Cours d’agriculture (Rozier)/SEMOIR

La bibliothèque libre.
Hôtel Serpente (Tome neuvièmep. 174-178).
◄  SEMIS
SÉNÉ  ►


SEMOIR, machine inventée pour distribuer la semence avec plus d’exactitude & d’économie qu’il n’est possible de le faire lorsque l’on séme à la main.

Les chinois se sont servi, de toute antiquité, de semblables machines pour semer & couvrir en même-temps leurs ris. C’est d’eux qu’on en a emprunté la première idée ; & l’on a pensé aussitôt qu’on devoit l’appliquer aux semailles de nos champs. L’acquisition seroit infiniment heureuse, si nos terres ressembloient à celles des risières de Chine. Toute risière suppose nécessairement un sol dont la superficie est plane & nivelée à la règle, afin que l’eau qu’on est forcé d’y introduire pour favoriser la végétation des plantes, s’étende par-tout à la même hauteur : d’ailleurs ce sol ressemble plus à celui de nos jardins potagers qu’au terrain des champs labourés. Par-tout la terre est douce, émiettée, sans gravier, sans cailloux. Il n’est donc pas surprenant que l’action de semer & de recouvrir la semence par la même opération, soit l’effet d’une machine ; lorsque les ci constances seront égales, cette machine méritera d’être adoptée en Europe. En effet, le grain est également répandu, également espacé, également recouvert, & il n’y a pas un seul grain perdu. Mais où trouver cette égalité de circonstances ? & quand même on la trouveroit, le point vraiment difficile pour l’exécution, seroit de soumettre l’esprit d’un paysan à s’en servir. Il y a plus ; quand même il l’adopteroit, elle seroit bientôt brisée & anéantie par sa gaucherie. L’expérience du passé justifie cette assertion. Pour qu’un cultivateur conduise avec succès une machine, une charrue nouvelle, &c. il est indispensable qu’il l’ait vue & maniée depuis l’enfance, & que ce soit le premier instrument dont il se soit servi ; alors son esprit & ses mains seront accoutumés à l’ouvrage. On citera des exceptions à cette assertion générale, mais je demande aux cultivateurs, si ce n’est pas par ces exceptons mêmes que la vérité de mon assertion générale est prouvée dans les campagnes. Les cultivateurs du cabinet n’en jugeront pas ainsi, & ce n’est pas leur approbation que je demande,

Lucatollo, espagnol de nation, sur a fin du siècle dernier, voulut imiter la culture des chinois, & à cet effet, il inventa ou modifia un de leur semoir. Le plan de sa machine fut envoyé à la Société royale de Londres, & il en fait mention dans la Collection de ses mémoires. C’est sans doute d’après cette instruction que M. Tull, anglois, donna une sorte de célébrité aux semoirs, & il en avoit besoin pour perfectionner la méthode nouvelle d’agriculture qu’il publia dans l’idiome de son pays, & que M. Duhamel fit connoitre en France en 1750, dans l’ouvrage intitulé : Traité de la culture des terres suivant les principes de M. Tull. La base du système de l’auteur anglois est l’atténuation des terres à grains, semblable à celle du sol de nos jardins potagers, & de suppléer les engrais par les labours multipliés. Ce n’est pas le cas de discuter ici la bonté ou la nullité complette de ce sustème qui suppose des travaux & des frais immenses avant d’avoir enlever tous les cailloux & toutes les pierres d’un champ, de l’avoir purgé de toute racine, d’avoir, pour ainsi dire, nivelé la surface au cordeau. En supposant un champ dans ce cas, en supposant encore que les labours suppléent les engrais, (consultez"" les articles Amendement, Sève, &c.), en supposant encore qu’on compte pour peu les champs établies sur les coteaux & sur les pentes des montagnes, il est assez bien prouvé que le semoir économise sur la quantité de grains que le cultivateur répand sur son champ. (Voyez l’article semaille, Froment, &c.)

L’ouvrage de M. Duhamel r&éveilla l’attention de tous les cultivateurs & grands propriétaires. Chacun voulut avoir un semoir & obtenir la gloire de perfectionner celui de M. Tull. M. Duhamel en imagina plusieurs ; alors on offrit à la curiosité publique, les semoirs à tambour, les semoirs à cylindre, les semoirs à palettes ; MM. de Châteauxvieux, de Montésui, Diancour, Thomé, Blanchet, de Villiers, &c. parurent avec honneur par la perfection qu’ils donnèrent à leurs semoirs ; enfin M. Soumille, d’Avignon, est à-peu-près le dernier qui ait innové dans ce genre, & qui ait porté la machine à se plus grande simplicité. Cependant elle a encore ses défauts.

Pendant ce temps-là, c’est-à-dire depuis 1750 jusqu’en 1765 & 1770 la manie des semoirs régnoit en Angleterre, comme en France ; jusqu’aux pois, aux fèves, &c. tout avoit son semoir. On y distingue ceux de M. Ellis, du docteur Huntel, de M. Rundall, &c. Peu-à-peu, dans cette isle & sur le continent, la seminomanie passa de mode. Aujourd’hui tous les semoirs sont relégués sous le hangar, & on ne s’en sert plus. Cultivateurs, méfiez-vous de ces brillantes nouveautés que l’on vous présente ; de ces promesses spécieuses en apparence. Laissez aux curieux l’avantage d’en faire les premiers essais ; & lorsqu’une longue suite d’expériences & d’années aura prouvé que la recette excède honnêtement la dépense, quand même elle multiplieroit le travail, c’est alors le cas d’adopter ces heureuses innovations. Ce n’est qu’à force de soins assidus, de peines redoublées, que l’homme, dans nos climats, force la terre à être féconde. Voilà l’idée d’où vous devez partir, & la seule raisonnable. Les belles promesses allèchent, mais le résultat est cuisant.

Malgré ce que je viens de dire, il peut encore se trouver des lecteurs curieux de connoître ces semoirs qui ont fait tant de bruit ; pour les satisfaire, je vais donner la description de celui inventé par M. Lullen de Châteauvieux, parce qu’il est un des plus parfaits. — Elle est extraite du troisième volume de l’ouvrage publié en 1754 par M. Duhamel, dans son ouvrage intitulé : Culture des terres. (Voyez Planche V.)

A fig. I. est une caisse de bois ou trémie, dont le fond est à la hauteur de la ligne F, G. Cette trémie a quatre pieds, dont on voit deux en k & l. Les quatre pieds, qu’on peut nommer tenons, entrent dans quatre mortoises qui sont à la table H, L. Le fond F, G de cette trémie s’applique immédiatement sur la boîte à semence qui est de laiton B, située entre le fond de la caisse & ses deux côtés, qui portent ses quatre pieds, & la table H, L, dont on voit la face antérieure en B… La trémie communique les grains dans la boîte à semence par un trou qu’il y a au milieu du fond de la trémie. La boîte B contient un cylindre de laiton qui la traverse & qui est enfilé & fixé à un axe de fer M, P, aux deux bouts duquel sont solidement arrêtées deux poulies Q & P. Les pivots de cet axe sont soutenus par deux poupées dont on en voit une en M, H, & une partie du pied de l’autre en L. Ces deux poupées sont fixées au bout de la table par deux clefs, comme le sont celles des tours à tourner.

La table qui soutient les pièces ci-dessus est elle-même soutenue & attachée par ses deux bouts sur deux pièces de bois que nous appelons jumelles T, V, R, S. Ces deux jumelles sont liées parallèlement entre elles par une traverse X, Z. Au milieu U de cette traverse est chevillé le bout d’une autre pièce de bois, qui de là passe sous la table parallèlement aux deux jumelles, & à laquelle cette table est encore attachée par deux vis.

Il y a trois socs D, K, e, parfaitement semblables entre eux, dont les deux K & D sont attachés par un tenon & une clavette aux deux jumelles, en I & P ; la troisième est attachée de la même manière, vers U, à cette pièce, qui est parallèle aux jumelles. Ces trois socs sont revêtus par le bas d’une plaque de fer N, E, C ; on voit en Y la pointe de l’un de ces socs, que l’on suppose entrer ici dans la terre, ainsi que les deux autres.

La herse est composée de trois pièces de bois qo, ow, wn, liées l’une à l’autre par des mortoises & des tenons en o & w, & de deux dents de fer semblables entre elles w z, O R. Ces deux dents sont attachées par des écrous w & o à la herse, qui est elle-même attachée à la traverse X, Z, par deux charnières, vers q & n. Sur les deux jumelles, sont aussi attachés par deux vis vers m & vers e, deux ressorts soudés m, i, q, e, z, n, dont les bouts vers q & n s’appuient sous la herse pour faire entrer les deux dents en terre.

L’avant-train est composé de deux pièces V, R, S, s, semblables & parallèles entre-elles, sur lesquelles est attaché le palonier, r, s, & l’essieu u, t des deux roues. Le semoir porte sur cet avant-train, quand cela est nécessaire, (la manière d’opérer sera décrite ci-après) par une barre de bois d, x un de ses bouts est enfilé vers d dans deux anneaux qui tiennent à la table, & dont on n’en voit qu’un ici. L’autre bout x de cette barre porte sur le milieu de l’essieu de l’avant-train, entre deux chevilles plantées sur cet essieu. L’avant-train est encore lié au semoir par les crochets & anneaux que l’on voit ici en V & S.

En t & n sont deux poulies attachées par trois ou quatre vis aux rayons des roues. Les poulies Q & u sont embrassées par une courroie de cuir de la même largeur que les rainures des poulies, & dont les deux bouts se joignent ensemble par une boucle, ainsi qu’une jarretière. Les deux autres poulies P & t sont embrassées de même par une semblable courroie.


Effet du Semoir.

Le grain étant mis dans la trémie A, toute la machine étant tirée par le cheval attelé au palonier r, s, & dirigée par le semeur qui tient les deux cornes, alors les trois socs D, K, e C, ouvrent chacun un sillon, & en même-temps les poulies K, r, en tournant, font tourner, par le moyen des courroies, les deux autres poulies Q, P, & par conséquent aussi le cylindre qui est dans la boîte B, lequel en tournant, distribue également les grains dans trois tuyaux qui sortent par-dessus la boîte à semence ; la distribution s’en fait par une mécanique. On voit ici en a & b le bout de ces tuyaux. Ces tuyaux a & b se dégorgent dans deux autres tuyaux d & f. Le tuyau a se dégorge dans le tuyau qui vient aboutir derrière le soc D est h, où il pose les grains dans le sillon fait par ce soc. De même le bout du tuyau b de la boîte se dégorge dans le tuyau f, qui vient aboutir en g derrière le soc k ; de même encore le troisième tuyau de la boîte, lequel on ne peut pas voir dans cette figure, se dégorge dans un autre troisième tuyau que l’on voit passer ici en v, y, & qui va aboutir derrière le troisième soc e, C. Les deux dents de la herse passant ensuite, chacune entre deux de ces sillons, couvrent les grains qui sont tombés dans ces trois sillons.

Selon que l’on tourne plus ou moins de la droite à la gauche, ou de la gauche à la droite, une vis B, qui est sur le devant de la boîte, il tombe plus ou moins de grains dans chaque sillon. Mais cette vis restant dans un même état, la quantité de grain qui tombe est constamment la même.

Telle est, très en raccourci, la description du semoir de M. de Châteauvieux. C’est seulement pour en donner une idée aux lecteurs. Ceux qui désireront de plus grands détails sur ces machines, peuvent consulter le troisième volume de l’ouvrage de M. Duhamel, déja cité ; il est presqu’entièrement consacré à faire connoître les principaux semoirs.