Découverte de la Terre/Première partie/Chapitre premier

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J. Hetzel (1p. 1-20).

CHAPITRE PREMIER

VOYAGEURS CÉLÈBRES AVANT L’ÈRE CHRÉTIENNE
Hannon (505). — Hérodote (484). — Pythèas (340) — Néarque (326). — Eudoxus (146). — César (100). — Strabon (50).

Hannon le Carthaginois. — Les îles Fortunées, la Corne du Soir, la Corne du Midi, le golfe de Rio do Ouro. — Hérodote. — Il visite l’Égypte, la Lybie, l’Éthiopie, la Phénicie, l’Arabie, la Babylonie, la Perse, l’Inde, la Médie, la Colchide, la mer Caspienne, la Scythie, la Thrace et la Grèce. — Pythéas explore les rivages de l’Ibérie et de la Celtique, la Manche, l’île d’Albion, les Orcades, la terre de Thulé. — Néarque visite la côte asiatique depuis l’Indus jusqu’au golfe Persique. — Eudoxus reconnaît la côte occidentale de l’Afrique. — César conquiert la Gaule et la Grande-Bretagne. — Strabon parcourt l’Asie intérieure, l’Égypte, la Grèce et l’Italie.

Le premier voyageur que l’histoire nous présente, dans l’ordre chronologique, c’est Hannon, que le sénat de Carthage envoya coloniser quelques portions des côtes occidentales de l’Afrique. La relation de cette expédition fut écrite en langue punique, et traduite en grec ; elle est connue sous le nom de Périple d’Hannon. À quelle époque vivait cet explorateur ? Les historiens ne sont pas d’accord. Mais la version la plus probable assigne la date de 505, avant Jésus-Christ, à son exploration des côtes africaines.

Hannon quitta Carthage avec une flotte de soixante vaisseaux de cinquante rames chacun, portant trente mille personnes, avec les vivres nécessaires à un long voyage. Ces émigrants, — on peut leur donner ce nom, — étaient destinés à peupler les villes nouvelles que les Carthaginois voulaient créer sur les côtes occidentales de la Lybie, c’est-à-dire de l’Afrique.

La flotte dépassa heureusement les Colonnes d’Hercule, ces montagnes de Gibraltar et de Ceuta qui commandent le détroit, et elle s’aventura sur l’Atlantique en descendant vers le sud. Deux jours après avoir franchi le détroit, Hannon mouilla en vue des côtes et fonda la ville de Thymatérion. Puis, il reprit la mer, doubla le cap Soloïs, créa de nouveaux comptoirs et s’avança jusqu’à l’embouchure d’un grand fleuve africain, sur les rives duquel campait une tribu de bergers nomades. Après avoir conclu un traité d’alliance avec ces bergers, le navigateur carthaginois continua son exploration vers le sud. Il arriva ainsi près de l’île de Cerne, située au fond d’une baie, dont la circonférence mesurait cinq stades, soit neuf cent vingt-cinq mètres. Suivant le journal d’Hannon, cette île serait placée, par rapport aux Colonnes d’Hercule, à une distance égale à celle qui sépare ces Colonnes de Carthage. Quelle est cette île ? Sans doute un îlot appartenant au groupe des Fortunées.

La navigation fut reprise, et Hannon arriva à l’embouchure du fleuve Chrétès, qui formait une sorte de baie intérieure. Les Carthaginois remontèrent ce fleuve et furent accueillis à coups de pierres par les naturels de race nègre. Les crocodiles et les hippopotames étaient nombreux dans ces parages.

La flotte, après cette exploration, revint à Cerne, et, douze jours plus tard, elle arrivait en vue d’une région montagneuse, où abondaient les arbres odoriférants et les plantes balsamiques. Elle pénétra alors dans un vaste golfe terminé par une plaine. Cette région, calme pendant le jour, était éclairée pendant la nuit par des torrents de flammes, qui provenaient soit des feux allumés par les sauvages, soit de l’incinération fortuite des herbes sèches, après la saison des pluies.

Cinq jours plus tard, Hannon doublait le cap nommé la Corne du Soir. Là encore, suivant ses propres expressions, « il entendit le son des fifres, le bruit des cymbales, des tambourins, et les clameurs d’un peuple innombrable. » Les devins qui accompagnaient l’expédition carthaginoise conseillèrent de fuir cette terre effrayante. Ils furent obéis, et la flotte reprit sa course vers de plus basses latitudes.

Elle arriva à un cap qui formait un golfe nommé Corne du Midi. D’après M. d’Avezac, ce golfe serait l’embouchure même du Rio do Ouro, qui se jette dans l’Atlantique, à peu près sur le Tropique du Cancer. Au fond de ce golfe se voyait une île habitée par un grand nombre de gorilles que les Carthaginois prirent pour des sauvages velus. Ils parvinrent à s’emparer de trois « femmes », qu’ils furent obligés de tuer, tant la rage de ces femelles de singes était indomptable.

Cette Corne du Midi est certainement la limite extrême atteinte par l’expédition punique. Quelques commentateurs veulent même qu’elle n’ait pas dépassé le cap Bojador, qui se développe à deux degrés au-dessus du Tropique, mais l’opinion contraire semble avoir prévalu. Arrivé à ce point, Hannon, qui commençait à se trouver à court de vivres, reprit la route au nord et rentra à Carthage, où il fit graver la relation de ce voyage dans le temple de Baal Moloch.

Après l’explorateur carthaginois, le plus illustre des voyageurs de l’antiquité pendant les temps historiques fut le neveu du poëte Panyasis, dont les poésies rivalisaient alors avec celles d’Homère et d’Hésiode, le savant Hérodote, surnommé le père de l’histoire. Pour notre compte, nous dégagerons le voyageur de l’historien, et nous le suivrons au milieu des contrées qu’il a parcourues.

Hérodote naquit à Halicarnasse, ville de l’Asie Mineure, l’an 484 avant Jésus-Christ. Sa famille était riche, et, par ses vastes relations commerciales, elle pouvait favoriser les instincts d’explorateur qui se révélaient en lui. À cette époque, les opinions étaient diversement partagées sur la forme de la terre. L’école pythagoricienne commençait à enseigner, cependant, qu’elle devait être ronde. Mais Hérodote ne prit aucune part à cette discussion qui passionnait les savants de l’époque, et, jeune encore, il s’éloigna de sa patrie, dans le but d’explorer avec le plus grand soin les contrées connues de son temps, et sur lesquelles il n’existait que des données incertaine.

Il quitta Halicarnasse, en 464, à l’âge de vingt ans. Suivant toute probabilité, il se dirigea d’abord vers l’Égypte, et visita Memphis, Héliopolis et Thèbes. Il fit dans ce voyage d’utiles remarques sur les débordements du Nil, et il rapporte les diverses opinions du temps touchant les sources de ce fleuve que les Égyptiens adoraient comme un Dieu. « Quand le Nil a débordé, dit-il, on n’aperçoit plus que les villes ; elles paraissent au-dessus de l’eau, et ressemblent à peu près aux îles de la mer Égée. » Il raconte les cérémonies religieuses des Égyptiens, leurs pieux sacrifices, leur empressement aux fêtes de la déesse Isis, principalement à Busiris, dont les ruines se voient encore près de Bousyr, leur vénération pour les animaux sauvages ou domestiques qu’ils considèrent comme sacrés, et auxquels ils rendent des honneurs funèbres. Il dépeint, en naturaliste fidèle, le crocodile du Nil, sa structure, ses mœurs, la manière dont on s’en empare, puis l’hippopotame, le tupinambis, le phénix, l’ibis, les serpents consacrés à Jupiter. Sur les coutumes égyptiennes, nul n’est plus précis. Il note les habitudes domestiques, les jeux, les embaumements auxquels excellaient les chimistes du temps. Puis, il fait l’histoire du pays, depuis Ménès, son premier roi ; il décrit, sous Chéops, l’érection des pyramides et la manière dont elles furent construites, le labyrinthe bâti un peu au-dessus du lac Mœris, et dont les restes furent découverts en 1799, le lac Mœris dont il attribue le creusement à la main de l’homme, et les deux pyramides qui s’élevaient au-dessus de ses eaux ; il admire fort le temple de Minerve à Saïs, les temples de Vulcain et d’Isis, érigés à Memphis, et ce colosse monolithe que deux mille hommes, tous bateliers, mirent trois ans à amener d’Éléphantine à Saïs.

Après avoir scrupuleusement visité l’Égypte, Hérodote passa en Lybie, c’est-à-dire dans l’Afrique proprement dite ; mais, vraisemblablement, le jeune voyageur n’imaginait pas qu’elle s’étendît au delà du Tropique du Cancer, car il suppose que les Phéniciens ont pu contourner ce continent et revenir en Égypte par le détroit de Gibraltar. Hérodote fait alors le dénombrement des peuples de la Lybie, qui n’étaient que de simples tribus nomades habitant les côtes maritimes ; puis au-dessus, dans l’intérieur des terres infestées de bêtes féroces, il cite les Ammoniens, qui possédaient ce temple célèbre de Jupiter Ammon dont les ruines ont été découvertes dans le nord-est du désert de Lybie, à cinq cents kilomètres du Caire. Il donne aussi des détails précieux sur les mœurs des Lybiens ; il décrit leurs usages ; il parle des animaux qui courent le pays, serpents de grosseur prodigieuse, lions, éléphants, ours, aspics, ânes à cornes, — probablement des rhinocéros, — singes cynocéphales, « animaux sans tête qui ont des yeux sur la poitrine », renards, hyènes, porcs-épics, béliers sauvages, panthères, etc. Puis il termine en reconnaissant que toute cette contrée n’est habitée que par deux populations indigènes, les Lybiens et les Éthiopiens.

Selon Hérodote, on trouve déjà les Éthiopiens au-dessus d’Éléphantine. Le savant explorateur voyagea-t-il réellement dans cette contrée ? Les commentateurs en doutent. Il est plus probable qu’il apprit des Égyptiens les détails qu’il donne sur Méroé, la capitale, sur le culte rendu à Jupiter et à Bacchus, sur la longévité des habitants. Mais ce qui n’est pas contestable, car il le dit expressément, c’est qu’il fit voile vers Tyr, en Phénicie. Là, il admira les deux magnifiques temples d’Hercule. Puis, il visita Thasos, et profita des renseignements puisés sur les lieux mêmes pour faire l’historique très-abrégé de la Phénicie, de la Syrie et de la Palestine.

De ces contrées, Hérodote redescend au sud vers l’Arabie, dans ce pays qu’il nomme l’Éthiopie d’Asie, c’est-à-dire cette partie méridionale de l’Arabie qu’il croit être le dernier pays habité. Il regarde les Arabes comme le peuple le plus religieux observateur du serment ; leurs seuls dieux sont Uranie et Bacchus ; leur contrée produit en abondance l’encens, la myrrhe, la cannelle, le cinnamome, le lédanon, et le voyageur donne d’intéressants détails sur la récolte de ces substances odoriférantes.

Nous retrouvons ensuite Hérodote dans ces contrées célèbres qu’il appelle indistinctement Assyrie ou Babylonie. Tout d’abord, il décrit minutieusement cette grande cité de Babylone que les rois du pays habitaient depuis la destruction de Ninive, et dont les ruines ne sont plus aujourd’hui que des monticules épars sur les deux rives de l’Euphrate, à soixante-dix-huit kilomètres sud sud-ouest de Bagdad. L’Euphrate, grand, profond et rapide, partageait alors la ville en deux quartiers. Dans l’un s’élevait le palais fortifié du roi ; dans l’autre, le temple de Jupiter Bélus, qui fut peut-être construit sur l’emplacement même de la tour de Babel. Hérodote parle ensuite des deux reines Sémiramis et Nitocris, et il raconte tout ce que fit cette dernière pour assurer le bien-être et la sécurité de sa capitale. Il passe ensuite aux productions de la contrée, à la culture du froment, de l’orge, du millet, du sésame, de la vigne, du figuier, du palmier. Il décrit enfin l’habillement des Babyloniens, et termine en citant leurs coutumes, particulièrement celles concernant les mariages, qui se faisaient à la criée publique.

Après avoir exploré la Babylonie, Hérodote se rendit en Perse, et comme le but de son voyage était de recueillir sur les lieux mêmes les documents relatifs aux longues guerres de la Perse et de la Grèce, il tenait à visiter le théâtre de ces combats dont il voulait écrire l’histoire. Il débute par citer cet usage des Perses, qui, ne reconnaissant point aux dieux une forme humaine, ne leur élèvent ni temples, ni autels, et se contentent de les adorer sur le sommet des montagnes. Il note ensuite leurs coutumes domestiques, leur dédain pour la viande, leur goût pour les friandises, leur passion pour le vin, l’habitude qu’ils ont de traiter les affaires sérieuses quand ils ont bu avec excès, leur curiosité des usages étrangers, leur ardeur pour les plaisirs, leurs vertus guerrières, leur sévérité bien entendue pour l’éducation des enfants, leur respect pour la vie de l’homme et même de l’esclave, leur horreur du mensonge et des dettes, leur répugnance pour tout lépreux, dont la maladie prouve que « l’infortuné a péché contre le soleil. »

L’Inde d’Hérodote, suivant M. Vivien de Saint-Martin, ne comprend guère que la contrée arrosée par les cinq affluents du Pendjab actuel, en y adjoignant l’Afghanistan. C’est là que le jeune voyageur porta ses pas en quittant le royaume de Perse. Pour lui, les Indiens sont les plus nombreux des peuples connus. Les uns ont une demeure fixe, les autres sont nomades. Ceux de l’est, nommés Padéens, tuent les malades et les vieillards, et ils les mangent. Ceux du nord, les plus braves et les plus industrieux, recueillent les sables aurifères. L’Inde, pour Hérodote, est la dernière contrée habitée à l’est, et il observe « que les extrémités de la terre ont eu en quelque sorte en partage ce qu’elle a eu de plus beau, comme la Grèce a la plus agréable température des saisons. »

Hérodote, infatigable, passe ensuite en Médie. Il fait l’histoire de ces peuples qui les premiers secouèrent le joug des Assyriens. Ces Mèdes fondèrent l’immense ville d’Ecbatane, qui fut entourée de sept murailles concentriques, et ils furent réunis en un seul corps de population sous le règne de Dejocès. Après avoir traversé les montagnes qui séparent la Médie de la Colchide, le voyageur grec pénétra dans le pays illustré par les prouesses de Jason, et il en étudia, avec la précision qui lui était propre, les mœurs et les coutumes.

Hérodote paraît avoir parfaitement connu la disposition topographique de la mer Caspienne. Il dit qu’elle est « une mer par elle-même », et qu’elle n’a aucune communication avec l’autre. Cette Caspienne est, suivant lui, bornée à l’ouest par le Caucase, à l’est par une vaste plaine qu’habitent les Massagètes, qui pourraient bien être Scythes de nation, opinion admise par Arrien et Diodore de Sicile. Ces Massagètes n’adorent que le soleil, et ils immolent des chevaux en son honneur. Hérodote parle en cet endroit de deux grands fleuves, dont l’un, l’Araxes, serait le Volga, et dont l’autre, l’Ist, serait le Danube.

Le voyageur passe ensuite en Scythie. Pour lui, les Scythes sont ces tribus diverses qui habitent le pays spécialement compris entre le Danube et le Don, c’est-à-dire une portion considérable de la Russie d’Europe, Ces Scythes ont l’habitude de crever les yeux à leurs prisonniers. Ils ne sont point cultivateurs, mais nomades. Hérodote raconte les diverses fables qui obscurcissent l’origine de la nation scythique, et dans lesquelles Hercule joua un rôle considérable. Puis, il cite les divers peuples ou tribus qui composent cette nation, mais il ne paraît pas qu’il ait visité en personne les contrées situées au nord du Pont-Euxin. Il entre alors dans une description très-précise des coutumes de ces peuplades, et se laisse aller à une sincère admiration pour le Pont-Euxin, la mer inhospitalière. Les mesures qu’il donne de cette mer Noire, du Bosphore, de la Propontide, du Palus-Méotide, de la mer Égée, sont à peu près exactes. Puis, il nomme les grands fleuves qui y versent leurs eaux, l’Ister ou Danube, le Borysthène ou Dnieper, le Tanaïs ou le Don, et il termine en racontant comment se fit l’alliance et, par suite, l’union des Scythes et des Amazones, ce qui explique pourquoi les jeunes filles du pays ne peuvent se marier avant qu’elles n’aient tué un ennemi.

Après un rapide séjour en Thrace, pendant lequel il reconnut les Gètes comme étant les plus braves de cette race, Hérodote arriva en Grèce, le but final de ses voyages, le pays où il voulait recueillir les derniers documents nécessaires à son histoire. Il visita les lieux illustrés par les principaux combats des Grecs contre les Perses. Du passage des Thermopyles, il fait une description scrupuleuse ; puis, il visita la plaine de Marathon, le champ de bataille de Platée, et il revint en Asie Mineure, dont il parcourut le littoral, sur lequel les Grecs avaient fondé de nombreuses colonies.

En rentrant en Carie, à Halicarnasse, le célèbre voyageur n’avait pas vingts-huit ans, car c’est à cet âge seulement, l’an de la première olympiade, ou 456 ans avant J.-C., qu’il lut son histoire aux Jeux Olympiques. Sa patrie était alors opprimée par Lygdamis, et il dut se retirer à Samos. Peu après, il parvint à renverser le tyran ; mais l’ingratitude de ses concitoyens l’obligea de reprendre le chemin de l’exil. En 444, il assista aux fêtes des Panathénées, lut son ouvrage entièrement achevé, provoqua un enthousiasme universel, et, vers la fin de sa vie, il se retira en Italie, à Thurium, où il mourut, 406 ans avant l’ère chrétienne, laissant la réputation du plus grand voyageur et du plus célèbre historien de l’antiquité.

Après Hérodote, nous franchirons un siècle et demi, en citant le médecin Ctésias, contemporain de Xénophon, qui publia la relation d’un voyage dans l’Inde qu’il n’a vraisemblablement pas fait, et nous arriverons, chronologiquement, au Marseillais Pythéas, à la fois voyageur, géographe et astronome, l’une des illustrations de son époque. Ce fut vers l’an 340 que Pythéas s’aventura avec un seul vaisseau au delà des Colonnes d’Hercule ; mais, au lieu de suivre au sud la côte africaine, ainsi que l’avaient fait les Carthaginois ses devanciers, il remonta au nord, en prolongeant les rivages de l’Ibérie et ceux de la Celtique jusqu’aux pointes avancées qui forment actuellement le Finistère ; puis il embouqua la Manche et accosta l’Angleterre, cette île d’Albion dont il allait devenir le premier explorateur. En effet, il débarqua sur divers points de la côte, et il entra en relation avec ses habitants simples, honnêtes, sobres, dociles, industrieux, qui faisaient un grand commerce d’étain.

Le navigateur gaulois, s’aventurant plus au nord, dépassa les îles Orcades, situées à la pointe extrême de l’Écosse, et il s’éleva sous une latitude assez haute pour que, pendant la saison d’été, la durée de la nuit ne dépassât pas deux heures. Après six jours de navigation, il atteignit une terre nommée Thulé, probablement le Jutland ou la Norvège, qu’il ne put dépasser. « Au delà, dit-il, il n’y avait plus ni mer, ni terre, ni air. » Il revint donc sur ses pas, et, modifiant sa première direction, il arriva à l’embouchure du Rhin, où habitaient les Ostions, et plus loin les Germains. De ce point, il gagna les bouches du Tanaïs, que l’on suppose être l’Elbe ou l’Oder, et il revint à Marseille, un an après avoir quitté sa ville natale. Pythéas, en même temps qu’un hardi navigateur, était un savant remarquable ; il fut le premier à reconnaître l’influence de la lune sur les marées, et à observer que l’étoile polaire n’occupe pas exactement le point par lequel est supposé passer l’axe du globe.

Quelques années après Pythéas, vers 326 avant J.-C., un voyageur grec macédonien s’illustra dans la carrière des explorateurs. Ce fut Néarque, né en Crète, amiral d’Alexandre, qui eut pour mission de visiter toute la côte d’Asie, depuis l’embouchure de l’Indus jusqu’à l’Euphrate.

Le conquérant, quand il eut cette pensée d’opérer une reconnaissance qui devait assurer les communications de l’Inde avec l’Égypte, se trouvait avec son armée à huit cents milles dans les terres, sur le haut cours de l’Indus. Il donna à Néarque une flotte composée vraisemblablement de trente-trois galères, de navires à deux ponts, et d’un grand nombre de bâtiments de transport. Deux mille hommes montaient cette flotte, qui pouvait compter environ huit cents voiles. Néarque descendit l’Indus en quatre mois, escorté sur chaque rive par les armées d’Alexandre. Le conquérant, arriva aux bouches du grand fleuve, employa sept mois à en explorer le Delta ; puis, Néarque mit à la voile, et il suivit la côte qui forme aujourd’hui la lisière du royaume du Béloutchistan.

Néarque avait pris la mer le 2 octobre, c’est-à-dire un mois trop tôt pour que la mousson d’hiver eût gardé une direction favorable à ses projets. Les débuts de son voyage furent donc contrariés, et, dans les quarante premiers jours, à peine fit-il quatre-vingts milles dans l’ouest. Ses premières relâches le conduisirent à Stura et à Coreestis, noms qui ne conviennent à aucun des villages actuels élevés sur la côte. Puis, il arriva à l’île de Crocala, qui forme la baie moderne de Caranthey. Battue par les vents, la flotte, après avoir doublé le cap Monze, se réfugia dans un port naturel que l’amiral dut fortifier pour se défendre contre les attaques des barbares, les Sangariens actuels, qui forment encore une tribu de pirates.

Vingt-quatre jours après, le 3 novembre, Néarque remit à la voile. Des coups de vent obligèrent souvent le navigateur à relâcher sur divers points de la côte, et, dans ces circonstances, il dut toujours se garder contre les attaques de ces Arabites, ces féroces Beloutches modernes, que les historiens orientaux représentent « comme une nation barbare, portant les cheveux longs et sans ordre, laissant croître leur barbe et ressemblant à des faunes ou à des ours. » Jusqu’alors, cependant, aucun accident grave n’était survenu à la flotte macédonienne, quand, le 10 novembre, le vent du large souffla avec une telle violence, qu’il fit périr deux galères et un vaisseau. Néarque vint alors mouiller à Crocala, et fut ravitaillé par un convoi de blé que lui avait expédié Alexandre. Chaque vaisseau reçut pour dix jours de vivres.

Après divers incidents de navigation, après une courte lutte avec les barbares de la côte, Néarque arriva à l’extrémité du territoire des Orites, qui est marquée par le cap Moran de la géographie moderne. En cet endroit de son récit, Néarque prétend que le soleil, frappant verticalement les objets, lorsqu’il était au milieu de sa course, ne produisait plus aucune ombre. Mais il se trompe évidemment, car à cette époque l’astre du jour se trouvait dans l’hémisphère sud, sur le Tropique du Capricorne, et, d’ailleurs, les navires de Néarque furent toujours éloignés de quelques degrés du Tropique du Cancer. Donc, même en plein été, ce phénomène n’aurait pas pu se produire.

La navigation continua dans des conditions meilleures, lorsque la mousson de l’est se fut régularisée. Néarque prolongea la côte des Ichthyophages, des mangeurs de poissons, tribus misérables auxquelles les pâturages manquent totalement, et qui sont forcées de nourrir leurs brebis avec les produits de la mer. La flotte commença à être éprouvée de nouveau par le manque de vivres. Elle doubla le cap Posmi. Là, Néarque prit un pilote indigène, et les vaisseaux, favorisés par quelques brises de terre, purent s’avancer rapidement. La côte était moins aride. Quelques arbres l’ornaient çà et là. Néarque arriva à une petite ville des Ichthyophages qu’il ne nomme pas, et, manquant de vivres, il s’en empara par surprise, au détriment des habitants, qui durent céder à la force.

Les vaisseaux arrivèrent à Canasida, qui n’est autre que la ville de Churbar, dont on remarque encore les ruines dans la baie de ce nom. Mais déjà le blé faisait défaut. Néarque relâcha successivement à Canate, à Trois, à Dagasira, sans trouver à refaire des vivres chez ces populations misérables. Les navigateurs n’avaient plus ni viande, ni blé, et ils ne pouvaient se décider à manger des tortues, qui sont abondantes dans ces parages.

La flotte, arrivée presque à l’entrée du golfe Persique, se trouva en présence d’un troupeau de baleines. Les matelots effrayés voulaient prendre la fuite. Mais Néarque, les encourageant par ses paroles, les entraîna contre ces monstres peu redoutables, qu’il ne tarda pas à disperser.

Les vaisseaux, parvenus à la hauteur de la Carmanie, modifièrent un peu leur direction vers l’ouest, et se tinrent davantage entre l’occident et le nord. Les rivages étaient fertiles ; partout des champs de blé et des pâturages, et toutes sortes d’arbres fruitiers, sauf des oliviers. Néarque relâcha à Badis, le Jask actuel, puis, après avoir doublé le promontoire de Maceta ou Mussendon, les navigateurs aperçurent l’entrée du golfe Persique, auquel Néarque, d’accord avec les géographes arabes, donne improprement le nom de mer Rouge.

Néarque pénétra dans le golfe, et, après une seule halte, il arriva au lieu nommé Harmozia, qui, plus tard, a donné son nom à la petite île d’Ormuz. Là, il apprit que l’armée d’Alexandre n’était pas à plus de cinq jours de marche. Il se hâta donc de débarquer, afin de rejoindre le conquérant. Celui-ci, sans nouvelle de sa flotte depuis vingt et une semaines, n’espérait plus la revoir. On conçoit sa joie quand l’amiral, alors maigri par les fatigues et méconnaissable, se présenta devant lui. Pour fêter son retour, Alexandre fit célébrer les jeux gymniques, et remercia les dieux par de grands sacrifices. Puis Néarque, voulant reprendre le commandement de sa flotte pour la conduire jusqu’à Suse, revint à Harmozia et remit à la voile après avoir invoqué Jupiter-Sauveur.

La flotte visita diverses îles, probablement les îles d’Arek et de Kismis ; peu de temps après, les vaisseaux s’échouèrent, mais la marée montante les remit à flot, et, après avoir doublé le promontoire de Bestion, ils touchèrent à Keish, île consacrée à Mercure et à Vénus. C’était là la frontière extrême de la Carmanie. Au-delà commençait la Perse. Les navires suivirent la côte persique, visitant divers points, Gillam, Indérabia, Shevou, Konkûn, Sita-Reghiau, où Néarque reçut un approvisionnement de blé envoyé par Alexandre.

Après plusieurs jours de navigation, la flotte arriva à l’embouchure du fleuve Endian, qui sépare la Perse de la Susiane. De là, elle atteignit l’embouchure d’un grand lac poissonneux, nommé Cataderbis, et qui est situé dans la contrée actuellement appelée Dorghestan. Enfin, elle mouilla devant le village babylonien de Dégéla, aux sources mêmes de l’Euphrate, après avoir reconnu toute cette côte comprise entre ce point et l’Indus. Néarque rejoignit une seconde fois Alexandre, qui le récompensa magnifiquement et le maintint dans le commandement de sa flotte. Alexandre voulait encore entreprendre la reconnaissance de toute la côte arabe jusqu’à la mer Rouge, mais la mort le frappa, et il ne fut pas donné suite à ses projets.

On croit que dans la suite Néarque devint gouverneur de Lycie et de Pamphilie. Pendant ses loisirs, il écrivit lui-même le récit de ses voyages, récit qui a péri, mais dont fort heureusement Arrien avait fait une analyse complète dans son Historia Indica. Il est probable que Néarque fut tué à la bataille d’Ipsus, laissant la réputation d’un habile navigateur, dont le voyage est un événement considérable dans l’histoire de la navigation.

Nous devons citer maintenant une tentative audacieuse qui fut faite à cette époque par Eudoxus de Cyzique, géographe qui vivait l’an 146 avant J.-C. à la cour d’Évergète II. Après avoir visité l’Égypte et les rivages de l’Inde, ce hardi aventurier eut la pensée de faire le tour de l’Afrique, qui ne devait être réellement effectué que seize cents ans plus tard par Vasco da Gama. Eudoxus fréta un grand navire et deux barcasses, et il s’aventura sur les flots inconnus de l’Atlantique. Jusqu’où conduisit-il ces navires ? ce point est difficile à déterminer. Quoi qu’il en soit, après avoir pris langue avec des naturels qu’il considéra comme des Éthiopiens, il revint en Mauritanie. De là, il passa en Ibérie, et fit les préparatifs d’un nouveau voyage de circumnavigation autour de l’Afrique. Ce voyage fut-il effectué ? on ne peut répondre, et il faut même ajouter que cet Eudoxus, en somme plus courageux que probe, a été tenu pour imposteur par un certain nombre de savants.

Deux noms nous restent à mentionner parmi les voyageurs qui s’illustrèrent avant l’ère chrétienne. Ces noms sont ceux de César et de Strabon. César, né cent ans avant J.-C., fut surtout un conquérant, dont le but n’était pas l’exploration de pays nouveaux. Rappelons seulement qu’en l’an 58 il entreprit la conquête de la Gaule, et que, pendant les dix ans que dura sa vaste entreprise, il entraîna ses légions victorieuses jusqu’aux rivages de la Grande-Bretagne, dont les provinces étaient habitées par des populations d’origine germanique.

Quant à Strabon, né en Cappadoce, 50 ans avant J.-C., il se distingua plutôt comme géographe que comme voyageur. Cependant, il parcourut l’Asie intérieure, l’Égypte, la Grèce, l’Italie, et il vécut longtemps à Rome, où il mourut dans les dernières années du règne de Tibère. Strabon a laissé une géographie divisée en dix-sept livres, qui nous est parvenue en grande partie. Cet ouvrage forme, avec celui de Ptolémée, le monument le plus important que l’antiquité ait légué aux géographes modernes.