Critique du jugement (trad. Barni)/Tome II/P2/S1/LXIV

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Traduction par Jules Barni.
Librairie philosophique de Ladrange (IIp. 26-32).




§. LXIV.


Les choses, en tant que fins de la nature, sont des êtres organisés.


D’après le caractère indiqué dans le paragraphe précédent, pour qu’une chose, qui est une production de la nature, ne puisse être reconnue possible que comme une fin de la nature, il faut qu’elle contienne un rapport réciproque de cause et d’effet ; mais c’est là une expression quelque peu impropre et indéterminée, et qui a besoin d’être ramenée à un concept déterminé.

La liaison causale, en tant qu’on la conçoit simplement par l’entendement, constitue une série (de causes et d’effets), qui va toujours en descendant ; et les choses qui, comme effets, en présupposent d’autres comme causes, ne peuvent pas être réciproquement causes de celles-ci. On appelle cette liaison causale la liaison des causes efficientes (nexus effectivus). Mais, d’un autre côté, on peut concevoir aussi une liaison causale, déterminée par un concept rationnel (de fins), qui, considérée comme ·une série, renfermerait une dépendance ascendante et descendante, c’est-à-dire que la chose qu’on désigne comme un effet mérite aussi, en remontant, le nom de cause de cette même chose dont elle est l’effet. Dans la pratique (ou dans l’art) on trouve aisément ce genre de liaison : par exemple, la maison Page:Kant - Critique du jugement, trad. Barni, tome second.djvu/39 Page:Kant - Critique du jugement, trad. Barni, tome second.djvu/40 Page:Kant - Critique du jugement, trad. Barni, tome second.djvu/41 elle : toutes choses que nous pouvons attendre au contraire de la nature organisée. - Un être organisé n’est donc pas une simple machine, n’ayant que la force motrice ; il possède en lui une vertu formatrice et la communique aux matières qui ne l’ont pas (en les organisant), et cette vertu formatrice qui se propage ne peut être expliquée par la seule force motrice (par le mécanisme).

Lorsqu’on appelle la nature et la vertu qu’elle révèle dans ses productions organisées un analogue de l’art, on en dit beaucoup trop peu, car on conçoit alors l’artiste (un être raisonnable) en dehors d’elle. La nature s’organise elle-même, et dans chaque espèce de ses productions organisées, elle suit le même exemplaire en général, mais aussi avec les différences qu’exige la conservation de soi-même suivant les circonstances. Peut-être est-on plus près de cette impénétrable qualité, quand on la nomme un analogue de la vie ; mais alors il faut ou bien douer la matière en tant que simple matière d’une propriété (l’hylozoïsme) qui répugne à son essence, ou bien lui associer un principe étranger (une âme) qui est communauté avec elle ; et, dans ce dernier cas, pour qu’on puisse regarder une production organisée comme une production de la nature, ou bien il faut supposer déjà la matière organisée comme instrument de cette âme, et par là on n’explique pas cette matière-même, ou bien il Page:Kant - Critique du jugement, trad. Barni, tome second.djvu/43 en soi, n’est donc pas un concept constitutif de l’entendement ou de la raison, mais il peut être un concept régulateur pour le Jugement réfléchissant, c’est-à-dire qu’il peut nous diriger dans l’investigation de cette espèce d’objets et dans la recherche de son principe suprême à l’aide d’une analogie éloignée avec notre propre causalité agissant d’après des fins. Cela, il est vrai, ne sert pas à la connaissance de la nature ou de son origine, mais plutôt à cette faculté pratique de la raison qui nous fait concevoir par analogie la cause de cette finalité.

Les êtres organisés sont donc les seuls dans la nature qui, considérés en eux-mêmes et indépendamment de toute relation à d’autres choses, ne puissent être conçus comme possibles qu’en tant que fins de la nature, et qui donnent ainsi, d’abord, au concept d’une fin, non point pratique mais naturelle, de la réalité objective, et par là, à la science de la nature, le fondement d’une téléologie. Par où il faut entendre une certaine manière de juger les objets de la nature d’après un principe particulier, qu’on n’aurait pas sans cela le droit d’introduire dans la nature (parce qu’on ne peut apercevoir a priori la possibilité de cette espèce de causalité).


Notes de Kant[modifier]


Notes du traducteur[modifier]