Découverte des mines du roi Salomon/Chapitre XVI. Retrouvé

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Traduction par C. Lemaire.
Hetzel (p. 247-259).


CHAPITRE XVI

retrouvé


L’oasis nous parut charmante. Nous voulûmes l’explorer pour trouver un gîte où passer la nuit. J’ouvrais la marche ; j’étais même assez loin de mes camarades et je suivais sans inquiétude le joli ruisseau qui traverse la petite nappe de verdure et se perd dans le sable un peu plus loin. Tout à coup, je m’arrêtai. Devant moi se dressait une fort jolie hutte, située dans un site charmant et adossée à un énorme figuier. Elle était faite, à la façon des Cafres, en osier et en herbes séchées ; seulement, au lieu du trou rond habituel, une belle grande porte donnait accès à l’intérieur de l’habitation rustique.

Était-ce une hallucination de mon cerveau surchauffé par le soleil du désert, ou était-ce une réalité ? Je restais debout, me frottant les yeux, essayant de me rendre compte.

« Comment peut-il y avoir une hutte ici ? » pensai-je.

L’interrogation n’était pas terminée dans mon esprit, qu’un personnage couvert d’une peau de bête sauvage, parut sur la porte. Il était de taille moyenne ; sa longue barbe et ses cheveux étaient noirs : c’était un homme blanc ! Il fit quelques pas en me voyant ; je remarquai qu’il boitait. Un chasseur, surtout un blanc, ne serait pas venu s’établir dans un endroit pareil ! Décidément, mon esprit mal équilibré divaguait. Mes amis arrivaient juste à ce moment.

« Voyez donc ! m’écriai-je en me tournant vers eux et indiquant la hutte, suis-je le jouet d’une illusion, ou bien y a-t-il là, devant nous, un homme blanc sur le seuil de la porte de cette cabane ? »

Sir Henry et Good avaient suivi ma main ; le blanc se précipita vers nous, c’est-à-dire que la hâte était dans son intention évidente, car son infirmité l’entravait péniblement. Lorsqu’il fut tout près, il tomba devant nous comme évanoui. Sir Henry se jeta sur lui avec un cri :

« Ciel ! c’est mon frère ! »

Au son de nos voix, un autre individu, couvert de peau aussi, parut au seuil de la hutte ; il s’élança vers nous, un fusil à la main, pour venir défendre son compagnon. Mais en approchant il poussa une exclamation :

« Macoumazahne ! tu ne me reconnais donc pas ? Je suis Jim le chasseur ! »

Il se roulait devant moi comme une bête, pleurant de joie.

« J’ai perdu le billet que tu m’avais remis, reprit-il. Je ne sais pas si nous avons pris le bon chemin ; mais cela ne fait rien, car il y a bientôt deux ans que nous ne pouvons sortir d’ici.

— Misérable ! lui dis-je, tu mérites d’être pendu pour avoir perdu ce billet ; mais, si tu es confiné ici depuis deux ans, tu as expié ta faute. »

Pendant que Jim m’occupait, l’homme à la barbe noire s’était relevé. Sir Henry et lui s’étaient pris par la main, et, après une longue et pénible absence, ni l’un ni l’autre ne trouvait rien à dire. De leur querelle, il ne fut pas même question. Dans la joie du revoir, tout était oublié.

Au bout d’un moment, sir Henry, redevenu maître de lui, dit :

« Pauvre Georges, je vous croyais mort ! Je viens d’explorer les montagnes de Salomon, en quête de vous, et, sachant que vous n’étiez pas arrivé jusque-là, j’ai cru que vous aviez péri dans le désert. J’avais abandonné tout espoir, et voici que, par un hasard miraculeux, nous vous retrouvons perdu dans ce coin solitaire.

— Il y a quelque chose comme deux ans, dit Georges, avec l’hésitation de ceux qui n’ont plus l’usage de leur langue, que j’ai quitté les pays civilisés pour aller faire fortune aux montagnes de Salomon. Je suis arrivé jusqu’ici sans trop de peine, et déjà j’augurais bien de mon expédition ; mais le malheur voulut que, le jour même de notre arrivée ici, une grosse pierre m’écrasait la jambe, et je n’ai plus été capable de marcher.

— Monsieur Neville, dis-je en me présentant alors, vous ne me reconnaissez pas.

— Tiens ! Tiens ! Mais si ! Certainement je vous reconnais, monsieur Quatremain ! Et ça ? mais c’est Good ! Si je m’attendais à une pareille rencontre dans un pays perdu comme celui-ci ! Je croyais ne plus revoir une figure connue ; tous les bonheurs viennent à la fois ! »

Ce soir-là, quand nous fûmes restaurés, Georges Curtis nous raconta ses aventures ; je les résume en quelques lignes : Mon billet étant perdu, il n’en avait pas été question. Sur les données des indigènes, Georges Curtis avait pris la route qui mène à la passe accessible d’où nous venions de descendre, et c’est assurément le meilleur chemin. Après bien des incidents, cependant, et beaucoup de souffrances, le voyageur était arrivé à cette oasis ; il s’imaginait que son voyage était accompli, quand le malheureux Jim, en tirant une pierre derrière laquelle se trouvait un nid de ces abeilles sans aiguillon, communes en Afrique, un quartier de roche ébranlé avait roulé juste sur le pauvre Curtis. Malgré tout son courage, Curtis, la jambe écrasée, avait dû rester où l’accident l’avait surpris. Depuis cette époque, il avait vécu en Robinson, avec Jim pour Vendredi. Sa jambe ne guérissait pas, et il n’y avait pas à songer à traverser les sables brûlants dans ces conditions.

Sauf la solitude, ils n’avaient pas eu à se plaindre. Ils avaient, par manière de distraction, cultivé un peu de terrain ; les bêtes fauves qui venaient se désaltérer au ruisseau, fournissaient leur table de rôtis nombreux et succulents ; leur provision de munitions était encore abondante ; du reste, ils en avaient été économes et n’avaient pas négligé l’emploi des pièges. Leur garde-robe européenne avait depuis longtemps dû être renouvelée, et les peaux des animaux tués avaient été fort utiles aux deux solitaires. Ils avaient longtemps espéré que les chasseurs d’autruches viendraient camper dans leur oasis ; mais jusque-là aucun être humain n’avait interrompu la monotonie de leur exil.

« Nous avions résolu, ajouta Georges en terminant, que Jim irait demain au kraal de Sitanda chercher du secours, tant nous étions fatigués de cette vie ; mais j’étais convaincu que je ne le verrais plus et que je mourrais seul, oublié et misérable, dans cet endroit abandonné.

— Vos pronostics sont comme les rêves, dit sir Henry, il faut les interpréter à rebours. Car, non seulement vous ne mourrez pas oublié ici, mais j’espère bien qu’une fois de retour dans notre pays, vous me ferez le plaisir d’y vivre longtemps. »

Sir Henry raconta ensuite nos aventures à son frère.

« Vous n’avez pas tout perdu, dit Georges, quand sir Henry lui eut raconté notre trouvaille de diamants, car vous voilà riches.

— Oh ! dit sir Henry, moi, pas plus qu’avant ! Tout cela, nous l’avons stipulé d’avance, appartient à Quatremain et à Good. Vous savez bien que je n’en ai pas besoin ; mes revenus suffisent à mes dépenses. Je n’ai pas d’ambition et ne convoite rien de plus. »

Sir Henry avait toujours refusé de partager notre butin ; mais, après beaucoup d’insistance de notre part, il consentit à en accepter le tiers pour son frère. Le pauvre garçon avait encore plus souffert que nous, et il n’avait rien gagné à son voyage d’exploration.

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Il me semble qu’il est temps de poser la plume. J’ajoute seulement que notre voyage de retour n’alla pas sur des roulettes. Nous aurions déjà eu beaucoup de peine chacun pour son compte personnel ; mais ce que nous endurâmes de fatigue à cause du pauvre Georges, c’est inouï. Il était très faible ; sa jambe n’était qu’une plaie, qu’aggravaient la chaleur et la marche. L’un de nous devait toujours le soutenir, et notre voyage à travers le désert dura presque le double du temps nécessaire. Cependant ce voyage-là aussi eut un terme. Nous arrivâmes harassés, mais tous vivants, au kraal de Sitanda. Le vieux coquin qui avait nos bagages en dépôt, fut désagréablement surpris de notre retour ; il avait déjà calculé quel profit il allait tirer de nos dépouilles, et il regretta sincèrement que nos os ne fussent pas restés à blanchir au soleil. Nous laissâmes Georges Curtis se refaire un peu, en compagnie de son frère, au kraal de Sitanda ; puis nous reprîmes le chemin de la patrie. Six mois après, j’étais réintégré à Durban, dans ma maisonnette au bord de la Bérée.

C’est de là que j’envoie mes adieux aux lecteurs bienveillants qui m’ont accompagné dans ce voyage qui fut l’épisode le plus extraordinaire d’une existence pourtant fort accidentée.

Je finissais les dernières lignes, quand je vis un Cafre qui courait le long de mon avenue d’orangers ; il portait une lettre au bout d’un bâton fendu. Cette lettre est de sir Henry ; je la transcris.


Cher ami,


« Vous avez déjà dû recevoir, par le dernier paquebot, un mot pour vous avertir de notre heureuse arrivée. Aujourd’hui je vais vous donner des nouvelles plus détaillées.

« Notre traversée fut excellente ; mon frère s’en trouva bien, et, puisque je suis sur son chapitre, je vous dirai que les médecins espèrent le guérir complètement ; il boitera cependant toujours. Aussitôt débarqués à Southampton, nous n’eûmes rien de si pressé que de faire un tour en ville. Good n’attendit pas au lendemain pour paraître habillé de neuf, rasé, coiffé, ganté, parfumé, paré d’un nouveau monocle. Au parc, nous rencontrâmes des connaissances, et il me fallut parler de notre voyage merveilleux, du succès de Good. Il paraît que ces personnes trouvèrent la chose amusante, et l’une d’elles qui a des accointances dans le journalisme, fit imprimer cela tout vif. Good est furieux ; sa modestie naturelle s’offense de la publicité et du regain de faveur qu’obtiennent ses belles jambes blanches.

« Mais venons à quelque chose de plus sérieux. Vos diamants ont été portés chez un joaillier pour les faire estimer, comme nous en étions convenus. Vous êtes riche, camarade, fabuleusement riche ; je n’ose pas vous dire la valeur approximative que le commerçant leur a assignée. Jamais on n’a mis en vente autant de diamants, ni de plus parfaits. Ils sont de la plus belle eau et aussi précieux que les pierres les plus estimées du Brésil. Les joailliers ne peuvent pas les acheter tous à la fois ; leurs finances n’y suffiraient pas. Ils conseillent de les mettre sur le marché par petites quantités, pour n’en pas faire baisser le cours. J’ai une offre de vingt millions de francs pour une petite quantité. Vous êtes nécessaire ici pour vous occuper de cela, mon cher Quatremain. Vous savez que Good n’est pas qualifié pour les affaires sérieuses ; soigner sa personne lui est une occupation suffisante. Allons ! décidez-vous. Il y a tout près de chez moi une jolie propriété à vendre, vous êtes assez riche pour vous en payer la fantaisie. Si le récit de nos aventures n’est pas tout à fait terminé, vous écrirez le reste sur le bateau. Nous n’avons conté à personne nos voyages, dans la crainte de nuire à votre publication.

« Je vous retiens pour les fêtes de Noël qui approchent. Good et mon frère seront ici. J’attends aussi votre fils, et, si cette société ne vous allèche pas, j’y perds mon latin. C’est un gaillard bien dégourdi, votre Harry ; il ira loin, c’est moi qui vous le dis. Nous l’avons eu pour la chasse, et il a commencé par me décharger son fusil dans la jambe. Il m’a froidement extrait le plomb, en remarquant qu’un étudiant en médecine n’est jamais de trop dans les parties de plaisir.

« Mon camarade, je n’en dis pas plus long, car je vous attends et vous ne vous ferez pas prier davantage pour obliger votre ami,

« H. Curtis. »


« P. S. Les défenses de l’éléphant qui a tué Khiva sont dressées dans le vestibule d’honneur avec les cornes de buffle que vous m’avez données. La hache fatale à Touala le roi, est placée au-dessus de ma table à écrire. Il ne manque que la cotte de mailles ! Dommage ! Mais il manque toujours quelque chose en ce monde.

« H. C. »


C’est aujourd’hui mardi. Le paquebot part vendredi. Je prends sir Henry au mot. Je m’embarque vendredi. J’ai besoin de revoir mon fils. D’ailleurs il me faut faire mettre cette histoire sous presse. La tâche est délicate. Je n’oserais en charger personne ; je ne me fie qu’à moi-même.