Cours de philosophie/Leçon III. La science et la philosophie

La bibliothèque libre.
Aller à la navigation Aller à la recherche
- Leçon II. Objet et méthode de la philosophie (suite) Cours de philosophie - Leçon IV. Divisions de la philosophie



Cours de philosophie


On a souvent agité la question de savoir si la philosophie était une science, dans quelle mesure elle en était une, et quels étaient ses rapports avec les autres sciences. Pour en trouver la solution, il faut d'abord définir la science. Au premier coup d'oeil la science nous apparaît comme un système de connaissances. Mais ce système a un ordre spécial qu'il faut déterminer. Pour y arriver, voyons quel est le but de la science. Elle a un double but: D'une part elle doit satisfaire un besoin de l'esprit; de l'autre, elle est destinée à faciliter et à améliorer la pratique. Ce besoin de l'esprit c'est l'instinct de curiosité, la passion de savoir. Enfin la science a toujours sinon pour but, du moins pour résultat, d'améliorer les conditions matérielles de l'existence, par cela même qu'elle facilite et améliore la pratique en expliquant la théorie.

Elle atteint ce double but par un seul moyen, l'explication. En expliquant les choses, la raison satisfait de la manière la plus complète et la plus parfaite possible l'instinct de curiosité. Savoir que les faits existent est un premier plaisir, mais savoir pourquoi ils existent, les comprendre, c'est là une satisfaction d'ordre supérieur. On peut se representer la science comme une lutte entre l'intelligence et les choses. Suivant que l'intelligence est victorieuse ou vaincue, elle est satisfaite ou elle souffre. Elle est surtout heureuse quand elle peut saisir tout entière la chose qu'elle examine, la comprendre, la faire sienne pour ainsi dire. C'est là l'idéal de l'explication. Ainsi expliquer est le meilleur moyen de satisfaire l'instinct de curiosité. C'est aussi le meilleur moyen d'atteindre le second but de la science en rendant les choses plus facilement utilisables. Quand nous connaissons une chose à fond, nous pouvons beaucoup mieux et beaucoup plus utilement nous en servir que si nous connaissons uniquement son existence. Par cela même que la chose expliquée et comprise est devenue [mot illisible] nous nous en servons beaucoup mieux que d'une chose étrangère. Tandis que la chaleur, par exemple, dont on connaît bien les lois, a donné naissance aux applications les plus utiles, on ne retire que peu d'utilité de l'électricité dont on ne connaît ni la nature ni les véritables lois et dont l'emploi est presque entièrement empirique.

Ainsi donc, le meilleur moyen d'arriver à son but pour la science étant d'expliquer, on peut dire: l'objet de la science est d'expliquer.

Mais il y a deux formes de sciences et deux manières d'expliquer. Les mathématiques expliquent en démontrant, c'est à dire en faisant voir que le théorème à prouver est compris dans un autre déjà prouvé, qu'énoncer l'un, c'est énoncer l'autre, que l'un, en un mot, est identique à l'autre. De montrer mathématiquement, c'est donc établir une identité entre le connu et le cherché. Donc, les mathématiques expliquent au moyen de rapports d'identité. Comment démontre-t-on que les trois angles d'un triangle sont égaux à deux droits? En faisant voir que dire:

1. que les angles alternés, internes et correspondants sont égaux et;
2. que la somme des angles faits autour d'un point du même côté d'une droite, valent deux droits; et
3. dire que la somme des angles d'un triangle vaut deux droits, c'est la même chose.

Or, les deux premières propositions étant vraies, il s'ensuit nécessairement que la troisième, qui leur est identique, est vraie aussi.

Les sciences physiques expliquent autrement: ce ne sont plus des rapports d'identité, mais des rapport de causalité qu'elles établissent. Tant qu'on ne voit pas la cause d'un fait, il est inexpliqué, et l'esprit n'est pas satisfait. On en fait voir la cause, et aussitôt l'esprit est satisfait le fait est expliqué.

On peut donc généraliser et dire: l'objet de la science est d'établir des rapports rationnels - rapports d'identité ou de causalité - puisque nous avons établi qu'elle avait pour but d'expliquer, et qu'expliquer, c'était établir entre les choses des rapports d'identité ou de causalité.

Connaissant tout cela, voyons quelles conditions doit remplir un système de connaissances pour mériter d'être appelé science.

Il faut avant tout qu'il ait un objet propre à expliquer, que cet objet ne se confonde avec celui d'aucune autre science, et qu'il soit bien déterminé. Comment expliquer, alors que la chose à expliquer n'est pas définie?

En second lieu, il faut que cet objet soit soumis soit à la loi d'identité, soit à celle de causalité, sans quoi il n'y a pas d'explication possible et par conséquent, pas de science.

Mais ces deux premières conditions ne suffisent pas: en effet, pour pouvoir expliquer un objet, il faut qu'il nous soit accessible de quelque façon. S'il nous était inaccessible, nous ne pourrions en faire la science. Le ou les moyens dont doit disposer l'esprit pour pouvoir aborder l'étude de cet objet composent la méthode. La troisième condition à remplir pour une science c'est donc d'avoir une méthode pour étudier l'objet.

Au moyens de ces principes, examinons maintenant si la philosophie est une science.

Elle a un objet propre, bien défini et dont ne s'occupe aucune autre science: les états de conscience. La première condition est donc remplie. - Les faits qui constituent son objet sont soumis à des rapports rationnels: l'on ne saurait prétendre que les états de conscience échappent à la loi de la causalité. La seconde condition est donc également remplie. - Enfin, la philosophie a sa méthode, la méthode expérimentale: elle remplit donc les trois conditions nécessaires à obtenir le titre de science et peut-être à juste titre regardée comme une science.

La philosophie étant reconnue pour une science, quels sont les rapports avec les autres sciences?

A l'origine de la spéculation, les philosophes, par excès de confiance, ont cru que cette science comprenait toutes les autres, que la philosophie, à elle seule, menait à la connaissance universelle. Les sciences ne seraient dès lors que des parties, des chapitres de la philosophie.

La définition de la philosophie et la preuve de ses droits au titre de science distincte suffisent à montrer que cette théorie ne saurait être admise.

De nos jours s'est produite une autre idée: on a soutenu que la philosophie n'avait pas d'existence propre et n'était que le dernier chapitre des sciences positives, la synthèse de leurs principes les plus généraux: telle était, par exemple, la pensé d'Auguste Comte.

Il n'y a qu'à invoquer - encore la définition de la philosophie pour réfuter cette théorie. La philosophie à son objet propre, les états de conscience, objet indépendant de celui de toutes les autres sciences. Là, elle est chez elle, elle est indépendante, et si pour expliquer son objet elle peut emprunter aux autres sciences, elle ne se confond en tout cas avec aucune d'elles et n'en reste pas moins une science distincte au milieu des autres sciences.

Quels sont donc les rapports de la philosophie avec ces autres sciences? - Il y en a de deux espèces: les rapports généraux, qui sont les mêmes avec toutes les sciences; les rapports particuliers, qui sont différents pour chaque science particulière.

Examinons d'abord les rapports généraux. Les objets qu'étudient les différentes sciences positives n'existent pour nous qu'en tant qu'ils sont connus. Or, la science qui étudie les lois de la connaissance, c'est la philosophie. Elle se trouve donc ainsi placer au centre auquel viennent converger toutes les sciences, parce que l'esprit lui-même est placée au centre du monde de la connaissance. Supposons par exemple que la philosophie décide que l'esprit humain, comme le pensait Kant, n'a pas de valeur objective, c'est à dire ne peut pas atteindre les objets réel, voilà toutes les sciences condamnées par là même à être uniquement subjectives.

Passons au rapports particuliers. Ils sont de deux sortes: la philosophie reçoit des autres sciences et leur donne.

La philosophie emprunte aux autres sciences un grand nombre de faits sur lesquels elle réfléchit et qui servent à faciliter l'explication de son objet. Par exemple, il est impossible de faire de la psychologie sans avoir recours aux enseignements de la physiologie. Quand on spécule sur les phénomènes extérieurs il faut bien prendre pour base des raisonnements que l'on fait les données de la physique et de la chimie.

D'autre part, pour se fonder et se construire les différentes sciences emploient différents moyens, suivant ce qu'elles ont à expliquer: les mathématiques ont la déduction; la physique, l'induction; l'histoire naturelle, la classification. Mais qui étudie ces procédés? C'est la philosophie. Elle en fait la théorie, elle voit à quelles conditions ils doivent être soumis pour donner des résultats justes. Dès lors, elle se demande comment ces différents procédés doivent être différemment combinés pour étudier les différents objets des différents sciences. Elle cherche en un mot quelle est la meilleure méthode pour chaque science particulière. C'est même là le sujet d'une importante partie de la logique qu'on appelle Méthodologie.

Tels sont les rapports de la philosophie et des différentes sciences qui l'avoisinent.