Découverte du tombeau de Champlain/Journal

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JOURNAL

QUE NOUS AVONS TENU PENDANT NOS RECHERCHES POUR LA DÉCOUVERTE DU TOMBEAU DE CHAMPLAIN.


3 novembre, samedi. — Recherches faites par M. l’abbé Casgrain dans les archives de Notre-Dame de Québec, pour voir si l’on n’y trouverait pas quelques documents relatifs à Notre-Dame de Recouvrance, ou à la chapelle de Champlain.

4 novembre, dimanche soir. — Continuation des mêmes recherches. Trouvé : Inventaire General des Biens Meubles appartenants à la sacristie de N. Dame de Kebec, 1640. M. Casgrain y remarque l’article suivant : « 6 pauvres images du travail de feu Mr. de Champlain, » et se propose de montrer cette note curieuse à M. Laverdière, comme devant l’intéresser.

5 novembre, lundi matin. — Montré à M. Laverdière l’Inventaire, etc. Dans l’après-midi, découvert Livre de l’église Paroisse de Québec, également communiqué à M. Laverdière. Nous passons la veillée à déchiffrer ce document. L’examen de ce Livre, où se trouve l’acte authentique de la pose de la première pierre de la cathédrale, en date du 23 septembre 1647, nous démontre que M. Ferland a fixé trois ans trop tôt la construction de cette église.[1] Ajourné à 11 heures et demi du soir.[2]

6 novembre, mardi. — Continuation des recherches sur l’emplacement de Notre-Dame de Recouvrance et de la chapelle du Gouverneur. Longue discussion ; nous finissons par conclure que, ces deux chapelles ayant été brûlées, et la cathédrale n’ayant pas été rebâtie sur le même terrain, il est bien possible que les corps inhumés dans ces chapelles, et en particulier celui de Champlain aient été relevés et transportés dans la cathédrale. Résolu donc que, le lendemain, nous irons visiter les caveaux de l’église. Mais, avant de nous séparer, nous faisons la réflexion qu’il serait à propos de voir l’acte de sépulture du P. Raymbault ; ce qui est remis au lendemain, le registre étant dans la voûte. Ajourné à minuit.

7 novembre, mercredi, 9½h. du matin. — Descente dans les caveaux de la cathédrale. Grand désappointement : tout est rempli jusqu’au pavé, à l’exception d’un grand sillon sous la chapelle Sainte-Anne. Au retour, examen des registres ; nous remarquons (ce qui ne nous avait pas frappé jusqu’alors) que M. Gand et le P. Raymbault ont été enterrés dans la chapelle de Champlain après l’incendie de 1640. Là-dessus, grande discussion. À la veillée, nous continuons de discuter, et repassons les textes : Sagard ; Champlain, Catalogue des Bienfaiteurs, Relations, Registres, etc. Conclusion : donc la chapelle de Champlain n’était pas à la haute ville ; donc elle était à la basse ville. Convenu que, le lendemain matin, nous irons visiter les caveaux de l’église de la basse ville.

8 novembre, jeudi, 9 heures du matin. — Visite des différents caveaux de l’église. Tout a été remué, bouleversé ; impossible que le tombeau de Champlain puisse être là.

Dans la soirée, nouvelle étude des textes. Nous constatons que la chapelle de Champlain n’était pas, comme nous l’avions d’abord supposé, un appartement particulier où l’on dressait un autel, mais bien une construction à part ( « et construction d’une chapelle, » Voyages de Champlain, édit. 1619, fol. 10). Donc elle était en dehors de l’habitation. Après un long examen, nous sommes forcés de conclure qu’elle ne pouvait avoir été ni du côté du rivage, ni du côté du nord-est, mais qu’elle devait nécessairement avoir été du côté du jardin de Champlain, c’est-à-dire, dans l’anse du Cul-de-Sac.[3]

9 novembre, vendredi, vers 9½ heures du matin. — M. Casgrain rencontre M. L.-A. Cannon, Greffier de la Cité, dans la rue du Fort, et lui demande à qui s’adresser pour avoir des renseignements sur les ossements humains trouvés dans les rues de la ville. M. Cannon lui indique M. O’Donnell. Vers 10 heures et demie, M. Casgrain se rend à l’Hôtel-de-Ville, et est introduit auprès de M. O’Donnell par M. Cannon.

M. O’Donnell donne à M. Casgrain quelques renseignements de vive voix, le remettant à l’après-midi, afin d’avoir le temps de retrouver ses notes. Vers 2 heures, seconde visite chez M. O’Donnell ; mais celui-ci n’a encore rien retrouvé.

10 novembre, samedi, vers 9 heures du matin. — Nous allons tous deux voir M. O’Donnell à son domicile. Il nous accueille tout joyeux, et nous montre son plan.[4] À 1 heure et demie, descente dans le caveau avec M. O’Donnell et James Corrigan, un des ouvriers employé en 1856. Comme quelques-uns de ces ouvriers avaient dit à M. O’Donnell que les os trouvés dans la voûte, avaient été remis soit à M. le Dr. Moffat, soit à M. le Dr. Robitaille, nous allons, au sortir du caveau, chez M. le Dr. Moffat. Celui-ci déclare n’avoir eu connaissance de rien. Dans l’après-midi, M. Laverdière se rend chez M. le Dr. Robitaille. Celui-ci se souvient d’avoir vu les os ; mais rien de plus. M. Antoine Fortin, bedeau de la cathédrale, déclare se rappeler parfaitement avoir vu ces ossements, qui étaient très-bien conservés.

M. Abraham Hamel nous dit que l’existence de la voûte avait été reconnue il y a plusieurs années ; mais que personne n’avait soupçonné quelle pouvait en avoir été la destination.

11 novembre, dimanche. — M. Laverdière se rend chez M. le Maire pour lui annoncer la découverte, et demander l’autorisation de faire quelques fouilles ou travaux dans la voûte, soit pour déterrer quelques ossements, soit pour découvrir les restes de l’inscription.

12 novembre, lundi. — Les journaux annoncent la découverte du tombeau de Champlain. À la veillée nous commençons à rédiger.

13 novembre, mardi. — Recherches au greffe et dans les archives du conseil, pour voir si quelques titres ne nous donneraient pas des indications sur les dimensions de la chapelle. M. P.-B. Casgrain, avocat, nous aide dans ces recherches, en consultant les titres de concession. Aucune mention de la chapelle.

14 novembre, mercredi. — De 10 heures à 1 heure et demie, nous faisons, dans le caveau, le dessin exact de l’inscription.

Les jours suivants, nous travaillons, autant que nos occupations nous le permettent, aux plans, à la correction des épreuves, etc.

27 novembre, mardi. — Communiqué par M. O’Donnell une lettre de M. Baldwin de Boston, surintendant des travaux de l’aqueduc en 1854. Il mentionne le fait suivant : Three human skulls were found 9 feet deep, april 10th 1854, in digging for the 8 inches stop cock well al the head of Sous-le-Fort street, only about twenty-five feet from the middle of the vault. Ce sont bien là les corps du frère Pacifique Duplessis, « enterré à la chapelle de Kebec » en 1619 (Histoire du Canada par Sagard, p. 55), de M. Gand et du P. Raymbault.

28 novembre, mercredi matin. — M. l’abbé Edmond Langevin rappelle à M. Laverdière ce qu’il a fait des os trouvés par les employés du département de l’aqueduc, dans le Cul-de-Sac, et qui lui avaient été confiés. Les circonstances remarquables dans lesquelles ces os avaient été découverts indiquant que ce devait être les restes d’un personnage important, il les conserva soigneusement dans une boîte, et en parla à plusieurs personnes. Mais, comme les premières conjectures ne paraissaient pas prendre de consistance, et que l’on n’en parlait plus du tout, au bout d’environ trois ans, il prit le parti de faire mettre en terre les ossements avec la boîte qui les contenait. Il indiqua le petit cimetière des enfants morts sans baptême, près de la cathédrale, comme le lieu où ils devaient être déposés, en recommandant au bedeau de remarquer l’endroit où il les placerait, pour les retrouver au besoin.

Dans la soirée, communiqué ces renseignements à M. Casgrain.

29 novembre, jeudi. — Mauvais temps. On ne peut faire que quelques fouilles incomplètes. Dans l’après-midi, M. Langevin nous fait remarquer, dans une vue de Québec de Lahontan, la position d’une chapelle précisément à l’endroit où devait être la chapelle de Champlain. Bien que cette chapelle n’existât plus à l’époque de Lahontan, il est probable qu’il l’aura placée là d’après une vue plus ancienne. Quoiqu’il en soit, c’est quelque chose de remarquable, d’autant plus qu’on croit y reconnaître les tourelles du Vieil Magasin, et que la côte de la basse ville y est tracée comme elle a dû exister primitivement. Il est à noter que, dans une autre édition de Lahontan faite la même année, 1703, et chez le même libraire, ce plan a été corrigé, et l’église actuelle de la basse ville a été mise à sa place.

30 novembre, vendredi. — Mauvais temps comme la veille ; impossible de faire des fouilles.

1 décembre, samedi. — Trois hommes employés à remuer une partie du petit cimetière des enfants : rien.

3 décembre, lundi. — Nouvelles fouilles : rien.

4 décembre, mardi. — Jour de la publication de notre brochure, les fouilles se continuent…

  1. Voir Notes sur les Registres, p. 90. M. Ferland sans doute a été induit en erreur par un résumé historique des affaires de la Fabrique de Québec, d’une date assez récente.
  2. Dans le cours de cette journée, M. Drapeau avait dit à M. Laverdière que des ossements humains avaient été trouvés dans l’escalier de la basse ville ; mais, parfaitement convaincu alors que le tombeau de Champlain ne pouvait être ailleurs qu’à la haute ville, il ne songea pas à communiquer ce renseignement à M. Casgrain.
  3. Voir la dissertation, p. 11.
  4. Voir la dissertation, p. 12.