Cours d’agriculture (Rozier)/VESCE

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Libairie d’éducation et des sciences et des arts (Tome dixièmep. 72-80).
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VESCE, de vincio lier, parce que cette plante s’attache à tous les appuis qu’elle rencontre. Tournefort l’a rangée dans la seconde section de la dixième classe, qui comprend les herbes à fleur polypétale, irrégulière, papilionacée, dont le pistil devient une gousse longue et unicapsulaire : il la nomme vicia vulgaris semine nigro. C’est la vicia sativa de Linné. Elle est placée dans sa diadelphie décandrie.

Fleur, papilionacée ; l’étendard ovale, son onglet élargi, son sommet échancré, avec une petite pointe ; ses côtés recourbés ; les ailes oblongues, presque cordiformes, plus courtes que l’étendard ; la carène sous-orbiculaire plus courte que les ailes ; son onglet est divisé en deux ; un nectar en forme de glande placé sur le réceptacle, entre le germe et le filet des étamines.

Fruit, deux légumes sessiles, presque réunis à leur base, d’une forme semblable au légume de la fève de marais, mais les semences plus petites et obrondes.

Feuilles, ailées, sans impaire, terminées par une vrille ; les folioles très-entières, presque sessiles, velues, linéaires, lancéolées, avec un stylet à leur sommet.

Port. Les tiges s’élèvent à un pied, un pied et demi et plus, herbacées, rameuses, presque quadrangulaires ; deux fleurs bleues et blanches, axillaires, de la grandeur des folioles ; stipules dentelées, marquées d’une tache noire ; feuilles alternes.

Lieu. Les champs. Cette plante est annuelle.

Propriétés. La semence est nourrissante, venteuse ; sa farine est une des quatre farines résolutives ; on l’emploie en cataplasmes ; administrée intérieurement, sous forme de médicament, elle est astringente.

Ses usages économiques.

Quand la nécessité força, comme en 1709, de convertir la farine de la vesce en pain, on n’en obtint qu’un aliment de mauvais goût et d’une digestion difficile. La graine de cette plante ne convient pas non plus indistinctement à tous les animaux de la basse-cour. Il résulte des observations que nous avons faites, qu’elle est nuisible aux canards, aux jeunes dindons, et sur-tout aux poules. Ceux d’entre ces derniers oiseaux, que nous avons vu s’en gorger avec une sorte de délices, ont été saisis peu après d’une chaleur ardente et d’une soif inextinguible. Si les poules trouvent à renouveler le même repas, les accidens ne font qu’augmenter : l’inflammation du sang se manifeste par la couleur rembrunie de leurs crêtes ; et l’hydropisie et la mort ne tardent pas à la suivre. Il paroît que les cochons ne s’accommodent pas non plus de la graine de la vesce. Leur estomac naturellement très-chaud, c’est-à-dire, très-actif, reçoit sans doute un redoublement d’énergie de la qualité astringente, et tonique de cette semence. Soit qu’elle absorbe ou qu’elle neutralise la bile et le suc gastrique, indispensables pour la formation et l’élaboration du chyle ; soit qu’elle passe trop rapidement de l’estomac dans les secondes voies, il est de fait qu’à mesure que les cochons s’en nourrissent, leur chair disparoît, et qu’ils finissent par la consomption. Les habitans de la campagne disent alors que leurs cochons sont brûlés, expression vraie, si par brûlure ils entendent l’absorption ou dessiccation des fluides.

Nous avons cru devoir prémunir le cultivateur contre les accidens qui peuvent résulter de l’emploi de la vesce, avant de lui présenter les nombreux avantages qu’il peut obtenir de toutes les parties de cette plante, distribuées à propos et avec discernement.

Sa graine forme une des nourritures favorites des pigeons, qui semblent même lui donner la préférence sur tout autre aliment, Récolté pendant un beau temps, et peu après la formation du fruit, avant que les cosses ou siliques aient contracté la couleur rembrunie qui annonce l’entière maturité de la plante, sa tige et ses graines forment un aliment précieux pour hiverner les bêtes à laine, sur-tout si on a mêlé à la semence une certaine quantité de pois gris, de lentillons, d’orge ou d’avoine, selon la qualité du terrain. Cet excellent fourrage est connu des cultivateurs sous les noms de mêlarde, dragée, etc. Les brebis qui allaitent ont besoin de nourritures à la fois substantielles et tendres ; et la vesce est de ce nombre. Les jeunes agneaux, qui auroient bientôt épuisé leurs mères, s’ils étoient réduits au seul pis, contractent de bonne heure, par elle, l’habitude de manger. Le tempérament débile de ces animaux s’accommode d’autant mieux de la vesce, que sa qualité tonique, qui la rend dangereuse pour les cochons, en fait un aliment salutaire pour les bêtes à laine. Ce n’est pas toutefois que nous donnions au cultivateur le conseil de ne distribuer que de la vesce à son troupeau pendant les jours pluvieux de l’hiver : nous sommes loin de ces affections exclusives. Nous lui disons au contraire : fondez votre entreprise rurale sur les débouchés commerciaux du pays que vous habitez ; étudiez votre climat ; observez la position de vos champs ; sondez votre terrain ; appliquez-vous à connoître sa nature ; puis cultivez toutes les plantes qui pourront y prospérer et répondre à vos vues. Plus vous les varierez, moins vous aurez à craindre les effets de l’intempérie des saisons. D’ailleurs le mélange dans la nourriture convient aux animaux comme aux hommes. Entremêlons donc les ressources de nos bestiaux. Pour les bêtes à laine, par exemple, à un repas de vesce, faisons succéder un repas de pommes de terre, ou de navets, ou de choux, ou de carottes ; à celui-ci, un raffour de trèfle, sainfoin ou de luzerne ; après ce dernier, distribuons le repas de paille, de froment, ou d’avoine sur-tout ; ainsi de suite. Voilà le vrai moyen de bien nourrir un troupeau ; et si on joint à cette attention le soin non moins important de le tenir avec propreté dans des bergeries spacieuses et bien aérées, on peut compter sur sa prospérité.

La vesce concourt à maintenir en bon état les chevaux et les bœufs, même pendant la durée des plus grands travaux. Quand on la destine à suppléer l’orge ou l’avoine, il faut la distribuer non battue ou légèrement battue ; car c’est la partie farineuse de la graine qui donne le courage et la vigueur, c’est-à-dire, qui nourrit bien. Lorsque la vesce ne doit être employée que comme fourrage simple, pour tenir lieu de foin ou de paille, il convient de n’en présenter aux bestiaux que les tiges et les fanes. On met en réserve la graine qui résulte du battage, pour servir de semence, ou bien pour nourrir les pigeons. Comme on ne sauroit trop prémunir les habitans de la campagne contre leur inclination à prodiguer aux bestiaux les fourrages auxquels ceux-ci ont l’air de donner la préférence, quand on a d’abondantes provisions, nous répéterons ici ce qui a été dit plusieurs fois dans le cours de cet ouvrage : c’est qu’il faut donner peu et souvent à manger aux bestiaux enfermés dans les étables, aux animaux ruminans sur-tout. Nous ajouterons que des distributions peu mesurées de vesce non battue nuiroient aux chevaux mêmes, et qu’elles ne tarderoient pas à les échauffer d’une manière alarmante, par les maladies cutanées qui en résulteroient.

Le même fourrage, semé en automne, et dont nous parlerons incessamment, distribué en verd, ou pâturé dans le champ au commencement du printemps, à l’époque où les herbages ne commencent qu’à pousser, est infiniment avantageux. Il répare en grande partie les effets de la mauvaise nourriture ou de la nourriture trop économisée de l’hiver. Il est d’un prix infini pour le sevrage des agneaux qu’il est si important de conduire au pâturage, séparément de leurs mères, pendant deux mois au moins ; il augmente le lait des vaches et des brebis nourrices, et dispose les unes et les autres à passer insensiblement et sans accident, des alimens secs aux autres prairies artificielles. Dans cet état de verd, elle peut concourir avec l’orge ou l’avoine à former l’engrais des bestiaux destinés à la boucherie. En sec, on n’en tireroit pas le même avantage, et toujours à cause de la qualité très-astringente de son fruit, quand il est entièrement dégagé de son eau de végétation.

On a l’habitude, dans quelques parties de la France, dans celles sur-tout où le nombre des bestiaux n’est pas proportionné à la quantité des terres en labour, et dans celles où les matières de la litière sont rares, soit par le peu de produit des champs en paille, soit par le peu de soins qu’on apporte à se procurer toutes les matières végétales qui peuvent la remplacer ; on a l’habitude d’enterrer les vesces dans le champ même qui les a produites. Le moment à choisir pour les enfouir est celui où la plante, étant en pleine floraison, présente le plus gros volume auquel elle puisse atteindre. Si on l’enterroit plutôt il y auroit perte, parce qu’on en obtiendroit une masse d’engrais, moins considérable ; si on attendoit plus tard, la plante desséchée en partie ne contiendroit plus la quantité suffisante des parties humides par qui la fermentation doit être établie promptement, pour opérer de suite sa conversion en terre végétale. Si la vesce a été clair-semée, si la terre a du fond, il est inutile de faucher pour enfouir. Si au contraire la charrue ne peut pénétrer qu’à un décimètre, par exemple, de profondeur ; et si la fane épaisse couvre toute la surface du champ, il est avantageux de la faucher, ou du moins de l’affaisser avec le rouleau avant de l’enfouir ; autrement le soc sans cesse embarrassé dans sa marche, forceroit le laboureur à un surcroît de travail long et pénible, et la petite quantité de terre rabattue par le versoir seroit insuffisante pour couvrir la totalité de la plante. Or, on sait que tout ce qui excède la surface du champ, en fait d’engrais, se dessèche à l’air en pure perte, et sans qu’il en puisse résulter le moindre avantage.

Espèces ou variétés. Culture.

La botanique compte au moins vingt espèces de vesces, tant annuelles que vivaces et bis-annuelles. Presque toutes sont également propres à la nourriture des bestiaux ; mais il ne paroit pas qu’en France on en ait cultivé d’autres que la vesce commune à semences noires et celle à semences blanches : elles sont annuelles l’une et l’autre. On donne communément la préférence à la première, parce que, produisant un plus grand nombre de tiges, elle fournit un fourage plus abondant. D’ailleurs, la semence d’un gris noirâtre est moins apparente que la blanche, et les pigeons en détruisent moins au tems des semailles.

Miller, dans son dictionnaire des jardiniers, et Thouin, dans le recueil des mémoires de la société d’agriculture de Paris, regrettent qu’on ne cultive pas dans les pays tempérés de l’Europe, les vesces bis-annuelles et vivaces, dont les qualités, comme fourage, ne sont pas inférieures à celles des vesces annuelles. Il est vrai que, si ces plantes sont abandonnées à elles-mêmes, elles se couchent sur la terre, et s’étendent à de grandes distances ; leurs tiges, entassées les unes sur les autres, se dépouillent de leurs feuilles, jaunissent par le défaut d’air, et se gâtent par l’humidité. Le seul moyen de remédier à cet inconvénient, seroit d’employer des rames pour soutenir les plantes de cette nature ; mais, où en trouver dans les cantons où le bois est rare ? et dans ceux où il est commun, combien de tems ne faudroit-il pas consacrer à cette opération ? En supposant, enfin, cette main-d’œuvre praticable, comment s’y prendroit-on pour récolter le fourage ? car les rames formeroient un obstacle insurmontable au jeu de la faux. Le vrai moyen de former d’excellentes prairies artificielles des vesces bisannuelles, seroit de semer avec elles d’autres plantes douées aussi des qualités propres à faire un bon fourage, et dont les tiges, s’élevant en lignes droites, auroient, comme les luzernes, les trefles, le sainfoin, les mélilots, etc. assez de consistance pour servir d’appui aux frêles rameaux des vesces. Thouin indique, pour former de telles prairies, d’une part, la vesce bis-annuelle, à plusieurs fleurs sur chaque pédoncule sillonné, avec, pour la plupart, douze lobes unis, et en forme de lances sur chaque feuille : Vicia biennis, pedunculis multifloris, petiolis sulcatis, subdodecaphyllis, foliolis lanceolatis, glabris. Lin. ; et de l’autre, le grand mélilot à fleur blanche : Trifolium racemosis nudis, dispermis rugosis, acutis, caule erecto. Lin. Voici ses propres expressions : « La culture du mélilot de Sibérie se rapproche infiniment de celle du trèfle ; il peut être semé dès l’automne, sur un seul labour, dans les terres meubles, profondes et de nature sèche ; mais dans les terres humides, il est plus sûr de ne le semer qu’au printemps. Ces derniers semis exigent deux labours ; la terre destinée à les recevoir doit être bien divisée avec la herse, et à plusieurs reprises. Les graines du mélilot étant plus petites que celles du trèfle, et la plante tallant davantage, nous estimons qu’il ne faut que la moitié de la quantité de graines qu’on emploie ordinairement pour semer un arpent de trèfle ; on peut même l’économiser davantage dans les terres fortes et humides, parce que les plantes y forment des touffes plus considérables. Les semis d’automne peuvent être fauchés quelquefois dès la mi-novembre ; après cela, au mois de mai suivant ; ensuite, au mois de juillet ; et pour la troisième fois, en septembre ; et lorsqu’il vient des pluies, et que le temps est doux pendant l’automne, on peut encore obtenir une quatrième coupe en novembre. Les trois premières peuvent être fanées pour faire des fourrages secs ; mais la dernière doit être donnée en verd aux bestiaux, parce que l’humidité de la saison ne permet pas de la faire sécher convenablement. Au moyen des coupes réglées à propos, où parvient à conserver cette plante en état de produire pendant plusieurs années. Nous en avons établi une petite culture qui est à la troisième année, (Thouin écrivoit ce mémoire en 1788), et qui est encore très-vigoureuse ; mais si on laisse fleurir la plante, et mûrir ses graines, elle s’appauvrit bientôt, et ne doit plus être considérée que comme bis-annuelle. Cette espèce de mélilot, cultivée seule, nous paroît plus productive que les différentes espèces de trèfle ; mais elle devient d’un rapport bien plus considérable, lorsqu’on la cultive avec la vesce de Sibérie. Ces deux plantes ont toutes les qualités qui peuvent en faire désirer la réunion. 1°. Elles ont le même terme de durée ; 2°. elles poussent en même-temps ; 3°. elles fleurissent et grainent dans la même saison ; 4°. leurs racines, dont les unes sont pivotantes et les autres traçantes, s’étendent à différentes profondeurs ; 5°. l’une produit un fourage très-délié et fort tendre, tandis que l’autre est plus substantielle et plus solide ; 6°. et enfin, la vertu échauffante de l’une est tempérée par la qualité aqueuse de l’autre ».

Nous saisissons ce moment pour communiquer au lecteur une observation que nous avons faite, relativement au mélilot de Sibérie, et qui peut être de quelque utilité. Nous nous procurâmes, il y a environ trois ans, quelques graines de cette plante. Elles furent semées au printemps, dans le voisinage d’un rocher. Nous attendîmes la seconde année pour laisser fleurir la plante, afin d’en obtenir la graine. Ses fleurs commencèrent à s’épanouir dans les premiers jours de juillet, et durèrent pendant les mois d’août et de septembre, époque où elles sont passées sur la plupart des plantes de notre climat, et où les abeilles ne trouvent presque plus de nourriture. Le mélilot donne des fleurs en telle abondance, que les tiges, dont le plus grand nombre s’élevoit à cinq ou six pieds, en étoient couvertes dans presque toute leur longueur ; et les abeilles paroissoient tellement friandes du miel qu’elles y récoltoient, qu’elles ne les quittèrent qu’à l’instant de la formation des siliques. C’étoit un spectacle assez curieux que l’empressement qu’elles mettoient à se remplacer les unes les autres, à mesure qu’elles se chargeoient de butin. La provision fut beaucoup plus abondante pendant l’hiver qui suivit cette récolte, qu’elle ne l’avoit été dans les années précédentes. Le mélilot peut donc nous faire jouir du double avantage de récolter beaucoup de miel, et de nous procurer d’excellentes prairies artificielles, soit qu’on le cultive seul ou mêlé avec la vesce de Sibérie.

Cependant, les essais en grand, pouvant seuls constater les produits qu’il est permis d’espérer de la culture des nouvelles plantes, et ces essais devant être dirigés par des cultivateurs sages et aisés, c’est eux que nous invitons à tenter, sur-tout dans les parties de l’ouest et du nord de la France, la culture en grand du mélilot et de la vesce de Sibérie. En attendant, gardons-nous de négliger celle de la vesce commune : elle est d’un trop grand secours pour alterner les terres, et pour la suppression des jachères.

Semée au printemps, dans une terre meuble et fraîche, et qui n’a pas rapporté, l’année précédente, des plantes de la même famille, elle donne d’abondantes récoltes, sut-tout si le temps est alternativement mêlé de chaleur et de pluie ; car l’humidité est indispensable pour la prospérité de toutes les légumineuses. Il est d’autant plus essentiel de semer de bonne heure, au printemps, que si la jeune plante est surprise par la sécheresse, au moment où elle ne montre encore que ses cotylédons, et avant la formation des feuilles rameuses, elle jaunit et périt en très-peu de temps ; il ne faut même alors que quelques heures pour qu’elle devienne la proie du tiquet ou puceron, qui ronge et ses jeunes feuilles et tout l’œil de sa tige. Ce mal est sans remède, car on n’en connoît point d’autres que de recommencer la besogne entière ; c’est-à-dire, de labourer, ou du moins, de herser avec la herse de fer, et semer de nouveau. Plus la saison est avancée, moins on est assuré de la réussite de ce surcroît de travail.

On n’a pas ce dernier inconvénient à redouter quand on sème la vesce en automne : mais, pour son succès, il faut que la terre ait du fonds, qu’elle ne soit pas trop argileuse, ou du moins, que la surface du champ soit inclinée de manière à faciliter l’écoulement des eaux surabondantes. Un nombre suffisant de fossés bien dirigés peut suppléer au défaut de pente. Il est rare que le froid ait assez d’intensité en France, pour que la vesce semée dans un pareil terrain, immédiatement après la moisson, ne résiste pas à la gelée. La récolte en est d’autant plus abondante, qu’il est de fait que, plus une plante emploie de temps en terre à parcourir les différens périodes de son accroissement, plus elle acquiert de vigueur, plus son produit est considérable. Les vrilles de vesces annonçant, comme on l’a dit plus haut, leur besoin de s’accrocher et de rencontrer des appuis, il est essentiel de joindre à la semence un dixième ou un douzième de seigle ou bien d’orge, ou d’avoine acclimatés aux saisons pendant lesquelles leur végétation doit avoir lieu. Le choix de l’une ou de l’autre est toujours commandé par l’exposition et la nature de la terre, cent vingt-cinq livres de semences de vesce suffisant communément pour couvrir un demi-hectare. Si on sème pendant l’automne, on ajoute aux cent vingt-cinq livres une huitième partie des graminées dont on vient de parler ; et quand on juge à propos d’attendre au printemps, le poids de celles-ci peut faire partie des cent vingt-cinq livres de vesce.

Le moment de récolter est, pour l’une et l’autre vesce, quand on la destine à n’être que fourrage, celui où la plus grande partie des siliques est seulement formée. Quant à celle dont on veut extraire la graine, soit pour semence, soit pour la nourriture des pigeons, ou pour être distribuée pendant l’hiver aux bêtes à laine, dans du son ou avec de l’avoine, il faut attendre que les cosses aient acquis la couleur brune, et ne rien négliger pour saisir le temps où le baromètre et les autres indications météorologiques peuvent faire espérer une suite de beaux jours. Moins la plante restera de temps à faner, moins il y aura de perte, meilleur sera le fourrage.

Le champ débarrassé (ce sera vers le commencement de messidor), donnez aussitôt un coup de charrue et semez dans les terres meubles des navets ou turneps ; dans celles qui auront un peu plus de ténacité, des choux-raves ou des choux-navets. Si le champ a été bien fumé, bien labouré, avant de recevoir la semence de vesce, si les navets ou choux-raves sont ensuite soignés, c’est-à-dire, éclaircis, sarclés et binés à temps ; non seulement la récolte des racines sera abondante ; mais, dès le printemps suivant, on les remplacera avantageusement, et sur un seul labour, par de l’orge ou de l’avoine dans laquelle on sèmera du trèfle. Celui-ci sera consommé sur pied l’année suivante par les bestiaux de la ferme ; mais il faut avoir l’attention de les cantonner et de les faire se succéder les uns aux autres dans l’ordre suivant : les cochons, les bœufs, les vaches, les chevaux, les bêtes à laines. Le cultivateur attentif n’oubliera pas sans doute qu’on ne peut prendre de trop grandes précautions pour introduire plus sûrement les bestiaux dans un champ de trèfle. On ne doit leur en permettre l’entrée, non-seulement qu’après l’entière dissipation de la rosée : mais il faut, avant de les y introduire, qu’ils aient fait un repas dans les étables, bergeries ou écuries ; dans les premiers jours ils ne feront pour ainsi dire, qu’y passer matin et soir ; mais peu-à-peu on les y laissera plus long-tems, et de manière que leurs estomacs s’accoutument insensiblement à cette nourriture ; loin de leur être alors préjudiable, elle leur est avantageuse et salutaire. Depuis quinze ans je pratique cette méthode de faire parquer mes bestiaux dans les trèfles, et je dois dire qu’il n’en est résulté aucun accident : ce que j’attribue à la double précaution de ne les y introduire que peu à peu et jamais à jeun. Ceux qui y passent les nuits n’étant pas pressés par le besoin, ne touchent point à la plante avant que le soleil ou le vent n’ait dissipé la rosée. La richesse d’engrais qui résulte d’un tel parcage est immense et dispose merveilleusement la terre à donner l’année suivante une bonne récolte de froment. Tels sont les avantages qu’on peut attendre de la culture de la vesce, de celle d’automne sur-tout ; on ne doit pas compter pour peu celui de contribuer aussi directement à la suppression des jachères.