Critique du jugement (trad. Barni)/Tome I/P1/S2/LIV

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Traduction par Jules Barni.
Librairie philosophique de Ladrange (p. 307-308).


DEUXIÈME SECTION


DE LA CRITIQUE DU JUGEMENT ESTHÉTIQUE.


Séparateur



Dialectique du Jugement esthétique.


§. LIV.


Pour qu’une faculté de juger puisse être dialectiquement considérée, il faut d’abord qu’elle soit raisonnante, c’est-à-dire que ses jugements prétendent a priori à l’universalité[1], car c’est dans l’opposition de ces jugements entre eux que consiste la dialectique. C’est pourquoi l’opposition qui se manifeste entre des jugements esthétiques sensibles (sur l’agréable et le désagréable) n’est pas dialectique. D’un autre côté, l’opposition des jugements de goût entre eux, en tant que chacun de nous se borne à invoquer son propre goût, ne constitue pas une dialectique du goût ; car personne ne songe à faire de son jugement une règle universelle. Il ne reste donc d’autre concept possible d’une dialectique du goût que celui d’une dialectique de la critique du goût (non pas du goût lui-même) considérée dans ses principes : là en effet s’engage entre nos concepts une lutte naturelle et inévitable sur le principe de la possibilité des jugements de goût en général. La critique transcendentale du goût ne doit donc renfermer une partie qui porte le nom de dialectique du Jugement esthétique, que s’il y a entre les principes de cette faculté une antinomie qui rende douteuse sa légitimité, et par conséquent sa possibilité interne.

  1. On peut appeler jugement raisonnant (judicium ratiocinans) tout jugement qui se proclame universel, car, comme tel, il peut servir de majeure dans un raisonnement. On peut appeler au contraire* jugement raisonné (judicium ratiocinatum) un jugement conçu comme la conclusion d’un raisonnement, par conséquent un fondement a priori.

    *. J’emploie ces expressions raisonné et raisonnant, faute de meilleures ; le sens qu’il faut leur donner ici est d’ailleurs parfaitement déterminé par la note même de Kant. J. B.