Curiositez inoüyes/Édition 1629/9

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Jacques Gaffarel
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Chap. Ⅸ.
A sçavoir si les Anciens Hebreux se sont servis en leur Astrologie de quelque instrument de Mathematique, & de quelle Figure ils estoient?


SOMMAIRE.
  1. Instrumens practiquez des Anciens Astrologues. Fable d’Athlas descouverte.
  2. Description de la Sphere Hebraïque.
  3. Questions advancees sur sa fabrique. Opinion admirable de R. Moses sur le nombre des Cieux.
  4. Jugement sur l’ancienneté de ceste Sphere.
  5. Horloge d’Achas, & sa description curieuse non encor veüe.
  6. Conjectures sur la figure de nos Quadrans solaires.


CEux qui ont eu une plus grande cognoissance de l’Astrologie, & qui se sont autrefois occupez à dresser des nativitez & des horoscopes, ont asseuré que ces curiositez ne pouvoient estre facilement pratiquees sans l’aide de quelque instrument: ce qui auroit fait conclurre à quelques Rabbins, que puis que leurs Anciens Peres avoient esté sçavans en ceste science, il falloit qu’ils se fussent servis en la pratiquant, d’un ou de plusieurs semblables instrumens, afin de venir à bout des operations que les plus sçavans en racontent : or que les Anciens en eussent eu, & qu’ils s’en sussent servis, on le peut prouver par les Historiens, qui ont fait mention des Astrologues de Chaldee, comme Q. Curce, qui specifiant ceux qui sortirent de Babylone pour aller recevoir Alexandre le Grand, dit : Magi deinde suo more carmen canentes, post Chaldæi Babyloniorum non vates modo, sed etiam artifices, où par le mot d’artifices, il entend ces Astrologues qui dressoient des instrumens pour la pratique de leur science ; & c’est la glose de Heurnius. Id est ij Astrologi qui Astrorum cursus observabant, varia instrumenta in eum usum fabricantes. De là on peut descouvrir la Fable d’Athlas, Roy des Mauritaniens ou Phœniciens qui fuïrent devant les armes de Josüé: car le Ciel, que les Grecs vrayes pestes de l’antiquité, dirent que ce Roy & Astrologue tout ensemble portoit sur les espaules, n’estoit qu’un globe ou sphere presque semblable aux nostres, dont il se servoit pour cognoistre les mouvemens du Ciel ; Ac tunc, dit le mesme Heurnius, disciplinas avitas ipsum excoluisse, sphærámque cœli effigiem confecisse, unde post ea Poëtæ, & mendacißimi Græci, cœli gestationem ipsi affinxerunt. Il est donc tres-asseuré que les anciens avoient certains instrumens, desquels ils se servoient en l’Astrologie ; De conclurre maintenant que ceux qu’il descrit Chomer & autre Rabin Anonime, que j’ay veu à la Bibliotheque du Cardinal de saincte Susane, ayent esté inventez par les premiers Hebreux, les conjectures que je tireray cy-apres m’empeschent de le croire, quoy qu’il en soit, en voicy la description particuliere, comme elle est dans ces Autheurs.

2. La premiere piece qu’on voyoit à un de ces instrumens, c’estoit le soubassement qui estoit d’une lame de cuivre, ou d’autre metail, courbee & creuse à la façon d’un bassin. Trois petites colomnes s’eslevoient de la superficie, sur laquelle on voyoit ces mots, אמח שלוֹם דין din, schalon, emet, c’est à dire, jugement, paix, verité. Elles portoient deux grands demy cercles, qui composoient un triangle, avec tant d’artifice, qui ne laissoit pas d’estre rond à la superficie: au dedans, on voyoit un grand cercle parfait gui en enfermoit deux autres, & le tout du mesme detail que le soubassement. Le premier qui estoit le plus grand de ces trois cercles, portoit ces mots שמי השמים schemai, haschamain, CIEUX DES CIEUX. L’autre n’avoit simplement que שמים schamain, CIEUX : & le troisiéme que cét autre mot, רקיע raquiagh, qui vaut autant que ESTENDUE. Ce cercle-cy & le premier n’estoient pas tant admirables que celuy du milieu, lequel estoit diversement environné d’un grand nombre de plusieurs autres petits cercles qu’on pouvoit mouvoir, entre lesquels sept paroissent plus que les autres, pour estre plus pres du centre de l’instrument ; ils portoient tous des petites estoiles, & celles qu’on voyoit à ces sept cercles estoient marquees de l’une de ces lettres, ל מ ם נ ן ס ע qui signifioient les Planettes en l’ordre que nous les contons, commençant par la plus reculee de nous, qui est Saturne. Auprés de ces lettres on voyoit encore ces mots יום ראשון Iom Rischon, שׁני Scevighi, שׁלישי Schelicsci, רביעי Revighi, חמישי Chamischi, שישי Schischi, שביעי Schevihgi, c’est à dire, Jour Premier, Deuxiesme, Troisiesme, Quatriesme, Cinquiesme, Sixiesme, Septiesme. Chasque cercle des Planettes portoit le nombre des ans qui luy faut pour achever son cours : & celuy de la Lune estoit gravé de ces douze characteres נ א ס ת א א ת ח ב ט ש א qui estoient les premiers de ces noms ניסן אייר סיון תמוז אב אלון תשרי חשון כסליו טבת שבת אדר Nisan, Aiiar, Sivan, Tamouz, Ab, Aelon, Tisvi, Tisvan, Bisleib, Scebat, Adar, c’est à dire, MARS, AVRIL, MAY, JUIN, JUILLET, AOUST, SEPTEMBRE, OCTOBRE, NOVEMBRE, DECEMBRE, JANVIER, FEVRIER : Or ces cercles estoient disposez avec tant d’industrie, qu’on y pouvoit voir les degrez & les distances parfaictement marquees : Au milieu & au centre on logeoit une boule de couleur bleuë, un peu creuse ; dans la concavité de laquelle, on voyoit plusieurs lettres, accompagnees de lignes traversees d’un filet ou petit cercle teint en vert, semblable à un autre tout de mesme qu’on voyoit à l’entour du grand cercle qui enfermoit tous les autres, & tout au long de l’un & de l’autre, on lisoit ces mots depeints כתר חכמח בינה חסד גדולה תפרת נצק הוד יסוד מלכות Ceter, Chocmah, Binah, Chesed, Guedolah, Tipheret, Netshac, Hod, Iessod, Malcout, qui signifient par ordre, COURONNE, SAGESSE, INTELLIGENCE, MISERICORDE, MAGNIFICENCE, GLOIRE, VICTOIRE, PUISSANCE, FONDEMENT, ROYAUME : & ce sont les dix noms appellez par les Hebreux, ZEPHIROTZ.

Je n’entre pas maintenant dans ces questions, à sçavoir si cette boule bleuë, creuse, marquoit que les Anciens croyoient la terre de ceste figure ; d’où paradvanture quelques Autheurs Grecs auroient pris sujet de dire qu’elle estoit en forme d’Omega ω. A sçavoir si ce grand nombre d’estoiles qui avoient chacune son cercle, monstroit que chacune avoit son Ciel, & que par consequent il y en eust plus que nos Philosophes n’ent content ; d’où R. Moses auroit pris subject de dire, Non est autem impoßibile quod quælibet stellarum fixarum sit in cœlo suo proprio, & motus omnium ipsorum sit unus : & omnes spheræ ipsarum revolvuntur super eosdem polos. A sçavoir si les trois grands cercles ne representoient que les trois Cieux, que les plussçavants recognoissent, contant l’air, ou bien ceste grande estenduë qui est depuis la terre jusques au Ciel pour le premier ; le Ciel où sont les estoiles, pour le deuxiesme ; & le siege des bien-heureux pour le troisiesme ; évitant ainsi ceste dispute, en quel Ciel fut ravy Sainct Paul ? Je ne resous pas encore, si ce filet ou cercle vert esoit le cercle, ou ligne appellee par les Cabbalistes linea vidiris quæ circuit universum. J’evite toutes ces questions qu’un autre pourra resoudre, pour venir aux conjectures que j’ay promis, qui monstrent le peu d’asseurance que nous devons avoir de l’antiquité de cest instrument.

4. La premiere est, que puis que devant ces Rabins, on n’avoit point ouy parler de cét instrument, & que devant qu’ils en fissent la description, la doctrine sur laquelle il est basti, estoit cogneuë, il est croyable qu’il ait esté inventé apres sur ceste doctrine. La deuxiesme que Rabi Kapol tres-sçavant Astrologue n’en a fait aucune mention dans tout ce qu’il a escrit d’Astrologie, non plus qu’Abraham Avenar, & devant eux, R.Moses : il est vray qu’Aben Esra dans son Sphere des Hebreux, Indiens, Persans, Egyptiens, & Arabes souvent citée par Scaliger, se souvient d’un certain instrument fort usité anciennement parmi ces peuples; mais n’en faisant aucune description, & n’en parlant qu’avec retenuë, on peut conclurre que sa fabrique est incertaine, autrement il l’eust descrite comme necessaire en la matiere qu’il traitoit. La derniere conjecture, qui me fait croire que cét instrument n’estroit point usité des premiers Peres Hebreux, est que les noms des Mois qui sont gravez au cercle de la Lune, ne sont point Hebreux, mais Chaldeens : & bien qu’on en trouve sept dans la Bible Hebrayque, qui sont ניסן סיון אלול כסלין טבת שבת אדר Nisan, Sivan, Elol, Bislein, Tevet, Schevat, Adar, MARS, MAY, AOUST, NOVEMBRE, DECEMBRE, JANVIER, & FEVRIER, ils ne sont pourtant pas Hebreux, car ils ne se trouvent que dans les livres escrits en la captivité, comme Haggee, Zacharie, Daniel, Esra & Ester. Si l’Autheur de cest instrument se fust servy du nom de ces trois mois qui sont Hebreux, mais inusitez, on l’eut moins soupçonné זו אתנים בול Ziv, Aitanim, Boul, nommez au troisiesme livre des Roys. Le traducteur de nostre Bible, n’a

point traduict ny specifié quels mois c’estoient. Burgensis, Elias Levita, Marin & Louys de S. François, disent qu’estoient AVRIL, SEPTEMBRE & OCTOBRE. On peut donc conclure par ces trois conjectures, que cest instrument n’est point un de ceux dont les premiers Hebreux se servoient ; adjoustant à ceste conclusion celle-cy, que leur figure nous est incogneuë aussi bien que leur invention. Celle de l’Horloge d’Achas est plus certaine, ou pour mieux dire, moins soupçonnée de nouveauté, mais d’en croire entierement la fabrique telle qu’elle estoit anciennement, il y a fort peu de raisons qui m’y portent, puis que hors d’un Rabbin, quoy que tres-sçavant, je n’ay sceu trouver aucun Historien, soit Chestien, Hebreu, Egyptien ou Arabe qui en ait fait aucune remarque, ou quelque approchante : toutesfois si pour y trouver moins d’incertitude qu’à la Sphere susdite, ou si on en veut croire à un seul autheur, je suis content de rapporter la description qu’il en a faite, puis qu’elle est propre à mon suject :car les Anciens en leur horoscopes se servoient souvent de ces quadrans, quels qu’ils fussent, marquans parfaictement le juste mouvement des plus grands luminaires. Nous ne trouvons donc point dans toute l’histoire saincte aucune mention de ces horloges Scioteriques ou Solaires, qu’au dernier livre des Roys,

dont l’autheur qui rapporte la guarison de ce Roy si pieux, fils & pere des deux autres si abominables, dit Invocavit itaque Isayas Propheta Dominum, & reduxit umbram per lineas quibus iam descenderat in horologio Achas, retrorsum decem gradibus. L’original Hebreu appelle cest instrument מעלות אהז maghalot Achaz, c’est à dire, ascensions ou degrez d’Achas. Voila donc le nom ; mais pour la figure, il n’y a eu personne devant moy qui l’ait rapportee : elle estoit telle, suivant Rabbi Chomer. Une pierre, ou bien une lame de cuivre, si grande qu’on vouloit, estoit ployee en forme d’un croissant, la cavité duquel enfermoit une boule de mesme metail, sur laquelle on voyoit les heures marquees : ceste boule estoit environnee d’un cercle, eslevé de deux pouces, percé de 28 trous, & servant à marquer aussi bien les heures par le moyen de la Lune, que du Soleil en ceste façon : L’instrument estoit mis sur un pied d’estal, ou simplement sur une fenestre, comme Chomer dit qu’estoit celuy de ce Prince ; mais avec ceste condition, que tousjours une des cornes du croissant (accommodé à l’eslevation du lieu) regardoit l’Orient, & par consequent, le cercle qui le traversoit, le Midy. Le Soleil donc luisant donnoit sur la corne opposee ; de façon que l’ombre tombant sur la rondeur de la boule, dont la hauteur ne passoit pas celle des cornes du croissant, marquoit distinctement les heures environ à dix des nostres ou le Soleil plus eslevé ne pouvant plus donner à costé de la corne, pour marquer de son ombre les heures qui suivoient, le cercle suppleoit à ce defaut, marquant presque jusques deux heures apres midy ; & par apres le Soleil descendant, l’autre corne du croissant commençoit à marquer jusques à la nuict : Par ainsi des douze heures du jour, le cercle en marquoit tousjours quatre, qui estoient depuis dix jusques à deux heures apres midy: & ceste espace est encore appellee de tous Orientaux Midy : divisant naturellement le jour en trois, Matin, Midy & Vespre, ayant laissé perdre l’usage des horloges comme a remarqué Scaliger. Pour les heures de la nuict, on les cognoissoit sur cét instrument, par le moyen de la Lune, donnant sur une cheville de laquelle on bouchoit chaque jour un des trous du cercle, autour desquels les heures estoient gravees ; ainsi la cheville qui passoit au dehors, servoit d’aiguille ou d’indice, que les Grecs appellent γνόμον. Si je n’eusse trouvé de l’obscurité dans ceste description, j’eusse icy rapporté la figure & la façon de dresser l’horloge; mais j’ayme mieux me taire aux choses que je ne comprens nettement, que d’en parler à tastons: un plus grand loisir sera par adventure, que j’en pourray comprendre les secrets, & les deduire ailleurs. Pour maintenant, il me suffit de dire que la Paraphrase de Jonathan appelle cét instrument, soit que celuy-ci soit vray ou non צורת אבן שעיא Tsourat, Aeven, Schaghaia, Figura lapidis horarum.

6. Icy Aben Esra remarque que les monstres ou quadrans qui servent d’ornement à nos jardins, ont quelque chose de semblable, doutant si leur fabrique est prise ou imitee, quoy qu’avec alteration, de celle du susdit instrument : car si l’on considere à ces quadrans la figure creuse qu’ils ont au dessus, on verra qu’elle ressemble assez bien à un croissant, ayant seulement osté la boule du milieu, & marqué à la cavité du mesme croissant les heures que l’ombre d’un petit baston monstre, au lieu que les cornes du croissant les marquoient : & c’est cest instrument qui estoit le plus usité des Anciens Romains, appellé par les Autheurs Concha, tesmoin Munster sçavant en ceste matiere comme en beaucoup d’autres. Erat primo, dit-il, apud antiquos Concha Hemicyclea lineis debita proportione distincta, cui prælongus ex ære aut ligno baculus soli oppositus supereminebat, & eius umbra in lineas incidens boras ostendebat.

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