Création de Introduction à la vie dévote (Boulenger)/Troisième partie/26

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Texte établi par Fernand Boulenger,  (p. 220-221).


CHAPITRE XXVI

DU PARLER, ET PREMIÈREMENT COMME IL FAUT PARLER DE DIEU


Les médecins prennent une grande connaissance de la santé ou maladie d’un homme par l’inspection de sa langue ; et nos paroles sont les vraies indices des qualités de nos âmes : « Par tes paroles, dit le Sauveur, tu seras justifié, et par tes paroles tu seras condamné ». Nous portons soudain la main sur la douleur que nous sentons, et la langue sur l’amour que nous avons.

Si donc vous êtes bien amoureuse de Dieu, Philothée, vous parlerez souvent de Dieu, ès devis familiers que vous ferez avec vos domestiques, amis et voisins : oui, car « la bouche du juste méditera la sapience, et sa langue parlera du jugement ». Et comme les abeilles ne démêlent autre chose que le miel avec leur petite bouchette, ainsi votre langue sera toujours emmiellée de son Dieu, et n’aura point de plus grande suavité que de sentir couler entre vos lèvres des louanges et bénédictions de son nom, ainsi qu’on dit de saint François, qui prononçant le saint nom du Seigneur, suçait et léchait ses lèvres, comme pour en tirer la plus grande douceur du monde.

Mais parlez toujours de Dieu comme de Dieu, c’est-à- dire révéremment et dévotement, non point faisant la suffisante ni la prêcheuse, mais avec l’esprit de douceur, de charité et d’humilité, distillant autant que vous savez (comme il est dit de l’Épouse au Cantique des Cantiques) le miel délicieux de la dévotion et des choses divines, goutte à goutte, tantôt dedans l’oreille de l’un, tantôt dedans l’oreille de l’autre, priant Dieu au secret de votre âme qu’il lui plaise de faire passer cette sainte rosée jusque dans le cœur de ceux qui vous écoutent.

Surtout il faut faire cet office angélique doucement et souèvement, non point par manière de correction, mais par manière d’inspiration, car c’est merveille combien la suavité et amiable proposition de quelque bonne chose est une puissante amorce pour attirer les cœurs.

Ne parlez donc jamais de Dieu ni de la dévotion par manière d’acquit et d’entretien, mais toujours avec attention et dévotion : ce que je dis pour vous ôter une remarquable vanité, qui se trouve en plusieurs qui font profession de dévotion, lesquels à tous propos disent des paroles saintes et ferventes par manière d’entregent et sans y penser nullement, et après les avoir dites, il leur est avis qu’ils sont tels que les paroles témoignent ce qui n’est pas.