Découverte de la Terre/Deuxième partie/Chapitre premier/I

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J. Hetzel (2p. 1-27).

CHAPITRE PREMIER

Les Conquistadores de l’Amérique centrale.

I


Hojeda. — Améric Vespuce. — Son nom donné au Nouveau-Monde. — Juan de la Cosa. — V. Yanez Pinzon. — Bastidas. — Diego de Lepe. — Diaz de Solis. — Ponce de Léon et la Floride. — Balboa découvre l’océan Pacifique. — Grijalva explore les côtes du Mexique.

Les lettres et les récits de Colomb et de ses compagnons, qui s’étendaient complaisamment sur l’abondance de l’or et des perles trouvés dans les pays récemment découverts, avaient enflammé l’imagination d’un certain nombre de commerçants avides et d’une foule de gentilshommes, amoureux des aventures.

Le 10 avril 1495, le gouvernement espagnol avait publié une permission générale d’aller découvrir de nouvelles terres ; mais les abus qui se produisirent aussitôt et les plaintes de Colomb, sur les priviléges duquel on empiétait ainsi, amenèrent le retrait de cette cédule, le 2 juin 1497. Quatre ans plus tard, il fallut encore renouveler la prohibition et lui donner, comme sanction, des peines plus sévères.

Il se produisit alors une sorte d’entraînement général, favorisé, du reste, par l’évêque de Badajoz, Fonseca, dont Colomb eut tant à se plaindre, et par les mains de qui passaient toutes les affaires des Indes.

À peine l’Amiral venait-il de quitter San-Lucar pour son troisième voyage, que quatre expéditions de découverte s’organisèrent presque simultanément aux frais de riches armateurs, au premier rang desquels figurent les Pinzon et Améric Vespuce.

De ces expéditions, la première, composée de quatre navires, quitta le port de Santa-Maria, le 20 mai 1499, sous le commandement d’Alonso de Hojeda, qui emmenait avec lui Juan de La Cosa, comme pilote, et Améric Vespuce, dont les fonctions ne sont pas déterminées, mais qui semble avoir été l’astronome de la flotte.

Avant de résumer très-brièvement l’historique de ce voyage, nous donnerons quelques détails sur ces trois hommes, dont le dernier surtout joue dans l’histoire de la découverte du nouveau monde un rôle d’autant plus important que celui-ci a reçu son nom.

Hojeda, né à Cuenca vers 1465, élevé dans la maison des ducs de Médina-Celi, avait fait ses premières armes dans les guerres contre les Maures. Enrôlé parmi les aventuriers que Colomb avait recrutés pour son second voyage, il s’était à plusieurs reprises fait remarquer par sa froide résolution en même temps que par les ressources de son esprit ingénieux. Quelles causes amenèrent entre Colomb et Hojeda une rupture complète, après les services éminents que ce dernier avait rendus, notamment en 1495, où il avait décidé de la bataille de La Vega dans laquelle la confédération caraïbe fut anéantie ? On ne sait. Toujours est-il qu’à son arrivée en Espagne, Hojeda trouva auprès de Fonseca appui et protection. Le ministre des Indes lui aurait même communiqué, dit-on, le journal du dernier voyage de l’Amiral et la carte des pays qu’il avait découverts.

Le premier pilote de Hojeda était Juan de La Cosa, né vraisemblablement à Santona, dans le pays biscayen. Il avait souvent navigué à la côte d’Afrique avant d’accompagner Colomb dans son premier voyage et dans la seconde expédition, où il remplissait les fonctions d’hydrographe (maestro de hacer cartas).

Comme témoignage de l’habileté cartographique de La Cosa, nous possédons deux cartes très curieuses : l’une enregistre toutes les données acquises sur l’Afrique en 1500 ; l’autre, sur vélin et enrichie de couleurs comme la précédente, retrace les découvertes de Colomb et de ses successeurs.

Le second pilote était Barthélemy Roldan, qui avait fait également avec Colomb le voyage de Paria.

Quant à Améric Vespuce, ses fonctions étaient, comme nous l’avons dit, assez mal définies ; il était là pour aider à découvrir (per ajutare a discoprire, dit le texte italien de sa lettre à Soderini).

Né à Florence le 9 mars 1451, Amerigo Vespucci appartenait à une famille considérable et très-aisée. Il avait étudié avec fruit les mathématiques, la physique et l’astrologie, comme on disait alors. Ses connaissances en histoire et en littérature, si l’on juge d’après ses lettres, étaient assez vagues et mal dirigées. Il avait quitté Florence vers 1492, sans but bien déterminé, et s’était rendu en Espagne, où il s’occupa d’abord de transactions commerciales. C’est ainsi qu’on le voit à Séville facteur dans la puissante maison de commerce de son compatriote Juanoto Berardi. Comme cette maison avait fait à Colomb les avances pour son second voyage, il y a lieu de penser que Vespuce avait connu l’amiral à cette époque. À la mort de Juanoto, en 1495, Vespuce fut placé par ses héritiers à la tête de la comptabilité de la maison.

Soit qu’il fût fatigué d’une situation qu’il ne croyait pas à la hauteur de ses capacités, soit qu’il fût pris, à son tour, de la fièvre des découvertes, ou qu’il pensât faire rapidement fortune dans ces pays neufs qu’on disait si riches, Vespuce se joignit, en 1499, à l’expédition de Hojeda, comme en fait foi la déposition de ce dernier dans le procès intenté par le fisc aux héritiers de Colomb.

La flottille, composée de quatre bâtiments, mit à la voile de Santa-Maria le 20 mai, et, se dirigeant au sud-ouest, n’employa que vingt-sept jours pour découvrir le continent américain dans un endroit qui fut appelé Vénézuéla, parce que les habitations, construites sur pilotis, rappelaient celles de Venise. Hojeda, à la suite de quelques tentatives inutiles pour s’aboucher avec les indigènes, qu’il dut maintes fois combattre, vit l’île Marguerite ; après un voyage de quatre-vingts lieues à l’est de l’Orénoque, il arriva au golfe de Paria, dans une baie qui fut nommée baie de las Perlas, parce que les indigènes s’y livraient à la pêche des huîtres perlières.

Guidé par les cartes de Colomb, Hojeda passa par la Bouche-du-Dragon, qui sépare la Trinité du continent, et revint dans l’ouest jusqu’au cap de la Vela. Puis, après avoir touché aux îles Caraïbes où il fit un grand nombre de prisonniers qu’il comptait vendre en Espagne, il dut relâcher à Yaquimo, dans l’île Espagnole, le 5 septembre 1499.

L’Amiral, connaissant la hardiesse et l’esprit remuant de Hojeda, craignit de le voir apporter un nouvel élément de trouble dans la colonie. Il dépêcha donc Francisco Roldan avec deux caravelles afin de connaître les motifs de sa venue et de s’opposer, si besoin était, à son débarquement. L’Amiral avait été bien inspiré. À peine débarqué, Hojeda s’aboucha avec un certain nombre de mécontents, excita un soulèvement à Xaragua et résolut d’expulser Colomb. Après quelques escarmouches qui n’avaient pas tourné à son avantage, il fallut que, dans une entrevue, Roldan, Diego de Escobar et Juan de La Cosa s’interposassent pour décider Hojeda à quitter Española. Il emmenait, dit Las Casas, une prodigieuse cargaison d’esclaves, qu’il vendit sur le marché de Cadix pour des sommes énormes. Au mois de février 1500. il rentra en Espagne, où il avait été précédé par A. Vespuce et B. Roldan, qui avaient opéré leur retour le 18 octobre 1499.

La latitude la plus méridionale qu’Hojeda ait atteinte dans ce voyage est le 4e degré N., et l’expédition de découvertes proprement dite ne dura que trois mois et demi.

Si nous nous sommes un peu étendu sur ce voyage, c’est qu’il est le premier qu’ait accompli Vespuce. Certains auteurs, notamment Varnhagen et, tout dernièrement encore, M. H. Major, dans son histoire du prince Henri le Navigateur, admettent que le premier voyage de Vespuce est de 1497 et qu’il aurait, par conséquent, vu le continent américain avant Christophe Colomb. Nous avons tenu à bien établir la date de 1499 en nous étayant de l’autorité de Humboldt, qui a consacré tant d’années à l’examen de l’histoire de la découverte de l’Amérique, de M. Ed. Charton et de M. Jules Codine, qui a traité cette question dans le Bulletin de la Société de géographie de 1873 à propos de l’ouvrage de M. Major.

« Quand même il serait vrai, dit Voltaire, que Vespuce eût fait la découverte de la partie continentale, la gloire n’en serait pas à lui ; elle appartient incontestablement à celui qui eut le génie et le courage d’entreprendre le premier voyage, à Colomb. La gloire, comme dit Newton dans sa dispute avec Leibnitz, n’est due qu’à l’inventeur. » Mais comment admettre en 1497, dirons-nous avec M. Codine, « une expédition qui aurait découvert huit cent cinquante lieues de côtes de la terre ferme, sans qu’il en soit resté la moindre trace ni dans les grands historiens contemporains, ni dans les dépositions juridiques où, à propos des réclamations de l’héritier de Colomb contre le gouvernement espagnol, est exposée contradictoirement la priorité des découvertes de chaque chef d’expédition sur chaque partie de la côte parcourue ? »

Enfin les documents authentiques extraits des archives de la Casa de contratacion établissent que Vespuce fut chargé de l’armement des navires destinés à la troisième expédition de Colomb à Séville et à San-Lucar, depuis la mi-août 1497 jusqu’au départ de Colomb, le 30 mai 1498.

Les relations qu’on possède des voyages de Vespuce sont extrêmement diffuses, manquent de précision et de suite ; elles ne donnent sur les lieux qu’il a parcourus que des informations très vagues, pouvant s’appliquer à tel point de la côte aussi bien qu’à tel autre, et ne renferment enfin, sur les endroits dont ils ont été l’objet ainsi que sur les compagnons de Vespuce, aucune indication de nature à éclairer l’historien. Pas un seul nom de personnage connu, des dates qui se contredisent, voilà ce qu’on trouve dans ces lettres fameuses par le nombre de commentaires auxquels elles ont donné lieu. « Il y a, dit A. de Humboldt, comme un sort jeté pour embrouiller, dans les documents les plus authentiques, tout ce qui tient au navigateur florentin. »

Nous venons de raconter le premier voyage de Hojeda, avec lequel coïncide le premier voyage de Vespuce, suivant Humboldt, qui a comparé et mis en regard les principaux incidents des deux récits. Or, Varnhagen établit que, parti le 10 mai 1497, Vespuce pénétra le 10 juin suivant dans le golfe de Honduras, suivit les côtes du Yucatan et du Mexique, remonta le Mississipi et doubla, à la fin de février 1498, la pointe de la Floride. Après une relâche de trente-sept jours à l’embouchure du Saint-Laurent, il serait rentré en octobre 1498 à Cadix.

Si Vespuce avait réellement accompli cette navigation merveilleuse, il laisserait bien loin derrière lui tous les navigateurs ses contemporains. Ce serait en toute justice que son nom aurait été imposé au continent dont il aurait exploré une si longue ligne de littoral. Mais rien n’est moins établi, et l’opinion de Humboldt a semblé jusqu’ici, aux écrivains les plus autorisés, réunir la plus grande somme de probabilités.

Améric Vespuce fit trois autres voyages. A. de Humboldt identifie le premier avec celui de V. Yañez Pinzon, et M. d’Avezac avec celui de Diego de Lepe (1499-1500). À la fin de cette dernière année, Giuliano Bartholomeo di Giocondo se fit auprès de Vespuce l’interprète du roi Emmanuel et l’engagea à passer au service du Portugal. Vespuce accomplit aux frais de cette puissance deux nouveaux voyages. Dans le premier, il n’est pas plus le chef de l’expédition que dans ceux qui l’ont précédé, et ne joue à bord de la flotte que le rôle d’un homme dont les connaissances nautiques peuvent devenir utiles dans certaines circonstances données. L’étendue des rivages américains longés pendant ce troisième voyage est comprise entre le cap Saint-Augustin et le 52e degré de latitude australe.

La quatrième expédition de Vespuce fut signalée par le naufrage du vaisseau amiral près de l’île Fernando de Noronha, circonstance qui empêcha les autres navires de continuer leur route, de faire voile au delà du cap de Bonne-Espérance vers Malacca, et qui les contraignit à atterrir à la baie de Tous-les-Saints, au Brésil. Ce quatrième voyage a sans doute été fait avec Gonzalo Coelho. Quant au troisième, on ignore complétement quel en était le chef.

Ces différentes expéditions n’avaient pas enrichi Vespuce ; sa situation à la cour de Portugal était si peu brillante qu’il se détermina à reprendre du service en Espagne. Il y fut nommé piloto mayor le 22 mars 1508. Comme des émoluments assez importants furent, pour lui, attachés à cette charge, il acheva ses jours, sinon riche, du moins à l’abri du besoin, et s’éteignit à Séville, le 22 février 1512, dans la conviction que, comme Colomb, il avait touché aux rivages de l’Asie.

Améric Vespuce est surtout célèbre parce que le nouveau monde, au lieu de s’appeler Colombie, comme c’eût été justice, a reçu son nom. Ce n’est cependant pas à lui qu’il en faut faire remonter la responsabilité. Longtemps et bien à tort, on l’a accusé d’impudence, de supercherie et de mensonge, en prétendant qu’il avait voulu obscurcir la gloire de Colomb et s’attribuer l’honneur d’une découverte qui ne lui appartenait pas. Il n’en est rien. Vespuce était aimé, estimé de Colomb et de ses contemporains, et rien, dans ses écrits, ne vient à l’appui de cette imputation calomnieuse. Il existe sept documents imprimés attribués à Vespuce. Ce sont les relations abrégées de ses quatre voyages, deux autres récits des troisième et quatrième voyages sous forme de lettres adressées à Lorenzo de Pier Francesco de Medici, enfin une lettre adressée au même personnage et relative aux découvertes des Portugais dans les Indes. Ces documents, imprimés sous forme de petites plaquettes ou de livrets, furent bientôt traduits en plusieurs langues et se répandirent par toute l’Europe.

Ce fut en 1507 qu’un certain Hylacolymus. dont le nom véritable serait Martin Waldtzemuller, dans un livre imprimé à Saint-Dié et intitulé Cosmographiæ introductio, propose le premier de donner à la nouvelle partie du monde le nom d’Amérique. En 1509 paraît à Strasbourg un petit traité de géographie qui suit la recommandation d’Hylacolymus ; en 1520 est imprimée à Bâle une édition de Pomponius Mela, qui contient une carte du nouveau monde avec le nom d’Amérique. Le nombre des ouvrages qui, depuis cette époque, employèrent la dénomination proposée par Waldtzemuller devint tous les jours plus considérable,

Quelques années plus tard, mieux renseigné sur le véritable découvreur et sur la valeur des voyages de Vespuce, Waldtzemuller faisait disparaître de son ouvrage tout ce qui était relatif à ce dernier, et substituait partout au nom de Vespuce celui de Colomb. Trop tard ! L’erreur était consacrée.

Quant à Vespuce, il est fort peu probable qu’il ait eu connaissance des bruits qui se répandaient en Europe et de ce qui se passait à Saint-Dié. Les témoignages unanimes, pour louer son honorabilité, doivent définitivement le laver d’une accusation imméritée qui a trop longtemps pesé sur sa mémoire.

Presque en même temps que Hojeda, trois autres expéditions quittaient l’Espagne. La première, composée d’un seul bâtiment, sortit de la Barra Slatès au mois de juin 1499. Le commandant en était Pier Alonso Niño, qui avait servi sous l’Amiral dans ses deux derniers voyages. Il s’était adjoint un marchand de Séville, Christoval Guerra, qui avait sans doute fait les frais de l’entreprise. Ce voyage à la côte de Paria semble avoir eu pour but un commerce lucratif bien plutôt que l’intérêt scientifique. Aucune découverte nouvelle ne fut faite ; mais les deux voyageurs rapportèrent en Espagne, au mois d’avril 1500, une quantité de perles assez considérable pour exciter la cupidité de leurs compatriotes et le désir de tenter semblables aventures.

La seconde expédition était commandée par Vicente Yañez Pinzon, frère cadet d’Alonso, le commandant de la Pinta, qui se montra si jaloux de Colomb et qui avait adopté cette menteuse devise :

A Castilla y a Leon
Nuevo Mundo dia Pinzon.

Yañez Pinzon, dont le dévouement à l’Amiral fut aussi grand que la jalousie de son frère, lui avait avancé le huitième des dépenses de l’entreprise et avait commandé la Niña dans l’expédition de 1492.

Il partit en décembre 1499 avec quatre navires, dont deux seulement rentrèrent à Palos à la fin de septembre 1500. Il aborda le continent un peu au-dessous des parages visités quelques mois auparavant par Hojeda, explora la côte sur une longueur de 700 à 800 lieues, découvrit le cap Saint-Augustin par 8°20’ de latitude australe, suivit la côte au N.-O. jusqu’au Rio Grande, qu’il nomma Santa-Maria de la Mar dulce, et dans la même direction parvint jusqu’au cap San-Vicente.

Enfin, de janvier à juin 1500, Diego de Lepe, avec deux caravelles, explora les mêmes parages. Nous n’avons à enregistrer pour ce voyage que l’observation, très-importante, faite sur la direction des côtes du continent à partir du cap Saint-Augustin.

À peine Lepe venait-il de rentrer en Espagne que deux bâtiments sortaient de Cadix. Ils étaient armés par Rodrigo de Bastidas, homme honorable et riche, pour aller à la découverte de terres nouvelles, mais surtout dans le but de récolter de l’or et des perles, qu’on échangeait alors contre des verroteries et autres objets sans valeur.

Juan de La Cosa, dont l’habileté était proverbiale et qui, pour les avoir explorés, connaissait tous ces parages, était en réalité le chef de l’expédition. Les navigateurs gagnèrent la terre ferme, virent le rio Sinu, le golfe d’Uraba, et parvinrent au Puerto del Retrete ou de los Escribanos, dans l’isthme de Panama. Ce port, qui ne fut reconnu par Colomb que le 26 novembre 1502, est situé à dix-sept milles de la ville bientôt célèbre, mais aujourd’hui détruite, de Nombre de Dios.

Bref, cette expédition, organisée par un négociant, devint, grâce à Juan de la Cosa, un des voyages les plus fertiles en découvertes. Par malheur, elle devait tristement finir. Les navires se perdirent dans le golfe de Xaragua, ce qui obligea Bastidas et La Cosa à gagner par terre Santo-Domingo. Là, Bovadilla, cet homme intègre, ce gouverneur modèle dont nous avons raconté l’infâme conduite envers Colomb, fit arrêter les deux explorateurs sous le prétexte qu’ils avaient acheté de l’or aux Indiens de Xaragua, et les expédia pour l’Espagne, où ils n’arrivèrent qu’après une horrible tempête, dans laquelle périt une partie de la flotte.

Après cette expédition féconde en résultats, les voyages de découvertes deviennent un peu moins fréquents pendant plusieurs années, qui furent consacrées par les Espagnols à asseoir leur domination dans les contrées où ils avaient fondé des établissements.

En 1493, la colonisation de l’Española avait été commencée et on bâtissait la ville d’Isabella. Christophe Colomb avait lui-même, deux ans plus tard, parcouru le pays, soumis les pauvres sauvages, avec l’aide de ces chiens terribles dressés à la chasse des Indiens, et il les avait astreints, eux habitués à ne rien faire, au travail excessif des mines. Bovadilla, puis Ovando, traitant les Indiens comme un troupeau de bestiaux, les avaient répartis entre les colons. Les cruautés envers cette malheureuse race devenaient tous les jours plus épouvantables. Dans un ignoble guet-apens, Ovando s’empara de la reine de Xaragua et de trois cents des principaux du pays. À un signal donné, ceux-ci furent passés au fil de l’épée sans qu’on eût rien à leur reprocher. « Pendant plusieurs années, dit Robertson, l’or qu’on apportait aux fontes royales d’Espagne montait à 460,000 pesos environ (2,400,000 livres tournois), ce qui doit paraître une somme prodigieuse, si l’on fait attention à la grande augmentation de valeur que l’argent a acquise depuis le commencement du XVIe siècle. » En 1511, Diego Velasquez fit avec trois cents hommes la conquête de Cuba, et là se renouvelèrent les scènes de massacre et de pillage qui ont rendu si tristement fameux le nom espagnol. On coupait les poings aux Indiens, on leur arrachait les yeux, on versait de l’huile bouillante ou du plomb fondu dans leurs blessures, quand on ne les brûlait pas à petit feu pour leur arracher le secret des trésors dont on les croyait possesseurs. Aussi la population diminuait-elle rapidement, et le jour n’était pas éloigné où elle serait complétement éteinte. Il faut lire, dans Las Casas, l’infatigable défenseur de cette race si odieusement persécutée, l’émouvant et horrible récit des tortures qu’elle eut partout à souffrir.

À Cuba, le cacique Hattuey, fait prisonnier, fut condamné à périr par le feu. Attaché au poteau, un franciscain s’efforçait de le convertir en lui promettant qu’il jouirait sur-le-champ de toutes les délices du paradis, s’il voulait embrasser la foi chrétienne.

« Y a-t-il quelques Espagnols, dit Hattuey, dans ce lieu de délices dont vous me parlez ? — Oui, répondit le moine, mais ceux-là seulement qui ont été justes et bons. — Le meilleur d’entre eux, répliqua le cacique indigné, ne peut avoir ni justice ni bonté ! Je ne veux pas aller dans un lieu où je rencontrerais un seul homme de cette race maudite. »

Ce seul fait ne suffit-il pas à peindre le degré d’exaspération où en étaient arrivées ces malheureuses populations ? Et ces horreurs se reproduisaient partout où les Espagnols mettaient le pied ! Mais jetons un voile sur ces atrocités commises par des hommes qui se croyaient civilisés et prétendaient convertir au christianisme, cette religion de pardon et de charité, des peuples moins sauvages qu’eux-mêmes.

Pendant les années 1504 et 1505, quatre navires explorèrent le golfe d’Uraba. C’est le premier voyage pendant lequel Juan de La Cosa eut le commandement suprême. Il faut placer à la même époque le troisième voyage de Hojeda à la terre de Coquibacoa, voyage certain, suivant l’expression de Humboldt, mais très-obscur.

En 1507, Juan Diaz de Solis, de concert avec V. Yañez Pinzon, découvrit une vaste province connue depuis sous le nom de Yucatan. Quoique cette expédition n’ait été marquée par aucun événement mémorable, dit Robertson, elle mérite qu’on en fasse mention, parce qu’elle conduisit à des découvertes de la plus grande importance. C’est par la même raison que nous rappellerons le voyage de Diego de Ocampo qui, chargé de faire le tour de Cuba, reconnut le premier avec certitude que ce pays, regardé autrefois par Colomb comme une partie du continent, n’était qu’une grande île.

Deux ans plus tard, Juan Diaz de Solis et V. Pinzon, cinglant au sud vers la ligne équinoxiale, s’avancèrent jusqu’au 40e degré de latitude méridionale, et constatèrent avec surprise que le continent s’étendait à leur droite sur cette immense longueur. Ils débarquèrent plusieurs fois, prirent solennellement possession du pays, mais n’y fondèrent pas d’établissement, à cause de la faiblesse de leurs moyens. Le résultat le plus clair du voyage fut une appréciation plus exacte de l’étendue de cette partie du globe.

Le premier qui ait eu l’idée de fonder une colonie sur le continent est cet Alonso de Hojeda dont nous avons raconté plus haut les courses aventureuses. Sans fortune, mais connu pour son courage et son esprit entreprenant, il trouva facilement des associés, qui lui fournirent les fonds nécessaires à l’entreprise.

En même temps, Diego de Nicuessa, riche colon de l’Española, organisait une expédition dans le même but (1509). Le roi Ferdinand, toujours prodigue d’encouragements peu coûteux, leur accorda à tous deux force patentes et titres honorifiques, mais ne leur donna pas un maravédis. Il érigea sur le continent deux gouvernements, dont l’un s’étendait depuis le cap de la Vela jusqu’au golfe du Darien, et l’autre de ce golfe au cap Gracias a Dios. Le premier fut donné à Hojeda, le second à Nicuessa. Ces deux « conquistadores » eurent cette fois affaire à des populations moins débonnaires que celles des Antilles. Bien décidées à s’opposer à l’envahissement de leur pays, elles disposaient de moyens de résistance nouveaux pour les Espagnols. Aussi la lutte fut-elle acharnée. Dans un seul combat, soixante-dix des compagnons de Hojeda périrent sous les flèches des sauvages, armes terribles trempées dans le « curare, » poison si violent que la moindre blessure était suivie de mort. Nicuessa, de son côté, avait fort à faire pour se défendre, si bien que, malgré deux renforts considérables reçus de Cuba, la plupart de ceux qui s’étaient engagés dans ces expéditions périrent dans l’année de suites de blessures, de fatigues, de maladies ou de privations. Les survivants fondèrent la petite colonie de Santa-Maria el Antigua, dans le Darien, sous le commandement de Balboa.

Mais, avant de raconter la merveilleuse expédition de ce dernier, nous devons enregistrer la découverte d’une contrée qui forme l’extrémité septentrionale de cet arc profondément creusé dans le continent qui porte le nom de golfe du Mexique. En 1502, Juan Ponce de Léon, d’une des plus vieilles familles d’Espagne, était arrivé avec Ovando dans l’Española. Il avait contribué à la soumission de cette île et conquis en 1508 l’île San-Juan de Porto-Rico. Ayant entendu dire à des Indiens qu’il existait, dans l’île de Bimini, une fontaine miraculeuse dont les eaux rajeunissaient ceux qui en buvaient, Ponce de Léon résolut d’aller à sa recherche. Il faut croire qu’il sentait le besoin d’expérimenter cette eau, bien qu’il n’eût alors qu’une cinquantaine d’années.

Ponce de Léon équipa donc à ses frais trois vaisseaux, et partit du port Saint-Germain de Porto-Rico, le 1er mars 1512. Il se dirigea vers les Lucayes, qu’il visita consciencieusement ainsi que l’archipel des Bahama. S’il ne rencontra pas la fontaine de Jouvence qu’il cherchait si naïvement, il trouva du moins une terre qui lui parut fertile et à laquelle il donna le nom de Floride, soit parce qu’il y débarqua le jour de Pâques-Fleuries, soit à cause de son aspect enchanteur. Une telle découverte aurait satisfait un chercheur moins convaincu. Mais Ponce de Léon s’en alla d’île en île, dégustant toutes les sources qu’il rencontrait, sans s’apercevoir cependant que ses cheveux blancs redevinssent noirs ni que ses rides disparussent. Las enfin de ce métier de dupe, après six mois de courses infructueuses, il quitta la partie, laissant Perez de Ortubia et le pilote Antonio de Alaminos continuer la recherche, et rentra à Porto-Rico le 5 octobre. « Il y essuya beaucoup de railleries, dit le P. Charlevoix, de ce qu’on le voyait revenir très-souffrant et plus vieux qu’il n’était parti. »

On pourrait ranger cette expédition, ridicule dans ses motifs, mais fertile par ses résultats, au nombre des voyages imaginaires, si elle n’était garantie par des historiens aussi sérieux que Pierre Martyr, Oviedo, Herrera et Garcilasso de la Vega.

Vasco Nuñez de Balboa, de quinze ans plus jeune que Ponce de Léon, était venu en Amérique avec Bastidas et s’était établi dans l’Española. Mais là, comme un grand nombre de ses compatriotes, malgré le repartimiento d’Indiens qui lui avait été attribué, il s’était si bien endetté qu’il ne désirait rien tant que se soustraire aux poursuites de ses nombreux créanciers. Par malheur, un règlement défendait à tout navire en charge pour la Terre-Ferme de recevoir à son bord les débiteurs insolvables. Grâce à son esprit ingénieux, Balboa sut tourner la difficulté et se fit rouler dans un tonneau vide jusqu’au navire qui portait Encisco au Darien. Quoi qu’il en eût, le chef de l’expédition dut accepter le concours si singulièrement imposé de ce brave aventurier qui ne fuyait que devant les recors, comme il le prouva aussitôt débarqué. Les Espagnols, habitués à trouver si peu de résistance dans les Antilles, ne purent soumettre les populations féroces de la Terre-Ferme. À cause de leurs dissensions intestines, ils durent se réfugier à Santa-Maria el Antigua, que Balboa, élu commandant à la place d’Encisco, fonda dans le Darien.

S’il avait pu se faire craindre des Indiens par sa bravoure personnelle, par la férocité de son lévrier Léoncillo, plus redouté que vingt hommes armés et qui recevait régulièrement la paye d’un soldat, Balboa avait également su leur imposer une certaine sympathie par sa justice et par sa modération relative, car il n’admettait pas les cruautés inutiles. Pendant plusieurs années, Balboa recueillit de précieux renseignements sur cet El Dorado, ce pays de l’or qu’il ne devait pas atteindre lui-même, mais dont il devait faciliter l’accès à ses successeurs.

C’est ainsi qu’il apprit l’existence à six soleils (six jours de voyage) d’une autre mer, l’océan Pacifique, qui baignait le Pérou, pays où l’on trouvait de l’or en grande quantité. Balboa. dont le caractère était aussi fortement trempé que ceux de Cortès et de Pizarre, mais qui n’eut pas comme eux le temps de faire preuve des qualités extraordinaires que la nature lui avait départies, ne se trompa pas sur la valeur de cette information, et comprit toute la gloire qu’une telle découverte ferait jaillir sur son nom.

Il réunit cent quatre-vingt-dix volontaires, tous soldats intrépides, habitués comme lui aux hasards de la guerre, acclimatés aux effluves malsains d’une contrée marécageuse où les fièvres, la dyssenterie et les maladies de foie sont à l’état endémique.

Si l’isthme du Darien n’a pas plus de soixante milles de largeur, il est coupé par une chaîne de hautes montagnes au pied desquelles des terrains d’alluvion, extrêmement fertiles, entretiennent une végétation luxuriante dont les Européens ne peuvent se faire une idée. C’est un fouillis inextricable de lianes, de fougères, d’arbres gigantesques qui cachent complétement le soleil, véritable forêt vierge que coupent par places des flaques d’eau marécageuse et qu’habitent une multitude d’oiseaux, d’insectes et d’animaux dont personne ne vient jamais troubler les ébats. Une chaleur humide anéantit les forces et abat en peu de temps l’énergie de l’homme le plus robuste.

À ces obstacles que la nature semblait avoir semés à plaisir sur la route que Balboa devait parcourir, allaient s’ajouter ceux, non moins redoutables, que les féroces habitants de ce pays inhospitalier devaient lui opposer. Sans souci des risques que pouvait faire courir à son expédition la fidélité problématique de ses guides et de ses auxiliaires indigènes, Balboa partit, escorté par un millier d’Indiens porteurs et par une troupe de ces terribles lévriers qui avaient pris goût à la chair humaine dans l’Española.

Des tribus qu’il rencontra sur son chemin, les unes s’enfuirent dans les montagnes avec leurs provisions ; les autres, mettant à profit les accidents du terrain, essayèrent de lutter. Marchant au milieu des siens, souffrant de leurs privations, ne s’épargnant jamais, Balboa sut relever leur courage plus d’une fois défaillant, et leur inspirer un tel enthousiasme qu’après vingt-cinq jours de marche et de combats, il put enfin découvrir du haut d’une montagne cet immense Océan, dont, quatre jours après, l’épée nue d’une main, la bannière de Castille de l’autre, il prit possession au nom du roi d’Espagne. La partie du Pacifique qu’il venait d’atteindre est située à l’est de Panama et porte encore aujourd’hui le nom de golfe de San-Miguel que Balboa lui avait donné. Les renseignements obtenus des caciques du voisinage, qu’il soumit par les armes et chez lesquels il fit un butin considérable, concordaient de tout point avec ceux qu’il avait recueillis à son départ.

Il existait bien, dans le sud, un vaste empire, « si riche en or que les plus vils instruments en étaient faits », où des animaux domestiques, les lamas, dont la figure, dessinée par les indigènes, rappelait celle du chameau, avaient été apprivoisés et portaient de lourds fardeaux. Ces détails intéressants et la grande quantité de perles qui lui furent offertes confirmèrent Balboa dans cette idée qu’il avait atteint les contrées asiatiques décrites par Marco Polo, et qu’il était non loin de cet empire de Cipango dont le voyageur vénitien avait décrit les merveilleuses richesses, qui miroitaient sans cesse devant les yeux de ces avides aventuriers.

À plusieurs reprises, Balboa traversa l’isthme du Darien, et toujours dans des directions nouvelles. Aussi A. de Humboldt a-t-il pu dire avec raison que ce pays était mieux connu au commencement du seizième siècle que de son temps. Bien plus, Balboa avait lancé sur l’Océan qu’il avait découvert des bâtiments construits par ses ordres, et il préparait un formidable armement, avec lequel il comptait conquérir le Pérou, lorsqu’il fut odieusement et juridiquement mis à mort par ordre du gouverneur du Darien, Pedrarias Davila, jaloux de la réputation qu’il avait déjà conquise et de la gloire qui allait sans doute récompenser son audace dans l’expédition qu’il projetait. La conquête du Pérou se trouva donc retardée de vingt-cinq ans, grâce à l’envie criminelle d’un homme dont le nom est devenu, par l’assassinat de Balboa, presque aussi tristement célèbre que celui d’Érostrate.

Si, grâce à Balboa, on avait recueilli les premiers documents un peu précis sur le Pérou, un autre explorateur devait en fournir de non moins importants touchant ce vaste empire du Mexique, qui avait imposé sa domination à presque toute l’Amérique centrale. Juan de Grijalva avait reçu, en 1518, le commandement d’une flottille de quatre bâtiments armés par Diego Velasquez, le conquérant de Cuba, pour recueillir des renseignements sur le Yucatan, vu l’année précédente par Hernandez de Cordova. Grijalva, accompagné du pilote Alaminos, qui avait fait avec Ponce de Léon le voyage de la Floride, avait sous ses ordres deux cent quarante volontaires dont faisait partie Bernal Dias del Castillo, ce naïf auteur d’une si intéressante histoire de la conquête du Mexique, à laquelle nous ferons plus d’un emprunt.

Après treize jours de navigation, Grijalva relevait sur la côte de Yucatan l’île de Cozumel, doublait le cap Cotoche, et s’enfonçait dans la baie de Campêche. Il débarquait le 10 mai à Potonchan, dont les habitants, malgré l’étonnement que leur causaient les navires, qu’ils prenaient pour des monstres marins, et ces hommes au visage pâle qui lançaient la foudre, défendirent si vigoureusement l’aiguade et la ville, que cinquante-sept Espagnols furent tués et un grand nombre blessés. Une si chaude réception n’encouragera pas Grijalva à faire un long séjour chez cette nation belliqueuse. Il reprit donc la mer, après quatre jours de relâche, continua à longer dans l’ouest la côte du Mexique, entra le 17 mai dans une rivière appelée Tabasco par les indigènes, et s’y vit bientôt entouré d’une flottille d’une cinquantaine de pirogues, chargées de guerriers, prêts à engager le combat. Grâce à la prudence de Grijalva et aux démonstrations amicales qu’il ne ménagea pas, la paix ne fut point troublée.

« Nous leur fîmes dire, écrit Bernal Dias, que nous étions sujets d’un grand empereur ayant nom don Carlos, qu’eux aussi doivent le prendre pour maître et qu’ils s’en trouveront bien. Ils nous répondirent qu’ils avaient déjà un souverain et qu’ils ne comprenaient pas que, à peine arrivés, nous leur en offrissions un autre avant de les connaître. » Il faut avouer que cette réponse ne sentait pas trop son sauvage.

En échange de quelques bibelots européens sans valeur, les Espagnols reçurent du pain de yucca, de la gomme copale, des morceaux d’or taillés en forme de poissons ou d’oiseaux, ainsi que des vêtements de coton fabriqués dans le pays. Comme les indigènes, embarqués au cap Cotoche, n’entendaient pas bien la langue des habitants de Tabasco, la relâche en cet endroit fut abrégée et l’on reprit la mer. On passa devant le rio Guatzacoalco, on aperçut les sierras neigeuses de San-Martin et l’on jeta l’ancre à l’embouchure d’un fleuve qui fut appelé Rio de las Banderas, à cause des nombreuses bannières blanches qu’en signe de paix les indigènes déployèrent à la vue des étrangers.

Lorsqu’il débarqua, Grijalva fut reçu avec les honneurs qu’on rendait aux dieux. On l’encensa avec le copal, et on déposa à ses pieds plus de quinze cents piastres de petits joyaux en or, des perles vertes et des haches de cuivre. Après avoir pris possession du pays, les Espagnols gagnèrent une île qui fut appelée île de los Sacrificios, parce qu’on y trouva, sur une sorte d’autel placé en haut d’un long escalier, cinq Indiens sacrifiés depuis la veille, la poitrine ouverte, le cœur arraché, les bras et les cuisses coupés. Puis, on s’arrêta devant une autre petite île, qui reçut le nom de San-Juan, du nom du saint que l’on fêtait ce jour même, et auquel on ajouta le mot Culua, qu’on entendait répéter par les Indiens de ces parages. Or, Culua était l’ancien nom du Mexique, et cette île San-Juan de Culua est aujourd’hui Saint-Jean d’Ulloa.

Après avoir chargé sur un navire qu’il expédia à Cuba tout l’or qu’il avait récolté, Grijalva continuait à suivre la côte, découvrait les sierras de Tusta et de Tuspa, recueillait de nombreux et d’utiles renseignements sur cette contrée populeuse, et arrivait au Rio Panuco, où il se vit assailli par une flottille d’embarcations contre lesquelles il eut toutes les peines du monde à se défendre.

L’expédition touchait à sa fin, les navires étaient en fort mauvais état et les vivres épuisés ; les volontaires, blessés ou malades, se trouvaient en tout cas trop peu nombreux pour être laissés, même à l’abri de fortifications, au milieu de ces populations guerrières. Les chefs eux-mêmes n’étaient plus d’accord. Bref, après avoir radoubé le plus grand des navires dans le rio Tonala, où Bernal Dias se vante d’avoir semé les premiers pépins d’orangers qui vinrent au Mexique, les Espagnols reprirent la route de Santiago de Cuba, où ils arrivèrent le 15 novembre, après une croisière de sept mois, et non pas de quarante-cinq jours, comme le dit M. Ferdinand Denis dans la Biographie Didot, et comme il est répété dans les Voyageurs anciens et modernes de M. Ed. Charton.

Considérables étaient les résultats obtenus dans ce voyage. Pour la première fois, l’immense ligne de côtes qui forme la presqu’île de Yucatan, la baie de Campêche et le fond du golfe du Mexique avait été explorée sans discontinuité, de cap en cap. Non-seulement on savait maintenant que le Yucatan n’était pas une île, comme on l’avait cru, mais on avait recueilli de nombreuses et précises informations sur l’existence du riche et puissant empire du Mexique. On avait été surtout frappé des marques d’une civilisation plus avancée que celle des Antilles, de la supériorité de l’architecture, de la culture habile du sol, de la délicatesse de tissu des vêtements de coton et du fini des ornements d’or que portaient les indigènes, toutes choses qui devaient exalter chez les Espagnols de Cuba la soif des richesses et les décider à s’élancer, modernes Argonautes, à la conquête de cette nouvelle Toison d’or.

Mais, cette périlleuse et intelligente navigation qui jetait un jour si nouveau sur la civilisation indienne, Grijalva n’en devait pas recueillir les fruits. Le sic vos, non vobis du poëte allait encore une fois, en cette circonstance, trouver son application.