Curiositez inoüyes/Édition 1629/1

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Jacques Gaffarel
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Chap. I.
Qu’on a faussement imposé plusieurs choses aux Hébreux, & au reste des Orientaux, qui ne furent jamais.


SOMMAIRE.
  1. Argumens contre les Orientaux sur quoy fondez?
  2. Juifs faussement accusez par Apion, Plutarque, Strabon, Trogne, Tacite, &
      Diodore, d’avoir adoré des Asnes, des Ceps de Vigne, des Nuës.
  3. Naissance de ces Resveries d’où tirée?
  4. Faux que les Syriens adorassent les poissons. Zenophon, Cicéron, Aelian, Ovide, Martial, Artemidore , & Scaliger, refutez.
  5. Dagon idole, non fœminim, ou en forme de Syrene contre Scaliger, mais en forme de Triton. Fable descouverte.
  6. Samaritains nullement idolatres non plus qu’Aaron & Jeroboam, pour avoir dreßé des veaux d’or.
  7. Cherubins de l’Arche, non en forme de jeunes hommes, contre tous les Autheurs Grecs & Latins, & la pluspart des Hebreux.
  8. Arguments pour l’innocence des Samaritains.
  9. Raisons des Hebreux, & de Caietan, touchant la figure des Cherubins, nulle.
  10. Faux que les Hebreux bruslassent leurs enfans à l’idole de Moloc : & d’où est venuë la coustume de saulter par dessus les feux de la Sainct Jean.


Ceux qui mettent en avant quelque doctrine nouvelle & inoüye, pour l’autoriser davantage, & la faire passer avec plus de credit, monstrent premièrement la probité de celuy qui la trouvée : afin que la bonne opinion qu’on a de l’Autheur oste le soupçon qu’on pourrait avoir de tout ce qu’il enseigne. Les Recherches que nous traicterons cy apres sont tellement nouvelles, que je ne fais point de doute de les appeller-inoüyes. Il faut donc pour les garantir de soupçon que je prenne le party des Orientaux, & principalement des Hebreux qui en sont les Autheurs, & qu’en matière de curiositez, je defende leur innocence jusques icy opprimée.

1. On abhorre ordinairement ceste nation pour quatre raisons: La response des trois dernieres objections est au chap. suivant. La première à cause de l’idolatrie dont les Autheurs les font coul­pables : La deuxiesme, pour les resveries dont leurs livres sont pleins : La troisiesme, à cause des blasphemes qu’ils vomissent encore contre Jesus-Christ ; & la dernière, pour les erreurs qu’ils avancent contre la loy. La premiere est fondée sur une fausse creance : car depuis qu’on s’est imaginé que les Juifs ont adoré la teste d’un Asne, les Pourceaux, & les Nuës, leurs livres par consequent ne peuvent pas estre exempts de ces impietez. La deuxiesme, sur le peu de cognoissance qu’on a de leurs escrits : La troisiesme, sur la haine qu’on porte à leurs Autheurs : & la quatriesme, sur l’opiniastreté de ceux qui les accusent.

2. Premiere objection deduite. Pour la première, Appion chez Flave Josephe fut le premier qui la controuva : & bien que cest excellent Autheur des Antiquitez Judaïques l’eut doctement refutée, Plutarque ne laissa pas de la croire, Sympos.4.c.5.
Hist.5.
& Tacite après luy, de la coucher dans son histoire comme une chose prodigieuse : de façon que ceste Fable passant pour vérité, il n’y eut pas mesmes jusques aux plus serieux historiens qui ne la rapportassent. Or ce culte estoit tel, (disoient-ils: ) Ils dressoient un autel, sous lequel ayant fait auparavant quelques cérémonies, on mettoit au dessus la statuë d’un Asne d’or (les autres ne font seulement mention que de la teste): & après que le grand Prestre l’avoit encensé, tout le peuple mettoit la main à la bouche, & se courbant l’adoroit. On faisoit presque de mesme, à leur conte, de la statuë d’un pourceau :

Iudæus licet & Porcinum numen adorat, dit Petronius.

Comme aussi du Cep d’or de vigne ; mais avec ceste difference, disent Plutarque, Strabon, Trogue, & Diodore, que lors que les prestres sacrifioient à Bacchus, ils estoient couronnez de lierre, & avec flutes & tambours s’enclinoient devant ce Cep gardé religieusement dans leur temple. Pour les Nuës, l’opinion en estoit diverse : car quelques uns escrivent que les Juifs en avoient aussi quelque figure dans leurs lieux saincts, les autres assurent que non ; Fantaisies. De façon que pour faire voir plus clair que le midy que ceste nation n’est nullement coulpable de ces crimes, c’est que Tacite qui les avoit accusez d’idolatrie, adjouste peu apres, sans se souvenir de ce qu’il avoit escrit: Nulla simulachra urbibus suis, nedum tempits esse. Bien loin d’avoir des statuës de Pourceau, des Ceps, & des figures des nuës: & toutesfois voyez comme Juvenal en parle:

Nil præter nubes, & cœlinumen adorant: Satyr. 14. lib.16.

Strabon escrit le mesme, & du temps de Theodosius & Justinian, on les appelloit Cœlicolæ, Cod.lib.16. tit.8 leg.18 à cause de ce crime, ainsi qu’on peut voir dans les constitutions de ce sage Empereur.

Mais enseignons icy ces anciens, puis qu’ils nous ont si souvent enseignez Response à la premiere objection. : & pleust à Dieu, que c’eust tousjours esté des veritez. S’il est vray que les Juifs se soient abandonnez apres l’insolence des idoles que nous venons de nommer, pourquoy leur Dieu légitime ne les en a-t’il repris dans les Escritures qu’il leur a donné, comme il a fait des autres crimes ? & icy on ne peut pas dire ce que nous disons de nos livres, qu’une chose peut avoir esté encore qu’ils n’en fassent aucune mention; mais dans ceste loy que tous recognoissent tres-severe, il n’en est pas de mesme; car en matiere de crimes elle n’a pas celé les moindres. On ne peut pas encore dire que ceste idolatrie est arrivée apres l’histoire du vieux Testament ; Car outre que les ennemis des Juifs la leur eussent reprochée comme tres-abominable, les Autheurs susdits veulent que la loy de ne manger point de pourceau ne leur fut donnée qu’à cause qu’ils avoient adoré cest animal, mais pourquoy n’ont-ils pas asseuré de mesme que ce peuple avoit adoré les Lapins, les Lievres, les Chameaux, Austruches, & Corbeaux, puis qu’il leur estoit aussi deffendu d’en manger?

3. Disons donc que ce sont pures calomnies, ou bien opinions fantasques, fondees sur ce que les Juifs s’abstenoient si religieusement de la chair de cest animal, suivant le precepte qui leur en fut donné pour les esloigner de la lepre, qui leur estoit d’ailleurs assez familiere, & voila le commencement de la fable. Pour le Cep d’or, & les honneurs qu’on dit qu’ils rendoient à Bacchus, je n’en puis trouver la source dans aucun autheur. Je pense que le premier qui en fit mention prit le peuple Juif pour quelque autre, comme on void souvent dans les Autheurs en pareille matiere : ou bien ayant veu quelques Juifs apostasier exerçans ces actes d’idolatrie tira une consequence de tout le reste.

On peut remarquer plus facilement la cause qui servit d’erreur en matiere des Nuës, en celle qui estant lumineuse d’un costé, & obscure de l’autre, conduisoit miraculeusement les enfans d’Israël parmy les deserts. Une autre raison que je viens de penser contentera paradventure davantage, que les Juifs estoient appellez Cœlicolæ, comme adorateurs des Nuës ou du Ciel, à cause qu’ils adoroient Dieu appellé souvent en langue Hebraïque שמים Schamaim, mot qui signifie aussi le Ciel. Pour la teste d’un Asne, ceux qui rapportent le commencement à ce que les Asnes firent de grands services au peuple Hebreu lorsqu’il sortit d’Egypte, semblent plustost resver que parler suivant quelque apparence. Et Tacite me semble plus ridicule lors qu’il dit que les Juifs adorerent des Asnes, à cause qu’ils leur avoient monstre des eaux dans le desert : Sed nihil æquè, Historiarum libro 5. dit-il, quam inopia aquæ fatigabat, cùm grex Asinorum agrestium è pastu in rupem nemore opacam concessit, secutus Moses conjectura herbidi soli largas aquarum venas aperit. Et puis pour recompense de ce bien fait, adjouste incontinent: Effigiem animalis, quo monstrante errorem sitimque depulerant, penetrali sacravêre : plaisante fable, qui se destruit par la bouche du mesme Autheur au passage cy devant cotté. J’aime donc bien mieux dire, que l’amour de sa propre religion a esté à chacun de tout temps si passionne, que ceux qui estoient de diverse croyance, pour le moindre sujet ils venoient souvent aux injures. Que si les Juifs pour avoir esté chargez de preceptes, ou pour avoir esté obeïssans à leur Dieu, ont esté appellez des Asnes; Ainsi que Charles Quint appelloit les François, à cause qu’ils sont grandement souples à leurs Roys, Apologet cap.16. & les premiers Chrestiens n’ont pas esté exempts de ceste injure, car leur commune epithete estoit Asinarij, au rapport de Tertulian ; jusques là que ce Prince, dont la haine excessive qu’il portoit à Jesus-Christ l’a fait cognoistre pour le plus insolent qui fut jamais, fit dresser une statue, qui portant la figure d’un Asne, luy fit tenir avec l’ongle de son pied un livre dont l’inscription estoit: Deus Christianorum Ononychitis.

4. Or les Juifs estoient facilement soupçonnez de toutes les especes d’idolatrie : parce que outre qu’on les avoit veu aveugles apres quelqu’unes, ils habitoient prés des peuples grandement idolatres : toutesfois on n’accusoit pas ceux cy avec plus de verité que les Juifs, tant il est vray que depuis qu’on est descrié les bonnes actions sont mesmes soupçonnées. Περὶ αναβάσεως, in Sympos. li.3 c.8
Denat. deor. 3.
De anima lib. 12 cap. II.
Fastor.II lib.4 Epig.ⅹⅼⅲ.
Onirocritic I. cap.21 in Sphar Manil.Fol.345.
Les Syriens estoient veritablement convaincus de quelque crime, mais qu’ils eussent jamais adore les poissons de la mer, Xenophon, Plutarque, Ciceron, Diodore, Ælian, Ovide, Martial, Artemidore, & des nostres le sçavant Scaliger, qui cite les vers de Menander, ne le peuvent asseurer sans blasmes. Ouy, mais ils s’en abstenoient, disent-ils, & ceux qui estoient si osez d’en manger, ils devenoient enflez en punition de leur crime; d’où Perse auroit pris sujet d’appeller les poissons dij inflantes corpora. Mais desabusons ceux qui le sont, & descrouvrons la verité cachée. Il est vray que les Syriens s’abstenoient de certains poissons qui faisoient veritablement enfler comme venimeux, & on peut apprendre tous les jours chez les Naturalistes, que comme la chair de certains animaux de la terre est dangereuse, de mesme en est-il de ceux de la mer. Or les poissons dont les Syriens s’abstenoient sont Apua & Mœnides, fort venimeux, comme on peut voir en Plutarque, & Johannes Tzetzes. On peut donc tenir pour fable ce qu’on dit, qu’ils ne s’abstenoient pas seulement de ceux de la mer, mais aussi de ceux des fleuves, où Apua ni Mœnides ne se trouvent pas Erat is, dit l’interprete de Xenophon, parlant du fleuve Chalus, magnis mansuetistque piscibus refertus, quos Syri pro diis habebant, neque eos lædi patiebantur, sicutinec columbæ quidem. Pour les colombes, c’est un autre poinct que je deduiray ailleurs, mais pour les poissons il ne se peut rien dire de plus faux: car s’ils ne permettoient pas qu’on leur fit du mal comme estans leurs Dieux, pourquoy donc les portoient-ils vendre aux Juifs en Jerusalem gui leur servoient de viande? Veritablement c’eust esté une faute irreparable, & qui eust esté punissable, non pas seulement d’enfleure, mais de mort. Tyri quoque, dit Nehemias, habitabant in ea inferentes pisces, & omnia venalia, & vendebant in sabbato filiis Jehuda in ipsa Jerusalem. Voyez en d’autres preuves dans Selden qui a recogneu cest erreur, mais non pas son principe, je le monstreray cy apres. Mais pour faire voir auparavant la fausseté de cét histoire d’une autre façon: Je demande aux Autheurs cy dessus nommez, d’où ils ont appris que les Syriens adoroient les poissons pour des Dieux, & qu’ils s’en abstenoient pour ce sujet ? Ils ne respondent que deux mots, que c’est la tradition commune ; il faut dont voir quelle est cette tradition, afin de pouvoir juger si elle est veritable. Aratus & Hygin rapportent des Anciens, qu’un œuf d’une prodigieuse grandeur, tomba du Ciel dans le fleuve d’Euphrate, & les poissons l’ayant roulé par hazard sur la rive, fut tellement eschauffé par la chaleur d’une volée de Colombes, qui le couverent ainsi que les autres œufs, qu’au bout de quelques jours il fut esclos, & en sortit Venus, qui vesquit en terre avec tant de probité, que par apres estant au Ciel, demanda à Jupiter de mettre au nombre des Astres les poissons qui avoient gardé de naufrage l’œuf dont elle estoit sortie : ce qui fut fait, & du depuis les Syriens, que les Autheurs confondent souvent avec les Asiyriens, commencerent d’avoir en veneration les Poissons & les Colombes. Les autres disent que les Syriens commencerent seulement à les adorer, & d’en tenir dans leurs temples des simulachres d’argent, au temps que la fille de Venus tomba dans l’estang Boët, où elle fut changée en poisson ; Et puis dites qu’on a raison de tenir ceste tradition veritable. Que nous serions habiles gens si nous n’avions point d’autres Historiens que les Poëtes. Je sçay bien que la fable peut avoir esté tirée de l’histoire, mais où en trouverons-nous des tesmoins? au contraire nous sçavons que ces fables sont autant anciennes que l’Astrologie l’est à la Grece. Tirez en vous mesme une consequence, & jugez de l’esprit des escrivains de ceste nation, qui ont tousjours voulu faire passer des resveries pour des veritez. Je mets à l’adventure ceste conjecture que j’ay autrefois fait sur ceste mesme matiere : Sydon au langage des Phœniciens, qui sont les Syriens, signifie un poisson, ainsi que le rapporte Heurnius, apres Justin. Or Sydon c’est une partie de la Syrie, laquelle en Arabe signifie enfleure, au rapport de Kirstenius ; j’ay donc pensé si les Grecs, qui tournoient toutes choses en fables, auroient forgé celle des Syriens enflez, à cause des poissons.

5. Ceste autre conjecture n’est pas esloignée, à mon jugement, de la verité, que les Syriens estoient accusez d’adorer les poissons, à cause qu’ils adoroient l’Idole de Dagon, que quelques uns estiment avoir esté demy poisson & demy homme, en forme de Triton ou de Sirene, avec ceste difference, qu’il avoit la teste d’un poisson. Idolum Dagon (dit Lyranus apres les Rabbins) quod colebatur à Philistæis, habebat caput piscis, ideò vocatur Dagon, quia דג dag piscis significat. Je sçay bien que d’autres veulent qu’elle representoit une jeune Dame toute couverte d’espics de bled, qu’on estime avoir esté la Deesse Céres: car דגן Dagan, signifie aussi Frumentum : mais leur raisonnement n’est pas tout à fait veritable, comme nous verrons. Icy Scaliger dans son livre de Emendatione, reprend Philo Bibliensis, d’avoir dit que Δαγὰν estoit Σίτων, & veut que par Δαγὰν soit entendu ἰχθυὼν Piscator ou Piscosus du mot Hebreu דגה Daguah Piscis, & que par ce Dagtan on entende Derceto Deesse, & non un Dieu: mais si on eust demandé la raison à Scaliger, il n’en pouvoit point donner d’autre que celle-cy, que Dag ou Dagah signifie un poisson ; ouy mais il signifie aussi du bled, de façon qu’il faloit qu’il definit pourquoy on doit plustost exposer Daguah Piscis, que Daguan Frumentum. Que s’il allegue, que quelques Autheurs rapportent que les Syriens n’avoient adoré ceste Idole qu’à cause qu’un certain Monstre marin qu’on voyoit venir tous les jours de la Mer rouge, ou Erythrée, leur avoit appris plusieurs secrets touchant le labourage, & que ne pouvant vivre long-temps hors de son élement, s’alloit jetter tous les soirs dans la mer, & que le lendemain retournoit à Babylone. Je responds que ceste opinion, outre qu’elle est peu croyable, elle n’est soustenue d’aucun fidele Historien. J’estime donc veritable ce que Helladius, chez Photius, asseure, que ce n’estoit point ny Monstre ny poisson, mais un homme couvert de la peau d’un poisson, qui se retiroit vers la Mer Erythrée, & c’est ce qui a donné sujet à la fable. Ainsi Scaliger s’est visiblement mespris d’avoir dit que ce Dagon estoit Derceto une Deesse, & non un Dieu : car outre que tous les Autheurs Grecs font Dagon masculin & non fœminin Δαγὰν ὅϛ ἐστι Dagon qui est, & non pas ἥ ἐστι quœ est, la raison, à laquelle tout homme doit se ranger, monstre que ce fut non une Femme, peu propre au travail, mais quelque homme qui avoit monstré aux Syriens la façon de cultiver la terre : puis que leur pays, ou celuy de leurs voisins a esté sans controverse le premier habité, soit devant ou apres le Deluge. Joignez ce raisonnement à l’authorité d’Eusebe. δὲ Δαγὼν ἐϖειδὴ εὗρε σῖτον καὶ ἄροτρον, ἐκλήθη ζεὺς ἀρότριος. Dagon autem Frumenta invenit atque Aratrum, acideò Jupiter Aratrius nuncupatus est. On peut voir Annius en son sixiesme livre, & Gyraldus en ses Syntagmes. Ainsi l’Idole de Dagon pouvoit estre la moitié du corps en forme d’homme, couvert d’espics de bled, pour avoir appris aux Syriens à le cultiver & l’autre moitié la forme de poisson, à cause qu’il en est couvert de la peau d’un, & qu’il se retiroit pres de la Mer Erithtée. Le passage de Philo, refuté par Scaliger est cestuyi-cy, Patris regnum Cœlus possidens, Terram sororem in matrimonium duxit, quæ sibi quatuor filios peperit, Ilum, quem & Saturnum dicunt, Bœtilum, ϰαί Δαγὼν ὅς ἐστι Σίτων, Dogana , qui & Frumentarius appellatur, ac postremò Atlanta.

6. Je retourne à la justification des Hebreux: car je ne me suis amusé apres celle des Syriens, que pour faire voir avec quelle licence on blasme à tort les Orientaux, non pas que je vueille les defendre totalement d’erreur, je serois plus aveuglé qu’eux, mais pour faire que de mille crimes dont on les accuse, il n’y en a pas dix de veritables.

Il n’y a point donc d’Autheur que je sçache, soit Grec ou Latin, si on excepte Genebrard & Monceau, qu’il n’ayt obstinément accusé d’idolatrie le peuple Hebreu, qui se revolta de son Roy legitime: & qui a-t’il de plus veritable, disent-ils, que les Samaritains ont adoré des veaux d’or, puis que Dieu mesme les en a repris? qui les peut donc defendre d’idolatrie ? Establissons icy une majeure semblable, pour voir si nous tirerons une pareille conclusion : On a veu autresfois des Chrestiens adorer des Idoles, & mesme Dieu les en a repris, doncques tous les Chrestiens sont idolatres, quelle consequence ? Démeslons donc ceste fusée, & monstrons qu’à tort on a blasmé les Samaritains en la fabrique des veaux d’or.

L’histoire qui est la seule nette de mensonge nous apprend, qu’apres la mort de Salomon (que plusieurs peu consideramment mettent au rang des damnez) son sceptre fut mis entre les mains d’un successeur, qui pour estre jeune ne pouvoit avoir les perfections de bien gouverner, qui consistent en l’aage : ce nouveau Roy estant donc parvenu à la Couronne, ses sujets luy demanderent quelque diminution des grands imposts desquels son pere (qui ne pouvoit meriter en cela le nom de sage) les avoit surchargez : mais bien loing d’estre soulagez ils se virent davantage foulez par un mauvais conseil, vray principe du renversement des Royaumes, & des Monarchies mieux policees, de façon que ce peuple se revolta, mais d’un courage si despité & d’un consentement si commun, que de douze Tribus il n’y en eut que celle de Judah & de Benjamin qui demeurassent en l’obeyssance de leur Roy legitime : Les autres esleurent Jeroboham, qui choisit Samarie pour le lieu de son sejour, ou par des moyens dignes d’un des plus sçavants Politiques de l’ancienne Loy, retint ce peuple si souple à ses commandemens, que jamais du depuis il ne recogneut le Sceptre duquel il s’estoit separé. Or un des principaux moyens dont il se servit fut celui-cy, qu’ayant consideré qu’il n’y avoit rien qui peust inciter ce peuple à se remettre souz Roboham, que la frequentation qu’il auroit avec les deux Tribus qui restoient en Jerusalem (car il falloit trois fois l’an y comparoistre dans le Temple devant le Seigneur) il pensa d’establir en Samarie le mesme object d’adoration qui estoit dans Jerusalem. Or dans le Temple il y avoit l’Arche, & les Cherubins que Moyse avoit fabriquez, suivant l’exemple que Dieu luy avoit monstré à la Montagne, Jeroboham donc fabriqua les mesmes en Samarie, sans qu’il fut necessaire de faire une Arche: car notez, qu’elle n’avoit este dressée que pour tenir les Tables rompues de la Loy , ainsi qu’on peut voir dans le Deuteronome. Mais quoy, dira-on, les Cherubins de Moyse estoient-ils donc en forme de veaux ? Tres asseurément; puis que Jeroboham les imita, & s’ils eussent esté d’une autre figure, il les eust aussi bien imitez, & n’eust eu garde de faire des veaux, puis que son dessein estoit de retenir son peuple par le mesme culte qu’il rendoit en Jerusalem; autrement quelle imprudence ce luy eust esté que d’introduire une Religion qu’on n’eust pas cogneuë ? c’eust bien esté pour ruiner ses affaires, & contraindre ces nouveaux venus à s’en retourner.

7. Or que les Cherubins que fit Moyse à l’Arche fussent en forme de veaux, celuy qu’Aaron lit au desert à la priere des Enfans d’Israël, le monstre suffisamment: car ce souverain Prestre ne fit rien que ce qu’il croyoit que Moyse eust fait, s’il eust esté en vie (l’estimant ravy, & que c’estoit fait de luy, puis que presque quarante jours s’estoient passez, sans qu’il fust descendu du coupeau de la montagne, ayant de coustume les autres fois de n’y estre pas plus d’un jour.) Il fit donc un Cherubin, mais suivant l’exemplaire qui fut monstré à Moyse, comme aussi à luy mesme & aux septante Vieillards. Exod. 25. Inspice, & fac secundùm exemplar quod tibi in monte monstratum est. Exod. 24.10. Or en cest exemplaire ils virent la gloire de Dieu, telle qu’Ezechiel & Saint Jean virent par apres, qui estoit Dieu mesme assis entre quatre Cherubins, dont l’un avoit la figure d’un Homme, l’autre d’un Lyon, le troisiesme d’un Veau & le quatriesme d’un Aigle, & c’estoit dessus ces Cherubins visibles, comme en un throsne, que les enfans d’Israël en leur voyage devoient avoir Dieu invisible, leur en ayant souvent fait la promesse par la bouche de Moyse : Ecce ego mittam Angelum meum qui præcedat te. Et puis expliquant comme luy mesme resideroit sur cest Ange nommé du nom אלהים Elohim, Dij, mot commun aux Anges, adjouste: Erit nomen meum in illo, & facies mea præcedet te, & requiem dabo tibi. Ces promesses estans donc si souvent faictes au peuple par Moyse, qu’on croyoit que quelque beste l’eust devoré à quelque coin de la montagne, ou comme croyoient les plus sensez, que Dieu l’avoit ravy, demanderent à Aaron, comme à son successeur l’accomplissement de ces mesmes promesses. Surge, (luy dirent-ils) fac nobis Deum Elohim, ou Deos Elohim, qui præcedant nos : Moysi enim, huic viro qui eduxit nos de terra Ægypti, ignoramus quid acciderit, comme voulant dire, nous ne sçavons qu’est devenu Moyse qui nous devoit faire cest Ange, qui doit marcher au devant de nous, fay-le nous toy mesme, afin que nous entrions dans ceste Terre promise. Aaron donc leur fit un de ces Cherubins, sur lequel ils avoient veu Dieu assis. Or pourquoy il representa plustost le Cherubin qui avoit face de Veau, qu’un des trois autres ; Abiudan Hebreu, traitant ceste histoire, dont M. Otho avoit apporté le manuscrit de l’Orient, n’en parle point. Moncæus qui l’a pareillement traitée, en rapporte une raison de S. Denis Areopagite, qui est, qu’Aaron choisit plustost le Cherubin qui avoit la figure de Veau, afin qu’estant plus absurde en apparence que les autres, les Enfans d’Israël ne fussent pas si enclins à l’adorer. Ce Veau ou Cherubin fut donc fait; non pas qu’Aaron fondist premierement l’or en masse, & puis qu’il le formast à la façon que sont les statuaires une masse de pierre, ainsi que veut ledit Moncæus: non pas aussi que ce Veau vinst par hazard, sans que Aaron eust la volonté de faire un Veau, comme plusieurs des Anciens ont asseuré: mais ayant formé auparavant un moule: Et proieci illud (aurum) in fornacem, egressusque est hic vitulus. Que si le peuple irrita par apres Dieu, ce ne fut pas pour avoir faict ce Veau, mais pour l’avoir adoré : car comme dit Martial,

Qui fingit sacros auro, vel marmore vultus,
Non facit ille Deos ; qui rogat, ille facit.

Et nous ne lisons point que jamais Dieu ayt repris Aaron de l’avoir fait.

8. De façon que la conclusion que nous pouvons tirer de tout cecy est, que veritablement les deux Cherubins qu’on voyoit en l’Arche, estoient faits en forme de Veaux, & que suivant ceste doctrine, Roboham les ayant imitez, ne fut aucunement idolatre, ains Schisimatique, ou separé du culte qui se faisoit en Jerusalem ; bien qu’il luy arrivast ce qui arriva à Aaron, c’est à dire, que bien que son dessein fust bon, il y eut neantmoins du peuple qui les adora, & c’est en quoy Dieu les reprend; & pour cognoistre clairement que son intention n’aboutissoit point à idolatrie, c’est que les Roys ses successeurs qui tindrent la mesme croyance, ne sont point repris de crime, jusques à l’impie Achab, seduit par Jesabel sa femme, la plus imperieuse qui fut jamais. Ainsi lit-on en l’histoire de ces Roys, que Iehu fit ce qui estoit agreable aux yeux du Seigneur, & toutefois Non reliquit vitulos aureos qui erant in Bethel, & in Dan. Et je vous prie, si ce Roy eust adoré des Veaux, comment eust-il peu faire ce qui estoit agreable à Dieu, qui n’a jamais si severement puny son peuple, que lors qu’il s’est abandonné apres le culte des Idoles? & comment Asa, de mesme, Roy de Samarie, eust peu marcher aux mesmes voyes que David, s’il eust trempé dans ce mal-heur ? & fecit Asa rectum ante conspectum Domini, sicut David pater eius :& neantmoins Excelsa non abstulit, c’est à dire vitulos : comme si l’Autheur de ses Escritures Sainctes, eust voulu aller au devant de l’objection qu’on fait, que ces Veaux estoient dressez en une mauvaise fin : car il semble qu’il ayt adjousté tout exprez ces mots, pour combatre les opiniastres, & faire voir les veritez que je deduis: Cor Asa perfectum fuit cum Domino, et si Exceslsa non abstulerit : marque infaillible qu’ils recognoissoient en ces Veaux, ou Cherubins, ce qu’on recognoissoit à ceux de l’Arche, c’est à dire Dieu invisible, lequel y estoit assis, comme en son throsne ; bien que plusieurs adorassent simplement la figure de cét ouvrage des mains des hommes, & c’est dequoy Dieu se plaint, ce sens estant paraventure le literal, que ces Roys avoient voirement bien fait, & vescu selon Dieu; mais qu’ils eussent peu mieux faire, s’ils eussent osté ces Cherubins, qui estaient cause que plusieurs se perdoient, s’en servant autrement que pour le sujet dont ils estoient dressez. A ce propos il me souvient d’avoir leu qu’un de nos Evesques de Marseille, voyant que plusieurs de son peuple traitoient les images qu’on met aux Eglises avec tant de respect, qu’un jour il remarqua des actions qui passoient dans l’idolatrie, il les rompit toutes, & n’en laissa que fort peu à quelques endroits de son Diocese, tant il est vray qu’on abuse souvent de ce qui n’a esté institué qu’à bonnes fins. Je ne dis plus que ce mot pour l’innocence des Samaritains, que Salmonazar ayant ravagé leur Royaume, il y envoya des Colonies de Perse, lesquelles idolatrant comme à leur pays, Dieu leur envoya des Lyons qui les devoroient. Pour remedier à ce mal-heur, on ne peut trouver un meilleur expedient que d’y envoyer un des Prestres Hebreux, qu’on avoit amenez captifs, pour enseigner à cet idolatres le culte du vray Dieu; ce qu’on fit, & le malheur cessa. Consequence certaine, dit Abiudan, que tous les Samaritains n’estoient pas idolatres, ce que n’a pas remarqué Moncæus : il a pourtant remarqué ce qu’Abiudan n’a point escrit, pour la haine, à mon jugement, qu’il portoit au vray Messie, & à cause que le tesmoignage estoit contre luy, que lors que Jesus Christ avança l’Histoire du Parabole du Voyageur, si mal traité par les voleurs, le Samaritain en eut plus de pitié que le Pontife de Jerusalem. J’adjouste que ce mesme Dieu, fait homme, ne nia point qu’il fust Samaritain, lors qu’on l’appelloit tel par injure : ce qu’il eut fait, s’il eust cogneu que ce peuple estoit totalement idolatre.

9. Mais dans la deduction de ceste matiere, les curieux qui ne laissent rien à esplucher, me pourront faire ceste demande: Si donc les Cherubins de l’Arche estoient faits en forme de Veaux, qui est-ce qui a incité presque tous les Autheurs à soustenir qu’ils estoient en forme de jeunes garçons? Volontiers j’eusse attendu à une autre fois de respondre à ceste question, à laquelle Abiudan, ny Moncæus n’ont pas pris garde, ou bien ils l’ont passee à dessein : mais puis que nous escrivons aux Doctes, il faut que je tasche de ne rien laisser de ce qui fait à mon sujet, pour n’estre mis au rang de ceux qui traitans une matiere, oublient volontairement les plus belles choses. Je dis donc en deux mots, & sans m’arrester longuement, puis qu’ailleurs nous traitons la mesme question, que tous les autheurs Grecs & Latins, & la pluspart des Hebreux, comme Aben, Esra, Rabbi Scelomoch, & les Tamuldistes, qui ont donné la figure de jeunes garçons à ces Cherubins, se sont fondez dessus de si foibles raisons, qu’il ne faut que les rapporter pour faire voir qu’elles sont nulles. Il n’y a rien, disent plusieurs des derniers chez Chimchi, qui nous confirme davantage la creance que ces Cherubins estoient comme des adolescens, que l’ethymologie de leur nom : car כרוב Cherub est composé de la lettre servile כ Caph, qui marque sicut, & du mot רביא Rabeja, qui signifie en Chaldee un garçon, & au pluriel כרביא Cherabaja, c’est à dire, sicut Adolescentes, ou pueri : Ouy, mais Moyse n’a pas parlé Chaldeen, mais Hebreu, & puis s’il falloit juger de ceste question par le nom, pourquoy ne pourrois-je pas dire avec plus de raison de l’ethymologie Hebraïque, que ces deux Cherubins estoient faicts comme des selles de cheval, puis que le mot רכב Rachab (d’où on fait descendre כרוב Cherub) transposant les lettres en ברכ Cherab, qui vaut autant que equitare, signifie une selle, ainsi qu’on void au Levitique, & au premier livre des Roys ? ou bien ces mesmes Cherubins portoient la figure d’une pluye, puis que כרביב Cheravib, mot approchant de Cherubin, signifie sicut pluvia. Voyons les raisons de nos Latins, si elles seront plus puissantes que celles des Hebreux. Caietan sur l’Exode, semble conclurre, à son advis, mieux que tous ceux qui ont jamais discouru de ces Cherubins, disant que leur figure estoit celle de deux jouvenceaux, parce que dans la Bible, où nostre traduction latine dit, Respiciant que; se mutuò, l’original Hebreu porte, Et facies eorum vir ad fratrem suum. De là il croit avoir trouvé la febve au gasteau, concluant qu’asseurement ils estoient faits en forme humaine. Mais ceux qui sont sçavants en Hebreu, jugeront que ceste conclusion est nulle : ou autrement il faudroit aussi conclurre, que les estoilles, les courtines du Temple, & mille autres choses dans le vieux Testament, avoient pareillement forme humaine, puis qu’en Isaye lors qu’il est parlé des Estoilles, au lieu que nostre version a Neque unum reliquum fuit; Le Texte Hebreu dit, Et vir non est substractus : Des courtines dans l’Exode, Quinque cortinæ erunt coniunctæ mulierem ad fororem suam : Des aisles des animaux dans Ezechiel, Et vocem alarum animalium percutiemtium alteram ad alteram, en Hebreu, Mulierum ad fororem suam : Des parties des victimes dans le Genese, Et utrasque partes contrase altrinsecùs posuit, en Hebreu, Et dedit virant partem eius è regione proximi sui : & en fin dans Isaye, Alter alterum non quæsivis ; en Hebreu, Mulier sororem suam non requisivit. Plusieurs autres de mesmes sont deduits par Kimchi, Munster, Fursterus, & Pagnin. Je passe tout ce que le reste des Interpretes ont dit des Cherubins, parce qu’on peut voir chez Caietan que leurs raisons sont aussi foibles que la sienne, quoy qu’asseurent Pradus, & Villapandus , qui se sont efforcez d’introduire un autre sens, que les arguments d’Oleaster renversent. Je m’estonne toutefois de ces Autheurs, qui n’ayant pris garde, que sans cherchet avec tant de peine des sons qui ne servent de rien, ils pouvoient simplement asseurer que ces Cherubins avoient forme humaine, à cause que l’un des quatre veus par Moyse, Aaron, les Septante, Ezechiel & Sainct Jean, avoit la figure d’un homme. Ceste conjecture eust esté tolerable, auparavant que la nostre eust fait voir la verité au jour. On pouvoit donc par ceste voye se despestrer de ces difficultez, comme pareillement de celle cy. Quel estoit ce Cherubin mis au devant du Paradis Terrestre, pour en defendre l’entrée à Adam, & à ses enfans? car on peut respondre en un mot, que c’estoit un de ces Cherubins, qui representoit un Lyon, sa forme estant tres-propre à un tel effet, puis qu’il n’y a rien de plus effroyable qu’un Lyon rugissant. Par ainsi on met fin aux difficultez qu’anciennement Theodoret, Bar-Cepha, Procopius Gazæus, Jacobus Chius, & Theodore Evesque d’Heraclee, lesquels apres une longue dispute, concluent, mais peu raisonnablement, que ceste garde n’estoit pas un Cherubin, mais quelqu’autre chose puissante; comme un Cherubin; ainsi qu’un fantosme espouventable, tel qu’on met aux jardins & chenevieres, pour espouventer les oyseaux : & leur raison estoit, que les Cherubins estant des Esprits tres-relevez du second ordre de la premiere Hierarchie, ne sont jamais envoyez en terre, assistans sans fin devant le Throsne de Dieu: mais le Maistre des Sentences, Scot, Gabriel, Durand, & Gregorius de Valentia asseurent le contraire. Or pourquoy les Cherubins veus par Moyse, Ezechiel & les autres, avoient de si diverses faces & si repugnantes, s’il semble à un Esprit bien-heureux, l’en laisse resoudre la question à Sainct Denys, Sainct Gregoire, & au reste des Peres, puis qu’il me suffit icy d’avoir monstré que le veau d’or dressé dans le desert, & ceux que fit Jeroboam, estoient fabriquez suivant ceste vision divine, defendant ainsi les Anciens du crime qu’à tort on leur impose.

10. Si je n’excedois desja la juste longueur d’un chapitre, je respondrois encore à ce crime le plus grand de tous, duquel on accuse les Hebreux, qu’ils brusloient anciennement leurs enfans à l’Idole de Moloch : je reserve ceste matiere à un autre endroit, & ne dis icy que ce mot que Rabbi Joseph Karo remarque, In cap. 5. Mis. Thor. tract.
עבום
que par tout où l’Escriture saincte fait mention de ceste Idole & du sacrifice qu’on luy faisoit, elle n’use jamais d’un verbe qui signifie brusler, tuer, ou faire mourir, mais passer & offrir : & de fait on ne faisoit que passer les enfans par dessus le feu, & c’estoit une espece d’adoration & de service, l’impie Cham l’ayant introduite envers cét Element : Ignem (dit Heurnius) in Ur Chaldæorum urbe Abrabami patria adorandum ponit, gravi pœnâ in pertinaces promulgatâ : où il ne commandoit point de tuer ny de brusler, & pour l’innocence de ceste verité les curieux pourront voir, puis que je ne m’y arreste pas, Chimchi, Salomo Iarchi, Abarbanel, & Mosech l’Egyptien qui sceu la façon de faire des Anciens mieux qu’Autheur qui en ait jamais escrit. Qu’on sçache toutefois que je ne nie pas que les Colonies Persanes de Sepharvaim qui vindrent en Samarie ne sacrifiassent leurs enfans à leurs Dieux Adramelech, & Anamelech, mais que les Hebreux fissent de mesme à Moloch, on ne le trouvera jamais, guoy que dise Selden. Et qui est celuy qui croye que Salomon esgorgeast les petits innocens, ou les jettast dans un feu, lors que l’Escriture saincte dit, Colebat Salomon .Astharten Deam Sydoniorum, & Moloch idolum Ammonitarum ? Il faudroit n’avoir point de sens commun de le penser en aucune façon, tant il est vray ce que nous avons dit, qu’ils les passoient seulement par dessus le feu ; & ceste malheureuse tradition s’est tellement du depuis estenduë par tout le monde, que mesme en l’Amerique les Brasiliens font de mesme, au rapport de Jean de Lery, & parmy les Chrestiens les meres tous les ans passent encore leurs enfans par dessus le feu de la sainct Jean, ce qui devroit estre aboly, puis qu’un ancien Concile tenu à Constantinople le condamne, & Theodoret prouve clairement que ceste coustume de sauter par dessus ces feux, est encore une racine des anciennes abominations.