Court Traité/Seconde partie/Chapitre XII

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Traduction par Paul Janet.
Germer Baillière (p. 80-81).


CHAPITRE XII


DE L’HONNEUR, DE LA HONTE, DE LA PUDEUR ET DE L’IMPUDENCE.


L’honneur est une espèce de joie que l’homme ressent en lui-même, lorsqu’il voit ses actes loués et estimés par les autres hommes, sans aucun espoir de lucre ou d’utilité.

La honte est une sorte de tristesse qui naît dans l’homme quand il voit ses actions méprisées par autrui, sans aucune crainte de dommage ou d’incommodité.

L’impudence est le manque ou le rejet de toute honte, non par des motifs de raison, mais soit par ignorance (comme chez les enfants et les sauvages), soit parce qu’un homme, tenu par les autres en grand mépris, en est venu lui-même à tout mépriser sans aucun scrupule.

Ces passions étant une fois connues, nous connaissons par là même le vide et l’imperfection qu’elles renferment. Pour ce qui est de l’honneur et de la honte, non-seulement ces passions sont inutiles ; mais encore, en tant qu’elles reposent sur l’amour de soi et sur l’opinion que l’homme est la première cause de ses actions et qu’il mérite l’éloge ou le blâme, elles sont funestes et doivent être rejetées.

Je ne dis pas qu’il faut vivre au milieu des hommes comme on vivrait en dehors d’eux, là où il n’y aurait place ni pour l’honneur ni pour la honte ; j’accorde au contraire que non-seulement il nous est permis de faire usage de ces passions, lorsque nous pouvons les employer à l’utilité de notre prochain et pour son amendement, mais encore qu’à cet effet nous pouvons restreindre notre liberté (j’entends la liberté parfaite permise). Par exemple, si quelqu’un s’habille magnifiquement pour se faire admirer, il cherche un honneur qui a sa source dans l’amour de soi, sans aucune préoccupation pour son prochain ; mais si un homme voit sa sagesse (par laquelle il pourrait être utile à son prochain) dédaignée et foulée aux pieds parce qu’il est humblement vêtu, il aura raison, pour venir en aide aux autres hommes, de choisir un vêtement qui n’offense pas les yeux, et de se rendre semblable à son prochain pour se concilier sa bienveillance.

Quant à l’impudence, elle est de telle nature que sa définition seule suffit pour en faire voir le défaut.