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Cours de philosophie/Leçon XIV. De la nature du monde extérieur

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- Leçon XIII. Le monde extérieur existe-t-il ? Cours de philosophie - Leçon XV. Des conditions de la conscience




Cours de philosophie


Nous savons maintenant que le monde extérieur est. Mais on peut se demander ce qu'il est. Est-il tel que nous le percevons? Est-il différent? Voilà ce qui nous reste à examiner. C'est par les sens que nous percevons ce monde extérieur. Voyons donc si nos sensations diverses correspondent à des qualités naturellement inhérentes à la matière.

Or les qualités de la matière qui nous font connaître nos sensations peuvent être distribuées en deux classes bien distinctes.

Les unes n'appartiennent pas à tous les corps. On peut concevoir les corps indépendants d'elles. Enfin, elles ne sont que des formes d'autres propriétés de la matière. On appelle ces qualités, qualités secondes. Ce sont la chaleur, la couleur, le goût, l'odeur, etc. En effet, il y a des corps qui ne sont pas sapides, pas odorants. On conçoit très bien un corps sans y faire entrer l'idée de couleur ou de chaleur. Enfin la science démontre que le son, la couleur ne sont que des variétés du mouvement. On en dirait autant des autres qualités secondes.

Les autres qualités, dites qualités premières, ont les caractères inverses. Elles appartiennent à tous les corps. On ne peut concevoir un corps sans elles. Enfin on peut leur ramener les qualités secondes, alors qu' elles-mêmes sont inéluctables.

On ne compte que deux qualités premières, l'étendue et le mouvement. Tout corps est étendu et mobile. On ne peut concevoir un corps qui ne soit pas étendu ou qui ne puisse pas se mouvoir.

Cette distinction nous permet, sans préjuger de la nature du monde extérieur, de dire au moins ce qu'il n'est pas. Les qualités secondes ne sont que des apparences des formes des qualités premières, différentes uniquement par l'intervention des sens. Il ne reste donc plus à la matière que les qualités premières, et l'on arrive à cette définition provisoire:

La matière est une étendue susceptible de se mouvoir.

Mais rien ne prouve jusqu'à présent que les qualités premières appartiennent réellement au corps, et ne soient pas de simples apparences. Il faut donc examiner ce qu'il y a d'objectif dans ces idées.

Nous allons voir, que l'idée d'étendue implique contradiction. Pour cela, nous nous baserons sur ce principe: Un tout composé de parties peut toujours être nombré, ou du moins est conçu comme pouvant être nombré à l'aide de moyens plus puissants que ceux dont nous disposons.

Or l'étendue est continue, et tout ce qui est continue peut être divisé en parties semblables entre elles. Il faudra donc pouvoir nombrer l'étendue; sinon, il y aura contradiction.

Nous allons faire voir que l'étendue ne peut être divisée ni en un nombre de parties fini, ni en un nombre infini.

L'étendue ne peut être divisible en un nombre fini de parties. En effet, quelque nombre qu'on ait trouvé de ces parties, chacune d'elles sera étendue et pourra être ainsi indéfiniment divisée.

Elle ne peut être divisée en un nombre infini de parties. En effet la notion de nombre infini implique contradiction; par définition même, un nombre est susceptible d'être augmenté ou diminué indéfiniment. L'infini a le caractère opposé; il est fixe. On ne peut l'augmenter ni le diminuer. Nombre infini ne signifie donc rien.

On parle pourtant d'infini en mathématiques. Mais ce n'est là qu'un symbole. On dit qu'un polygone régulier inscrit d'un nombre de côtés infini est égal à la circonférence. Cela signifie seulement qu'en augmentant le nombre des côtés d'un polygone, la différence de son périmètre décroît constamment, et qu'on pourra par conséquent, rendre cette différence aussi petite qu'on voudra. C'est ce symbole qui permet d'appliquer à la circonférence les lois du polygone, au cône celles de la pyramide. Mais il n'y faut voir qu'un symbole.

Quand on écrit que la progression [équation] égale à l'infini l'unité, cela ne veut pas dire qu'il viendra un moment où en faisant la somme on trouvera 1; mais seulement que plus on prolonge la série donnée, plus sa différence avec l'unité est faible. Il faut donc admettre que le nombre infini n'existant pas réellement, l'étendue ne saurait être divisée en un nombre de parties infini.

Mais il est une division possible de l'étendue. C'est la division en un nombre indéfini de parties. Mais par suite de la définition de la division en parties indéfinies, on ne pourra à aucun moment compter le nombre de ces parties. Or, comme nous avons établi que tout ce qui est ensemble pourrait être nombré, et d'autre part que l'étendue était un ensemble de parties d'étendues, nous avons:

D'une part: Il est impossible de nombrer l'étendue.

De l'autre: L'étendue est nombrable.

Il y a contradiction, et l'idée d'étendue doit être rejetée comme n'étant qu'une apparence trompeuse.

Les corps ne seront donc pas étendus. D'autre part, ils sont divisibles. C'est qu'alors ils sont divisibles en parties inétendues.

De plus, le nombre de ces parties ne sera pas infini: nous avons fait voir que nombre infini impliquait contradiction. Le nombre ne sera pas indéfini: La loi du nombre ne le permet pas. Ce nombre ne pourra donc être que fini. Les corps sont donc divisibles en un nombre fini d'éléments inétendus et distincts.

On peu remarquer que la physique et la chimie sans spéculer sur la nature des corps, reconnaissent qu'ils sont formés d'un nombre fini de parties inétendues, que ces sciences nomment les atomes.

Examinons maintenant comment nous pourrons nous faire une idée de ces éléments inétendus des corps. Ils sont des êtres. On ne peut dès lors les concevoir que par analogie avec le seul être que nous connaissons, qui est le moi. Voyons donc ce que nous sommes. Nous sommes une force qui a conscience d'elle-même, qui se meut elle-même: vis sui consciea sui motria. La force que nous sommes est donnée en outre de sensibilité et d'intelligence. Il est évident qu'aucun des phénomènes que nous connaissons ne nous autorise à attribuer aux êtres que nous étudions ces deux qualités de notre moi. Reste donc seulement l'activité.

Nous pouvons donc nous représenter les éléments des corps comme semblables à ce que serait notre âme si elle avait en moins la sensibilité de l'intelligence, comme une force inconsciente. Ce sont ces forces qui limitent, qui repoussent la force qui est le moi. C'est par cela même que cette dernière force les reconnaît pour semblables à elle-même.

Nous connaissons donc maintenant la nature des corps. Ils sont formés d'un nombre fini de forces élémentaires.

L'étendue et le mouvement ne sont donc que des apparences. Pour l'étendue, c'est démontré. Pour le mouvement nous remarquons que, étant par définition un changement dans l'étendue, il n'existe plus que comme une simple apparence du moment que l'étendue n'a pas de réalité objective. La seule chose réelle est la force, des forces semblables à celle que nous sommes et qui n'ont pas besoin de l'étendue pour agir. Notre volonté peut agir sur notre intelligence. Cela se passe en dehors de l'étendue. Il en est de même du monde extérieur.

Voyons maintenant quelles sont les différentes théories faites sur le monde extérieur. On trouve d'abord deux grandes branches, l'idéalisme et le réalisme. L'idéalisme conclut à la non-objectivité du monde extérieur. Le réalisme l'accepte au contraire comme existant réellement. Notre doctrine est donc une doctrine réaliste.

Mais il y a différentes sortes de réalisme.

On peut se représenter le monde extérieur comme formé de parties d'étendue en mouvement: c'est là le mécanisme ou le dynamisme; théorie de Descartes.

On peut se le représenter comme composé d'êtres semblables à nous, chez qui la conscience est presque entièrement éteinte. Le réalisme s'appelle alors spiritualisme.

D'après cette doctrine, que nous avons acceptée, il n'y a pas dans la nature de brusque solution de continuité; depuis l'esprit parfait jusqu'à la matière inorganique, tout est esprit, tout est force. Il n'y a qu'une question de degré dans la conscience.

Quant à l'étendue, au mouvement, aux qualités premières et secondes, ce ne sont que des apparences dues uniquement à la déformation subies par les choses quand elles arrivent jusqu'à nous par l'intermédiaire des sens.

Toutes ces propriétés mortes, inertes, n'existent pas. Tout dans la nature est vivant, est animé.

Cette doctrine a ses fondements chez Aristote. Mais le plus grand génie qui y ait attaché son nom est Leibniz.

La matière est une abstraction:

On remarquera que les animaux [l'homme compris] n'ont aucun moyen de se représenter un être non vivant; ils ne connaissent qu'eux-mêmes et par eux tout le reste. On sait que les enfants personnifient tout: le feu, la cheminée, la voiture..

La conception scientifique d'une matière inerte [word illegible] du Lewes ne s'obtient que par une longue éducation qui unit l'esprit capable d'abstraire; très certainement les animaux et les sauvages n'y atteignent jamais. (The Physical Basis of Mind, 308).

Espinas, Sociétés animales, p. 413. Note.