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Découverte de la Terre/Première partie/Chapitre II

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J. Hetzel (1p. 21-39).

CHAPITRE II

VOYAGEURS CÉLÈBRES DU PREMIER AU NEUVIÈME SIÈCLE
Pausanias (174). — Fa-Hian (399). — Cosmas Indicopleustes (5…). — Arculphe (700). — Willibald (725). — Soleyman (851).

Pline, Hippalus, Arrien et Ptolémée. — Pausanias visite l’Attique, la Corinthie, la Laconie, la Messénie, l’Élide, l’Achaïe, l’Arcadie, la Béotie et la Phocide. — Fa-Hian explore le Kan-tcheou, la Tartarie, l’Inde du nord, le Pendjâb, Ceylan et Java. — Cosmas Indicopleustes et la Topographie chrétienne de l’univers. — Arculphe décrit Jérusalem, la vallée de Josaphat, le mont des Oliviers, Bethléem, Jéricho, le Jourdain, le Liban, la mer Morte, Capharnaüm, Nazareth, le mont Thabor, Damas, Tyr, Alexandrie, Constantinople. — Willibald et les Lieux-Saints. — Soleyman parcourt la mer d’Oman, Ceylan, Sumatra, le golfe de Siam et la mer de Chine.

Pendant les deux premiers siècles de l’ère chrétienne, le mouvement géographique fut très-accentué sous le rapport purement scientifique, mais les voyageurs proprement dits, nous voulons dire les explorateurs, les découvreurs de pays nouveaux, furent certainement très-rares.

Pline, en l’an 23 de J.-C., consacrait les 3e, 4e, 5e et 6e livres de son Histoire naturelle à la géographie. En l’an 50, Hippalus, navigateur habile, trouvait la loi des moussons de l’océan Indien, et il enseignait aux navigateurs à s’écarter au large, pour effectuer, grâce à ces vents constants, leur voyage d’aller et retour aux Indes dans l’intervalle d’une seule année. Arrien, un historien grec, né en 105, composait son Périple du Pont-Euxin, et cherchait à fixer avec une grande précision les contrées découvertes dans les explorations précédentes. Enfin, l’Égyptien Claude Ptolémée, vers 175, coordonnant les travaux de ses devanciers, publiait une géographie célèbre, malgré ses erreurs graves, et dans laquelle la situation des villes, relevée en longitude et en latitude, reposait pour la première fois sur une base mathématique.

Le premier voyageur de l’ère chrétienne dont le nom ait survécu, c’est Pausanias, écrivain grec, qui habita Rome au deuxième siècle, et dont il nous reste une relation composée vers l’an 175. Ce Pausanias avait précédé notre contemporain Joanne dans la rédaction des Guides du voyageur. Il fit pour la Grèce antique ce que l’ingénieux et laborieux Français a fait pour les diverses contrées de l’Europe. Son récit est un manuel exact et sûr, écrit sobrement, précis dans ses détails, et avec lequel les touristes du deuxième siècle pouvaient parcourir fructueusement les diverses provinces de la Grèce.

Pausanias décrit minutieusement l’Attique et plus spécialement Athènes et ses monuments, ses tombeaux, ses arcs, ses temples, sa citadelle, son aréopage, son académie, ses colonnes. De l’Attique, il passe dans la Corinthie, et explore les îles d’Egine et d’Éaque. Après la Corinthie, la Laconie et Sparte, l’île de Cythère, la Messénie, l’Élide, l’Achaïe, l’Arcadie, la Béotie et la Phocide sont étudiées avec soin ; les routes des provinces, les rues des villes sont portées dans ce récit, et l’aspect général des diverses contrées de la Grèce n’y est point oublié. Mais, en somme, Pausanias n’ajouta aucune découverte nouvelle à celles que ses prédécesseurs avaient mentionnées. Ce fut un voyageur précis qui borna son œuvre à l’exploration exacte de la Grèce, et non un découvreur. Néanmoins, sa relation a été mise à profit par tous les géographes et commentateurs qui traitèrent de l’Hellas et du Péloponèse, et c’est avec raison qu’un savant du seizième siècle a pu l’appeler « un trésor de la plus ancienne et de la plus rare érudition. »

Cent trente ans environ après l’historien grec, un voyageur chinois, un moine, entreprenait, vers la fin du quatrième siècle, une exploration des pays situés à l’occident de la Chine. La relation de son voyage nous a été conservée, et il faut s’associer aux sentiments de M. Charton, qui regarde ce récit « comme un monument d’autant plus précieux, qu’il nous transporte en dehors de notre point de vue exclusif de la civilisation occidentale. »

Fa-Hian, accompagné de quelques moines, voulant sortir de la Chine par le côté de l’occident, franchit plusieurs chaînes de montagnes, et arriva dans ce pays qui forme aujourd’hui le Kan-tcheou, situé non loin de la grande muraille. Là, des Samanéens se joignirent à lui. Ils traversèrent le fleuve Cha-ho et un désert que Marco-Polo devait explorer huit cents ans plus tard. Ils purent atteindre, après dix-sept jours de marche, le lac de Lobe, qui se trouve dans le Turkestan chinois actuel. Depuis ce point, tous les royaumes que ces religieux visitèrent se ressemblaient par les coutumes et les mœurs. La langue seule différait.

Peu satisfaits de l’accueil qu’ils reçurent dans la contrée des Ouigours, dont les habitants ne sont pas hospitaliers, ils s’aventurèrent vers le sud-est, en un pays désert, passant les rivières avec une peine extrême. Après trente-cinq jours de marche, la petite caravane arriva en Tartarie, dans le royaume de Khotan, qui comptait « plusieurs fois dix mille religieux ». Fa-Hian et ses compagnons furent reçus dans des monastères spéciaux, et, après une attente de trois mois, ils purent assister à la « procession des images, » grande fête commune aux bouddhistes et aux brahmanes, pendant laquelle on promène les images des dieux sur un char magnifiquement orné, par les rues jonchées de fleurs et au milieu des nuages de parfums.

Après la fête, les religieux quittèrent Khotan et se rendirent dans le royaume qui forme aujourd’hui le canton de Kouke-yar. Après un repos de quinze jours, on les retrouve plus au sud, dans un pays qui forme le Balistan actuel, pays froid et montagneux où ne mûrit pas d’autre grain que le blé. Là, les religieux se servirent de cylindres sur lesquels sont collées les prières, et que le fidèle fait tourner avec une rapidité extrême. De ce royaume, Fa-Hian passa dans la partie orientale de l’Afghanistan, et il ne lui fallut pas moins d’un mois pour traverser des montagnes, au milieu desquelles, dans les neiges perpétuelles, il signale la présence de dragons venimeux.

Au delà de cette chaîne, les voyageurs se trouvaient dans l’Inde du nord, dans ce pays arrosé par les premiers cours d’eau qui forment le Sind ou l’Indus. Puis, après avoir traversé les royaumes de Ou-tchang, de Sû-ho-to et de Kian-tho-wei, ils arrivèrent à Fo-lou-cha, qui doit être la ville de Peichaver, placée entre Kaboul et l’Indus, et, vingt-quatre lieues plus à l’ouest, à la ville de Hilo, bâtie sur le bord d’un affluent de la rivière de Kaboul. Dans toutes ces villes, Fa-Hian signale surtout les fêtes et coutumes relatives au culte de Foe, qui n’est autre que Bouddha.

Les religieux, en quittant Hilo, durent franchir les monts Hindou-Kousch, qui s’élèvent entre le Tokharestan et le Gandhara. Là, le froid fut tellement violent, qu’un des compagnons de Fa-Hian tomba pour ne plus se relever. Après mille fatigues, la caravane parvint à gagner la ville de Banou, qui existe encore ; puis, après avoir passé de nouveau l’Indus dans la partie moyenne de son cours, elle entra dans le Pendjab. De là, descendant vers le sud-est, avec l’intention de traverser la partie septentrionale de la péninsule indienne, elle atteignit Mathoura, une ville de la province actuelle d’Agra, et, traversant le grand désert salé qui est à l’est de l’Indus, elle parcourut un pays que Fa-Hian appelle « le royaume-central, dont les habitants, honnêtes et pieux, sans magistrats, ni lois, ni supplices, sans demander leur nourriture à aucun être vivant, sans boucheries et sans marchands de vins, vivent heureux, dans l’abondance et la joie, sous un climat où le froid et le chaud sont tempérés l’un par l’autre. » Ce royaume, c’est l’Inde.

En descendant au sud-est, Fa-Hian visita le district actuel de Feroukh-abâd, sur lequel, suivant la légende, Bouddha mit le pied en redescendant du ciel par un triple escalier à degrés précieux. Le religieux voyageur s’étend longuement sur ces croyances du bouddhisme. De ce point, il partit pour visiter la ville de Kanoudje, située sur la rive droite du Gange, qu’il appelle le Heng. C’est le pays de Bouddha par excellence. Partout où le dieu s’est assis, ses fidèles ont élevé de hautes tours. Les pieux pèlerins ne manquèrent pas de se rendre au temple de Tchihouan, où Foe, pendant vingt-cinq années, s’était livré à des macérations volontaires, et considérant le lieu sacré, près de l’endroit où Foe avait rendu la vue à cinq cents aveugles, « le cœur des religieux fut pénétré d’une vive douleur. »

Ils reprirent leur route, passèrent à Kapila, à Gorakh-pour, sur la frontière du Népaul, à Kin-i-na-kie, endroits célèbres par les miracles de Foe, et ils arrivèrent au delta du Gange, à la célèbre ville de Palian-fou, dans le royaume de Magadha. C’était un pays riche, habité par une population compatissante et juste, aimant les discussions philosophiques. Après avoir gravi le pic du Vautour, qui s’élève aux sources des rivières Dahder et Banourah, Fa-Hian descendit le Gange, visita le temple d’Issi-Pattene, que fréquentaient autrefois des mages « volants », atteignit Benarès, dans le « royaume resplendissant », et plus bas encore, la ville de To-mo-liiti, située à l’embouchure du fleuve, à quelque distance de l’emplacement qu’occupe actuellement Calcutta.

En ce temps, une caravane de marchands se préparait à prendre la mer dans l’intention de se rendre à l’île de Ceylan. Fa-Hian prit passage sur leur navire, et, après quatorze jours de traversée, il débarqua sur les rivages de l’ancienne Taprobane, sur laquelle le marchand grec Jamboulos avait donné, quelques siècles auparavant, des détails assez curieux. Le religieux chinois retrouva dans ce royaume toutes les traditions légendaires qui se rattachent au dieu Foe, et il y demeura deux ans à s’occuper de recherches bibliographiques. Il quitta Ceylan pour se rendre à Java, qu’il atteignit après une traversée très-mauvaise, pendant laquelle, lorsque le ciel était sombre, « on ne voyait que de grandes vagues qui s’entre-choquaient, des éclairs couleur de feu, des tortues, des crocodiles, des monstres marins et d’autres prodiges. »

Après cinq mois de séjour à Java, Fa-Hian s’embarqua pour Canton ; mais les vents le contrarièrent encore, et, après avoir subi mille fatigues, il débarqua dans le Chan-toung actuel ; puis, ayant séjourné quelque temps à Nan-king, il rentra à Si’an-fou, sa ville natale, après dix-huit ans d’absence.

Telle est la relation de ce voyage, dont M. Abel de Rémusat a fait une traduction excellente, et qui donne des détails très intéressants sur les coutumes des Tartares et des Indiens, particulièrement en ce qui touche leurs cérémonies religieuses.

Au moine chinois succède dans l’ordre chronologique, pendant le sixième siècle, un voyageur égyptien nommé Cosmas Indicopleustes, nom que M. Charlon traduit ainsi : « Voyageur cosmographe dans l’Inde. » C’était un marchand d’Alexandrie qui, après avoir visité l’Éthiopie et une partie de l’Asie, se fit moine à son retour.

Son récit porte le titre de Topographie chrétienne de l’univers. Il ne donne aucun détail sur les voyages de son auteur. Des discussions cosmographiques pour prouver que la terre est carrée et renfermée avec les autres astres dans un grand coffre oblong, forment le début de l’ouvrage ; suivent des dissertations sur les fonctions des anges, et une description du costume des prêtres hébreux. Cosmas fait ensuite l’histoire naturelle des animaux de l’Inde et de Ceylan, et cite le rhinocéros, le taureau-cerf, qui peut se prêter aux usages domestiques, la girafe, le bœuf sauvage, le musc, que l’on chasse pour recueillir « son sang parfumé », la licorne, qu’il ne considère pas comme un animal chimérique, le sanglier, qu’il appelle pourceau-cerf, l’hippopotame, le phoque, le dauphin et la tortue. Après les animaux, Cosmas décrit le poivrier, arbrisseau frêle et délicat, comme les plus petits sarments de vigne, et le cocotier, dont les fruits ont une saveur douce comme celle des noix vertes.

Depuis les premiers temps de l’ère chrétienne, les fidèles s’empressaient à visiter les lieux saints, berceau de la religion nouvelle. Ces pèlerinages devinrent de plus en plus fréquents, et l’histoire a conservé le nom des principaux personnages qui se rendaient en Palestine pendant les premiers âges du christianisme.

Un de ces pèlerins, l’évêque français Arculphe, qui vivait vers la fin du septième siècle, a laissé le récit circonstancié de son voyage.

Il débute par donner la situation topographique de Jérusalem, et décrit la muraille qui entoure la ville sainte. Il visite ensuite l’église en forme de rotonde construite sur le Saint-Sépulcre, le tombeau de Jésus-Christ et la pierre qui le fermait, l’église de Sainte-Marie, l’église construite sur le Calvaire et la basilique de Constantin, élevée au lieu où fut trouvée la vraie croix. Ces différentes églises sont comprises dans un édifice unique, qui renferme aussi le tombeau du Christ et le Calvaire au sommet duquel le Sauveur fut crucifié.

Arculphe descend ensuite dans la vallée de Josaphat, située à l’est de la ville, où s’élève l’église qui recouvre le tombeau de la Vierge et le tombeau d’Absalon, qu’il appelle tour de Josaphat. Puis, il gravit le mont des Oliviers, qui fait face à la ville au delà de la vallée, et là il prie dans la grotte où pria Jésus. Il se rend alors au mont Sion, situé en dehors de la ville, à sa pointe sud ; il remarque en passant le figuier gigantesque auquel, suivant la tradition, se pendit Judas Iscariote, et il visita l’église du Cénacle, maintenant détruite.

En contournant la ville par la vallée de Siloë et en remontant le torrent de Cédron, l’évêque revient au mont des Oliviers, couvert de riches moissons de froment et d’orge, d’herbes et de fleurs, et il décrit, au sommet de la montagne sainte, l’emplacement d’où le Christ s’éleva au ciel. Là, les fidèles ont bâti une grande église ronde, avec trois portiques cintrés, qui, sans toit ni voûte, demeure ouverte sous le ciel nu. « On n’a pas voûté l’intérieur de l’église, dit la relation de l’évêque afin que de ce lieu où se posèrent pour la dernière fois les pieds divins, lorsque le Seigneur s’éleva au ciel sur une nuée, une voie toujours ouverte jusqu’au ciel y conduisît les prières des fidèles. Car, lorsqu’on construisit cette église dont nous parlons, on ne put paver, comme le reste de l’édifice, l’endroit où s’étaient posés les pieds du Seigneur. À mesure que l’on appliquait les marbres, la terre, impatiente de supporter quelque chose d’humain, les recrachait, si j’ose le dire, à la face des ouvriers. D’ailleurs, comme un enseignement immortel, la poussière conserve encore l’empreinte des pas divins, et bien que chaque jour la foi des visiteurs leur fasse enlever cette empreinte, elle reparaît sans cesse, et la terre la conserve toujours. »

Après avoir exploré le champ de Béthanie, au milieu de la grande forêt des oliviers, où se voit le sépulcre de Lazare, et l’église située à droite sur l’emplacement même où le Christ avait l’habitude de s’entretenir avec ses disciples, Arculphe se rendit à Bethléem, qui est bâtie à deux heures de la ville sainte, au sud de la vallée de Zéphraïm. Il décrit le lieu de la naissance du Seigneur, une demi-grotte naturelle, creusée à l’extrémité de l’angle oriental de la ville, et au-dessus, l’église construite par sainte Hélène, puis les tombeaux des trois pasteurs qui, à la naissance du Seigneur, furent entourés d’une clarté céleste, le sépulcre de Rachel, les tombeaux des quatre patriarches, Abraham, Isaac, Jacob et Adam, le premier homme. Puis, il visite la montagne et le chêne de Mambré, sous l’ombrage duquel Abraham donna l’hospitalité aux anges.

De ce point, Arculphe se rend à Jéricho, ou plutôt à l’endroit qu’occupait cette ville dont les murailles s’écroulèrent au son des trompettes de Josué. Il explore le lieu où les fils d’Israël, après avoir passé le Jourdain, firent leur première station dans la terre de Chanaan. Il contemple dans l’église de Galgala les douze pierres que les Israélites, par ordre du Seigneur, tirèrent du torrent desséché. Il suit les rives du Jourdain et reconnaît sur sa rive droite, près d’un coude du fleuve, à une heure de marche de la mer Morte, au milieu d’un site pittoresque planté d’arbres magnifiques, le lieu où le Seigneur fut baptisé par Jean, à l’endroit même où l’on a planté une croix que les eaux blanchâtres, lorsqu’elles sont grossies, couvrent tout entière.

Après avoir parcouru les rivages de la mer Morte, dont il goûta le sel, après avoir recherché en Phénicie ce pied du Liban d’où s’échappent les sources du Jourdain, après avoir exploré la plus grande partie du lac de Tibériade, visité le puits de Samarie où le Christ fut rafraîchi par la Samaritaine, la fontaine du désert où s’abreuvait saint Jean-Baptiste, la vaste plaine de Gazan, « jamais labourée depuis, » dans laquelle Jésus bénit cinq pains et deux poissons, Arculphe descendit vers Capharnaüm, dont les restes n’existent même plus ; puis il se transporta à Nazareth, où se passa l’enfance du Christ, et il termina au mont Thabor, situé en Galilée, son voyage proprement dit aux lieux saints.

La relation de l’évêque contient ensuite des détails géographiques et historiques sur d’autres villes qu’il visita, la cité royale de Damas, que quatre grands fleuves parcourent « pour l’égayer », Tyr, métropole de la province de Phénicie, qui, jadis séparée du continent, y fut rattachée par les jetées de Nabuchodorossor, Alexandrie, autrefois la capitale de l’Égypte, que le voyageur atteignit quarante jours après avoir quitté Jaffa, et enfin Constantinople, dont il visita souvent la vaste église où l’on conserve « le bois sacré de la croix sur lequel le Sauveur mourut crucifié pour le salut du genre humain. »

Enfin, la relation du voyage, qui fut écrite sous la dictée de l’évêque par l’abbé de Saint-Columban, s’achève en recommandant aux lecteurs d’implorer la clémence divine pour le saint prélat Arculphe, et de prier aussi pour l’écrivain, misérable pécheur, le Christ, juge de tous les siècles !

Quelques années après l’évêque français, un pèlerin anglais entreprenait le même voyage dans un but pieux, et il l’accomplissait à peu près dans les mêmes conditions.

Ce pèlerin se nommait Willibald ; il appartenait à une famille riche qui habitait vraisemblablement le comté de Southampton. À la suite d’une maladie de langueur, ses parents le consacrèrent à Dieu, et sa jeunesse se passa au milieu des exercices de piété dans le monastère de Waltheim. Arrivé au terme de l’adolescence, Willibald résolut d’aller prier à Rome dans l’église consacrée à l’apôtre Pierre, et ses vives instances déterminèrent son père Richard, son frère Wimebald et sa jeune sœur Walpurge à l’accompagner.

La pieuse famille s’embarqua à Hamble-Haven, au printemps de l’année 721, et, remontant la Seine, elle vint débarquer près de la ville de Rouen. Willibald donne peu de détails sur le voyage jusqu’à Rome. Après avoir traversé Cortone, ville de la Ligurie, Lucques en Toscane, où Richard succomba aux fatigues du voyage, le 7 février 722, après avoir franchi les Apennins pendant l’hiver, les deux frères et la sœur entrèrent à Rome, et ils y passèrent le reste de l’hiver, très-éprouvés les uns et les autres par de violentes fièvres.

Willibald, revenu à la santé, forma le projet de poursuivre son pèlerinage jusqu’aux lieux saints. Il renvoya son frère et sa sœur en Angleterre, et partit en compagnie de quelques religieux. Par Terracine et Gaëte, ils allèrent à Naples, firent voile pour Reggio en Calabre, pour Catane et Syracuse en Sicile ; puis, prenant définitivement la mer, après avoir touché à Cos et à Samos : ils débarquèrent à Éphèse en Asie Mineure, où s’élevaient les tombeaux de saint Jean l’Évangéliste, de Marie-Madeleine et des Sept Dormants, qui sont sept chrétiens martyrisés sous le règne de l’empereur Dèce.

Après avoir séjourné quelque temps à Strobole, à Patara, et en dernier lieu à Mitylène, capitale de l’île de Lesbos, les pèlerins se transportèrent à Chypre, visitèrent également Paphos et Constance ; enfin, on les retrouve au nombre de sept dans la ville phénicienne d’Édissa, où se voit le tombeau de saint Thomas l’apôtre.

En cet endroit, Willibald et ses compagnons, pris pour des espions, furent emprisonnés par les Sarrasins ; mais le roi, à la recommandation d’un Espagnol, les fit mettre en liberté. Les pèlerins quittèrent la ville en toute hâte, et, à partir de ce moment, leur itinéraire est presque celui de l’évêque Arculphe. Ils visitent Damas en Syrie, Nazareth en Galilée, Cana, où l’on voit une des amphores miraculeuses, le mont Thabor, où s’accomplit le grand fait de la transfiguration, Tibériade, située à l’endroit où le Seigneur et Pierre marchèrent sur les flots, Magdala, où demeuraient Lazare et ses sœurs, Capharnaùin, où Jésus ressuscita la fille du prince, Bethsaïde de Galilée, patrie de Pierre et d’André, Corozaïn, où le Seigneur guérit des possédés, Césarée où la clef du ciel fut donnée à saint Paul, l’endroit où le Christ fut baptisé, Golgala, Jéricho et Jérusalem.

La ville sainte, la vallée de Josaphat, le mont des Oliviers, Bethléem, Thema, où Hérode fit mettre à mort les petits enfants, la vallée de Laura, Gaza, reçurent la visite des pieux pèlerins. Dans cette ville, pendant qu’on célébrait l’office dans l’église Saint-Matthias, Willibald raconte qu’il perdit subitement la vue, et il ne la recouvra qu’à Jérusalem, deux mois après, en rentrant dans l’église de la Sainte-Croix. Il parcourut ensuite la vallée de Diospolis, à dix milles de Jérusalem, puis, au bord de la mer Syrienne, Tyr, Sidon et Tripoli de Syrie. De là, par le Liban, Damas et Césarée, Willibald gagna Émaüs, bourg de la Palestine où coule la fontaine à laquelle le Christ lava ses pieds, et enfin Jérusalem, où les voyageurs demeurèrent pendant toute la saison d’hiver.

Les infatigables pèlerins ne devaient pas borner là leur exploration. On les retrouve successivement à Ptolémaïs, Saint-Jean d’Acre actuellement, à Emessa, à Jérusalem, à Damas, à Samarie, où sont les tombeaux de saint Jean-Baptiste, d’Abdias et d’Élisée, à Tyr, où, il faut l’avouer, le pieux Willibald frauda la douane du temps en dissimulant une certaine quantité de baume de Palestine, très-renommé alors et qui était soumis aux droits. À Tyr, après un long séjour, il put s’embarquer pour Constantinople, que ses compagnons et lui habitèrent pendant deux ans, et enfin ils revinrent par la Sicile et la Calabre, Naples et Capoue. Le pèlerin anglais arriva au monastère du mont Cassin, ayant quitté son pays depuis dix ans. L’heure du repos, cependant, n’était pas encore venue pour lui. Il fut nommé par le pape Grégoire III à un évêché nouvellement créé en Franconie. Il avait quarante et un ans, quand il fut sacré évêque. Pendant quarante-cinq ans encore il occupa son siège épiscopal, et il mourut en l’an 745. En 938, Willibald fut canonisé par le pape Léon VII.

Nous terminerons la liste des voyageurs du premier au neuvième siècle, en citant un certain Soleyman, marchand de Bassorah, qui, parti du golfe Persique, atteignit les confins de l’Asie et débarqua sur les rivages chinois. Ce récit contient deux parties distinctes : l’une rédigée en 851 par Soleyman lui-même, qui fit réellement ce voyage ; l’autre écrite en 878 par un géographe, Abou-Zeyd-Hassan, dans le but de compléter la première. Suivant l’opinion de l’orientaliste Reinaud, ce récit « a jeté un jour tout nouveau sur les rapports commerciaux qui existèrent au neuvième siècle entre les côtes de l’Égypte, de l’Arabie et des pays riverains du golfe Persique, d’une part, et, de l’autre, les vastes provinces de l’Inde et de la Chine. »

Soleyman, sorti du golfe Persique, après s’être approvisionné d’eau douce à Mascate, visita d’abord la deuxième mer, c’est-à-dire la mer Larevy des Arabes, ou mer d’Oman de la géographie moderne. Il observa d’abord un poisson d’une masse énorme, — probablement un cachalot, — que les navigateurs prudents cherchent à effrayer en sonnant la cloche, puis un requin dans le ventre duquel on en trouva un plus petit, qui en renfermait lui-même un plus petit encore, « tous deux vivants, » dit le voyageur avec une exagération manifeste ; enfin, après avoir décrit le remora, le dactyloptère et le marsouin, il dit ce qu’est la mer de Herkend, comprise entre les Maldives et les îles de la Sonde, dans laquelle il compte au moins dix-neuf cents îles, dont les rivages sont semés de gros morceaux d’ambre gris. Parmi ces îles, gouvernées par une femme, il nomme principalement de leur nom arabe Ceylan et sa pêcherie de perles, Sumatra, riche en mines d’or, habitée par des anthropophages, les Nicobar et les Andaman, dont les tribus sont encore aujourd’hui cannibales. « Cette mer de Herkend, dit-il, se soulève quelquefois en trombes furieuses qui fracassent les navires et rejettent à la côte une immense quantité de poissons morts, et même des blocs de pierre et des montagnes. Quand les vagues de cette mer se soulèvent, l’eau présente l’apparence d’un feu qui brûle. » Soleyman la croit fréquentée par une espèce de monstre qui dévore les hommes, et dans lequel les commentateurs ont cru reconnaître le squale pantouflier.

Arrivé aux Nicobar, Soleyman, après avoir échangé avec les habitants du fer contre des cocos, des cannes à sucre, des bananes et du vin de cocotier, traversa la mer de Kalâh-Bar, qui baigne la côte de Malacca ; puis, après dix journées de navigation, sur la mer de Schelaheth, il se dirigea pour faire de l’eau vers un lieu qui pourrait être Sincapour ; enfin, il remonta au nord par la mer de Kedrendj, qui doit être le golfe de Siam, de manière à venir en vue de Poulo-Oby, situé dans le sud de la pointe de Cambodje.

Devant les navires du marchand de Bassorah s’ouvrait alors la mer de Senf, étendue d’eau comprise entre les Moluques et l’Indo-Chine. Soleyman alla se ravitailler à l’île Sander-Foulat, située vers le cap Varela, et, de là, il se lança sur la mer de Sandjy ou mer de Chine, et, un mois plus tard, il entrait à Khan-fou, le port chinois de la ville actuelle de Tche-kiang, où les bâtiments, à cette époque, avaient coutume d’aborder.

Le reste de la relation de Soleyman, complétée par Abou-Zeyd-Hassan, ne contient plus que des renseignements très-détaillés sur les mœurs des Indiens, des Chinois et des habitants du Zendj, contrée située sur la côte orientale de l’Afrique. Mais ce n’est plus le voyageur qui parle, et ces détails qu’il donne, nous les retrouverons, plus intéressants et plus précis, dans les relations de ses successeurs.

Ce qu’il faut dire, pour résumer les travaux des explorateurs qui parcoururent la terre, seize siècles avant l’ère chrétienne et neuf siècles après, c’est que depuis la Norvège jusqu’aux extrémités de l’empire chinois, en passant par l’Atlantique, la Méditerranée, la mer Rouge, l’océan Indien et la mer de la Chine, cette immense étendue de côtes était en grande partie déterminée et visitée. Des explorations avaient été hardiment tentées à l’intérieur des terres, en Égypte jusqu’à l’Éthiopie, en Asie Mineure jusqu’au Caucase, dans l’Inde et la Chine jusqu’à la Tartarie, et si la précision mathématique manquait encore aux divers points relevés par les voyageurs, du moins les usages, les mœurs des habitants, les productions des divers pays, les modes d’échange, les coutumes religieuses étaient suffisamment connus ; les navires, profitant des vents réguliers, pouvaient se hasarder avec plus de confiance sur les mers ; les caravanes savaient se diriger plus sûrement à l’intérieur du continent, et c’est grâce à cet ensemble de connaissances, répandues par les écrits des savants, que le commerce prit un essor considérable dans la dernière période du moyen âge.