Cours d’agriculture (Rozier)/SAGE-FEMME

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Hôtel Serpente (Tome neuvièmep. 20-21).
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SAGE-FEMME. Médecine Rurale. Est celle qui pratique l’art des accouchemens.

Une sage-femme doit avoir des qualités physiques & morales, & sur-tout de la probité. On çonçoit aisément qu’elle pourroit faire d’autant plus de mal, que très-souvent la vie des mères & des enfans, l’intérêt & l’honneur de toute une famille lui sont confiés. Elle doit être douce, consolante, charitable, & connoître les parties de la génération de la femme, la conformation du fœtus relativement à l’accouchement, le mécanisme de l’accouchement naturel, & les soins qu’il peut exiger ; la manière de terminer les accouchemens difficiles, les soins qu’on doit donner aux femmes, soit avant, soit après l’accouchement ; il faut enfin qu’elles sachent pourvoir aux divers besoins de l’enfant. Il seroit à souhaiter, pour le bien de l’humanité, que les sages-femmes de la campagne eussent reçu une instruction suffisante pour pouvoir se bien conduire dans la pratique des accouchemens ; mais la plupart, asservies à une routine meurtrière, & dénuées de tous principes, entraînées par des préjugés aussi funestes que nombreux, tâtonnent & marchent à l’aveugle. Leurs fautes sont ordinairement graves & mortelles. Aussi que d’enfans périssent en venant au monde, ou même avant que de naître, par l’impéritie des sages-femmes ! Les abus sont d’autant plus funestes, que la science est plus importante. Les provinces méridionales sont trop éloignées de la capitale pour pouvoir profiter des cours publics qui s’y font sur les accouchemens ; rien en effet de plus sage & de plus nécessaire que l’établissement d’un cours gratuit sur cette matière, dans toutes les villes considérables du royaume, conformément à celui qui a été fait pour la généralité de Soissons, sous les auspices de M. le Pèletier de Mortefontaine, intendant de cette généralité. Ce sage administrateur, comme le dit fort bien M. Augier Dufot docteur en médecine & professeur d’accouchemens, dans son Discours préliminaire, dont l’attention porte de préférence sur les objets qui tendent à la conservation des hommes, affligé des malheurs qui arrivent presque journellement dans les campagnes par l’impéritie des sages-femmes, n’a trouvé d’autre moyen d’en arrêter le cours, que l’instruction publique & gratuite sur un art qui, devant faire jouir l’homme de la vie, ne lui donnoit que trop souvent la mort.

Ce fut aussi pour des motifs semblables que, parmi les Athéniens, il étoit défendu aux femmes d’étudier la médecine ; mais cette loi ne resta pas long-temps en vigueur. Elle fut abrogée en faveur d’Agnodice, jeune fille qui se déguisa en homme pour apprendre la médecine, & qui, sous ce déguisement, pratiquoit les accouchemens. Les médecins la citèrent devant l’aréopage ; mais les sollicitations des dames Athéniennes qui intervinrent dans la cause, la firent triompher de ses parties adverses, & il fut dorénavant permis aux femmes libres d’apprendre cet art.

On ne peut néanmoins disconvenir que l’art des accouchemens convient mieux aux femmes qu’aux hommes ; il n’est pas douteux que la décence & la pudeur répugnent également à ce que les hommes le pratiquent ; mais l’ineptie des femmes est telle, que la concurrence des accoucheurs n’a encore excité chez elles aucune émulation ; & depuis qu’il y a des accoucheurs, & qu’à l’envi chacun cherche, par ses talens & son travail, à illustrer sa profession, on n’a pas vu les sages-femmes faire un pas de plus. Enfin, soit faute de courage ou d’émulation, il y a actuellement beaucoup moins de sages-femmes qui en méritent le nom qu’autrefois. M. AMI.