Découverte de la Terre/Première partie/Chapitre IV/III

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J. Hetzel (1p. 96-109).
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III

Tso-cheu. — Tai-yen-fou. — Pin-yang-fou. — Le fleuve Jaune. — Si-gnan-fou. — Le Szu-tchouan. — Ching-tu-fou. — Le Thibet. — Li-kiang-fou. — Le Carajan. — Yung-chang. — Mien. — Le Bengale. — L’Annam. —LeTaï-ping. — Cintingui. — Sindi-fu. — Té-cheu. — Tsi-nan-fou. — Lin-tsin-cheu. — Lin-cing. — Le Mangi. — Yang-cheu-fou. — Villes du littoral. — Quin-say ou Hang-tcheou-fou. — Le Fo-kien.

Marco Polo, après avoir séjourné à Cambaluc, fut chargé d’une mission qui le tint éloigné de la capitale pendant quatre mois. À dix milles au delà de Cambaluc, en descendant vers le sud, il traversa le magnifique fleuve du Pe-ho-nor, qu’il appelle Pulisanghi, sur un beau pont de marbre de vingt-quatre arches et de trois cents pas de longueur, qui n’a pas son pareil dans le monde entier. À trente milles plus bas, il rencontra la ville de Tso-cheu, cité industrielle où l’on travaillait particulièrement le bois de sandal. À dix journées de Tso-cheu, il arriva dans la ville moderne de Tai-yen-fou, capitale du Shan-si, qui fut autrefois le siège d’un gouvernement indépendant. Toute cette province lui parut riche en vignes et en mûriers ; la principale industrie de la ville était alors la fabrication des harnais pour le compte de l’empereur. À sept journées au delà se trouvait la belle cité de Pianfu, aujourd’hui Pin-yang-fou, très adonnée au commerce et au travail de la soie. Marco Polo, après avoir visité cette ville, arriva sur les rives du célèbre fleuve Jaune, qu’il appelle Caramoran ou fleuve Noir, probablement à cause de la couleur de ses eaux assombries par les plantes aquatiques ; puis, à deux journées de là, il rencontra la ville de Cacianfu, dont la position moderne n’a pu être rigoureusement déterminée par les commentateurs.

Marco Polo, en quittant cette ville, où il ne vit rien qui fût digne d’être remarqué, chevaucha à travers une belle contrée, couverte de châteaux, de villes, de jardins, et très-giboyeuse. Après huit jours de marche, il arriva à la noble cité de Quengianfu, l’ancienne capitale de la dynastie des Thang, la moderne ville de Si-gnan-fou, actuellement capitale du Shen-si. Là régnait le fils de l’empereur, Mangalai, prince juste et aimé de son peuple, qui occupait, en dehors de la ville, un magnifique palais, bâti au milieu d’un parc dont le mur crénelé ne mesurait pas moins de cinq milles de circonférence.

De Si-gnan-fou, le voyageur se dirigea vers le Thibet, à travers la province moderne de Szu-tchouan, contrée montagneuse, coupée de grandes vallées, où pullulent lions, ours, loups-cerviers, daims, chevreuils et cerfs, et, après vingt-trois jours de marche, il se trouva sur les limites de la grande plaine d’Acmelec-Mangi. Ce pays est fertile ; il donne abondamment toutes sortes de productions, et particulièrement le gingembre, dont il approvisionne toute la province du Cathay. Et telle est la fertilité du sol, que, suivant un voyageur français, M. E. Simon, l’hectare s’y vend actuellement 30,000 francs, soit trois francs le mètre. Au treizième siècle, cette plaine était couverte de villes et de châteaux, et les habitants y vivaient des fruits de la terre, du produit des bestiaux et du gibier, qui fournissait aux chasseurs une proie abondante et facile.

Marco Polo atteignit alors la capitale de la province de Szu-tchouan, Sindafu, la moderne Ching-tu-fou, dont la population dépasse actuellement quinze cent mille habitants. Sindafu, mesurant alors vingt milles de tour, était divisée en trois parties, entourées d’un mur particulier, et dont chacune avait un roi avant que Kublaï-Khan s’en fût emparé. Cette ville était traversée par le grand fleuve poissonneux du Kiang, large comme une mer, dont les eaux étaient sillonnées par une incroyable quantité de navires. Ce fut après avoir quitté cette cité commerçante et industrieuse que Marco Polo, après cinq journées de marche à travers de vastes forêts, arriva à cette province de Thibet, qu’il dit « être moult désolée, car elle fut détruite par la guerre. »

Ce Thibet est peuplé de lions, d’ours et d’animaux féroces, dont les voyageurs se défendraient difficilement, s’il n’y poussait une quantité considérable de ces cannes merveilleusement grosses et grandes, qui ne sont autres que des bambous. En effet, « les marchands et les voyageurs qui parcourent ces contrées la nuit prennent de ces cannes et en font un grand feu, parce que, quand elles brûlent, elles font un tel bruit et de tels craquements, que les lions, les ours et les autres bêtes fauves, épouvantés, se sauvent au loin, et ne s’approcheraient du feu pour rien au monde ; les voyageurs font donc ce feu pour préserver leurs animaux des bêtes fauves, qui sont très-communes dans ce pays. Or, voici comment se produit ce grand bruit : on prend de ces cannes toutes vertes, et on en met plusieurs dans un feu de bois ; au bout d’un certain temps qu’elles sont dans le feu, elles se tortillent et se fendent par la moitié, avec un tel bruit que, la nuit, on l’entend bien à dix milles de loin. Et quand on n’est pas accoutumé à ce bruit, on en demeure tout ébahi, tant c’est horrible à entendre : les chevaux qui ne l’ont jamais entendu en sont tellement effrayés qu’ils rompent cordes et licols et prennent la fuite, ce qui arrive souvent ; mais, quand on sait qu’ils ne sont pas aguerris à ce bruit, on leur bande les yeux et on leur lie les quatre pieds, de sorte que, lorsqu’ils entendent ce grand bruit, ils ne peuvent s’enfuir. C’est de cette manière que les hommes échappent, eux et leurs bêtes, aux lions, ours et autres mauvaises bêtes, qui sont très-nombreuses en ce pays. » Le procédé relaté par Marco Polo est encore employé dans les contrées qui produisent le bambou, et, véritablement, le crépitement de ces cannes dévorées par les flammes peut se comparer aux plus violentes pétarades d’un feu d’artifice.

Suivant la relation du voyageur vénitien, le Thibet est une très-grande province, qui a son langage particulier, et dont les habitants idolâtres forment une race de redoutables voleurs. Elle est traversée par un fleuve important, le Khin-cha-kiang, aux sables aurifères. On y recueille en grande quantité du corail, dont les idoles et les femmes du pays font une notable consommation. Le Thibet était alors sous la domination du grand khan.

Marco Polo, en quittant Sindafu, avait pris direction vers l’ouest. Il traversa ainsi le royaume de Gaindu et il arriva probablement à Li-kiang-fou, capitale de cette contrée qui forme aujourd’hui le pays de Si-mong. Dans cette province, il visita un beau lac qui produisait des huîtres perlières, dont la pêche était réservée à l’empereur. C’est un pays où le girofle, le gingembre, la cannelle et autres épices donnent d’abondantes récoltes.

En quittant le royaume de Gaindu, et après avoir traversé un grand fleuve, peut-être l’Irraouady, Marco Polo, revenant franchement au sud-est, pénétra dans la province de Carajan, région que forme probablement la partie nord-ouest de l’Yun-nan. Suivant lui, les habitants de cette province, presque tous cavaliers, vivraient de la chair crue des poules, des moutons, des buffles et des bœufs, ce mode d’alimentation serait général, et les riches assaisonneraient seulement la chair crue d’une sauce à l’ail et de bonnes épices. Ce royaume était aussi fréquenté par de grandes couleuvres et de grands serpents hideux à voir. Ces reptiles, — vraisemblablement des alligators, — étaient longs de dix pas ; ils avaient deux jambes, armées d’un ongle, placées en avant près de leur tête, qui était démesurément grande, et dont la gueule pouvait engloutir un homme d’un seul coup.

A cinq journées à l’ouest de Carajan, Marco Polo, faisant de nouveau route vers le sud, entra dans la province de Zardandan, dont la capitale, Nocian, forme la ville moderne de Yung-chang. Tous les habitants de cette cité avaient des dents d’or, c’est-à-dire que la mode était alors de recouvrir leurs dents de petites lames d’or, qu’ils enlevaient lorsqu’ils voulaient manger. Les hommes de cette province, tous chevaliers, ne font que « oiseler, chasser et aller en guerre ; » les ouvrages pénibles sont dévolus soit aux femmes, soit aux esclaves. Ces Zardandaniens n’ont ni idoles ni églises, mais ils adorent le plus âgé de la famille, c’est-à-dire l’ancêtre, le patriarche. Le règlement de leurs fournisseurs se fait au moyen de coches semblables à celles dont se servent les boulangers de France. Ils n’ont point de médecins, mais seulement des enchanteurs qui sautent, dansent et jouent des instruments auprès du malade jusqu’à ce qu’il meure ou qu’il guérisse.

En quittant la province des hommes aux dents d’or, Marco Polo, suivant pendant deux jours cette grande route qui sert au trafic entre l’Inde et l’Indo-Chine, passa par Bamo, où se tenait, trois fois la semaine, un grand marché qui attire les marchands des pays les plus éloignés. Après avoir chevauché pendant quinze jours au milieu de forêts remplies d’éléphants, de licornes et autres animaux sauvages, il atteignit la grande cité de Mien, c’est-à-dire cette partie du haut Birman dont la capitale actuelle, de construction récente, est nommée Amrapoura. Cette cité de Mien, qui fut peut-être l’ancienne villa d’Ava, maintenant ruinée, ou la vieille Paghan, située sur l’Irraouady, possédait une véritable merveille architecturale ; c’étaient deux tours, l’une construite en belles pierres et recouverte en entier d’une lame d’or de l’épaisseur d’un doigt, et l’autre revêtue d’une lame d’argent, toutes deux destinées à servir de tombeau au roi de Mien, avant que son royaume ne fût tombé au pouvoir du khan.

Après avoir visité cette province, Marco Polo descendit jusqu’au Bangala, le Bengale actuel, qui à cette époque, en 1290, n’appartenait pas encore à Kublaï-Khan. Les armées de l’empereur s’occupaient alors de conquérir ce pays fertile, riche en coton, en gingembre, en cannes à sucre, et dont les magnifiques bœufs égalaient des éléphants par leur taille. Puis, de là, le voyageur s’aventura jusqu’à la cité de Cancigu, dans la province de ce nom, probablement la ville actuelle de Kassay. Les habitants de ce royaume se tatouaient le corps, et, au moyen d’aiguilles, ils dessinaient sur leur visage, leur cou, leur ventre, leurs mains, leurs jambes, des images de lions, de dragons et d’oiseaux, regardant comme le plus beau des êtres humains celui qui portait ainsi le plus grand nombre de ces peintures.

Cancigu est le point extrême atteint dans le sud par Marco Polo pendant ce voyage. À partir de cette cité, il remonta vers le nord-est, et par le pays d’Amu, l’An-nâm et le Ton-kin actuel, qu’il atteignit après quinze journées de marche, il arriva dans la province de Toloman, aujourd’hui le département de Taï-ping. Là, il trouva ces beaux hommes, bruns de peau, ces vaillants guerriers qui ont couronné leurs montagnes de châteaux forts, et dont la nourriture habituelle est la chair des animaux, le lait, le riz et les épices.

En quittant Toloman, Marco Polo suivit pendant douze jours un fleuve bordé de nombreuses villes. Ici, M. Charton fait justement observer que le voyageur s’éloigne du pays connu sous le nom de l’Inde au delà du Gange, et qu’il retourne vers la Chine. En effet, après avoir laissé Toloman, Marco Polo visita la province de Guigui ou Chintingui, et sa capitale qui porte le même nom. Ce qui le frappa le plus dans cette contrée, — et on est fondé à croire que le hardi explorateur était aussi un chasseur déterminé, — ce fut le grand nombre de lions qui parcouraient les plaines et les montagnes. Seulement, les commentateurs sont d’accord sur ce point que les lions de Marco Polo devaient être des tigres, car il n’y a pas de lions en Chine. Voici, pourtant, ce qu’en dit la relation : « Il y a tant de lions en ce pays, qu’on ne peut dormir hors de sa maison sans danger d’être dévoré. Et même quand on va sur le fleuve, et que la nuit on s’arrête quelque part, il faut avoir soin de dormir loin de la terre, car sans cela les lions viennent jusqu’à la barque, se saisissent d’un homme et le dévorent. Et les habitants, qui savent cela, ont bien soin de s’en garder. Ces lions sont très-grands et très-dangereux ; mais ce qui est merveilleux, c’est qu’en cette contrée il y a des chiens qui ont la hardiesse d’assaillir des lions, mais il faut qu’ils soient deux, car un homme et deux chiens viennent à bout d’un grand lion. »

De cette province, Marco Polo remonta directement à Sindiu, la capitale de la province de Szu-tchouan, d’où il s’était élancé pour accomplir son excursion dans la Thibet et, reprenant la route déjà parcourue, il revint près de Kublaï-Khan, après avoir heureusement terminé sa mission dans l’Indo-Chine. Il est vraisemblable qu’alors Marco Polo fut chargé par l’empereur d’une autre mission dans la partie sud-est de la Chine, « la partie la plus riche et la plus commerçante de ce vaste empire, dit M. Pauthier dans son bel ouvrage sur le voyageur vénitien, et celle aussi sur laquelle, depuis le seizième siècle, on a obtenu en Europe le plus de renseignements. »

A s’en rapporter à l’itinéraire tracé sur la carte de M. Pauthier, Marco Polo, en quittant Cambaluc, se dirigea au midi vers l’industrieuse cité de Ciangli, probablement la ville de Té-cheu, et, à six journées de là, vers Condinfu, la cité actuelle de Tsi-nan-fou, capitale de la province de Chan-toung, où naquit Confucius. C’était alors une grande ville, la plus noble de toutes ces contrées, très-visitée par les marchands de soie, et dont les merveilleux jardins produisaient une grande quantité de fruits excellents. À trois journées de marche de Condinfu, Marco Polo trouva la ville de Lin-tsin-cheu, située au commencement du grand canal de Yun-no, et lieu de rendez-vous des innombrables bâtiments qui portent tant de marchandises dans les provinces du Mangi et du Cathay. Huit jouis après, il traversait Ligui, qui parait correspondre à la ville actuelle de Ling-cing, la ville de Pi-ceu, cité commerçante de la province de Tchiangsu, puis la ville de Cingui, et il arrivait à ce Caramoran, ce fleuve Jaune qu’il avait déjà traversé dans son cours supérieur quand il se dirigeait vers l’Indo-Chine. En cet endroit, Marco Polo n’était pas à plus d’une lieue de l’embouchure de cette grande artère chinoise. Après l’avoir franchie, le voyageur se trouva dans la province de Mangi, territoire désigné sous le nom d’empire des Song.

Ce royaume de Mangi, avant d’appartenir à Kublaï-Khan, était gouverné par un roi pacifique, qui n’aimait pas les cruels hasards de la guerre, et qui se montrait compatissant pour les malheureux. Voici en quels termes Marco Polo en parle, et il le fait de si bonne façon que nous voulons donner le texte même de son récit. « Ce dernier empereur de la dynastie des Song pouvait tellement dépenser, que c’était prodigieux ; et je vous raconterai de lui deux traits bien nobles. Chaque année, il faisait nourrir bien vingt mille petits enfants ; car c’est la coutume, en ces provinces, que les pauvres femmes jettent leurs enfants dès qu’ils sont nés, quand elles ne peuvent les nourrir. Le roi les faisait tous prendre, puis faisait inscrire sous quel signe et sous quelle planète ils étaient nés, puis les donnait à nourrir en divers lieux, car il y a des nourrices en quantité. Quand un riche homme n’avait pas de fils, il venait au roi et s’en faisait donner tant qu’il voulait, et ceux qu’il aimait le mieux. Puis le roi, quand les garçons et les filles étaient en âge d’être mariés, les mariait ensemble et leur donnait de quoi vivre ; et de cette manière, chaque année il en élevait bien vingt mille, tant mâles que femelles. Quand il allait par quelque chemin et qu’il voyait une petite maison au milieu de deux grandes, il demandait pourquoi cette petite maison n’était pas aussi grande que les autres, et si on lui disait que c’était parce qu’elle était à un pauvre homme qui ne pouvait la faire bâtir, il la faisait aussitôt faire aussi belle et aussi haute que les autres. Ce roi se faisait toujours servir par mille damoiseaux et mille damoiselles. Il maintenait une justice si sévère en son royaume, que jamais il ne s’y commettait aucun crime ; la nuit, les maisons des marchands restaient ouvertes, et nul n’y prenait rien ; l’on pouvait aussi bien voyager de nuit que de jour. »

À l’entrée de la province du Mangi, Marco Polo rencontra la ville de Coigangui, actuellement Hoaï-gnan-fou, qui est située sur les bords du fleuve Jaune, et dont la principale industrie est la fabrication du sel qu’elle tire de ses marais salants. À une journée de cette ville, en suivant une chaussée construite en belles pierres, le voyageur atteignit la cité de Pau-in-chen, renommée pour ses draps d’or, la ville de Caiu, actuellement Kao-yu, dont les habitants sont habiles pêcheurs et chasseurs, puis la cité de Tai-cheu, où viennent des navires en grand nombre, et il arriva enfin dans la cité de Yangui.

Cette cité de Yangui, c’est la moderne Yang-che-fou, dont Marco Polo fut gouverneur pendant trois ans. C’est une ville très-populeuse et très-commerçante, qui ne mesure pas moins de deux lieues de tour. Ce fut de Yangui que Marco Polo partit pour diverses explorations qui lui permirent d’étudier si minutieusement les villes du littoral et de l’intérieur.

Tout d’abord, le voyageur se dirigea vers l’ouest et atteignit la ville de Nanghin, qu’il ne faut pas confondre avec le Nan-king actuel. Son nom moderne est Ngan-khing ; elle est située dans une province extrêmement fertile. Marco Polo, s’enfonçant plus avant dans la même direction, arriva à Saianfu, la ville moderne de Siang-yang, bâtie dans la partie septentrionale de la province de Hu-kuang. Ce fut la dernière ville du Mangi qui résista à la domination de Kublaï-Khan. L’empereur en fit le siège pendant trois ans, et il ne s’empara de cette ville si bien défendue que grâce au concours des trois Polo, qui construisirent des balistes puissantes et écrasèrent les assiégés sous une grêle de pierres, dont quelques-unes pesaient jusqu’à trois cents livres.

De Saianfu, Marco Polo revint sur ses pas, afin d’explorer les villes du littoral. Il rentra sans doute à Yang-tcheou. Il visita Singui (Kiu-kiang), située sur le Kiang, large d’une lieue en cet endroit, et qui reçoit jusqu’à cinq mille navires à la fois, Kain-gui, qui approvisionne de blé la plus grande partie de la cour de l’empereur, Cinghianfu (Chingiam), où se voyaient deux églises de chrétiens nestoriens, Cinguigui, maintenant Tchang-tcheou-fou, cité commerçante et industrielle, et Singui, actuellement Sou-tcheou ou Su-cheu, grande ville dont la circonférence est de six lieues, et qui, suivant la relation très-exagérée du voyageur vénitien, ne possédait pas alors moins de six mille ponts.

Après avoir séjourné quelque temps à Vugui, probablement Hou-tcheou-fou, et à Ciangan, aujourd’hui Kia-hing, Marco Polo, après trois journées de marche, entra dans la noble cité de Quinsay. Ce nom signifie la « Cité du ciel, » et cette importante capitale s’appelle maintenant Hang-tcheou-fou. Elle a six lieues de tour ; elle est traversée par le fleuve Tsien-tang-kiang, qui, en se ramifiant à l’infini, fait de Quinsay une autre Venise. Cette ancienne capitale des Song est presque aussi peuplée que Péking ; ses rues sont pavées en pierres et en briques ; on y compte, suivant Marco Polo, « six cent mille maisons, quatre mille établissements de bains et douze mille ponts en pierre. » Dans cette cité vivent les plus riches marchands du monde avec leurs femmes, qui sont « de belles et angéliques créatures. » C’est la résidence d’un vice-roi, qui gouverne pour le compte de l’empereur plus de cent quarante cités. On y voyait encore le palais souverain du Mangi, entouré de beaux jardins, de lacs, de fontaines, et qui renferme plus de mille chambres. Le grand khan tire de cette ville et de la province des revenus immenses, et c’est par millions de francs qu’il faut chiffrer le rendement du sel, du sucre, des épices et de la soie, qui forment les principales productions du pays.

A une journée au sud de Quinsay, après avoir parcouru un pays charmant, Marco Polo visita Tanpigui (Chao-hing-fou), Vugui (Hou-tcheou), Ghengui (Kui-tcheou), Cianscian (Yen-tcheou-fou suivant M. Charton, Souï-tchang-fou suivant M. Pauthier), et Cugui (Kiou-tcheou), la dernière ville du royaume de Quinsay, puis il entra dans le royaume de Fugui, dont la ville principale, du même nom, est aujourd’hui Fou-cheu-fou, la capitale de la province de Fo-kien. Suivant lui, les habitants de ce royaume seraient des hommes d’armes cruels, qui n’épargnent jamais leurs ennemis et qui boivent leur sang et mangent leur chair. Après avoir traversé Quenlifu (Kien-ning-fou) et Un-guen, Marco Polo fit son entrée dans la capitale Fugui, vraisemblablement la ville moderne de Kuangcheou, notre Canton, qui fait un très-grand commerce de perles et de pierres précieuses, et, après cinq journées de marche, il atteignit le port de Zaitem, très-probablement la ville chinoise de Tsuen-tcheou, point extrême visité par lui dans cette exploration de la Chine sud-orientale.