on réunit les deux parties, & on les serre l’une contre l’autre. Ces grains ainsi préparés sont placés dans les parties du grenier les plus fréquentées par les rats. On s’aperçoit bientôt, par les débris de leur pellicule, que ces grains ont été mangés sur place ; & si on ne les retrouve pas, c’est une preuve que les rats les ont emportés dans leur retraite. On remplace les vides par de nouveaux grains préparés. Cette noix vomique en poudre très-fine se mêle avec succès avec la farine, dont on remplit plusieurs bateaux de cartes ou autres petits vases quelconques ; mais il faut changer ce qui reste au bout de huit jours, parce que les rats n’en veulent plus.

Il y a des rats qui rebutent les préparations où entre la noix vomique, sans doute à cause de son amertume, dans ce cas, comme dans tous les autres, le tartre-émétique la supplée efficacement ; il n’a ni odeur, ni saveur décidée : je réponds de ce dernier moyen que j’ai employé de préférence à tous les autres ; il est également assuré avec les raisins secs.

Dès qu’on s’aperçoit que les fruits d’un espalier sont attaqués par les rats, il faut saupoudrer de tartre-émétique ceux qui sont entamés : ces animaux ne tarderont pas à y revenir, parce qu’ils se jettent sur les premiers mûrs, & les autres ne le sont pas encore assez pour eux. Le tartre-émétique est très-peu soluble dans l’eau, puisqu’il faut deux cents parties d’eau très-chaude pour en dissoudre une de cet émétique ; ainsi le peu d’eau du fruit, unie même avec celle de l’atmosphère, ne suffira pas pour dissoudre ce tartre ; l’animal en dévorant le fruit prendra donc le tartre en substance, & il agira sur son estomac avec plus de force ; mais comme le rat boit très-peu, ce tartre ne pourra se dissoudre & agira sur lui à la manière des poisons. Ce qu’il y a de certain, c’est que j’en ai détruit un grand nombre par ce procédé.

Tout le monde connoît les quatre de chiffre, les petits traquenards, &c. destinés à prendre ou à tuer les rats : ces instrumens ne réussissent qu’incomplettement, parce que l’homme qui les tend & les place, les imprègne de son odeur ; le rat, ainsi que le renard & le loup la distinguent à merveille, & ils évitent pour l’ordinaire le piège qu’on leur prépare, sur-tout quand ils ont la facilité de trouver ailleurs une nourriture qui ne leur est pas suspecte. Quelques auteurs ont conseillé de se frotter les mains avec l’huile que l’on retire par la distillation du bois de rose, connu également sous les dénominations de bois de Chypre, de bois de Rhodes, & dans les boutiques des Apothicaires sous celle de Rhodium. Cette huile est fort chère & ressemble beaucoup à l’huile empireumatique que l’on obtient par la distillation des autres bois : d’où l’on peut conclure que toute huile à odeur forte peut être employée & suppléer l’huile de bois de rose. Ces huiles servent à masquer l’odeur de l’homme, & par conséquents tromper l’animal quoique très-rusé. Quelques-uns prétendent encore que les rats aiment avec autant de prédilection l’huile de bois de rose, que les chats celle du marum. (Voyez Planche XI du sixième Volume, pag. 444.) Je ne sais si cette assertion est bien prouvée ; je n’en ai pas fait l’expérience. Comme cet arbre est un véritable genêt, (consultez ce mot) on pourroit peut-être se servir des bois des autres espèces de ce genre pour produire le même effet. Quoi qu’il en soit, il est à présumer que toute espèce d’huile empireumatique peut remplacer celle qu’on recommande dans ce cas.

Quant aux souris qui infectent les appartemens, les chats & les souricières sont d’un grand secours contre elles. L’expérience m’a prouvé que le tartre-émétique dont j’ai parlé plus haut, uni avec la farine, les détruisoit. Le fruit du marron d’Inde, bien desséché, rapé avec son écorce, pilé, tamisé, réduit en poudre très-fine & mêlée à la dose d’une contre deux parties de farine, les éloigne de l’appartement. Je ne sais si ce mélange leur donne la mort, mais depuis que je m’en sers, je n’entends ni ne vois aucune souris, tandis qu’auparavant quatre chats ne suffisoient pas pour débarrasser mon habitation. Telles ont été mes expériences & leur résultat sur les rats & sur les souris : voici actuellement ce que j’ai trouvé de plus raisonnable dans les différens écrits sur ce sujet.

On lit dans le Journal économique du mois d’août 1752, que le bibliothécaire de l’abbaye de Cîteaux avoit quatre barils de cuivre, placés aux quatre coins de la bibliothèque confiée à ses soins : chaque baril pouvoit, contenir un seau d’eau ; mais il ne le remplissoit qu’à moitié : chaque baril étoit couvert d’une peau de parchemin, fortement tendue comme celle d’un tambour, & coupée dans son milieu en cette forme qui est le plan d’une gâche. Après avoir répandu sur ces peaux des amorces de blé, de pain ou de noix, il disposoit autour des barrils quelques planches pour donner la facilité de monter aux rats & aux souris qui ne peuvent s’accrocher au cuivre. Il étoit moralement impossible que ces animaux, soit qu’ils fussent seuls en se promenant sur le parchemin, soit qu’ils fussent plusieurs en se disputant les amorces, ne passassent sur la partie du parchemin coupée, & aussitôt ils tomboient dans l’eau, & le parchemin qui avoit plié se remettoit dans son premier état. Le premier de ces animaux attrapé, ne se noyant pas tout d’un coup, ne manquoit pas de crier, & dans un lieu aussi sûr pour eux que l’est pendant la nuit une bibliothèque où l’on ne laisse point de chats, ses camarades ne manquoient pas de venir à son secours, & quelques-uns d’eux ne manquoient pas d’aller tenir compagnie au prisonnier. Le bibliothécaire s’en débarrassa, par ce moyen, en peu de temps. Ce piège peut être facilement imité ; le fer blanc, la faïence & le grès rendront le même service. Il ne s’agit que d’avoir des vaisseaux d’une hauteur suffisante : on pense bien qu’il les faut plus élevés pour attraper des rats que pour attraper des souris.

Les mulots causent de grands dégâts dans les champs semés en blé & dans les prairies ; ils s’y multiplient à l’infini, & ils attirent dans leur voisinage les pies, les corbeaux, les oiseaux de proie de toute espèce, les renards & autres animaux carnivores ; car dans la nature l’espèce qui multiplie le plus, est celle qui est destinée à nourrir un plus grand nombre d’individus. Malgré cette ligue formée par ses ennemis, le mulot se soustrait, sans peine à leur poursuite par la multitude de galeries qu’il creuse, & qui aboutissent de toutes parts à l’extérieur. Les animaux carnassiers ne s’emparent en général de leur proie que par surprise ; il n’est donc pas étonnant que le mulot travaille sans cesse à multiplier les moyens de s’y soustraire : aussi voit-on rarement ce petit animal s’éloigner de la partie du champ ou de la prairie qu’il a sillonnée.

Si dans le fort de l’hiver, un peu avant l’époque des fortes gelées, on peut conduire l’eau sur la prairie & l’inonder, il est clair que l’on fera périr un très-grand nombre de mulots qui seront surpris dans l’eau, & qui ne trouveront aucun moyen pour s’échapper.

Dans les champs, c’est en labourant sans cesse : les labours fréquens ne détruisent pas ces animaux, mais ils les fatiguent au point qu’ils vont chercher plus de tranquillité & de repos dans les champs voisins. C’est les éloigner pour un temps, & voilà tout. L’expérience a prouvé que l’écobuage (consultez le mot Écobuer) les éloigne. Est-ce parce que leurs galeries sont détruites lorsqu’on lève les touffes de terre garnies d’herbes, ou bien est-ce l’odeur désagréable de ces herbes bridées qui les fait fuir ? c’est ce que l’on ne sait pas encore. L’expérience prouve aussi que les mulots disparoissent pour un certain temps lorsqu’un troupeau de moutons a parqué sur un champ ou sur une prairie : ce moyen, quoique simple palliatif, seroit bon si on pouvoit l’employer toute l’année ; mais alors que deviendroit la récolte du blé ou du foin ? Il est encore prouvé que les prairies & les champs sur lesquels on a répandu de la chaux éteinte à l’air, sont moins sujets aux mulots que les champs voisins. Tous ces moyens ne sont pas à négliger, mais aucun n’est d’une utilité générale, à moins qu’on ne les emploie également sur tous les champs limitrophes & dans tout un canton ; sans cette précaution le mal ne tardera pas à se manifester. On aura perdu son temps & dépensé beaucoup d’argent en pure perte. Il en est de la destruction des mulots comme de celle des loups, (consultez ce mot) on y travaille en vain si l’opération n’est pas suivie par toute la province. Je sais par expérience que de la pâte dans laquelle on mêle du tartre-émétique, ou de la noix vomique, & avec laquelle on fait des boulettes que l’on place dans chaque trou, fait périr beaucoup de mulots ; mais comme je ne peux pas renouveler cette opération tant que l’herbe couvre la prairie, & tant que les blés sont sur les champs, mes succès ne sont que momentanés, & encore ils deviennent nuls dans l’année même par l’invasion des mulots qui se trouvent en trop grand nombre dans les champs voisins pour y trouver la nourriture dont ils ont besoin.

Presque tous les auteurs qui ont écrit sur l’agriculture, n’ont pas manqué de donner des recettes ; plusieurs sont absurdes, presque toutes dangereuses à cause des ingrédiens qui les composent. Ce qu’on y trouve de plus réel, c’est le ton d’assurance avec lequel ils les proposent. Que répondroient-ils à celui qui demanderoit s’ils les ont essayées ? si à la fin de l’année ils ont eu le même succès que dans le commencement, & si, à cette époque, leurs prés & leurs champs ont été débarrassés de cette maudite engeance ? Quoi qu’il en soit, le moyen efficace de la détruire est encore à trouver. Je suis fâché de faire cet aveu ; mais après avoir essayé tous les moyens que l’on a proposés, j’ai eu le chagrin de voir que je n’étois pas plus avancé à la fin qu’au commencement de l’année.