Découverte des mines du roi Salomon/Chapitre XV. Départ du pays des Koukouanas
CHAPITRE XV
départ du pays des koukouanas
Quelques jours après notre sortie extraordinaire des régions ténébreuses où nous avions désespéré de la vie, nous étions de retour dans nos anciens quartiers. Avant de quitter la montagne, nous voulûmes revoir la grotte mortuaire des rois et essayer de ravir son secret à cette porte étrange. Maintenant que nous étions dehors, libres, respirant à pleins poumons l’air parfumé qui flottait sur les montagnes, nous ne pensions plus tant à la vanité des richesses ; nous ne disions plus de mal des diamants. Si cette porte de granit s’était de nouveau levée, nous livrant libre accès aux trésors, je n’ose pas dire que notre cupidité réveillée ne nous eût pas poussés à nous en approprier autant que possible ; mais l’embarras du choix ne se présenta pas. Nous ne découvrîmes pas la moindre fissure dans le roc, pas la plus petite fente à l’endroit où nous pensions qu’était la porte ; la masse rocheuse et uniforme ne nous divulgua pas trace de son secret. Nous dûmes ressortir aussi ignorants qu’à notre entrée. Les trésors ensevelis dans la montagne sont là pour jamais avec le corps de cette jeune fille, morte si malheureusement.
Ensuite, nous essayâmes de retrouver le trou de chacal qui nous avait si bien servi. Autant chercher une aiguille dans un tas de foin. Il y avait des centaines de trous identiques. Les buissons s’étaient redressés après notre chute, rien ne distinguait un trou d’un autre. Force nous était d’abandonner notre recherche. Nous n’avions pas encore trop le droit de nous plaindre ; mes poches étaient pleines de diamants, et, quoique, en dégringolant du puits, j’en eusse perdu beaucoup, il m’en restait encore considérablement. Je n’aurais pas échangé mon vieux paletot ainsi garni contre son poids d’or.
À notre retour à Loo, Ignosi nous reçut avec sa cordiale affection. Il écouta, étonné, l’histoire de la mort de Gagoul et celle de notre merveilleuse délivrance.
« Je suis heureux, dit-il, de savoir que cette maudite sorcière est morte. Elle a été trop longtemps la plaie du pays ; elle n’a jamais cherché qu’à semer les querelles ; son bonheur était de faire couler le sang. Elle a trouvé sa juste récompense en périssant dans le piège qu’elle vous avait tendu. Tant mieux, nous aurons la paix maintenant.
— À présent, Ignosi, dis-je, nous voudrions retourner dans notre pays. Tu es venu ici avec nous comme un simple serviteur, et nous te laissons roi puissant d’un peuple soumis. Par attachement à notre souvenir et en reconnaissance de notre aide, applique-toi à bien gouverner, avec justice, sagesse, modération ; respecte la vie de tes semblables ; sois heureux, prospère, et vis longtemps dans ta patrie reconquise. »
Le roi cacha sa figure dans ses mains et après un assez long silence, il dit :
« Tes paroles, Macoumazahne, déchirent mon cœur. Pourquoi voulez-vous me quitter ? Vous ai-je manqué dans quelque chose ? Que vous ai-je fait ? Quoi ! dans les jours de l’adversité, vous m’avez soutenu et aidé ; puis, quand la paix succède aux jours difficiles, vous voulez me quitter ! Non, mes pères blancs, restez avec moi. Tout ce qui est à moi est à vous. Désirez-vous des terres, du bétail, des serviteurs, des servantes ? Prenez ce que vous voulez. Vous faut-il une demeure telle que les habitations des pays civilisés ? On vous en fera une sous vos ordres. Vous voyez, le pays est bon, beau, giboyeux ; habitez-y ; je ferai tout pour vous rendre heureux.
— Merci, roi Ignosi, tout ce que tu nous offres est excellent, mais nous voulons revoir notre patrie.
— Oh ! reprit-il avec amertume, je vois ce que c’est ! Vous ne vouliez que des diamants ! Vous en avez trouvé et vous les préférez à votre ami. Vous êtes avides de richesses comme sont tous les blancs. Vous vendrez les diamants et vous oublierez Ignosi dans votre vie large et joyeuse. Maudites soient ces pierres ! Je prononce sentence de mort contre quiconque en trafiquera dans mon pays ! Allez ! hommes blancs, vous aurez une escorte. Vous pourrez partir quand vous voudrez. J’ai dit.
— Ignosi ! dis-je, en posant affectueusement ma main sur la sienne, te rappelles-tu comment ton cœur languissait quand tu étais à Natal ? Tu soupirais après le lieu de ta naissance, et tous les attraits de nos villes civilisées ne pouvaient te détourner de l’inclination qui te portait vers la terre des Koukouanas. De même, notre cœur se tourne vers notre patrie ; nous avons besoin de la revoir ; c’est là que j’ai un fils ; pourquoi son père l’abandonnerait-il ? »
Ignosi, amolli, baissait la tête pendant que je parlais.
« Tu dis la vérité, Macoumazahne ; tes paroles sont pleines de sagesse. Je comprends que vous désiriez revoir votre patrie. Allez donc ! mon triste cœur restera plein de votre souvenir, car, pour moi, vous serez comme morts ; jamais plus je n’entendrai parler de vous. Mais quand l’âge aura blanchi vos cheveux, et que, tout frissonnants, accroupis près du feu, parce que le soleil aura perdu sa chaleur, vous regarderez en arrière, aux jours écoulés, pensez à ceux que nous avons passés ensemble. Dans votre esprit, vous reverrez ce combat où nous avons vaincu les forces de Touala, et toi, ô Incoubou, tu te rappelleras comment tu as brisé la force du taureau sauvage, et comment tu l’as abattu sous tes coups. Maintenant, mes seigneurs et mes amis, allez, avant que mes yeux ne se fondent en ruisseaux de larmes ! Adieu pour toujours. Incoubou, Macoumazahne, Bougouen ! soyez heureux dans le pays de vos pères ! Adieu ! »
Il se leva, s’approcha de nous, nous regarda longuement comme pour graver nos traits dans sa mémoire ; après quoi, il se voila la face en jetant le pan de son manteau sur sa tête, afin de ne plus nous voir.
Nous nous éloignâmes en silence.
Ignosi n’était qu’un sauvage, et nos existences n’avaient pas été longtemps associées ; cependant, cette séparation nous serra le cœur. Nous regagnâmes notre kraal sans pouvoir parler.
Le lendemain, à l’aurore, nous partions. Infadous nous accompagnait avec une bonne escorte : le régiment des Buffles. Quoique l’heure fût matinale, la ville était éveillée et fourmillait de braves indigènes sortis pour nous voir une dernière fois. Les hommes nous saluèrent, et les femmes, en nous bénissant, nous jetaient des fleurs. Cette ovation spontanée et inattendue nous toucha vivement.
Infadous nous conduisit à une passe à travers la montagne, au nord de la route de Salomon. C’était un chemin beaucoup plus facile que celui que nous avions suivi pour venir. Les chasseurs du pays le prennent quand ils poursuivent l’autruche dans les sables arides où elle vagabonde. Ses plumes sont l’objet d’un trafic très actif. Infadous nous apprit que des chasseurs avaient connaissance d’une oasis fertile à une certaine distance, et il nous conseilla de marcher dans cette direction. L’idée nous parut bonne. Les chasseurs qui se trouvaient dans l’escorte assuraient que, de l’oasis, nous gagnerions facilement les terres habitables. Nous supposâmes alors que la mère d’Ignosi avait pris cette route pour quitter le pays lorsqu’elle fuyait Touala et Gagoul ; par cette voie, la délivrance de cette femme n’avait rien d’extraordinaire.
En voyageant sans nous presser, nous arrivâmes, le quatrième jour, à la muraille montagneuse qui sépare le pays des Koukouanas du désert. Devant nous rayonnait l’immensité des vagues sablonneuses. On nous indiqua la pente rapide que nous avions à descendre et nous nous séparâmes de notre brave et loyal ami Infadous. Il nous quitta en nous souhaitant mille bonnes chances, et, tout vieux guerrier qu’il était, il avait des larmes dans la voix.
« Jamais, ô mes seigneurs, disait-il, je ne reverrai vos semblables ! Jamais mes yeux ne contempleront vos pareils. Oh ! comme Incoubou abattait les hommes à la guerre ! De quel coup il fit rouler la tête de Touala ! C’était un coup de maître ! Même dans mes rêves, je ne verrai rien qui le surpasse. »
Nous ne pouvions rester insensibles à une si affectueuse manifestation. Good en fut tellement touché qu’il voulut offrir un souvenir au vieux chef. Il alla jusqu’à lui faire le sacrifice de son monocle. Rassurez-vous, Good ne fut pas dépouillé de son ornement indispensable. Nous sûmes alors qu’il en avait un de rechange, dans quelque retraite ignorée. Infadous apprécia ce don à sa juste valeur. Il vit immédiatement de quel prestige cet appendice rare allait le rehausser parmi ses compatriotes. Après quelques essais infructueux, il réussit à l’encadrer dans son arcade sourcilière, et la satisfaction du vieux guerrier fut à son comble. C’était un comble aussi de voir ce vieux sauvage avec cet ornement disparate. Non, décidément les monocles ne cadrent pas avec les costumes de peaux de léopard, les plumes d’autruche, les ceintures et les genouillères de queues de bœuf.
Bref, bien renseignés, approvisionnés d’eau, nous serrâmes la main au chef et nous le quittâmes, suivis du bruyant salut des Buffles.
Nos pérégrinations recommencèrent. La descente était rude ; malgré cela, le soleil couchant nous trouva campés sains et saufs au bas de la montagne.
Le soir, près du feu, sir Henry dit :
« Nous n’aurions pas été trop malheureux chez ces sauvages, après tout. Qui sait si les pays civilisés nous seront aussi favorables !
— J’ai bonne envie d’y retourner, vraiment, dit Good ; nos propres compatriotes ne nous feront pas tant d’accueil, à coup sûr.
— Pour moi, dis-je, j’avoue que tout est bien qui finit bien. Ma vie a été accidentée ; mais je n’ai jamais vu rien de comparable à cette bataille. Le souvenir de Touala me fait encore l’effet d’un cauchemar, et, quant à ce séjour dans la montagne, le mieux est de n’y plus penser. »
Le lendemain, nous reprîmes notre marche. Le matin du troisième jour, nous distinguions les arbres de l’oasis. Avant le coucher du soleil, nos pieds brûlants foulaient l’herbe verte, et nous nous désaltérions au courant d’eau fraîche qui fertilise cette oasis.