Critique de la raison pure (trad. Barni)/Tome I/Théorie élémentaire/P2/PREM DIV./L1/Ch2/S2/§22

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§ 22
La catégorie n’a d’autre usage dans la connaissance des choses que de s’appliquer à des objets d’expérience

Penser un objet et connaître un objet ne sont donc pas une seule et même chose. La connaissance suppose en effet deux éléments : d’abord le concept, par lequel, en général, un objet est pensé (la catégorie) ; et ensuite l’intuition, par laquelle il est donné. S’il ne pouvait y avoir d’intuition donnée qui correspondît au concept, ce concept serait une pensée quant à la forme, mais sans aucun objet, et nulle connaissance d’une chose quelconque ne serait possible par lui. En effet, dans cette supposition, il n’y aurait et ne pourrait y avoir, que je sache, rien à quoi pût s’appliquer une pensée. Or toute intuition possible pour nous est sensible (esthétique) ; par conséquent la pensée d’un objet en général ne peut devenir en nous une connaissance par le moyen d’un concept pur de l’entendement qu’autant que ce concept se rapporte à des objets des sens. L’intuition sensible est ou intuition pure (l’espace et le temps), ou intuition empirique de ce qui est immédiatement représenté comme réel par la sensation dans l’espace et dans le temps. Nous pouvons acquérir par la détermination de la première des connaissances à priori de certains objets (comme il arrive dans les mathématiques), mais ces connaissances ne regardent que la forme de ces objets, considérés comme phénomènes ; on ne décide point par là s’il peut y avoir des choses qui doivent être saisies par l’intuition dans cette forme[1]. Par conséquent les concepts mathématiques ne sont pas des connaissances par eux-mêmes ; ils ne le deviennent que si l’on suppose qu’il y a des choses qui ne peuvent être représentées que suivant la forme de cette intuition sensible pure. Or les choses ne sont données dans l’espace et dans le temps que comme des perceptions (des représentations accompagnées de sensation), c’est-à-dire au moyen d’une représentation empirique. Les concepts purs de l’entendement, même quand ils sont appliqués à des intuitions à priori (comme dans les mathématiques) ne procurent donc une connaissance qu’autant que ces intuitions et par elles les concepts de l’entendement peuvent être appliqués à des intuitions empiriques. Les catégories ne nous fournissent donc aucune connaissance des choses au moyen de l’intuition, qu’autant qu’elles sont applicables à l’intuition empirique, c’est-à-dire qu’elles ne servent qu’à la possibilité de la connaissance empirique. Or c’est cette connaissance que l’on nomme expérience. Les catégories n’ont donc d’usage relativement à la connaissance des choses qu’autant que ces choses sont regardées comme des objets d’expérience possible.



Notes de Kant[modifier]

  1. Ob es Dinge geben könne, die in dieser Form angeschaut werden müssen.


Notes du traducteur[modifier]