Cours d’agriculture (Rozier)/SUCCION, Suçoirs

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Hôtel Serpente (Tome neuvièmep. 296-298).


SUCCION, Suçoirs. Action de sucer ou d’attirer un fluide. Les lèvres de l’enfant qui tette, sont les suçoirs, & son aspiration est l’acte de succion. Les racines sucent les sucs de la terre. (consultez l’article sève) Les feuilles sucent pendant la nuit l’air atmosphérique & l’humidité qu’il contient, La succion à lieu par la partie inférieure au-dessous de la feuille. (consultez ce mot) Les expériences les plus décisives ont prouvé ces deux assertions. Je ne puis me refuser à copier ce que dit M. Roger de Schabol dans sa théorie du jardinage.

La succion, c’est l’auteur qui parle, est l’action de sucer. On suppose dans les plantes, de la part des racines, cette action de sucer & de téter les sucs de la terre ; & comme l’enfent ne tette que pour faire passer le lait dans son estomac afin d’être substanté, de même les racines n’aspirent les sucs de la terre que pour les transmettre au tronc qui est le réservoir commun, d’où ils sont répartis dans tout l’arbre.

On avance ici deux vérités incontestables, capables, s’il en fut jamais, de faire impression sur ceux, qui faute de lumières & d’expériences, taraboutent tant & plus ces suçoirs & sur-tout les pivots des arbres, qui enseignent à le faire, & qui pis est, le prescrivent. Non-seulement les racines sucent, pompent & attirent les sucs prochains de la terre, mais encore ceux qui sont à des distances éloignées par proportion à la faculté de chacune d’elles, pour pomper & attirer la séve. C’est un fait certain, que toutes les racines ne pompent, ne travaillent & ne charient la sève qu’à raison de leur étendue & de leur capacité. Pourquoi les arbrisseaux & les arbustes ne parviennent-ils jamais à la grosseur des chênes ? C’est parce qu’ils n’ont que de petites racines & en quantité bornée. Il faut cependant observer quelquefois que la multitude des suçoirs, dans certaines plantes, comme dans l’if, le pin, le sapin, le cyprès, & autres semblables arbres à racines touffues, équivaut, par un ordre particulier de la nature, à la grosseur de nos arbres les plus forts qui furent pourvus de racines ligneuses d’une grosseur prodigieuse & d’une étendue immense.

À mesure donc que les suçoirs des arbres & des plantes quelconques pompent les sucs de la terre, il se fait aux environs de roche en proche, un envoi successif de sucs nouveaux, sans quoi la sève tariroit : de plus s’il n’en étoit pas ainsi, il seroit fort indifférent de planter près à près ou non. La comparaison de l’enfant qui tette est la plus juste quant au présent sujet : cet enfant qui tette aspire non-seulement le lait qui est contigu aux mamelons, mais encore celui qui est au-delà, puisqu’à mesure qu’il tette, il se fait de proche en proche, de la part des vaisseaux lactés, un dégorgement & une émanation successive de nouvelles portions de ce lait. Voilà l’image la plus ressemblante de l’action des racines pompant la sève. En coupant & en raccourcissant les suçoirs des plantes qui sont le premier principe, les agens de la végétation, les pourvoyeuses, les mères nourrices des plantes, que fait-on autre chose, sinon d’altérer & de détruire l’organisation des plantes, de troubler & de déranger leur mécanisme ?

Ceux qui suivent & observent la nature sur le lieu même, sont à portée de vérifier ces faits. On abat, par exemple, quelques gros arbres ; considérez la terre tout au tour & au loin, par de-là les racines ; vous la verrez comme de la cendre. Le même est par proportion au tour des plantes moyennes, & aux petites en semblables cas. Telle est la raison pour laquelle, dans le jardinage, quand on plante un arbre à la place d’un autre, soit vivant, soit mort, on observe scrupuleusement de changer la terre. Quant à la plantation d’un nouvel arbre, dans la même fosse d’un autre qui y est mort, M. de la Quintilliye, dit, que le nouvel arbre qu’on y plante, sans changer la terre, périt à cause d’une impression & d’une odeur de mort laissée dans le trou par le prédécesseur. C’étoit l’opinion de son temps.

L’autre vérité mérite toute l’attention de l’homme de génie, savoir, qu’en détruisant, de propos délibéré, quelques suçoirs pour en faire pousser nombre d’autres, c’est infirmer la végétation loin de la procurer. Ce n’est pas tant la multitude des petites raçines, & sur-tout de telles racines procréées contre l’ordre de la nature, qui opère la végétation, que le volume, la longueur, la force & le diamètre. Cette proposition générale est vraie, toute proportion gardée dans toutes sortes de plantes, Quiconque prétend, en coupant les suçoirs, les multiplier, & par-là rendre service aux plantes, fait le même raisonnement que celui qui disoit, qu’au lieu d’un tuyau d’un pied de diamètre à une pompe ou à un réservoir, il en faudroit appliquer douze d’un pouce de diamètre chacun ; qu’au lieu d’un gros câble pour enlever quelque fardeau, on n’auroit qu’à multiplier les ficelles. Si ceux qui se sont déclarés contre les racines, à telle fin que de raison, avoient examiné & suivi les opérations de la nature, ils sauroient qu’une seule racine osseuse, tire plus de sève & travaille mieux que cent racines fibreuses & un millier de chevelues. Entre des exemples à l’infini de cette vérité, on produit celui des arbre ; fruitiers qu’on appelle sur franc. (Consultez ce mot) Ces sortes d’arbres n’ont pour la plupart, pour toutes racines, qu’un pivot en forme de crosse allongée ; cependant nuls arbres aussi abondans en sève. — Les jardiniers n’en veulent point parce qu’avec tous leurs efforts, ils ne peuvent les mettre à fruit, & dans nos mains il porte fruit d’abord. Il est un misérable proverbe du jardinage contre lequel les gens sensés ne peuvent trop s’élever. Si un jardinier plantait son père, il lui couperoit la tête & les pieds.