Cours d’agriculture (Rozier)/VAISSEAUX des Plantes

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Hôtel Serpente (Tome neuvièmep. 534-540).


VAISSEAUX des Plantes. Existent-ils réellement dans les plantes ? sont-ils semblables ou approchant de ceux des animaux, au moyen desquels s’exécutent les sécrétions des humeurs, & la circulation du sang ? la question paroît, quant au fond, encore indécise, parce qu’aucune expérience tranchante n’a démontré une similitude exacte. Cependant il règne une si grande analogie entre le mode d’existence de l’homme, de l’animal & du végétal, qu’il est comme impossible de ne pas admettre l’existence de ces vaisseaux. Dans l’animal, la circulation est démontrée, & l’illustre M. Sauvage l’a calculée dans son hémostatique. Il est reconnu au contraire que la sève, dans le végétal, n’y circule pas, comme le sang dans l’animal, mais qu’elle est charriée, pendant le jour, des racines au sommet de l’arbre, par un mouvement ascendant, & du sommet aux racines, pendant la nuit, par un mouvement descendant : enfin, que pendant cette marche continuelle, la sève (consultez ce mot) ainsi se perfectionne, s’épure & se raffine par le secours d’abondantes sécrétions. On est donc forcé de se contenter à conclure par analogie, & quoique ce genre de démonstration ne soit pas susceptible de la rigueur géométrique, il ne sert pas moins à expliquer les phénomènes de la nature, en attendant qu’un génie observateur vienne en découvrir le secret. M. Duhamel, que j’ai toujours cité par reconnoissance, a réuni dans son ouvrage intitulé Physique des arbres, les différens systêmes sur cette question ; je vais faire connoître son travail. Ce qu’il a dit vaut mieux que ce que je pourrois dire.

Quand on examine, dit M. Duhamel, les couches corticales, on apperçoit à la vue simple, ou encore mieux, à l’aide d’une loupe, que les couches dans les arbres sont, en grande partie, formées par des filamens qui s’étendent suivant la longueur du tronc, & encore par une grande quantité du tissu cellulaire. On peut faire les mêmes observations sur le corps ligneux, quoique sa dureté le rende moins favorable à cette direction. L’existence de ces substances est donc trop sensible, pour qu’elle ait jamais pu être niée. Elles ont été observées par tous les physiciens qui se sont occupés de l’anatomie des végétaux. Cependant quelques auteurs ont comparé ces fibres à des filamens qui laissent entre eux des pores. D’autres auteurs, mais un plus grand nombre ont pensé que ces fibres formoient des vaisseaux creux.

On convient que l’écorce & même le bois contiennent des liqueurs ; & comment pourroit-on n’en pas convenir, puisqu’on voit que l’un & l’autre perdent une partie considérable de leur poids, à mesure qu’ils se dessèchent ? On ne peut pas s’empêcher d’avouer que ces fibres servent à porter la nourriture, ou la sève, aux différentes parties de l’arbre ; mais quelques physiciens ont pensé que le mouvement de la sève n’exigeoit point qu’elle fût contenue dans des vaisseaux particuliers. Il est constant, disent-ils, qu’on apperçoit aisément sur la coupe transversale d’un morceau de chêne, d’orme, &c. quantité de troncs qui paroissent être les extrémités d’autant de tuyaux ; mais ces tuyaux sont vides, & ils ne rendent aucune liqueur par leur section ; donc ces pores, ou, si l’on veut, ces vaisseaux ne sont point destinés à contenir des liqueurs, mais seulement de l’air, qui peut être utile, ou même nécessaire à l’économie végétale.

Plusieurs expériences prouvent incontestablement que les bois même assez durs peuvent être traversés par les liqueurs, suivant la direction de leurs fibres. Il suffit d’en rapporter ici une bien concluante. M. Halles coupa, au mois d’août, un bâton de pommier de trois pieds de longueur, sur trois quarts de pouce de diamètre. Il adapta, à l’un des bouts de ce bâton, un tuyau de verre de neuf pieds de longueur & de six pouces de diamètre, qu’il eut bien soin de cimenter. Il remplit ensuite d’eau ce tuyau. L’eau ne tarda pas à baisser promptement ; elle traversa le bâton, & on la vit tomber par gouttes dans une cuvette de verre dans laquelle elle étoit reçue ; ensorte que, dans l’espace de trente heures, il pissa six onces d’eau à travers ce bâton. Il est donc incontestable que les liqueurs traversent la substance du bois, quand elles sont déterminées par une pression assez forte ; mais cependant on pourroit encore douter que ces liqueurs suivissent la route de la sève. On pourroit même, avec quelque fondement, soupçonner que, dans ces expériences, elles passent plutôt par les grands pores dont on en voit les extrémités sur la section d’un morceau de bois, & qu’on croit communément ne contenir que de l’air.

En effet, Malpighi qui, lui-même admet des vaisseaux dans les plantes, semble penser que les ouvertures dont on vient de parler, ne sont que les extrémités des vaisseaux à air, ou des trachées qu’il regarde comme les poumons des plantes. Grew est du même sentiment, avec cette différence, qu’il croit que dans la saison où la sève est la plus abondante, alors elle remplit ces mêmes vaisseaux : ainsi, il semble que cet auteur pense que ces vaisseaux font tantôt l’office de vaisseaux destinés à porter la sève, & tantôt l’office de vaisseaux à air… Mariotte, non-seulement admet des vaisseaux dans les plantes, mais il prétend encore y avoir observé des valvules qui s’opposent au retour des liqueurs. Au reste, ceux qui ne veulent point admettre de pareils vaisseaux, se fondent encore sur ce qu’il ne sort point de liqueurs de toutes les parties de la section d’un morceau de bois, même dans le temps de la sève ; ce qui devroit arriver, disent-ils, si la substance ligneuse étoit formée d’une agrégation de vaisseaux : bien plus, ajoutent-ils, si l’on presse une rave, un radis, un navet, on en voit sortir un peu de liqueur ; mais cette liqueur rentre, & elle est absorbée aussi-tôt que l’on cesse la pression ; ainsi que l’eau qu’on exprime d’une éponge y rentre, quand on laisse cette éponge en liberté.

Malpighi & Grew conviennent de ces faits ; mais ils en attribuent la cause à la grande finesse des vaisseaux. En effet, puisque l’eau monte au-dessus de son niveau dans les tuyaux capillaires que font les émailleurs, & qu’elle y reste sans en sortir, combien l’adhérence ne doit-elle pas être plus grande dans a plupart des vaisseaux des plantes, qui sont infiniment plus capillaires que ceux qu’on peut faire par art ? Je dis la plupart, en parlant des vaisseaux, parce que j’en excepte les vaisseaux dont l’orifice paroît fort grande, aussi-bien que ses vaisseaux propres, dont on voit sortir abondamment les liqueurs laiteuses, gommeuses, résineuses qu’ils contiennent.

Pour réunir toutes les raisons qui peuvent confirmer le sentiment de ceux qui croient que les fibres des plantes sont fistuleuses, je ferai remarquer, 1°. que les sucs nourriciers doivent être portés avec force vers certaines parties, & suivant certaines directions, & que par conséquent des vaisseaux sont bien plus propres à remplir ces fonctions, qu’un simple parenchyme ou une substance cotonneuse ; 2°. que les principales fibres qui se distribuent dans les fruits, sont de même nature que celles du bois, & que ces fibres vont aboutir aux endroits qui exigent plus particulièrement une nourriture plus rafinée & plus appropriée. Si on ne veut pas admettre ces faits, comme une preuve que ces fibres sont réellement des vaisseaux, je ne crois pas qu’on puisse se refuser à convenir au moins qu’ils fournissent une bien forte induction. 3°. Il y a dans le corps ligneux, dans l’écorce, dans les fleurs, dans les fruits, des liqueurs fort différentes les unes des autres, & ces liqueurs ne doivent point se mêler ni se confondre. Il me paroît très-raisonnable d’en conclure qu’il n’y a que des vaisseaux qui puissent être propres à opérer cette séparation. 4°. La chair d’un coin ou d’une poire cassante ne répand point son eau ; quand on coupe ces fruits, cette chair paroît même assez sèche ; cependant cette même chair fournit beaucoup de liqueurs quand on la rape ou quand on la pile, c’est qu’alors on a rompu & déchiré les vaisseaux qui la contenoient.

» Concluons de tout ce qui vient d’être dit, qu’il y dans les plantes, ou de vrais vaisseaux, ou des organes qui en font la fonction : ainsi sans prétendre avoir décidé une question qui a partagé jusqu’à présent les physiciens, nous croyons qu’il peut nous être permis d’employer le terme de vaisseau, pour exprimer les organes qui transmettent la nourriture aux différentes parties des plantes.

Des différentes liqueurs contenues dans les vaisseaux des plantes.

Les vaisseaux lymphatiques, les vaisseaux propres & les trachées, s’étendent suivant la largeur du tronc ; la moële rassemblée au centre, jette des productions qui vont en quelque façon s’épanouir dans l’écorce ; ainsi l’entrelacement des vaisseaux longitudinaux, avec les productions médullaires, forment la substance du bois & de l’écorce ; mais tout cela ne seroit encore qu’un simple squelette, si les vaisseaux étoient dénués de liqueurs qui lui donnent pour ainsi dire la vie. Le tissu cellulaire ne compose pas les vaisseaux, mais il en fait les fonctions, & contient aussi des liqueurs. Malpighi pense que les sucs contenus dans ce tissu, étant plus indigestes que ceux des vaisseaux, ce tissu cellulaire est en quelque façon un viscère qui sert à donner aux liqueurs une préparation essentielle. Grew prétend que ce tissu cellulaire est tantôt rempli de liqueurs, & qu’il ne contient quelquefois que de l’air. Dans ce dernier état, il le compare aux vésicules pulmonaires, & il prétend que l’air lui est transmis par les trachées.

Quoi qu’il en soit de ces deux opinions, l’on voit qu’il y a dans les arbres 1°. des vaisseaux lymphatiques, remplis d’une liqueur ou lymphe transparente & aqueuse ; 2°. des vaisseaux propres ou particuliers, qui contiennent des liqueurs particulières à chaque arbre ; 3°. des vaisseaux spiraux, ou des trachées qui sont essentiellement ou principalement destinées à ne contenir que de l’air.

De la Lymphe. La lymphe que l’on peut retirer de plusieurs espèces d’arbres, & particulièrement de la vigne, de l’érable, du bouleau, du noyer, lorsqu’ils sont en pleine sève, paroît peu différente de l’eau la plus simple ; quelques-uns croient y sentir un peu d’acidité ; cependant l’usage que l’on fait des pleurs de la vigne pour en étuver les yeux malades, prouve qu’en quelque quantité qu’on s’en serve, elle n’y cause aucune cuisson. La liqueur que fournit l’érable en Canada n’a presque pas de saveur au sortir de l’arbre, cependant par le moyen de la concentration de 200 livres de liqueur, on retira 10 livres de sucre concret ; mais qui sait si dans l’effusion de la lymphe, il ne se mêle pas un peu de suc propre ? Quoi qu’il en soit, les arbres de différens genres, rendent leur lymphe avec des circonstances qui lui sont particulières, & il y a beaucoup d’arbres qui n’en rendent point ou presque point, il paroît encore assez prouvé que la liqueur qui s’échappe des plantes par la transpiration, semble n’être qu’une liqueur lymphatique.

Du Suc propre. Cette liqueur est blanche & laiteuse dans le figuier & les tithimales ; gommeuse, dans tous nos arbres à noyaux ; résineuse, dans tous nos arbres verts connifères ; rouge, dans quelques plantes ; elle est quelquefois d’une saveur douce, quelquefois caustique ; elle a quelquefois beaucoup de saveur & d’odeur, souvent elle est insipide. Ainsi elle varie infiniment dans les arbres de afférentes espèces, & dans beaucoup elle est très-aisée à distinguer de la lymphe. Ces observations ont entraîné Malpighi à croire que chaque plante contenoit une liqueur qui lui étoit propre.

C’est peut-être dans ce suc propre à chaque plante que réside principalement la saveur & les propriétés qui sont particulières à chaque espèce. C’est le sentiment de Grew, justifié par plusieurs faits ; car c’est dans la liqueur blanche qui coule du pavot, que réside sa qualité narcotique ; celle du tithimale & du figuier sont corrosives, de même que la liqueur jaune de l’éclair, on pourroit en dire autant de tous les sucs propres décidément colorés. Enfin, si en général l’on reconnoît plus de vertus dans les sucs contenus dans les écorces que dans les bois, c’est que les vaisseaux propres de l’écorce sont plus gros que ceux du bois. Il est encore bon de remarquer que quand le suc propre a de l’odeur, sa présence se manifeste presque dans soutes les parties des plantes ; il n’y a, par exemple, point de parties du sapin qui ne sentent la thérebentine ; il faut donc que le suc propre se mêle en certaine proportion avec la lymphe, ou que les vaisseaux propres, dont on apperçoit les principaux troncs dans les couches de l’écorce, s’y divisent en un nombre de rameaux si fins qu’ils échappent à notre vue.

Malpighi regarde la liqueur propre des plantes comme un vrai suc nourricier ; si on prétendoit néanmoins comparer cette liqueur au sang des animaux, ainsi que l’analogie semble l’indiquer, alors on ne pourroit pas regarder ce suc comme une liqueur immédiatement nourricière, puisqu’il est assez bien prouvé que ce n’est pas le sang, mais bien les sécrétions du sang qui fournissent la nourriture aux parties que le sang arrose. Au reste, il en est peut-être tout autrement des végétaux, & la liqueur propre peut être à leur égard plus immédiatement nouricière, que n’est le sang dans les animaux. Ce mystère de l’économie animale, n’est pas encore bien connu des anatomistes & des physiciens.

Quand les liqueurs propres des plantes s’extravasent, elles ne produisent ni écorce, ni bois ; mais elles forment un dépôt contre nature, un amas de gomme ou de résine, ou d’autres sucs épaissis. C’est à peu près ce qui arrive dans les animaux, lorsque le sang s’échappe des vaisseaux qui le contenait ; car alors il ne forme ni chair ni os, mais des dépôts ou des tumeurs.

L’analogie des végétaux avec les animaux, m’engage ici à faire remarquer que l’éruption du suc propre dans les vaisseaux lymphatiques, ou dans le tissu cellulaire, occasionne aux plantes des maladies, qu’on peut comparer aux inflammations qui surviennent dans les animaux. On sait que chez eux elles ne sont autre chose qu’une éruption du sang dans les vaisseaux lymphatiques. Les arbres à noyaux offrent de fréquens exemples d’inflammations végétales ; car quand le suc propre qui, dans les arbres est gommeux, s’est répandu abondamment dans les vaisseaux lymphatiques, ou dans le tissu cellulaire, la branche attaquée périt ordinairement, à moins qu’on ait soin d’emporter avec la serpette l’endroit où s’est fait l’épanchement.

Le suc propre que l’on retire des arbres résineux, s’écoule suivant certaines circonstances qui sont étrangères à l’effusion de la lymphe. Car, 1°. pour procurer cet écoulement, on entame l’écorce & le bois. 2°. On remarque que le suc suinte bien plus abondamment dans le temps des grandes chaleurs que quand l’air est froid, & que ce suc cesse de couler lorsque le temps est froid. 3°. On remarque qu’il suinte de toute l’étendue de la plaie, mais principalement entre le bois & l’écorce, quoique ce ne soit pas à cet endroit qu’on apperçoit les plus gros vaisseaux propres. 4°. On observe qu’il sort plus de suc propre de la partie supérieure de la plaie que de l’inférieure, de sorte qu’il semble que le suc propre descend plutôt des branches, qu’ils ne monte des racines vers le haut.

Dans la section d’une jeune branche, on voit le suc propre sortir de ses vaisseaux, avec cette circonstance particulière, qu’il paroît suinter plus abondamment de la coupe qui appartient aux branches que de celle qui répond au tronc.

Il est donc démontré, d’après les observations de M. Duhamel, d’après les expériences des plus habiles naturalistes, & par ce que chaque observateur peut examiner & voir tous les jours, qu’il existe réellement différens sucs dans les plantes, dont l’ensemble compose ce que nous appelons la sève ; mais il n’est pas également démontré par quels genres de vaisseaux cette sève passe & se modifie d’une façon si surprenante dans la pulpe de nos fruits, les bois des noyaux, les amandes, &c. ni quels sont les vaisseaux qui fournissent l’odeur exaltée de la tubéreuse, tandis que ses feuilles & son oignon n’ont qu’une odeur herbacée.

Je crois avoir présenté quelques idées nouvelles dans l’article sève, sur la manière dont elle se forme & se combine avec ses différens principes. En comparant ce premier article avec ce que dit M. Duhamel dans celui-ci, il sera facile de trouver la solution de plusieurs problèmes.