Aller au contenu

Croyances et légendes du centre de la France/Tome 1/Livre 02/05

La bibliothèque libre.

CHAPITRE CINQUIÈME

LA GRAND’BÊTE.
LA LEVRETTE ; — LE LOUP-BROU ; — LA BIEUDE,
ETC., ETC.


La Grand’Bête est un animal diabolique, de forme et d’allure indescriptibles. La Grand’Bête ne ressemble précisément à aucun quadrupède, et pourtant elle ressemble un peu à tous. C’est donc parce qu’elle échappe à toute classification qu’on l’a tout simplement et fort judicieusement appelée la Grand’Bête.

En 1547, la Grand’Bête parcourut tout le Berry. Ce fait est attesté à la page 14 du troisième volume des Archives curieuses de Cimber. En 1829, elle fit une apparition à la Châtre, vers le commencement du printemps, et non loin de l’église des Capucins. Le numéro du 5 avril 1829 de l’Iris, journal de l’Indre, ne laisse aucun doute à ce sujet.

Notre Levrette est ce que l’on appelle en Limousin lou Leberou. On la confond assez généralement avec la Grand’Bête ; mais dans certain de nos cantons, on la distingue positivement de cette dernière. Alors, on dépeint la Levrette comme un animal famélique qui, la nuit, tantôt sous l’apparence d’un lièvre blanc, tantôt sous la figure d’une grande chienne blanche efflanquée, rôde, à mauvaise intention, autour des bergeries, ou lutine, effraie et disperse le gros bétail qui paît dans les herbages. On essaie souvent de la tuer avec des balles que l’on a fait bénir le jour de la Chandeleur ; mais, à chaque coup de fusil, la Levrette fait des bonds prodigieux, et, loin de l’abattre, il semble que les balles qu’on lui lance ne servent qu’à activer son incroyable agilité.

L’histoire suivante prouverait néanmoins que la Levrette peut se laisser prendre à certains pièges. Cette histoire se raconte de plusieurs façons dans nos campagnes ; nous ne saurions mieux faire que de choisir le récit qu’en a donné M. Charles Rousselet dans ses Chroniques populaires du Berry[1] :

« Nos paysans sont persuadés que, pendant la nuit de Noël, les diables courent la campagne sous diverses formes d’animaux, et ils regardent comme une insigne témérité de tendre des lacs en ce saint temps.

« Je me rappelle, à ce propos, le conte que nous faisait un ancien domestique du collége de Saint-Amand, où l’on m’avait mis en pension ; conte qu’il affirmait sur ses grands dieux, et qu’il croyait sans doute à force de le répéter, comme je le croyais moi-même à force de le lui entendre dire. C’était précisément par le 25 décembre 1783. Il était jeune et superbe ; aussi s’avisa-t-il, malgré les représentations de son père, de tendre des collets dans l’ancien cimetière de Mont-Rond. Il y court au sortir de la messe de minuit et voit pris au piége un lièvre, qui, au lieu de l’attendre, se coupa la patte avec ses dents. Lui de le poursuivre, l’autre de se sauver aussi vite que le lui permettait sa blessure. Enfin, après une longue course, ils arrivent tous les deux au bord du Cher, et au moment où le chasseur allait mettre la main sur sa proie, la maligne bête franchit la rivière d’un seul bond, puis, se tournant vers notre homme, épouvanté de ce saut formidable : « Eh bien, l’ami, s’écria-t-il, est-ce bien sauté pour un boiteux ? »

Les formes variées sous lesquelles la Levrette est susceptible d’apparaître ont nécessairement donné lieu à plus d’un quiproquo ; nous en citerons un exemple :

Un braconnier du village des Baudins, commune de Lacs, était, un soir, à l’affût aux abords d’un petit bois voisin de son hameau, lorsqu’une bête blanche sort du taillis, s’arrête et se prend à le considérer. Le paysan ne met pas un instant en doute que ce ne soit la Levrette ; aussi détale-t-il à grand’erre. Sa frayeur est telle que l’idée ne lui vient même pas de faire usage de son fusil et qu’il n’ose jeter un coup d’œil en courant par-dessus son épaule, pour voir s’il est poursuivi. Enfin, il arrive, haletant, à l’entrée du village, pousse la porte-coupée[2] de la première maison qu’il rencontre, entre, ferme seulement le vantail du bas, et se jugeant en sûreté, regarde résolument derrière lui.

La Levrette est là !… à vingt pas à peine… et avance toujours !…

Le braconnier n’hésite plus et fait feu sur la bête… La bête tombe…

Cependant, le maître et la maîtresse de la maison dans laquelle il se trouve, réveillés en sursaut par le coup de fusil, sautent à bas de leur couche, et s’informent, pleins d’épouvante, de quoi il s’agit. — On se reconnaît, on s’explique ; puis il est question d’aller tous ensemble à la découverte du diabolique gibier. Dieu sait avec quelles précautions, avec quel émoi, ou procède à cette exploration ! Ce n’est que munis d’eau bénite et en prodiguant les signes de croix, qu’ils osent, tous les trois, s’acheminer vers la place où gît la bête.

— Ah ! le malheureux ! s’écrie tout à coup la femme, il a tué ma chèvre !…

Rien n’était plus vrai. — La pauvre bête s’était égarée, la veille, dans les champs, et c’est pourquoi ses maîtres, après l’avoir vainement cherchée toute la soirée, avaient laissé leur porte entr’ouverte, afin qu’elle pût entrer au logis, si l’envie lui prenait d’y revenir.

— Je vous paierai votre chèvre, dit le braconnier tout penaud à ses deux voisins ; mais je vous en prie, ne parlez pas de l’aventure.

À ces contes de lièvre ou de Levrette peut se rattacher le suivant.

Un métayer berrichon, auquel la passion de la chasse faisait perdre un temps précieux, s’était mis en tête que son propriétaire, qui passait pour sorcier, avait le pouvoir de se changer en lièvre, et qu’il venait, sous cette forme, le surveiller dans sa régie. Aussi, chaque fois qu’il rencontrait l’un de ces animaux dans un pacage ou dans un champ, au lieu de lui tirer un coup de fusil, il lui tirait une révérence et lui disait avec respect : — « Oh ! je sais bien qui vous êtes, allez, nout Monsieu[3] ; mais il ne faut pourtant pas trop vous y fier, un malheur est bientôt arrivé. »

La Levrette et la Grand’Bête sont connues, en Berry, sous des noms bien divers. Dans l’ouest de la province, par exemple, on parle du Loup-Brou ; dans le nord, du côté d’Argent, il est beaucoup question de la Bieude ; aux environs de Bourges, on s’entretient du Marloup ou Mauloup[4] et de la Birette. La Birette est également connue dans notre Sologne. — « Il y a quelques années, dit M. Raynal[5], on racontait tout bas dans les campagnes qu’une femme d’un hameau voisin de Bourges, la Birette, avait eu la cuisse cassée d’un coup de fusil, pendant qu’elle courait les champs, la nuit, sous la forme d’une bête toute blanche, d’une espèce inconnue. »

En somme, toutes ces dénominations semblent désigner, chez nous, ce que partout ailleurs, en France, on appelle le Loup-garou.

Cependant, au dire de quelques-uns, il paraîtrait que la Grand’Bête ne serait qu’une sorte d’apparition fantastique, une figure, une image vaine et trompeuse, sortant on ne sait d’où, envoyée on ne sait par qui. Les plus résolus, parmi ceux qui l’ont rencontrée, après l’avoir poursuivie quelque temps et l’avoir approchée d’assez près, l’ont vue grandir rapidement et prendre des dimensions telles qu’elle finissait toujours par se perdre dans le temps, c’est-à-dire par s’évanouir dans l’atmosphère. — Sous ce rapport, notre Grand’Bête serait de la même famille que le Buguel-noz et la Biche blanche de sainte Nennoch, si célèbres chez les Bretons. « La Biche blanche de sainte Nennoch court la Bretagne à la tombée du jour, et c’est en vain que les chiens lui montrent les dents, que les chasseurs lui lancent des balles… Les mariés qui l’aperçoivent le jour de leurs noces sont sûrs de mourir dans la nuit… — Le Buguel-noz grandit dans l’ombre à mesure qu’on l’approche[6]… »

On ne cite aucun méfait matériel commis par la Grand’Bête ; seulement, on affirme que son apparition présage, à coup sûr, quelque catastrophe, telle que le dépérissement des biens de la terre, la mortalité du bétail et même celle des chrétiens[7].

Le Loup-Brou, au contraire, est un être réel dont la malfaisance est bien constatée. Souvent il attaque les voyageurs pendant la nuit et au moment où ils s’y attendent le moins ; mais on est presque toujours averti de son approche, soit par des bruits de chaîne, soit par d’horribles hurlements, soit enfin par l’éclat flamboyant de ses yeux, qui étincellent dans les ténèbres aussi vivement que des escarboucles.

La plupart du temps, le Loup-Brou est un sorcier ou un mauvais sujet qui, par suite d’un pacte conclu avec Satan, peut vagabonder, la nuit, sous la forme d’un quadrupède quelconque, principalement sous celle d’un loup.

Toutes les personnes qui ont couché avec des Loups-Brous s’accordent à dire qu’ils ne manquent jamais de déserter le lit pendant quelque temps, et que, lorsqu’ils y rentrent, ils ont le corps glacé et les cheveux tout mouillés[8].

Le ciel, pour nous punir de certains méfaits, peut nous changer en loup. Les Scandinaves et les Germains avaient aussi cette opinion. Le loup, qui joue un si grand rôle dans la mythologie du premier de ces peuples, y symbolisait l’esprit du mal. — Être fait loup, dans les législations germaniques, c’était être mis hors la loi.

On pense généralement qu’une balle bénite sur laquelle on a prononcé trois Pater et trois Ave, peut blesser le Loup-Brou, ce qui suffit pour lui rendre sa forme humaine et le soustraire au pouvoir du démon.

La croyance aux loups-garous ou aux lycanthropes existe, on ne l’ignore pas, de toute antiquité. On la trouve chez les Hindous, et les Celtes, leurs descendants, étaient convaincus que leurs druides pouvaient revêtir toutes les formes et particulièrement se métamorphoser en loups[9]. Les druidesses, ou vierges de l’île de Sein, avaient également cette réputation. Enfin les Grecs et les Romains parlent en maint endroit de ces sortes de transformations.

Les histoires de loups-garous abondent dans nos campagnes ; nous allons en rapporter quelques-unes.

LE MÉTAYER LOUP-BROU.

Le baron de ***, riche seigneur terrien qui, d’ordinaire, résidait a la cour, où il occupait un très-haut emploi, possédait en Berry, sur les confins de la Marche, une terre assez considérable, où il allait, de loin en loin avec sa famille, passer la belle saison et prendre le plaisir de la chasse.

Parmi ses nombreux métayers, il en était un nouvellement arrivé dans le pays. Cet homme, déjà sur l’âge, était précisément celui qui cultivait le domaine le plus rapproché du manoir seigneurial. Or, depuis sa récente installation sur les terres du châtelain, celui-ci avait remarqué que, tous les mois, au décours de la lune, et pendant trois nuits consécutives, son sommeil était troublé par les aboiements exaspérés des innombrables limiers qui composaient sa meute. Les voix de ces animaux éclataient tout à coup, à minuit précis, et quand le maître sautait à bas de son lit pour jeter un coup d’œil dans les cours et découvrir la cause de ce vacarme, la meute, en dépit de toute clôture, avait déjà gagné pays, et ses abois de plus en plus animés, parcourant tour à tour les coteaux, les plaines, les vallées et les bois, tenaient en éveil jusqu’à l’aube tous les échos des environs.

Le matin arrivé, on retrouvait les chiens couchés aux portes du château, tout harassés, mal en point, fourbus et quelques-uns assez grièvement blessés.

Si le baron interrogeait ses gens sur cet étrange tumulte, les uns lui répondaient qu’il pouvait être occasionné par le passage de la Chasse à Bôdet ; les autres, par l’apparition, dans le pays, de la Levrette ou de la Grand’Bête, etc., etc.

Ces réponses excitaient plutôt qu’elles ne satisfaisaient la curiosité du baron, lorsque le hasard se chargea d’éclaircir ce mystère.

Un jour, tout en causant familièrement de choses indifférentes avec une jeune fille aussi gaie que candide, qui habitait la ferme voisine, la dame du château lui demanda, sans avoir l’air d’y attacher la moindre importance :

— Qu’avaient donc les chiens à aboyer et à hurler comme ils l’ont fait toute la nuit ?

— Ah ! c’est que nous avions nos peaux, dit naïvement la jeune paysanne.

— Comment ! vous aviez vos peaux ? reprit la dame, surprise au dernier point.

La jeune fille, que son innocence avait trahie, et qui s’en aperçut à l’air intrigué de sa maîtresse, éprouva un moment de confusion ; mais comme elle était incapable de mentir et que, d’ailleurs, elle ne songeait point à mal, elle répondit franchement aux questions les plus minutieuses de la baronne, et lui apprit, en somme, qu’à certains jours du mois, et particulièrement entre Noël et la Chandeleur[10], toute sa famille se revêtait de peaux de bêtes, et courait la campagne, pendant la nuit, poursuivie par tous les chiens de la contrée.

— Mais c’est là ce que l’on appelle courir le Loup-Brou, mon enfant, et c’est un affreux métier que vous faites là, toi et les tiens ! s’écria la châtelaine, après avoir entendu la jeune fermière jusqu’au bout.

— Oh ! cela ne fait tort à personne, allez, notre maîtresse, reprit tranquillement la jeune fille, et si vous désirez me voir avec ma peau, rien n’est plus facile, ce sera bientôt fait.

La baronne, poussée par la curiosité et retenue par la frayeur, hésitait à répondre, lorsque la paysanne, prenant. ce silence pour un consentement, ajouta :

— Si, quand je paraîtrai devant vous, vous veniez à avoir peur, vous n’aurez qu’à me frapper sur le nez avec le premier objet venu, et je reprendrai aussitôt ma forme ordinaire.

La jeune fille, à ces mots, grimpa dans le fenil d’une étable, et, un instant après, une louve, une vraie louve, horrible à voir, s’élançait par la lucarne du grenier et bondissait aux pieds de la châtelaine.

Celle-ci jeta un grand cri et tomba à la renverse !…

De longues heures s’écoulèrent avant qu’elle eût repris ses sens, et lorsqu’elle revint à elle, dans son appartement où on l’avait transportée, elle trouva son mari, seul, à ses côtés, et lui raconta tout ce qui s’était passé.

À quelque temps de là, par une sombre nuit de janvier, un homme, armé d’une carabine, et caché dans une épaisse touffe de houx, se tenait en embuscade près d’une grande croix qui s’élevait, non loin du château, à l’intersection de quatre chemins. Des aboiements, des hurlements épouvantables, auxquels se mêlaient des rires et des hourras de l’autre monde, résonnaient dans le lointain et semblaient rapidement s’approcher.

Un moment après, cette huaille nocturne, composée de loups, de chiens et d’une foule d’autres quadrupèdes inconnus des naturalistes, débouchait sur le carrefour et redoublait, à la vue de la croix, ses clameurs infernales, lorsque deux coups de feu, partis presque instantanément, se firent entendre, et furent suivis d’un court silence pendant lequel un énorme loup, qui marchait en tête de la bande et semblait en être le chef, secoua vivement sa fourrure et prononça très-distinctement, ces paroles :

— C’est dommage, c’était bien visé !…

Cela dit, les cris, les rires et les huées recommencèrent de plus belle, et l’immonde cohue, reprenant sa course, disparut dans les ténèbres.

On a deviné que l’homme au fusil n’était autre que le seigneur châtelain. Comme il avait très-bien reconnu la voix de son métayer dans celle du vieux loup, il eut la curiosité de visiter, le lendemain matin, le lieu de cette scène, et retrouva les deux balles de sa carabine à l’endroit même où le loup avait secoué son harnais.

En reprenant, tout soucieux, le chemin de son manoir, le baron aperçut le vieux métayer, plus alerte et plus dispos que jamais, qui labourait sur la crête d’un coteau voisin en briolant[11] d’une voix calme et sonore.

— Voilà, lui dit-il, en l’abordant, deux balles que je viens de ramasser sur la place même où, la nuit dernière, j’ai tiré un loup pendant que j’étais à l’affût.

— C’est imaginant[12], répondit du ton le plus naturel et sans le moindre embarras, le laboureur.

Cette aventure démontra au châtelain ce qu’on lui avait mainte fois certifié et qu’il avait toujours eu de la peine à croire : c’est à savoir que, même avec des balles bénites, on est sans pouvoir contre les Loups-Brous, tant qu’ils sont sous notre dépendance.

Le baron rentra chez lui de plus en plus perplexe, car à ces diaboliques habitudes près, son métayer était un excellent cultivateur, très-actif, fort soigneux du bétail, ainsi que tout son monde ; mais on ne pouvait, en conscience, garder de pareilles gens à son service. D’ailleurs, la dame du château, depuis l’apparition de la louve, tombait en pâmoison toutes les fois qu’elle entrevoyait la jeune fille du colon.

Le métayer Loup-Brou fut donc mandé au château, et on lui signifia son congé. Il chercha bien à faire valoir son habileté comme agriculteur, le bon état de la ferme, son produit considérable depuis qu’il la régissait ; rien de tout cela ne lui fut contesté, mais on lui répondit que l’on n’aimait pas les gens qui, la nuit, couraient les champs, déguisés d’une certaine façon.

Le métayer n’en demanda pas davantage et se retira visiblement contrarié.

Quinze jours après, le Loup-Brou s’installait avec sa famille à la tête d’une métairie des environs, qui dépendait d’une riche abbaye ; quinze jours après, le bétail des nombreux domaines qui composaient la terre du baron était, chaque nuit, régulièrement chassé des pâturages et dispersé dans la campagne, et, quand venait le jour, les boirons[13] avaient toute la peine du monde à retrouver et rassembler leurs aumailles ; souvent même la plupart de ces pauvres bêtes ne rentraient à la ferme que tout éclopées.

Là vengeance du métayer évincé était évidente. Son ancien maître ne fit part à personne de ses convictions à cet égard, car il savait que, pour assurer la réussite du projet qu’il méditait, il était essentiel de ne le communiquer à âme qui vive ; mais il s’occupa sans retard de prendre sa revanche.

Après avoir converti un morceau de plomb provenant de la toiture d’une église en un certain nombre de balles, il prononça trois fois sur chacune d’elles l’Oraison dominicale et la Salutation angélique, et, muni de ces projectiles, il fut s’embusquer, un peu avant minuit, dans les halliers de l’un de ses pacages.

Ainsi posté, la nuit fort sombre lui permettait à peine d’entrevoir le nombreux bétail disséminé autour de lui, et qui, du reste, semblait paître avec assez de tranquillité.

Une mortelle heure s’écoula sans que l’on entendît autre chose que le bruit sourd de l’herbe rompue par la dent des aumailles, l’aigre et monotone cri-cri du grillon affairé et, de temps à autre, la soudaine et puissante bramée[14] qu’un taureau jetait, en déchirant l’air, aux échos les plus lointains.

Tout à coup, une sorte d’inquiétude parut s’emparer du troupeau. Elle se manifesta d’abord chez les plus anciens des bœufs. On les vit relever brusquement la tête, diriger leurs mufles vers le même point de l’horizon, et recueillir par de fréquentes et avides aspirations toutes les émanations apportées par les vents.

À ce premier trouble succéda bientôt une agitation extrême. Bœufs et taureaux, bermant à l’effrei[15], se rapprochèrent les uns des autres. Les plus jeunes, les plus faibles, se massèrent pêle-mêle au milieu des plus vieux et des plus hardis, et le groupe entier finit par former une espèce de bataillon circulaire, crénelé sur son front d’une forêt de cornes menaçantes.

Cependant, le châtelain avait beau interroger l’espace du regard et de l’ouïe, il n’apercevait, il n’entendait rien d’extraordinaire.

Toutefois, s’humiliant devant l’instinct de ces bêtes, il crut à l’approche du danger, et, ne négligeant aucune précaution, il venait de faire la dernière inspection de son arme, lorsqu’il vit apparaître, à l’extrémité du pâtis, une lumière.

— C’est sans doute, pensa-t-il, la lanterne d’un boiron qui vient s’assurer si les bœufs n’ont point quitté le pacage.

Cela le contraria, car cet incident interrompait une aventure à laquelle il prenait goût et dont il croyait toucher le dénoûment.

Mais voilà que la lumière fait une espèce de bond en avant et est aussitôt remplacée par une autre. Celle-ci, bondissant à son tour, cède la place à une troisième, et vient se ranger auprès de la première… Une quatrième, une cinquième lumière, suivies de bien d’autres, se succèdent, absolument de la même façon.

— Dieu me pardonne ! se dit à lui-même le baron ; qui ne put s’empêcher d’en rire, c’est le personnel entier de mes domaines !… Ces poltrons-là n’auront osé se rendre ici, à pareille heure, qu’après avoir opéré une levée en masse, et ce sont eux qui franchissent, l’un après l’autre, la clôture du pâturage.

Dépité de voir ses projets ainsi déconcertés, il allait quitter son poste pour n’être pas découvert par ses métayers, lorsqu’il s’aperçut que l’anxiété du bétail, loin de diminuer, croissait de plus en plus, à mesure que les lumières approchaient.

Il résolut d’attendre encore.

Chose singulière, la plupart des lumières, semblables à des feux follets, cheminaient sans ordre en sautillant çà et là, tandis que les autres, et c’étaient les plus avancées, suivaient lentement une ligne droite de laquelle elles ne déviaient jamais.

Du reste, aucune parole, aucun chuchotement, aucun bruit de pas.

Enfin, le châtelain crut discerner quelques apparences de formes humaines, mais il n’osait s’en rapporter à ses yeux, car ce qu’il voyait ou pensait voir ressemblait à plusieurs personnes marchant le dos courbé, la tête relevée, et tenant un falot à la hauteur du front.

Un instant après, tout était éclairci. — La fantasmagorie des métayers et des lanternes s’évanouissait pour faire place à la réalité, et cette réalité avait elle-même tous les caractères d’une vision.

Une troupe d’animaux étranges, de bêtes sans nom, aux formes et aux allures hideuses, dissemblables et inconnues, et dont les regards brillaient dans l’ombre aussi vivement que des charbons ardents, s’avançait lentement et sans bruit, précédée et guidée par le vieux Loup-Brou, bien reconnaissable à son pelage grisonnant.

Le bétail, frissonnant d’horreur, était sur le point de se débander, lorsqu’une arme à feu détona tout à coup dans le silence de la nuit.

Le Loup-Brou tomba comme foudroyé… ; mais presque aussitôt il se releva sous sa forme naturelle, et on le vit s’éloigner clopin-clopant du théâtre de son désastre.

Toute son odieuse séquelle avait déjà disparu.

Inutile d’ajouter que cette simple exécution suffit pour ramener l’ordre et la tranquillité sur les terres du baron.

LES DEUX PROCUREURS.

Il a été un temps où le château de la Pouserie, situé dans la commune de Thevet, appartenait à un seigneur, vieux garçon, qui, après avoir mené joyeuse vie, se trouvait à peu près ruiné, et en était presque réduit à vivre du produit de sa chasse. Ce n’est pas qu’il ne lui restât à percevoir, sur les terres de trois ou quatre paroisses qui entouraient son manoir et en relevaient, une foule de beaux et bons droits, tels que cens, rentes, champarts, lods et ventes, terrages, charnages, lainages, etc., etc., qui auraient largement suffi pour le maintenir sur un très-bon pied dans la province ; mais, à l’exception de quelques chefs de famille qui lui apportaient encore, quand venait la Saint-Michel, une ou deux douzaines de poules de coutume et autant de vieux coqs de redevance, hors aussi quelques bouquets de fleurs de devoir seigneurial[16], qu’il recevait le jour de la Saint-Jean-Baptiste et qui ressemblaient bien plus, dans la position où il se trouvait, à une mauvaise plaisanterie qu’à un hommage, tous ses autres tenanciers refusaient d’acquitter leurs droits et devoirs.

C’est qu’ils s’étaient aperçus que leur seigneur avait égaré depuis longtemps le papier terrier qui établissait ses revenus et priviléges.

Aux premiers signes de ce mauvais vouloir, le vieux seigneur de la Pouserie, qui n’avait jamais vu très-clair, et pour cause, dans ses archives, s’était bien empressé de remettre ses titres, chartes et pancartes entre les mains de maître Goupil, l’un des plus habiles procureurs de la ville voisine, en lui enjoignant de rechercher le parchemin adiré, et de poursuivre, au préalable, les récalcitrants ; mais, depuis deux ans, les efforts de ce dernier n’avaient guère abouti qu’à faire naître une multitude de petits procès dans lesquels le châtelain avait constamment eu le dessous, et à l’occasion desquels le procureur avait fait d’assez bonnes pêches en eau trouble. Le plus fâcheux de tout cela, c’est que les dernières pistoles du pauvre hobereau avaient fondu dans ce litige avec la même promptitude que la rosée aux premiers rayons du soleil de juin ; aussi passait-il la plus grande partie de ses journées et de ses nuits à maugréer et contre ses vassaux, et contre ses juges, et contre son procureur.

Il se trouvait précisément dans un de ses accès de mauvaise humeur, lorsque, pour la centième fois peut-être, maître Goupil vint à se présenter devant lui.

— J’apporte à Votre Seigneurie, lui dit le procureur, une nouvelle liste de tenanciers contre lesquels il n’a point encore été formé d’instance, et je viens solliciter votre agrément pour les poursuivre.

— L’agrément que je vous ai donné jusqu’à présent, maître Goupil, n’a été pour moi qu’une source de déplaisir et de mortifications, et je vous déclare que je n’autoriserai pas de nouvelles poursuites, parce que j’ai la conviction qu’elles n’aboutiraient à rien et que, d’ailleurs, je suis dans l’impossibilité d’en payer les frais. Voyez donc à changer vos batteries.

— Il est vraiment inconcevable que vous n’ayez pas trouvé l’aveu et dénombrement de ma châtellenie dans le cartulaire que je vous ai confié. On m’a parlé, à ce propos, ces jours-ci, de lettres de terrier qu’il me serait facile d’obtenir en grande chancellerie, lettres au moyen desquelles je pourrais contraindre tous mes vassaux et sujets à représenter leurs titres et passer nouvelle reconnaissance ; comment ne m’avez-vous pas indiqué cette ressource ?

— Monseigneur, parce que j’espérais toujours mettre la main sur votre papier terrier, que ces lettres, qui d’ailleurs coûteraient fort cher à impétrer, sont destinées à remplacer.

— Il faut pourtant que cela finisse, maître Goupil, et puisque vous me semblez à bout d’expédients, je vous préviens que je vais m’adresser à maître Lechat, votre confrère.

Ceci fut dit d’une très-grosse voix et accompagné d’un geste qui ne souffrait point de réplique et devant lequel le procureur était habitué à se retirer.

Quoiqu’il se fit déjà tard, le baron, pour s’étourdir et tromper son ennui, prit son fusil et s’en fut au bois chasser à l’affût.

Mais il n’était point en chance : il eut beau choisir les tirés les plus giboyeux de sa forêt de Boulaise, qu’il connaissait si bien, il n’eut pas occasion de brûler la moindre amorce.

La nuit était presque à moitié écoulée, et n’allait regagner son manoir, après quatre grandes heures perdues à faire le guet et qui n’avaient guère servi qu’à surexciter sa bile, lorsque l’idée lui vint d’aller se poster près d’une passée par où les bêtes fauves de la forêt revenaient habituellement du gagnage et qui avait été cent fois témoin de ses prouesses.

Pour plus de précautions, il grimpa, selon sa coutume, au haut d’un grand chêne dont le ramage centenaire dominait en cet endroit le gaulis. Il était occupé à s’y emménager, et, tout en rêvant sangliers, cerfs et chevreuils, il répétait mentalement ce vieil aphorisme d’un maître en vénerie : Attendre doit chescun archier leur revenir de leur vianders ou menjures couvert à un arbre[17], lorsqu’il se fit dans le fourré un léger bruit qui lui parut provenir du bruit des ramilles sèches, sous le pas de quelque animal. Presque au même instant, une agitation subite et qui se propageait en ligne droite, fit onduler les jeunes branches du taillis, et deux loups énormes débouchèrent tout à coup dans la passée, s’y arrêtèrent à peine une seconde, et vinrent se camper au pied même du grand chêne.

Quoique ce ne fût point là le gibier qu’attendait le vieux chasseur, il abaissait déjà le canon de son fusil et s’apprêtait à leur envoyer une balle, lorsque l’un des loups s’adossant contre l’arbre, dit à son camarade :

— Je n’en puis plus, cette course m’a éreinté !… Donne-moi une prise.

L’autre loup tendit sa tabatière.

Que l’on nous permette une interruption : cet incident donnerait à croire que les faits que nous rapportons ne remontent pas même au milieu du seizième siècle, puisque le tabac ne fut introduit en France que vers l’année 1560.

— Sais-tu, continua le premier loup, en aspirant avec avidité la poudre de Nicot, sais-tu que le vieux baron perd patience ? Il m’a menacé, hier soir, de m’ôter sa clientèle et de t’en faire cadeau.

— À présent qu’il n’y a plus rien à frire, dit en ricanant le second loup, grand merci ! — D’ailleurs, il serait par trop curieux de voir un procureur se tourner contre d’anciens clients pour les forcer à acquitter des droits dont il était parvenu à les faire affranchir.

— Ce ne serait pas la première fois que cela t’arriverait, vieux madré, et tu en as bien fait d’autres, reprit le premier loup en accompagnant ces mots d’un rire éclatant auquel prit part son compagnon, et qui dégénéra bientôt en un hurlement prolongé.

Ici, le baron releva son arme et redoubla d’attention, car, dès les premiers mots, il avait reconnu, dans les deux bêtes rousses, maître Goupil et maître Lechat qui venaient de courir le Loup-Brou, et leur conversation prenait une tournure qui l’intéressait au dernier point.

— Ce que tu as de mieux à faire, dit maître Lechat à son confrère, — et je te donne là un conseil d’ami, car il n’est pas dans l’intérêt de mes commettants, — c’est d’exhumer et produire au plus vite l’introuvable papier terrier.

— Telle est bien aussi mon intention, répliqua Goupil, et quand le vieux sire sera rentré dans ses droits et se sera un peu remplumé, c’est bien le diable si nous ne trouvons pas encore moyen d’en tirer pied ou aile.

Et deux nouveaux éclats de rire, terminés par un long hurlement, éveillèrent une seconde fois les échos de la forêt.

En cet instant, le seigneur de la Pouserie coucha en joue les deux malandrins, mais il réfléchit que les balles de son fusil n’étant point bénites, il n’avait aucun pouvoir sur eux.

— Il est temps de quitter le bois, dit alors maître Lechat.

— Partons, ajouta son camarade, nous nous reposerons à l’orée de la forêt, chez le cabaretier Pédard, où nous tuerons le ver[18] en attendant le jour.

Ce disant, les deux loups prirent leur élan et disparurent dans les halliers.

Quoique le baron n’eût rien tué, il ne trouva point qu’il eût fait mauvaise chasse.

Il descendit aussitôt du vieux chêne et se dirigea en toute hâte vers son château. Seulement, à la sortie du bois, il entr’ouvrit, en passant, la porte du cabaretier Pédard, et aperçut, au fond de la taverne, maître Goupil et son compère occupés, en tenue convenable cette fois, à sabler le vin blanc de Montgenoux.

— Messire de la Pouserie ! s’écria Goupil en se levant et se découvrant avec respect.

— Ne vous dérangez pas, maîtres, dit le baron, qui referma vivement la porte et continua sa route.

Il ne s’arrêta chez lui que le temps nécessaire pour faire seller un cheval et partit à franc étrier pour la ville voisine.

À la suite d’une entrevue qu’il eut avec le prévôt, ce magistrat, indigné de la conduite des deux procureurs, se transporta immédiatement de sa personne au domicile de maître Goupil, et y découvrit, au bout d’un quart d’heure à peine de perquisition, le précieux papier terrier.

Il va sans dire que, par le fait de cette découverte, les deux procureurs perdirent leurs charges et que maître Goupil, en particulier, fut condamné à payer d’énormes dommages et intérêts au vieux seigneur de la Pouserie.

Peu de temps après, et précisément au moment où Goupil restituait en bloc à son ancien client les pistoles qu’il lui avait volées en détail, le baron lui disait :

— Vous êtes bien heureux, messieurs les fripons, que le vieux sire ait eu la générosité de ne point parler de certaine course nocturne dans les bois de Boulaise. N’oubliez pas que si quelque jour il lui venait en fantaisie d’en dire seulement un mot, il pourrait vous en cuire, et prenez bien garde à vos peaux !

Le Goupil comprit parfaitement, grimaça un sourire indescriptible, s’inclina profondément et disparut.

  1. Paris. Lecointe et Pougin, 1830.
  2. Porte à deux vantaux superposés dont le plus élevé sert de fenêtre lorsqu’il est ouvert.
  3. Pour notre Monsieur. — Voy. à la Table alphabétique des matières, le mot : Monsieur.
  4. Les termes Marloup, Mauloup, doivent signifier mauvais loup, loup dangereux. — Mar et mau tiennent ici la place de mal ; c’est ainsi que Maupertuis veut dire mauvais passage, mauvais pas, trou dangereux. — « Mar, dit M. Génin est, à chaque instant, pour mal, dans les poëmes du douzième siècle : mar i fuste… mar i viendrez… » Au reste, le peuple substitue encore assez fréquemment le r au l, et vice versa. Nos paysans disent toujours coronel, colidor, malichau, etc., pour colonel, corridor, maréchal.
  5. Histoire du Berry, t. IV, p. 304.
  6. Pitre-Chevalier, Voyage en Bretagne.
  7. Voy. plus loin, liv. V, chap. ii : Locutions locales.
  8. Mémoires de la Société des antiquaires de France, t. XIX de la Collection, p. 247. — Voy., même page, d’autres détails sur la croyance aux loups-garous, en Berry.
  9. Idem, ibid., p. 237.
  10. On dit encore dans quelques-uns de nos villages :

    Entre Noël et la Chandeleur (2 février),
    Toute sorte de bêtes sont en horreur.

    C’est-à-dire que, durant ce laps de temps, toute bête est suspecte, parce qu’elle peut avoir au corps le Diable ou quelqu’un de ses fauteurs. Rappelons, à propos de ce proverbe, que les Gaulois célébraient le solstice d’hiver par des réjouissances durant lesquelles ils se déguisaient en toute espèce d’animaux. — « Les Germains, dit M. Alfred Maury, étaient aussi dans l’usage, pendant leur fête de Iul (le soleil), qui durait du 19 janvier au 6 février, de se revêtir de peaux de bêtes, et de courir sous un accoutrement bizarre. » — On a retrouvé une coutume semblable chez plusieurs peuplades sauvages de l’Amérique du Nord. — « Les statuettes gallo-romaines d’hommes et de femmes, enveloppées de dépouilles d’animaux, doivent se rattacher à cette fête, appelée mastruca, d’où masque et mascarade. » (H. Martin, Histoire de France, t. I, p. 72.) — Telle est sans doute l’origine de la statuette en fer, de seize centimètres de hauteur, que l’on voit au Musée de Bourges et dont parle M. Raynal, t. I, p. 29 de son Histoire du Berry.

  11. Brioler, c’est chanter pour encourager les bœufs pendant leur travail. — Voy. liv. IV, chap. vii : les Brioleux.
  12. Pour : c’est étonnant. — Nos paysans emploient toujours imaginant, s’imaginer pour étonnant, s’étonner. — Voyez ces expressions dans le Glossaire du Centre, de M. le comte Jaubert.
  13. Bouviers. — Voy. p. 17.
  14. Nos paysans disent bermer, bermée, pour beugler, beuglement. C’est le vieux verbe bramer, qui ne se dit plus qu’en parlant du cri du cerf.
  15. Littéralement, bramant, beuglant à l’effroi. Les aumailles berment à l’effrei, lorsqu’elles sont en grande détresse ou en proie à une extrême épouvante.
  16. Les détenteurs d’un pré, appelé le Pré du Chapitre, et situé dans la commune de la Châtre, donnaient autrefois pour tout impôt aux chanoines du chapitre de cette ville un bouquet de roses à chaque Saint-Jean-Baptiste. — Par acte reçu Michelat, notaire à Jouhel (Indre), le 2 novembre 1759, François Bouchet, laboureur en la paroisse de Saint-Août, reconnaît la redevance suivante : Un bouquet de fleurs ou cinq sols de devoir seigneurial, dû, par chacun an, à chacun jour de Saint-Jean-Baptiste, comme propriétaire d’une maison… etc. (Aveu et dénombrement du marquisat de Presle). — La rose était en grande estime au moyen âge ; on en faisait des chapels ou couronnes pour les convives, dans les festins d’apparat ; on en décorait la table, les flacons et les verres ; enfin, l’eau de rose entrait comme assaisonnement dans une foule de mets. De là, ces bouquets ou boisseaux de roses dont il est si souvent question dans les redevances seigneuriales. (Voy. Brussel, Traité des fiefs, t. II, p. 746.)
  17. Gaston Phœbus ; ch. LXXIX de son livre sur la chasse.
  18. Tuer le ver, c’est boire le vin blanc, le matin, à jeun.