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Cyranette/23

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Éditions du « Petit Écho de la Mode » (11p. 190-192).

Épilogue

Novembre 1918 !… Novembre 1919 !… Un an d’écart entre ces deux dates, dont l’une a vu s’essorer une âme naguère puérile, mais qui, grandie soudain par la souffrance et comme touchée de la grâce, a pu prendre place parmi les justes et les saintes. Douze mois bien longs, bien douloureux à maints égards pour ceux qui ont mis Liette en tombe et qui reviennent de faire le pèlerinage du petit oratoire à l’ombre duquel elle repose, sous la charmille, comme en un nid du bon Dieu. Mais aussi, à d’autres égards, douze mois bien employés en fortes et saines méditations.

Avant de mourir, à l’arrivée des siens à Oak Grove, Liette avait dit à Nise, confidentiellement :

— Ma chérie, un jour viendra, je le sais, où Robert te demandera de lui permettre de réparer mes torts envers toi. Ce jour-là, promets-moi de ne pas te dérober ?

Et à l’abbé Divoire, qui avait pu la confesser en pleine lucidité, avant de lui administrer les secours de la religion :

— Monsieur le curé, si vous voulez que je comparaisse sans crainte devant Notre Seigneur, promettez-moi de préparer papa et maman à ce que vous savez. Vous les y préparerez peu à peu, n’est-ce pas ? Nise aussi qui, autrement, ne prendrait peut-être pas sur elle de déférer à mon désir, bien qu’au fond il vienne à l’appui de ses vœux.

Liette a bien fait de tout prévoir et d’exprimer clairement sa volonté. Denise, au retour du cimetière, ne s’appuierait pas ainsi au bras de Robert, en levant sur lui un regard tendrement mélancolique ; Mme Daliot n’accepterait jamais les secondes fiançailles auxquelles prélude ce cruel pèlerinage, fait en commun, avec tant d’émotion et de recueillement, si l’une et l’autre n’avaient conscience que le moment est venu de les envisager sous peine de désobéir à la chère disparue.

Et quand le devoir — et le plus sacré de tous, l’exécution d’une volonté posthume — vient à l’appui de l’amour — et du plus pur, du moins égoïste des amours — le respect humain n’a le droit d’intervenir que pour assigner une durée suffisante aux manifestations de nos douleurs. Il n’eut pas été digne de Robert, encore moins de Nise, d’abréger leur deuil. Vouloir le prolonger indéfiniment serait se dérober à une obligation dont M. le curé, fidèle et persuasif interprète de la pensée de Liette, a su montrer la nécessité, comme la grandeur, comme la portée féconde et bienfaisante.

Robert demeurant veuf avec le double désespoir d’une affection à jamais perdue et d’un amour qui lui échappe ; Denise comprenant mal son rôle et s’obstinant dans une immolation stérile, ce seraient deux autres vies ruinées sans rémission. Tandis qu’en joignant leur foi, sa puissance souveraine leur est garante d’un bel avenir, harmonieux et lumineux.

Car, Liette l’a dit, entre eux son souvenir ne mettra pas d’ombre. Ils ne l’évoqueront pas comme un fantôme. Elle planera tutélairement sur leur bonheur. Elle ne sera plus la rivale de Nise, la première femme de Robert. Elle sera ce qu’elle a toujours été en somme pour eux, si précocement graves : une enfant, une chère petite âme d’enfant capricieuse et gâtée, que l’on regrette et que l’on pleure, mais que l’on sait heureuse aussi, là-haut, avec les anges…

Le temps est superbe aujourd’hui. Si Liette était encore de ce monde, elle ne reconnaîtrait plus le lugubre paysage qui, l’an dernier, à pareille époque, assombrissait ses derniers jours. Cette année, il n’est presque pas tombé d’eau, dans le Devon, depuis octobre. Avec ses nues ensoleillées et ses tiédeurs printanières, novembre a presque figure de mai. Et, dans les haies qui bordent la sente discrète par où l’on rentre du champ de repos, les chèvrefeuilles refleurissent çà et là, au milieu des houx, tout égayés déjà de leurs jolies grappes rouges.

Ainsi, nature et ciel semblent sourire à un bonheur renaissant. Cette sérénité des choses apaise les suprêmes convulsions des âmes qui se souviennent et des cours qui n’oublient pas.

— Que ce pays est beau ! murmure l’archiviste.

— Liette aimait mieux la Savoie, soupire Mme Daliot.

— Nous l’y ramènerons, ma femme, répond M. Daliot, en lui prenant doucement la main.

M. le curé, qui lit son bréviaire, marche à côté de ses amis, derrière les deux jeunes gens.

Et parce que l’apaisement se fait dans les cœurs ulcérés de ce père et de cette mère ; et parce qu’il n’y a plus d’incomprise, plus de sacrifiée, plus de Cyranette, mais une fiancée au bras de son fiancé ; et aussi parce que le ciel est bleu, l’air tiède, que les oiseaux chantent dans les arbres encore parés de magnifiques feuillages aux tons de rouille et d’or, le prêtre pense profondément ce qu’il lit, et que Dieu est juste, et que Dieu est bon, et que Dieu est miséricordieux.

Novembre 1919-Janvier 1920
FIN