Défense des droits des femmes/05

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Paris : Chez Buisson, lib., rue Haute-Feuille, n° 20 ; Lyon : Chez Bruyset, rue Saint-Dominique (p. 183-291).

CHAPITRE V.

Réflexions sur quelques écrivains qui ont attiré sur les Femmes la pitié méprisante des hommes.

Il reste maintenant à examiner les opinions spécieusement avancées sur le caractère et l’éducation des Femmes dans quelques ouvrages modernes : opinions qui ont dirigé la plupart des observations précipitées qu’on a faites sur le sexe.


Section première.


Je vais commencer par Rousseau, et je donnerai l’esquisse du caractère des Femmes dans ses propres termes, en y mêlant quelques réflexions ; mon commentaire, il est vrai, résultera d’un petit nombre de principes simples, et on pourroit le tirer de ce que j’ai déjà dit ; mais ce systême a été bâti avec tant d’art, que je crois devoir l’attaquer plus en détail et en faire moi-même l’application.

« Sophie, (dit Rousseau), doit être Femme comme Émile est homme », et pour la rendre telle, il faut examiner le caractère que la nature a donné à son sexe.

Il essaye ensuite de prouver qu’il faut que la Femme soit foible et passive, parce qu’elle a moins de force corporelle que l’homme ; il en infère qu’elle a été formée pour lui plaire et se soumettre à lui, et qu’il est de son devoir de se rendre agréable à son maître. — Puisque c’est là le grand but de son existence[1]. Cependant, pour conserver une fausse dignité aux plaisirs de l’amour, il veut que l’homme ne déploye pas sa force, mais dépende de la volonté de la Femme, quand il recherche ces plaisirs auprès d’elle.

« Voici donc une troisième conséquence de la constitution des sexes ; c’est que le plus fort soit le maître en apparence, et dépende en effet du plus foible ; et cela, non par un frivole usage de galanterie, ni par une orgueileuse générosité de protecteur, mais par une invariable loi de la nature, qui, donnant à la Femme plus de facilité d’exciter les désirs, qu’à l’homme de les satisfaire, fait dépendre celui-ci, malgré qu’il en ait, du bon plaisir de l’autre, et le contraint de chercher à son tour à lui plaire, pour obtenir qu’elle consente à le laisser être le plus fort[2]. Alors, ce qu’il y a de plus doux pour l’homme dans sa victoire, est de douter si c’est la foiblesse qui cède à la force, ou si c’est la volonté qui se rend ; et la ruse ordinaire de la Femme, est de laisser toujours ce doute entr’elle et lui. L’esprit des Femmes répond en ceci parfaitement à leur constitution : loin de rougir de leur foiblesse, elles en font gloire ; leurs tendres muscles sont sans résistance ; elles affectent de ne pouvoir soulever les plus légers fardeaux ; elles auroient honte d’être fortes : pourquoi cela ? Ce n’est pas seulement pour paroître délicates, c’est par une précaution plus adroite ; elles se ménagent de loin des excuses, et le droit d’être foibles au besoin ».

J’ai cité ce passage dans toute son étendue, de peur que mes lecteurs ne me soupçonnassent d’avoir morcellé les raisons de Rousseau, pour fortifier les miennes ; d’ailleurs, je crois avoir suffisamment démontré que ces principes fondamentaux, admis dans l’éducation des Femmes, conduiroient à un sytême de ruse et de mal-honnêteté.

En effet, dans l’hypothèse que la Femme n’auroit été formée que pour plaire et se soumettre à l’homme, la conclusion est juste ; elle doit immoler toute autre considération à la nécessité de se rendre agréable à ce maître. Il faut alors que ce désir grossier de sa propre conservation soit le grand mobile de toutes ses actions, puisqu’il est prouvé que le rapport où elle se trouve est le lit de fer de Busiris, auquel il faut que son caractère s’adapte, soit en s’étendant, soit en se resserrant, sans égard pour aucune des différences physiques ou morales. Mais si l’on peut démontrer, comme je le crois, que les fins, même de cette vie, considérées dans l’ensemble, sont entièrement subverties par les règles pratiques établies sur une base ignoble, on me permettra de douter que la Femme ait été créée pour l’homme. Dût-on crier contre moi à l’impiété et même à l’athéisme, je déclarerai, dans la simplicité de mon cœur, que, quand un ange descendroit du ciel pour m’assurer que la belle, mais poëtique cosmogonie de Moyse, et son histoire de la chûte de l’homme, sont vraies à la lettre, je ne pourrois croire ce que ma raison me montre déroger au caractère de l’Être suprême ; et n’ayant point la crainte du diable devant les yeux, comme on prétend qu’il faut y avoir toujours celle de Dieu, j’ose appeler cette incrédulité, dont on me fait un crime, une suggestion de la raison, plutôt que de reporter le poids de ma foiblesse sur les larges épaules du premier séducteur de mon sexe fragile, dont Milton s’est plu à nous tracer une peinture gigantesque.

Rousseau continue : « Dès qu’une fois il est démontré que l’homme et la Femme ne sont, ni ne doivent être constitués de même, de caractère ni de tempérament, il s’ensuit qu’ils ne doivent pas avoir la même éducation. En suivant les directions de la nature, ils doivent agir de concert, mais ils ne doivent pas faire les mêmes choses ; la fin des travaux est commune, mais les travaux sont différens, et par conséquent, les goûts qui les dirigent ».

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« Soit que je considère la destination particulière du sexe, soit que j’observe ses penchans, soit que je compte ses devoirs, tout concourt également à m’indiquer la forme d’éducation qui lui convient. La Femme et l’homme sont faits l’un pour l’autre, mais leur mutuelle dépendance n’est pas égale : les hommes dépendent des Femmes par leurs désirs ; les Femmes dépendent des hommes, et par leurs desirs et par leurs besoins ; nous subsisterions plutôt sans elles, qu’elles sans nous ».

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« Ainsi, toute l’éducation des Femmes doit être relative aux hommes. Leur plaire, leur être utiles, se faire aimer et honorer d’eux, les élever jeunes, les soigner grands, les conseiller, les consoler, leur rendre la vie agréable et douce, voilà les devoirs des Femmes dans tous les tems, et ce qu’on doit leur apprendre dès l’enfance. Tant qu’on ne remontera pas à ce principe, on s’écartera du but, et tous les préceptes qu’on leur donnera, ne serviront de rien pour leur bonheur ni pour le nôtre ».

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« Les petites filles, presqu’en naissant, aiment la parure : non-contentes d’être jolies, elles veulent qu’on les trouve telles ; on voit dans leurs petits airs que ce soin les occupe déjà, et à peine sont-elles en état d’entendre ce qu’on leur dit, qu’on les gouverne en leur parlant de ce qu’on pensera d’elles. Il s’en faut bien que le même motif, proposé très-indirectemenr aux petits garçons, n’ait sur eux le même empire. Pourvu qu’ils soient indépendans et qu’ils ayent du plaisir, ils se souvient fort peu de ce qu’on pourra penser d’eux. Ce n’est qu’à force de tems et de peine qu’on les assujettit à la même loi ».

« De quelque part que vienne aux filles cette première leçon, elle est très-bonne. Puisque le corps naît, pour ainsi dire, avant l’ame, la première culture doit être celle du corps : cet ordre est commun aux deux sexes ; mais l’objet de cette culture est différent ; dans l’un, cet objet est le développement des forces ; dans l’autre, il est celui des agrémens : non que ces qualités doivent être exclusives dans chaque sexe ; l’ordre seulement est renversé. Il faut assez de force aux Femmes, pour faire tout ce qu’elles font avec grace ; il faut assez d’adresse aux hommes, pour faire tout ce qu’ils font, avec facilité. »

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« Les enfans des deux sexes ont beaucoup d’amusemens communs, et cela doit être ; n’en ont-ils pas de même étant grands ? Ils ont aussi des goûts propres qui les distinguent. Les garçons cherchent le mouvement de le bruit ; des tambours, des sabots, de petits carosses ; les filles aiment mieux ce qui donne dans la vue et sert à l’ornement ; des miroirs, des bijoux, des chiffons, sur-tout des poupées ; la poupée est l’amusement spécial de ce sexe. Voilà très-évidemment son goût déterminé sur sa destination. Le physique de l’art de plaire est dans la parure ; c’est tout ce que des enfans peuvent cultiver de cet art ».

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« Voilà donc un premier goût bien décidé : vous n’avez qu’à le suivre et le régler. Il est sûr que la petite voudroit de tout son cœur savoir orner sa poupée, faire ses nœuds de manche son fichu, son falbala, sa dentelle ; en tout cela, on la fait dépendre si durement du bon plaisir d’autrui, qu’il lui seroit plus commode de tout devoir à son industrie. Ainsi vient la raison, des premières leçons qu’on lui donne ; ce ne sont pas des tâches qu’on lui prescrit, ce sont des bontés qu’on a pour elle. Et en effet, presque toutes les petites filles apprennent avec répugnance à lire et à écrire ; mais quant à tenir l’aiguille, c’est ce qu’elles apprennent toujours volontiers. Elles s’imaginent d’avance être grandes, et songent avec plaisir que ces talens pourront un jour leur servir à se parer ».

Certainement, on ne verra là qu’une éducation de corps ; mais Rousseau n’est pas le seul qui ait dit indirectement que le mérite d’une jeune Femme et son aptitude à plaire consistent uniquement dans sa personne, sans y faire entrer pour rien l’esprit, excepté néanmoins les esprits animaux. Pour la rendre foible, ou belle, ce qui est la même chose au dire de certaines gens, on néglige sont intelligence, et les petites filles, forcées de se tenir tranquilles, jouent avec des poupées, ou prêtent l’oreille à de folles conversations. — On vient, après cela, nous donner l’effet de l’habitude comme l’indication certaine de la nature. Je sais que Rousseau étoit d’avis d’employer les premières années de la jeunesse à former le corps, quoiqu’il s’écarte un peu de ce plan, en élevant son Émile ; cependant il y a une grande différence entre donner au corps une force dont celle de l’ame dépend en grande partie, ou lui donner seulement de la souplesse et de la grace. Il faut remarquer que ces observations de Rousseau ont été faites dans un pays où l’on n’avoit rafiné sur l’art de plaire, que pour dépouiller le vice de sa grossièreté choquante. Il n’a pas remonté jusqu’à la nature, ou ses goûts décidés ont troublé les opérations de son entendement ; autrement il n’auroit pas tiré des conséquences si crues.

En France, on n’élevoit les petits garçons et les petites filles, particulièrement ces dernières, que pour plaire ; on leur recommandoit le soin de leur personne, et de régler leur contenance et leur maintien extérieur. Quant aux ames, elles étoient corrompues de très-bonne heure par les avis et mondains et pieux qu’on leur donnoit pour les tenir en garde contre l’indécence. Je parle des tems passés. Les confessions même que de petites filles encore purement enfans étoient obligées de faire, et les questions, au moins indiscrettes, que leur adressoit l’homme de Dieu, suffisoient, comme j’en suis sûre, d’après de bonnes autorités, pour leur imprimer un caractère sexuel ; en un mot, l’éducation de la société n’étoit qu’une école de coquetterie et d’artifice. À l’âge de dix ou onze ans, quelquefois même beaucoup plutôt, les petites filles commençoient à se montrer coquettes, et à babiller, sans qu’on les en blamât, de mariage, d’établissement dans le monde.

Enfin, on en faisoit des Femmes presque dès le berceau, et elles écoutoient des complimens au lieu de leçons. Ces moyens corrupteurs affoiblissant l’ame, on supposoit que la nature avoit agi en marâtre, quand elle avoit réalisé cette arrière pensée de la création.

N’accordant point d’intelligence aux Femmes, il étoit tout simple de les assujettir à une autorité indépendante de la raison, et Rousseau, pour les préparer à ce joug, leur donne l’avis suivant : « Les filles doivent être vigilantes et laborieuses ; ce n’est pas tout, elles doivent être gênées de bonne heure. Ce malheur, si c’en est un pour elles, est inséparable de leur sexe, et jamais elles ne s’en délivrent que pour en souffrir de bien plus cruels. Elles seront toute leur vie asservies à la gêne la plus continuelle et la plus sévère, qui est celle des bienséances : il faut les exercer d’abord à la contrainte, afin qu’elle ne leur coûte jamais rien ; à dompter toutes leurs fantaisies, pour les soumettre aux volontés d’autrui. Si elles vouloient toujours travailler, on devroit quelquefois les forcer à ne rien faire. La dissipation, la frivolité, l’inconstance, sont des défauts qui naissent aisément de leurs premiers goûts corrompus et toujours suivis. Pour prévenir cet abus, apprenez-leur toujours à se vaincre. Dans ces insensés établissemens, la vie de l’honnête Femme est un combat perpétuel contre elle-même ; il est juste que ce sexe partage la peine des maux qu’il nous a causés ».

Et comment se fait-il que la vie d’une Femme modeste soit un perpétuel combat ? Je répondrai que c’est précisément ce systême d’éducation qu’il faut en accuser. La modestie, la tempérance et l’abnégation de soi-même sont les produits de la raison ; mais quand la sensibilité est entretenue aux dépens de l’intelligence, les Femmes dont on a fait des êtres foibles, se trouvent exposées à fléchir sous un joug arbitraire, ou à lutter dans de perpétuels combats. Essayez une autre marche ; donnez plus de champ à l’activité de leur ame, et soyez sûrs que des passions et des motifs plus nobles régleront leurs goûts et leurs sentimens.

« L’attachement, les soins, la seule habitude feront aimer la mère de la fille, si elle ne fait rien pour s’attirer sa haîne. La gêne où elle la tient, bien diriger, loin d’affoiblir cet attachement, ne fera que l’augmenter, parce que la dépendance étant un état naturel aux Femmes, les filles se sentent faites pour obéir ».

Il y a ici pétition de principe ; car non-seulement la servitude avilit l’individu, mais même ce funeste effet semble se transmettre à la postérité. Puisque la dépendance des Femmes date de si loin, est-il surprenant que quelques-unes se plaisent dans leurs chaînes, et flattent leurs tyrans, comme l’épagneul caresse son maître ? « Ces chiens, observe un Naturaliste, avoient autrefois les oreilles dressées ; mais l’habitude a effacé les traces de la nature, et un signe de crainte est devenu une beauté ».

» Par la même raison, ajoute Rousseau, qu’elles ont, ou doivent avoir peu de liberté, elles portent à l’excès celle qu’on leur laisse ; extrêmes en tout, elles se livrent à leurs jeux, avec plus d’emportement encore que les garçons ».

La raison en est simple : les esclaves et la populace se sont toujours portés aux mêmes excès, quand une fois ils ont méconnu le frein de l’autorité. — L’arc bandé se redresse avec violence, dès que la main qui l’assujettissoit le quitte ; et la sensibilité qu’agitent les circonstances extérieures, doit être soumise à l’autorité ou modérée par la raison.

« Il résulte de cette contrainte habituelle, continue Rousseau, une docilité dont les Femmes ont besoin toute leur vie, puisqu’elles ne cessent jamais d’être assujettis, ou à une homme, ou aux jugemens des hommes, et qu’il ne leur est jamais permis de se mettre au-dessus de ces jugemens. La première est la plus importante qualité d’une Femme, est la douceur : faite pour obéir à un être aussi imparfait que l’homme, souvent si plein de vices, et toujours si plein de défauts, elle doit apprendre de bonne-heure à souffrir même l’injustice, et à supporter les torts d’un mari sans se plaindre ; ce n’est pas pour lui, c’est pour elle qu’elle doit être douce : l’aigreur et l’opiniatreté des Femmes ne font jamais qu’augmenter leurs maux et les mauvais procédés des maris ; ils sentent que ce n’est pas avec ces armes-là qu’elles doivent les vaincre ».

Formées pour vivre avec un être aussi imparfait que l’homme, sans doute elles doivent apprendre, de l’exercice de leurs facultés, la nécessité de la patience ; mais je soutiens que tous les droits sacrés de l’humanité sont violés, quand on exige d’elles une obéissance aveugle, ou quand on veut que les plus sacrés de ces droits n’appartiennent exclusivement qu’aux hommes.

L’être qui endure patiemment l’injustice, et supporte en silence les insultes, deviendra bientôt injuste lui-même, ou incapable de discerner le bien d’avec le mal. De plus, je nie que ce soit-là le vrai moyen de former ou d’améliorer le caractère ; car les hommes en doivent à leur sexe un meilleur que celui des Femmes, parce qu’ils sont occupés à des recherches, qui intéressent la tête aussi bien que le cœur ; et que la solidité de la tête tient le cœur dans un état de santé morale. Les gens d’une sensibilité excessive, ont rarement de bons caractères. Sa formation est l’ouvrage tranquile de la raison, qui, à mesure que la vie s’avance, combine avec un art heureux des élémens discordans. Je n’ai jamais connu de personne foible ou ignorante, qui eût un bon caractère, quoiqu’on abuse souvent de ce nom, en le donnant à cette bonne humeur qui tient au tempérament, et à cette docilité que la pusillanimité imprime au maintien. Je dis maintien, car la douceur naturelle ne s’établit jamais dans le cœur, que comme un effet de la réflexion ; cette violence qu’on est obligé de se faire, tourment la vie domestique par beaucoup de mauvaise humeur, de l’aveu même des hommes sensibles, qui trouvent une compagne très-fatiguante dans ces Femmes merveilleuses à nerfs si irritables.

« Chacun, poursuit Rousseau, doit garder le ton de son sexe ; un mari trop doux peut rendre une Femme impertinente ; mais à moins qu’un homme ne soit un monstre, la douceur d’une Femme le ramène, et triomphe de lui tôt ou tard ».

Oui, la douceur de la raison ; mais la crainte abjecte inspire du mépris, et les larmes ne sont éloquentes, que lorsqu’elles roulent sur de belles joues.

De quels élémens est dont composé ce cœur qui s’attendrit quand on l’insulte, et au lieu de se révolter en éprouvant une injustice, inspire de baiser la verge qui nous frappe ? Est-on mal-fondé à conclure que la vertu de celle qui peut caresser un homme avec la douceur propre à son sexe, au moment même qu’il la traite en tyran, n’est produite que par des vues étroites, et la crainte lâche de l’égoïsme ? Non, la nature n’a jamais dicté cette conduite fausse ; — et, quoiqu’on appelle vertu une prudence de ce genre, il n’en est pas moins vrai, que la moralité de nos actions deviendroit vague, si l’on supposoit qu’on pût l’appuyer quelquefois sur la fausseté. Ne voyons-là que des expédiens pour se tirer d’embarras, et souvenons-nous que les expédiens ne servent que pour le moment.

Qu’un mari se garde bien de se fier trop implicitement à cette obéissance servile ; car si sa femme, quoique fachée, et devant l’être encore, à moins que le mépris n’ait éteint sa colère, peut le caresser avec tant de douceur, elle pourra également le faire au sortir des bras d’un amant. Ce sont-là les préludes de l’adultère : supposons, si l’on veut, que la crainte du monde ou de l’enfer étouffe en elle le désir de plaire à d’autres hommes, quand elle ne peut plus plaire à son mari, quel remplacement, quel dédommagement pourra trouver un être, uniquement formé par la nature et l’art, pour plaire à l’homme ? Qu’est-ce qui la consolera de cette privation ? Vers quel nouveau objet tournera-t-elle ses pensées ? Où trouver une force d’ame suffisante, pour se déterminer à commencer cette recherche, quand ses habitudes sont fixées depuis long-tems, et que la vanité conduit depuis long-tems cette tête en désordre ?

Rousseau, que je ne puis m’empêcher de taxer de partialité, recommande la ruse ; il en fait même un systême qu’il s’efforce de rendre plausible.

« Que les filles soient toujours soumises ; mais que les mères ne soient pas toujours inexorables. Pour rendre docile une jeune personne, il ne faut pas la rendre malheureuse ; pour la rendre modeste, il ne faut pas l’abrutir. Au contraire, je ne serois pas fâché qu’on lui laissât mettre un peu d’adresse, non pas à éluder la punition dans sa désobéissance ; mais à se faire exempter d’obéir. Il n’est pas question de lui rendre sa dépendance pénible, il suffit de la lui faire sentir. La ruse est un talent naturel au sexe ; et persuadé que tous les penchans naturels sont bons et droits par eux-mêmes, je suis d’avis qu’on cultive celui-là comme les autres ; il ne s’agit que d’en prévenir l’abus ».

Tout ce qui est, est bien, continue-t-il d’un ton triomphant ; soit : — cependant jamais aphorisme a-t-il contenu d’assertion plus paradoxale ? C’est une vérité évidente par rapport à Dieu. Il voit l’ensemble à la fois ; et, lorsque l’univers étoit encore dans le chaos, il en avoit déjà réglé toutes les proportions ; mais l’homme, aux yeux de qui ne s’offrent que des fragmens épars dont il ne peut saisir la liaison, trouve plusieurs choses mal, et il fait partie du systême de l’univers ; et par conséquent, il est juste que l’homme s’efforce de changer ce qui lui paroît mal, même en s’humiliant devant la sagesse de son Créateur, et tout en étant pénétré de respect pour l’obscurité qu’il s’efforce d’éclaircir.

La conséquence qui suit est juste, supposé que le principe soit bien fondé.

« Cette adresse particulière donnée au sexe, est un dédommagement très-équitable de la force qu’il a de moins, sans quoi la Femme ne seroit pas la compagne de l’homme, elle seroit son esclave ; c’est par cette supériorité de talent qu’elle se maintient son égale, et qu’elle le gouverne en lui obéissant. La Femme a tout contre elle ; nos défauts, sa timidité, sa foiblesse ; elle n’a pour elle que son art et sa beauté. N’est-il pas juste qu’elle cultive l’un et l’autre ? » La grandeur d’ame ne sauroit jamais exister avec la finesse ou l’art ; car je ne veux point éplucher les mots, quand leur sens direct annonce le manque de sincérité et la fausseté. Je me contenterai, pour réfuter victorieusement ce principe, d’observer que si une moitié de l’espèce humaine doit être élevée d’après les règles qu’on ne puisse rigoureusement déduire de la vérité, la vertu n’est plus qu’une affaire de convention. Comment Rousseau a-t-il donc osé assurer, après avoir donné ce conseil, que l’objet des deux sexes devoit être le même, quant au grand but de l’existence, tandis qu’il savoit très-bien, qu’une ame formée pour tendre à cette fin, se dilate en raison de ces grandes vues, qui font disparoître les petites, ou que, si elle n’a pas la force de s’y élever, elle se rapetisse elle-même ?

Les hommes ont une force de corps supérieure ; mais convenons que si on ne se méprenoit sur les idées de beauté, les Femmes acquéreroient assez de cette force de corps, pour s’assurer les moyens de subsistance, et par conséquent l’indépendant, ainsi que pour supporter ces peines et ces fatigues qui servent à tremper l’ame.

Qu’on nous laisse donc nous exercer comme les garçons, non-seulement durant l’enfance, mais même continuer, pendant la jeunesse, ce développement de nos forces, qui nous conduiroit à la perfection du corps, afin que nous puissions savoir enfin jusqu’où va la supériorité naturelle de l’homme ; car quelle raison ou quelle vertu peut-on attendre d’un être qu’on a négligé dans le tems de la semence? Aucune, — à moins que les vents du ciel n’ayent jetté, par hazard, quelque bon grain dans un sol naturellement fécond.

» On ne peut jamais se donner de la beauté, et l’on est sitôt en état d’acquérir la coquetterie ; mais on peut déjà chercher à donner un tour agréable à ses gestes, un accent flatteur à sa voix, à composer son maintien, à marcher avec légéreté, à prendre des attitudes gracieuses, et à choisir par-tout ses avantages. La voix s’étend, s’affermit et prend du timbre ; les bras se développent, la démarche s’assure, et l’on s’apperçoit que, de quelque manière qu’on soit mise, il y a un art de se faire regarder. Dès-lors, il ne s’agit plus seulement d’aiguille et d’industrie, de nouveaux talens se présentent et font déjà sentir leur utilité ».

» Pour moi, je voudrois qu’une jeune anglaise cultivât, avec autant de soin, les talens agréables pour plaire au mari qu’elle aura, qu’une jeune Albanoise les cultive pour le Harem d’Ispahan ».

Pour rendre les Femmes complettement insignifiantes, il ajoute, » les Femmes ont la langue flexible, elles parlent plutôt, plus aisément et plus agréablement que les hommes ; on les accuse aussi de parler davantage : cela doit être, et je changerois volontiers ce reproche en éloge. La bouche et les yeux ont chez elle la même activité, et par la même raison, l’homme dit ce qu’il sait, et la Femme dit ce qui plaît ; l’un, pour parler, a besoin de connoissance, et l’autre, de goût ; l’un doit avoir pour objet principal, les choses utiles, et l’autre, les agréables. Leurs discours ne doivent avoir de formes communes, que celles de la vérité ».

» On ne doit pas contenir le babil des filles, comme celui des garçons, par cette interrogation dure : à quoi cela est-il bon ? Mais par cette autre à laquelle il n’est pas plus aisé de répondre : quel effet cela fera-t-il ? Dans ce premier âge, où ne pouvant encore discerner le bien et le mal, elles ne sont les juges de personne ; elles doivent s’imposer pour loi, de ne jamais rien dire que d’agréable à ceux à qui elles parlent ; et ce qui rend la pratique de cette règle plus difficile, est qu’elle reste toujours subordonnée à la première, qui est de ne jamais mentir ».

Dans le fait, il faudroit beaucoup d’adresse pour gouverner sa langue de cette manière, et cet art n’est que trop bien pratiqué par les hommes et les Femmes. — Combien peu de gens parlent de l’abondance du cœur ! En vérité, ils sont en si petit nombre, que moi, qui aime la simplicité, je donnerois volontiers toute la politesse du monde, pour un quart de cette vertu qu’on a sacrifié à cette qualité équivoque, qui, après tout, ne doit être que le poli de la vertu.

Mais pour completter cette esquisse, il ajoute : » on comprend bien, si les enfans mâles sont hors d’état de se former aucune véritable idée de religion, à plus forte raison, la même idée est-elle au-dessus de la conception des filles ; c’est pour cela même que je voudrois en parler à celles-ci de meilleure heure ; car s’il falloit attendre qu’elles fussent en état de discuter méthodiquement ces questions profondes, on courroit risque de ne leur en parler jamais. La raison des Femmes est une raison pratique, qui leur fait trouver très-habillement les moyens d’arriver à une fin connue, mais qui ne leur fait pas trouver cette fin. La relation sociale des sexes est admirable. De cette société résulte une personne morale dont la Femme est l’œil et l’homme le bras ; mais avec une telle dépendance l’une de l’autre, que c’est de l’homme que la Femme apprend ce qu’il faut voir, et de la Femme que l’homme apprend ce qu’il faut faire. Si la Femme pouvoir remonter aussi bien que l’homme aux principes, et que l’homme eut aussi bien qu’elle l’esprit des détails, toujours indépendans l’un de l’autre, ils vivroient dans une discorde éternelle, et leur société ne pourroit subsister ; mais dans l’harmonie qui règnet entr’eux, tout tend à la fin commune ; on ne sait lequel met le plus du sien ; chacun suit l’impulsion de l’autre, chacun obéit, et tous deux sont les maîtres.

» Par cela même que la conduite de la Femme est asservie à l’opinion publique, sa croyance est asservie à l’autorité. Toute fille doit avoir la religion de sa mère, et toute Femme celle de son mari ; quand cette religion seroit fausse, la docilité qui soumet la mère et la fille à l’ordre de la nature, efface auprès de Dieu le péché de l’erreur[3] ; hors d’état d’être juges elles-mêmes, elle doivent recevoir la décision des pères et des maris comme celle de l’Église.

» Puisque l’autorité doit régler la religions des Femmes, il ne s’agit pas tant de leur expliquer les raisons qu’on a de croire, que de leur exposer nettement ce qu’on croit : car la foi qu’on donne à des idées obscures, est la première source du fanatisme, et celle qu’on exige pour des choses absurdes, mène à la folie ou à l’incrédulité. Je ne sais à quoi nos cathéchismes porent le plus, d’être impie ou fanatique, mais je sais bien qu’ils font nécessairement l’un ou l’autre.

Il semble qu’il doive se trouver quelque part une autorité absolue, et que personne ne conteste ; mais n’est-ce pas là une appropriation directe et exclusive de la raison ? C’est ainsi que les droits de l’humanité ont été renfermés dans la seule ligne masculine, depuis Adam jusqu’à nous. Rousseau voudroit encore porter plus loin cette aristocratie ; car il insinue qu’il ne blâmeroit pas ceux dont l’avis est de laisser les Femmes dans la plus profonde ignorance, s’il ne falloit, pour préserver leur honneur et justifier le choix de leur mari aux yeux du monde, leur donner quelque connoissance des hommes, et des mœurs produites par les passions humaines ; autrement elles pourroient propager tranquillement au logis, sans être rendues moins voluptueuses et naïves, par l’exercice de leur intelligence : excepté la première année de leur mariage, qu’il leur permet d’employer à se mettre comme Sophie.

« Sa parure est très-modeste en apparence et très-coquette en effet ; elle n’étale point ses charmes, elle les couvre, mais en les couvrant, elle sait les faire imaginer. En la voyant on dit : voilà une fille modeste et sage ; mais tant qu’on reste auprès d’elle, les yeux et le cœur errent sur toute sa personne, sans qu’on puisse les en détacher, et l’on diroit que tout cet ajustement, si simple n’est mis à sa place, que pour en être ôté pièce à pièce par l’imagination. » Est-ce-là de la modestie ? Est-ce ainsi qu’un être immortel se prépare à ses hautes destinées ? En outre, — que penser d’un systême d’éducation où l’auteur nous dit de son héroïne : « bien faire ce qu’elle fait n’est que le second de ses soins ; le premier est toujours de la faire proprement. »

Et, dans le fait, toutes les vertus, toutes les qualités qu’il donne à Sophie ne sont que secondaires, car quant à la religion, voici le langage qu’il lui fait tenir par des parens, dont elle n’apprend jamais qu’à être soumise. — « Votre mari vous en instruira quand il sera tems. » Après avoir ainsi enchaîné l’ame d’une Femme, pour en disposer à son aise, il ne veut pourtant pas qu’elle soit nulle, et par une inconséquence inexplicable, il lui conseille de refléchir, afin qu’un homme accoutumé à penser ne soit par réduit à bâiller auprès d’elle, quand il est las de lui témoigner son amour par des caresses. — En vérité, c’est se moquer ! sur quoi réfléchira celle qui ne doit qu’obéir ? Et n’est-ce pas un rafinement de cruauté, que d’éclairer son ame uniquement pour lui faire voir l’obscurité, la honte et le malheur de son destin ? Voilà pourtant les remarques judicieuses de ce prétendu défenseur de notre sexe ; je laisse aux lecteurs à décider combien elles s’accordent avec les citations que j’ai déjà été obligée de faire pour présenter mon sujet sous son vrai jour.

« Les gens qui passent exactement la vie entière à travailler pour vivre, n’ont d’autre idée que celle de leur travail ou de leur intérêt, et tout leur esprit semble être au bout de leur bras. Cette ignorance ne nuit, ni à la probité, ni aux mœurs ; souvent même elle y sert : souvent on compose avec ses devoirs à force d’y réfléchir, et l’on finit par mettre un jargon à la place des choses. La conscience est le plus éclairé des philosophies ; on n’a pas besoin de savoir les offices de Cicéron, pour être homme de bien ; et la Femme du monde la plus honnête sait peut-être le moins ce que c’est que l’honnêteté. Mais il n’en est pas moins vrai qu’un esprit cultivé rend seul le commerce agréable, et c’est une triste chose pour un père de famille qui se plait dans sa maison, d’être forcé de s’y renfermer en lui-même, et de ne pouvoir s’y faire entendre à personne.

» D’ailleurs, comment une Femme qui n’a nulle habitude de réfléchir, élevera-t-elle ses enfans ? Comment discenera-t-elle ce qui leur convient ? Comment les disposera-t-elle aux vertus qu’elle ne connoit pas, au mérite dont elle n’a nulle idée ? Elle ne saura que les flatter ou les menacer, les rendre insolens ou craintif ; elle en fera des singes maniérés ou d’étourdis polissons, jamais de bons esprits, ni des enfans aimables » ; en effet comment se conduira-t-elle, son mari n’étant pas toujours-là pour lui prêter sa raison ? puisque ce n’est qu’à eux deux qu’ils forment un seul être moral. Une volonté aveugle, qu’on pourroit appeler des yeux sans mains, ne sauroit aller loin ; et peut-être sa raison abstraite, c’est-à-dire l’intelligence sublime de son mari qui devroit concentrer les rayons épars de sa raison pratique, se trouve-t-elle employée à juger de la saveur de quelque vin, de quelque sausse pour mettre sous un poisson estimé ; ou, plus profondément occupé à une table de jeu, le raisonnable époux généralise-t-il ses idées, tandis qu’il risque sa fortune sur une carte, et laisse tous les petits détails de l’éducation à sa compagne, ou au hazard.

Mais en accordant que la Femme doive être belle, naive et innocente, pour que ces qualités la rendent une compagne plus remplie d’attraits, et sur-tout d’indulgence ; — à quoi lui fait-on sacrifier ses qualités intellectuelles ? Où est la nécessité de tous ces préparatifs, qui ne serviront, suivant le calcul même de Rousseau, qu’à en faire, pour très-peu de tems, la maîtresse de son mari ? car personne n’a jamais autant insisté que lui sur la nature passagère de l’amour ; voici comment en parle ce philosophe. « La félicité des sens est passagère ; l’état habituel du cœur y perd toujours l’imagination qui pare ce qu’on désire, l’abandonne dans la possession. Hors le seul être existant par lui-même, il n’y a rien de beau que ce qui n’est pas !

Mais il revient encore à ses paradoxes inintelligibles, lorsqu’il s’adresse ainsi à Sophie :

« En devenant votre époux, Émile est devenu votre chef ; c’est à vous d’obéir, ainsi l’a voulu la nature. Quand la Femme ressemble à Sophie, il est pourtant bon que l’homme soit conduit par elle ; c’est encore une loi de la nature ; et c’est pour vous rendre autant d’autorité sur son cœur, que son sexe lui en donne sur votre personne, que je vous ai fait l’arbitre de ses plaisirs. Il vous en coûtera des privations pénibles, mais vous règnerez sur lui, si vous savez règner sur vous ; et ce qui s’est déjà passé, me montre que cet art difficile n’est pas au-dessus de votre courage. Vous règnerez long-tems par l’amour, si vous rendez vos faveurs rares et précieuses, si vous savez les faire valoir. Voulez-vous voir votre mari continuellement à vos pieds ? tenez-le toujours à quelque distance de votre personne ; mais, dans votre sévérité, mettez de la modestie et non du caprice ; qu’il vous voye réservée, et non pas fantasque ; gardez, qu’en ménageant son amour, vous ne le fassiez douter du vôtre. Faites-vous chérir par vos faveurs, et respecter par vos refus ; qu’il honore la chasteté de sa Femme, sans avoir à se plaindre de sa froideur.

» C’est ainsi, mon enfant, qu’il vous donnera sa confiance, qu’il écoutera vos avis, qu’il vous consultera dans ses affaires, et ne résoudra rien sans en délibérer avec vous. C’est ainsi que vous pouvez le rappeler à la sagesse, quand il s’égare ; le ramener par une douce persuasion, vous rendre aimable pour vous rendre utile ; employer la coquetterie aux intérêts de la vertu, et l’amour au profit de la raison. »

Je terminerai mes extraits par la peinture, fidèle d’un couple heureux.

« Ne croyez pas, avec tout cela, que cet art même puisse vous servir toujours. Quelque précaution qu’on puisse prendre, la jouissance use les plaisirs, et l’amour avant tous les autres. Mais l’amour a duré long-tems, une douce habitude en remplit le vuide, et l’attrait de la confiance succède aux transports de la passion. Les enfans forment encre ceux qui leur ont donné l’être, une liaison non moins douce, et souvent plus forte que l’amour même ; quand vous cesserez d’être la maîtresse d’Émile, vous serez la mère de ses enfans. Alors, au lieu de votre première réserve, établissez entre vous la plus grande intimité ; plus de lit-à-part, plus de refus, plus de caprice. Devenez tellement sa moitié, qu’il ne puisse plus se passer de vous, et que sitôt qu’il vous quitte, il se sente loin de lui-même. Vous qui fîtes si bien règner les charmes de la vie domestique dans la maison paternelle, faites-les règner ainsi dans la vôtre. Tout homme qui se plaît dans sa maison, aime sa Femme. Souvenez-vous que si votre époux vit heureux chez lui, vous serez une Femme heureuse. » Rousseau. Émile.

Il observe avec raison que les enfans forment un lien beaucoup plus durable entre les époux, que l’amour. Il avoue, qu’après six mois passés ensemble, la beauté n’a plus de prix, et même qu’on n’y songe plus ; assurément les graces artificielles et la coquetterie perdront aussi leur effet sur les sens : pourquoi donc veut-il qu’on élève une jeune personne destinée au mariage, comme si on la préparoit pour un sérail ?

J’en appelle, à cette heure, des rêveries de l’imagination et des raffinemens de la volupté, au bon sens du genre humain ; et je demande si, l’objet de l’éducation devant être de rendre les Femmes des épouses chastes et des mères tendres, la méthode recommandée dans l’esquisse précédente, est en effet la plus sûre pour arriver à ce but. Osera-t-on soutenir que le meilleur moyen de rendre une Femme chaste, est de l’instruire à pratiquer les ruses malhonnêtes d’une maîtresse, révêtues du nom de coquetterie vertueuse par des hommes de plaisir, blâsés sur les attraits naïfs de la sincérité, ou sur le sentiment du bonheur qui naît de l’intimité la plus tendre, quand le soupçon n’altère point la confiance, et qu’une volupté pure et chaste y prête encore de nouveaux charmes.

L’homme qui peut se contenter de vivre avec une aimable et utile compagne, dépourvue d’intelligence, si toutefois cette supposition est faisable, a donc perdu, dans les plaisirs des sens, le goût de jouissances plus délicieuses ; il n’a donc jamais éprouvé cette satisfaction tranquille qui rafraîchit le cœur desseché, comme la douce rosée du ciel humecte les prairies ; cette satisfaction d’être aimé par un cœur qui puisse l’entendre. — Il est toujours seul dans la société de sa Femme, à moins qu’en lui l’homme ne se confonde avec la brute. « Le charme de la vie, dit un profond raisonneur, est la sympathie ; rien ne nous fait plus de plaisir, que de trouver dans les autres hommes, une harmonie de sentimens correspondans à ceux qu’éprouve notre propre cœur. »

Cependant, à s’en rapporter aux raisonnemens que nous venons d’exposer, et qui écartent les Femmes de l’arbre de la science, il faudroit sacrifier les importantes années de la jeunesse, les fruits de l’âge mûr et les espérances raisonnables de l’avenir, au grand et magnifique projet de rendre les Femmes l’objet du désir des hommes, et encore pour un tems assez court. D’ailleurs, comment Rousseau peut-il se promettre de les voir vertueuses et constantes, puisqu’il n’établit pas leur vertu sur la base solide de la raison, et ne fixe point les recherches de leurs esprit sur la vérité.

Mais toutes les erreurs de Rousseau prirent leur source dans sa sensibilité, et les Femmes sont toujours prêts à pardonner à ceux à qui leurs charmes ont tourné la tête. Il se passionna, quand il auroit dû ne tenir que le froid langage de la raison, et la réflexion enflamma son imagination, au lieu d’éclairer son jugement. Ses qualités mêmes contribuèrent à l’égarer ; car la nature qui l’avoit doué d’une constitution ardente et d’une imagination vive, l’entraîna vers l’autre sexe, d’un mouvement si rapide qu’il devînt bientôt lascif. S’il avoit ménagé quelques jours à l’évaporation de ses désirs, son feu se fût éteint de lui-même, d’une manière toute naturelle ; mais la vertu et une sorte de délicatesse romanesque, le lui interdirent ; cependant, tandis que la crainte, la délicatesse ou la vertu le tenoient dans la réserve, il débaucha son imagination ; et, appuyant ensuite par la réflexion, sur des mouvemens auxquels ses rêveries donnoient plus de force, il les peignit avec les couleurs les plus vives, et s’en fit une image ineffaçable.

Alors il chercha la solitude, non pour y dormir du sommeil de l’homme de la nature, ou pour scruter en paix les causes des choses, sous ces ombrages silencieux où l’immortel Newton méditoit le systême de l’univers, mais uniquement pour s’abandonner à ses sensations ; et il a si fortement tracé ce qu’il sentoit fortement, qu’intéressant le cœur, et enflammant l’imagination de ses lecteurs, en proportion de ce que leur imagination est susceptible, ils croient leur esprit convaincu, tandis qu’il n’y a que leur ame qui sympathise avec l’écrivain poëtique, dont le talent peint, de main-de-maître, les objets des sens auxquels une ombre voluptueuse ou un voile jetté avec grâce, prètent encore plus de charmes ; c’est ainsi qu’en nous faisant sentir que nous raisonnons, tandis qu’en effet nous ne faisons que rêver, il nous force à tirer de fausses conséquences.

Pourquoi la vie de Rousseau fut-elle partagée entre l’extase et le sentiment du malheur ? On ne peut résoudre ce problême, qu’en attribuant ces deux manières d’être si opposées, à l’effervescence de la même imagination. Qu’il eût pu parvenir à la calmer, vraisemblablement il auroit acquis plus de force d’ame. Si le but de la vie doit être de former la partie intellectuelle de l’homme, sans doute il arriva au plus haut point ; cependant, en supposant que la mort ne nous conduise pas à une scène plus noble, il est probable qu’il eût joui d’un bonheur plus égal sur la terre, et éprouvé les tranquilles sensations de l’homme de la nature, au lieu de se préparer pour une autre existence, en nourrissant les passions qui agitent l’homme civilisé.

Mais, paix à ses manes ! quoique je heurte ses opinions, je ne veux pas troubler les cendres toujours sacrées de l’homme de génie. Je n’attaque que cette sensibilité excessive, qui lui fit dégrader mon sexe, en en faisant l’esclave de l’amour.

« Servage maudit où nous sommes fières de voir les hommes, qui nous adorent jusqu’à ce que les feux dont ils brûloient s’éteignant, nous devenions les esclaves de ceux qui naguères étoient à nos pieds ». Dryden.

On ne sauroit trop insister sur la tendance pernicieuse de ces livres, où des écrivains rabaissent insidieusement les Femmes, tout en paroissant se prosterner devant leurs charmes.

Ô mes contemporaines ! sortez de ce cercle étroit de préjugés ; osez vous élever au-dessus. Si la sagesse est désirable pour elle-même, si la vertu, pour mériter ce nom, doit être fondée sur la connoissance de ses devoirs, fortifions nos ames par la réflexion, jusqu’à ce que nos têtes moins légères, soient en équilibre avec nos cœurs. Ne bornons pas toutes nos pensées aux petits intérêts du jour, et nos connoissances à nous familiariser avec le cœur de nos amans ou de nos époux. Subordonnons la pratique de chaque devoir à celle du plus grand de tous, de perfectionner nos ames, et de préparer nos affections pour un ordre de choses plus élevé.

Prenez donc garde, mes amies, de laisser toucher vos cœurs par les incidens les plus ordinaires ; le zéphir ébranle un roseau qui meurt tous les ans, tandis que le chêne brave, pendant une longue suite de siècles, l’effort de la tempête.

Si nous n’étions en effet créés que pour voltiger une heure et disparoître, — certes nous ferions bien alors de nous livrer à notre sensualité, et de repousser en riant la sévère raison. — Cependant, hélas ! même alors, il nous faudroit la force du corps et l’énergie de l’ame, autrement nous serions condamnées à évaporer notre vie dans les accès de plaisir, ou à la traîner dans la langueur.

Mais le systême d’éducation que je voudrois voir rejetté, semble présupposer ce qu’on ne devroit jamais regarder comme admis, que la vertu nous met à l’abri des accidens de cette vie, et que la fortune, quittant son bandeau, ne manquera pas de sourire à une Femme bien élevée, et de lui faire trouver, sous la main, un Émile ou un Télémaque. Le contraire n’est pourtant que trop vrai ; tout le monde sait que la récompense que la vertu promet à ses sectateurs, est renfermée dans leur sein ; qu’ils ont souvent à lutter contre les plus cruelles inquiétudes, les besoins de la vie, et à supporter les vices et les humeurs de parens ou de connoissances, pour lesquels ils ne peuvent jamais sentir de l’amitié.

Il a existé beaucoup de Femmes, qui, au lieu de voir leurs défauts endurés par la raison et la vertu de leurs pères et de leurs frères, ont fortifié leurs ames, par une lutte continuelle contre les vices et les folies de ces messieurs ; cependant elles n’ont jamais eu le bonheur de trouver un héros, dans la personne d’un mari, qui, leur payant la dette contractée envers elle par le genre humain, eut l’honneur et le droit de rabaisser leur raison à sa dépendance naturelle, et de restituer à l’homme la prérogative usurpée, qui les faisoit s’élever au-dessus de lui.


Section II.


Les sermons du docteur Fordyce, font partie depuis long-tems de la bibliothèque d’une jeune personne ; bien plus, on en permet la lecture dans les pensions de jeunes demoiselles. Je ne manquerois pourtant pas de les ôter des mains de ma pupille, pour peu que je voulusse fortifier son intelligence, et la mettre en état de se former des principes solides établis sur une base convenable, ou seulement que je fusse jalouse de cultiver son goût. C’est mon dernier mot sur ce livre, quoiqu’il contienne beaucoup de bonnes choses.

Le docteur Fordyce a pu avoir un but très-louable ; mais ses discours sont écrits d’un style si affecté, que, quand ce ne seroit que pour cette raison, et que je n’aurois rien à objecter contre ses préceptes mielleux, je ne permettrois pas aux jeunes filles de les lire, à moins que je n’eusse formé le sot projet d’étouffer dans leur cœur jusqu’à la moindre étincelle de la nature, pour fondre toutes les belles qualités humaines en une douceur féminine et une prétendue grâce factice ; je dis factive, car la vraie grâce naît de la liberté de l’esprit, dont elle suppose l’indépendance.

Les enfans, sans s’inquiéter de plaire, et ne songeant qu’à s’amuser eux-mêmes, sont souvent remplis de grâces ; la noblesse qui a passé la plus grande partie de sa vie avec des inférieurs, et s’est toujours trouvée avoir de l’argent à sa disposition, acquiert une aisance gracieuse dans le maintien, qu’il faut plutôt nommer une grâce habituelle du corps, que cette liberté noble et élégante où l’on trouve la véritable expression de l’ame. Cette grâce mentale, invisible aux yeux du vulgaire, perce souvent à travers une sorte de rudesse, et éclairant tous les traits, montre la simplicité candide et la noble indépendance de l’ame. C’est alors que nous lisons dans les yeux des caractères d’immortalité, et que nous voyons l’ame dans le moindre mouvement, quoique, lorsqu’une personne est en repos, ni le visage, ni les membres ne puissent offrir une beauté qui les rende recommandables, ou le maintien, rien de particulier pour attirer l’attention. Je sais que le grand nombre est pour la beauté plus facile à saisir ; cependant, en général, on admire la simplicité, sans songer à ce que l’on admire ; et peut-elle exister cette simplicité touchante, si l’on en exclut la sincérité ? Mais finissons des remarques qui sentent la digressions, quoiqu’elles naissent naturellement du sujet.

Le docteur Fordyce délaye l’éloquence de Rousseau dans ses périodes déclamatoires ; et, nous fatiguant d’un jargon sentimental, nous dit minutieusement son avis sur le caractère des Femmes et sur l’extérieur qu’elles doivent afficher pour se rendre aimables.

Mais laissons-le parler lui-même, car c’est le docteur, et non la nature, qu’on voit dans le discours qu’il lui fait adresser à l’homme : « Contemplez ces douces et innocentes créatures que j’ai embellies de mes dons les plus précieux, et confiées à votre protection ; regardez-les avec amour et respect ; traitez-les avec affection et honneur. Elles sont timides et ont besoin d’être défendues. Elles sont fragiles ; oh ! n’abusez pas de leur foiblesse. Que leurs craintes, leur rougeur modeste vous les rendent encore plus chères. Qu’elles ne se repentent jamais d’avoir mis en vous leur confiance. — Mais est-il possible qu’un seul de vous soit assez cruel, assez monstrueusement dépravé pour la trahir ? Pouvez-vous bien trouver dans vos cœurs[4] la force barbare de dépouiller de leur trésor, d’aimables et confiantes créatures, ou de leur enlever la robe sans tache de l’innocence ! Maudit soit l’impie dont la main ose attenter à la chasteté. Arrête, misérable ! crains de provoquer les plus sévères vengeances du ciel ». Je ne m’amuserai pas à commenter sérieusement ce passage ; j’en pourrois produire plusieurs de la même nature, et quelques-uns d’un style si sentimental, que j’ai entendu des hommes raisonnables les caractériser d’indécens, et m’en parler avec dégoût.

Le docteur Fordyce a déployé dans tout le cours de son ouvrage, cette chaleur factice, et par conséquent froide ; il a par-tout fait parade de cette sensibilité qu’il faut apprendre de bonne-heure aux jeunes gens de l’un et l’autre sexe à mépriser comme la marque sûre d’une ame petite et vaine. Des fleurs de réthorique, des exclamations adressées au ciel, aux beautés ' in'nocentes, les plus belles images du ciel ici bas, voilà ce qu’on trouve. Quant au bon sens, l’auteur l’a complettement oublié. — Ce n’est pas là le langage du cœur, qu’il n’atteindra jamais ; il est tout au plus bon à chatouiller l’oreille.

On m’objectera peut-être que le public a goûté cet ouvrage. — Belle raison ! ne lit-on pas aussi les méditations d’Hervey, qui n’a pas plus respecté le goût ni le bon sens ?

Je m’élève sur-tout contre ces phrases d’amoureux transi, expressions forcées de sentimens qui ne le sont pas moins, qu’on trouve à chaque instant dans ces instructions pour les jeunes personnes. Si l’on permet aux Femmes de marcher sans lisières, pourquoi les cajoler en faveur de la vertu, par une adulation pleine d’artifice et des complimens pareils à ceux qu’on employeroit pour les séduire ? — Parlez-leur le langage de la vérité et du bon sens, et loin d’ici tout cet apprêt et ces mignardises ! Enseignez-leur à se respecter elles-mêmes, en qualité de créatures raisonnables, et ne les conduisez pas à s’éprendre d’une belle passion pour leur insipide personne. Je sens bouillir ma bîle à l’aspect d’un prêcheur qui s’occupe de mantelet ou de broderie, et bien plus encore de l’entendre s’adresser aux belles anglaises, les plus belles des belles, comme s’il n’y avoit qu’elles aimables.

Il se sert même du raisonnement suivant pour recommander la piété : « Peut-être rien ne frappera-t-il plus profondément une belle Femme, que cette considération, c’est que quand elle est recueillie pieusement et tout-à-fait livrée aux sujets de méditations les plus importans, elle prend, sans s’en douter, un air de dignité supérieure et de nouvelles graces ; de sorte que l’éclat de la sainteté semble rayonner autour d’elle, et que les spectateurs sont tentés de la croire déjà au milieu des chœurs des anges dont elle semble partager la nature » ! Pourquoi élever les Femmes à ces desirs, à ces projets de conquête ? Toute épithète, employée en ce sens, me fait trésaillir d’une manière désagréable. Eh ! quoi, la religion et la vertu n’ont-elles pas de plus puissans motifs, de récompense plus touchante ? Faut-il toujours avilir les Femmes en les faisant agir en vue de l’homme ! Ne sauroit-on les instruire qu’à plaire, et lorsqu’elles dirigent leurs traits contre le cœur de l’homme, est-il nécessaire de leur dire qu’un peu de bon sens suffit pour rendre leur attention incroyablement touchante ? « Comme un petit dégré d’instruction fait le plus grand plaisir, quand on le trouve dans une Femme, de même, quoique par une raison différente, la plus légère expression de bonté de sa part, nous paroît délicieuse, sur-tout si cette Femme est belle » ! N’en déplaise à l’auteur, j’aurois continué de supposer que c’étoit par la même raison.

À quoi bon dire aux jeunes filles qu’elles ressemblent à des anges, si ce n’est pour en faire moins que des Femmes, ou pour exprimer qu’une jolie et innocente personne est l’objet qui approche plus que tout autre de l’idée que nous nous sommes formée des anges. Cependant, on a grand soin de leur dire, en même tems, qu’elles ne ressemblent aux anges que tant qu’elles sont jeunes et belles ; la conséquence naturelle, c’est que ce sont leurs charmes et non leurs vertus, qui leur procurent cet hommage.

Mots vuides de sens ! À quoi peut conduire une adulation si fausse, sinon à la vanité et à la folie ? On sait qu’un amant a la licence poëtique d’exalter sa maîtresse ; son jugement ne sert plus que de microscope à sa passion, et quand il emprunte le langage de l’adoration, il ne dit pourtant pas une fausseté. Son imagination peut élever au-dessus de l’humanité, l’idole de son cœur, sans qu’on lui en fasse un crime ; et il seroit heureux pour les Femmes, de n’être flattées que par des hommes qui les aimassent réellement. Je parle de ceux qui aiment la personne et non le sexe. Mais un grave prédicateur est-il excusable de laisser de pareilles folies dans des discours sérieux destinés à former le cœur ?

Dans les sermons ou les romans, le ton voluptueux est toujours fidèle à son texte. Les moralistes permettent aux hommes de cultiver différentes qualités, suivant la direction de la nature, et de prendre les différens caractères que les mêmes passions, modifiées presqu’à l’infini, donnent à chaque individu. Un homme vertueux peut être d’un tempérament bilieux ou sanguin ; qu’il soit gai ou grave, personne ne le trouvera mauvais ; il peut être ferme, presque jusqu’à s’en rendre insupportable, ou lâchement soumis, et n’avoir ni volonté, ni opinion qui lui appartiennent en propre ; mais on veut que toutes les Femmes soient nivelées, par la douceur et la docilité, au même caractère de mansuétude et de foiblesse, toujours prêtes à céder complaisamment.

Au reste, je vais me servir des propres paroles du prêcheur. « Observez que dans votre sexe, les exercices virils n’ont jamais de grâces ; qu’un ton, une figure, un air et un maintien trop mâle, sont toujours répoussans ; et que les hommes d’une sensibilité délicate, s’accordent à désirer dans les Femmes des traits doux, une voix moelleuse, une forme qui n’annonce rien de robuste, et un port délicat et aimable ».

Le portrait suivant n’est-il pas celui d’une esclave destinée au service de l’intérieur ? « Je suis étonné de la folie de plusieurs Femmes, qui reprochent toujours à leurs maris de les laisser seules, de préférer telle ou telle compagnie à la leur, de les traiter avec telle ou telle marque de mépris ou d’indifférence ; quand à dire la vérité, elles y ont donné lieu les premières, et méritent en grande partie le premier blâme, non que je veuille justifier aucune injustice de la part des hommes envers les Femmes. Mais vous êtes-vous conduites à l’égard de vos maris avec une circonspection plus respectueuse et une tendresse plus égale ? en étudiant leurs humeurs, en ayant l’indulgence de ne pas vous appercevoir de leurs méprises, en vous soumettant à leurs opinions dans des sujets indifférens, en excusant de petites inégalités de fantaisie ou d’humeur, en faisant de douces réponses à des questions brusques, en vous plaignant aussi rarement que possible, en regardant comme votre soin de tous les jours de soulager leurs inquiétudes et de prévenir leurs vœux, d’egayer l’heure de l’ennui et de ramener les idées de félicité. Si vous aviez suivi cette conduite, je ne doute pas que vous n’eussiez maintenu et même augmenté leur estime, jusqu’au point de vous assurrer tout le dégré d’influence, qui eût pu servir à leur vertu ou à votre mutuelle satisfaction ; alors votre maison auroit pu être le séjour du bonheur domestique ». Et moi je dis qu’une pareille Femme est un ange — ou une pécore, car je ne discerne pas la plus légère trace de caractère humain, de raison ou de passion, dans cette Femme de labeur, dont l’existence de son tyran absorbe la sienne.

D’ailleurs il faut que le docteur Fordyce ait bien peu connu le cœur humain, s’il a réellement supposé qu’une telle conduite pût ramener l’amour prêt à s’enfuir, au lieu d’exciter le mépris. Non, la beauté, l’amabilité, etc. etc. peuvent gagner un cœur ; mais l’estime, le seul sentiment durable, ne sauroit être obtenu que par la vertu appuyée de la raison. C’est le respect pour les qualités intellectuelles, qui soutient la tendresse pour la personne.

Ces ouvrages se trouvant si fréquemment dans les mains des jeunes personnes de mon sexe, je m’en suis plus occupée qu’ils ne le méritent, à parler strictement ; mais comme ils ont contribué à gâter le goût, et à énerver les facultés intellectuelles de plusieurs Femmes, je ne pouvois me dispenser d’en faire la critique.


Section III.


Il règne dans le legs du docteur Grégory à ses filles, une telle sollicitude paternelle, que je ne saurois entreprendre de le critiquer, sans témoigner d’abord mon respect et mon affection pour l’auteur ; mais ce petit ouvrage intéressant à plusieurs égards les personnes les plus estimables de mon sexe, je ne puis passer sous silence des raisonnemens qui établissent, d’une manière si spécieuse, certaines opinions, dont l’influence sur la morale et la conduite des Femmes est vraiment funeste.

Son style familier et facile, convient parfaitement à la nature de ses avis, et l’affectueuse mélancolie que son respect pour la mémoire d’une épouse aimée, répand dans tout l’ouvrage, lui prête infiniment d’intérêt : cependant, on trouve dans plusieurs passages, une élégance concise, propre à détruire l’effet de cette sympathie ; et nous découvrons souvent l’auteur, quand nous nous flattions de rencontrer uniquement le père.

De plus, ayant deux objets en vue, il s’est rarement attaché à l’un ou à l’autre ; car voulant rendre ses filles aimables, et craignent en même tems que le malheur ne fût le seul résultat des sentimens qu’il leur inspiroit, s’il les tiroit de la route battue de la vie, sans les mettre en état d’agir avec l’indépendance et la dignité convenables à ce rôle extraordinaire, il réprime l’épanchement naturel de ses pensées, et n’ose leur conseiller directement une chose ou l’autre.

Il leur révèle dans la préface une triste vérité, « c’est qu’elles vont entendre, au moins une fois dans leur vie, les vrais sentimens d’un homme qui n’a point intérêt de les tromper ».

Sexe infoortuné ! que peut-on attendre de toi, quand les êtres, dans la dépendance desquels la nature t’a mis, à ce qu’on prétend, pour ta raison et pour les secours dont tu as besoin, ont tous intérêt à te tromper ? C’est-là la source de ce mal qui a empoisonné toutes tes vertus, et qui, desséchant dans leur bouton tes facultés prêtes à s’épanouir, t’a rendu l’être foible que tu es. C’est cet intérêt à part, cet état insidieux de méfiance, qui frappe les bases de la morale et divise le genre humain.

Si l’amour a rendu quelques Femmes malheureuses, combien davantages sont devenues des êtres nuls et inutiles par cette froide galanterie dont le langage, insignifiant ou traître, exprime toujours ce qu’on ne sent jamais, et pourtant cette attention pour notre sexe, à laquelle le cœur ne prend aucune part, passe presque par-tout pour si digne de l’homme, si polie, que, jusqu’à ce qu’une heureuse révolution organise très-différemment la société, je crains bien qu’une conduite plus raisonnable et plus tendre, ne puisse faire disparoître les vestiges de ces mœurs gothiques. J’ajouterai, pour faire disparoître la fausse dignité que l’imagination lui prête, qu’on voit régner cette galanterie dans les états les moins civilisés de l’Europe, avec une extrême dissolution de mœurs. Dans le Portugal, par exemple, pays auquel je faisois particulièrement allusion, elle remplace les devoirs moraux les plu sacrés ; car on assassine rarement un homme à côté d’une Femme. Cet esprit chevaleresque désarme la main féroce, chargée d’un vol ou d’une vengeance, et si le coup ne peut être suspendu, la dame est suppliée d’excuser cette violence, et de se retirer tranquillement, quoique peut-être couverte du sang de son époux ou de son frère. Je laisserai de côté, pour le moment, les idées du docteur Grégory sur la religion, parce que je me propose de consacrer un chapitre particulier à ce sujet.

Je désapprouve entièrement ses remarques sur le maintien, quoique plusieurs, au premier abord, paroissent judicieuses, et ma raison, c’est qu’elles ont l’air, dès le commencement, de tendre à un mauvais but. Un bon cœur, un esprit cultivé n’auront jamais besoin de ces règles affectées de décence. Le résultat de ces heureuses qualités sera quelque chose de plus substanciel que la simple apparence ; et le maintien qu’il recommande, n’offriroit qu’une affectation désagréable et maladroite, supposez que l’intelligence qui doit inspirer les manières convenables ne s’y trouve pas. Mais le décorum ! — oui, le décorum en effet, est la seule chose nécessaire ; le décorum doit supplanter la nature et bannir toute franchise, toute différence de caractère de mon sexe. Que résultera-t-il de bon, je vous prie, de ce conseil superficiel ? Apparemment que l’auteur le donne pour sa commodité, car il est en effet beaucoup plus facile d’indiquer tel maintien, ou tel autre, que de mettre la raison à l’ouvrage, de déterminer nos vrais motifs d’agir ; mais enrichissez l’ame de connoissances utiles, fortifiez-la par leur emploi, et vous pourrez lui laissez sûrement règler le maintien.

À quoi bon, par exemple, recommander la précaution suivante, s’il faut altérer la candeur originelle de l’esprit par toute sorte d’artifices ; et pourquoi embarrasser les grands motifs d’agir que nous fournissent également la raison et la religion, avec de miserables tours de passe-passe, pour se faire applaudir par de pauvres nigauds ébahis de l’adresse du jongleur ?

« Ne montrez votre bon sens qu’avec précaution[5]. On croira que vous voulez pendre des airs de supériorité sur le reste de la compagnie. — Si par hazard vous avez quelque savoir, cachez-le soigneusement dans un profond secret, sur-tout aux hommes qui, en général, voient d’un œil d’envie et avec malignité une Femme douée de grands talens naturels et d’un esprit cultivé. » Si des hommes d’un mérite réel, comme il l’observe après, sont au-dessus de cette petitesse, où est la nécessité de modeler le maintien de tout un sexe pour plaire aux foux se l’autre, ou à des hommes, qui sentant le peu de droit qu’ils ont à être respectés, comme individu, sont bien-aises de se tenir dans les rangs de leur phalange. Dans le fait, je les trouve bien excusables ces hommes qui insistent sur leur supériorité, parce qu’ils n’ont que celle qu’une erreur générale attribue à leur sexe.

On ne finiroit pas de donner des règles pour le maintien, s’il falloit toujours adopter le ton de la compagnie où l’on se trouve ; car la clef variant sans cesse, un dièze passera souvent pour une note naturelle.

Certes, il auroit été plus sage de conseiller aux Femmes de se perfectionner, jusqu’à ce qu’elles s’élevassent au-dessus des petites considérations de la vanité ; et de laisser ensuite l’opinion publique aller son train ; — car où est le point de convenance où il faut s’arrêter ? La ligne étroite sur laquelle marche la vertu et la vérité, ne penche ni à droite, ni à gauche. — Et ceux qui veulent suivre leur route, peuvent sauter par dessus plusieurs préjugés de decorum, sans craindre de laisser derrière eux la véritable modestie. Purifiez le cœur, occupezla tête, et je vous promets qu’il n’y aura rien de choquant dans le maintien.

Les airs du bon ton, que tant de jeunes personnes des deux sexes sont si empresses à saisir, me déplaisent toujours comme les attitudes gênées de quelques estampes modernes, dont les figures sont copiées servilement et sans goût d’après l’antique ; il n’y a point-là d’ame ; aucune des parties ne sont liées, par ce qu’on pourroit appeler proprement caractère. Ce vernis de mode qui tient rarement de près au bon sens peut éblouir les têtes foibles ; mais laissez la nature dans toute sa pureté ; rarement le sage ne la trouvera pas assez belle. En outre, quand une Femme a assez de bon sens, pour ne point afficher de prétentions à des choses qu’elle entend trop peu, croyez que vous n’avez pas besoin de lui recommander de cacher sa lumière sous le boisseau ; laissez tout aller naturellement, et tout ira bien.

C’est ce systême de dissimulation répandu dans tout l’ouvrage, que j’y vois avec peine et mépris. Suivant l’auteur, les Femmes doivent toujours paroître être ceci et cela. — En vérité, la vertu pourroit l’apostropher comme Hamelet dans Shakespeare, — il semble ! je ne connois pas ton il semble ! — aye ce qui passe la simple montre !

Le même ton revient constamment ; car dans un autre endroit, après avoir recommandé la délicatesse dans la désigner suffisamment, il ajoute, « les hommes se plaindront de votre réserve. Ils vous assureront, qu’un extérieur plus franc, plus ouvert, vous rendroit plus aimable ; mais croyez-moi, ils ne sont point sincères, quand ils vous le disent ; je reconnois qu’il est des occasions où cela pourroit vous rendre plus agréable comme maîtresse, mais vous en seriez toujours moins aimable, comme épouse : distinction importante à laquelle beaucoup de personnes de votre sexe ne font pas assez d’attention. »

Ce désir d’être toujours Femmes, et précisément ce qui dégrade le sexe, excepté avec un amant. Je dois répéter une première observation, en appuyant sur ce qu’elle insinue, — tout cela seroit fort bien, si elles n’étoient que des compagnes agréables ou raisonnables ; — mais à cet égard, son avis ne s’accorde plus avec un qu’enfin j’ai le plaisir de citer, en l’approuvant de tout mon cœur.

« L’opinion qu’une Femme peut permettre toutes les libertés innocentes, pourvû que sa vertu reste en sûreté, est à-la-fois très-indélicate et très-dangereuse ; elle est devenue fatale à plusieurs personnes de votre sexe ». Je suis parfaitement de son avis à cet égard. Un homme ou une Femme de quelque sensibilité, doit toujours chercher à convaincre l’objet chéri que ce sont les caresses de la personne et non du sexe, qu’on reçoit et qu’on rend avec plaisir, et que le cœur est plutôt ému que les sens. Sans cette délicatesse naturelle, l’amour devient une satisfaction personnelle qui dégrade bientôt le caractère. Je porte encore plus loin cette manière de voir. La simple affection, sans qu’il soit question d’amour, autorise plusieurs caresses personnelles, qui, prenant leur source dans un cœur innocent, animent le maintien ; mais je n’ai que du mépris pour ce commerce reçu de galanterie, de vanité ou même de quelque chose de moins honnête. Qu’un homme presse la main d’une jolie Femme, qu’il voit pour la première fois, en la conduisant dans sa voiture ; pour peu qu’elle ait de délicatesse, elle regardera cette impertinente liberté comme une insulte, au lieu d’être flattée de ce sot hommage rendu à ses charmes. En effet, ce sont là les privilèges de l’amitié ou le tribut que le cœur paye à la vertu, quand son éclat nous frappe subitement. — Une pure sensibilité physique n’a point droit aux bontés de l’affection !

Jalouse de nourrir les affections de ce qui est aujourd’hui l’aliment de la vanité, je voudrois persuader à mon sexe d’agir, d’après ces principes simples : Qu’il mérite l’amour, et il l’obtiendra, quoique peut-être ne lui fera-t-on jamais ces déclarations ridicules : « que le pouvoir d’une belle Femme sur les cœurs des hommes, et sur-tout des hommes d’un mérite bien distingué, s’étend bien au-delà de ce qu’elle peut imaginer ».

J’ai déjà marqué d’une note de censure, les idées étroites qu’il donne aux Femmes, relativement à la duplicité, à la douceur propre à leur sexe, à la délicatesse de leur constitution ; car ce sont là les cercles dans lesquels il tourne incessamment, avec plus de dignité que Rousseau, j’en conviens ; mais il arrive toujours au même point, et quiconque pendra la peine d’analyser ses opinions, trouvera que les principes qui leur servent de bases, ne sont pas à beaucoup près aussi délicats que le systême qu’il a bâti dessus.

L’article des amusemens, est traité d’une manière trop rapide ; mais toujours dans le même esprit.

On verra, quand je traiterai de l’amitié, de l’amour et du mariage, que nous sommes bien éloignés d’être du même avis. Je ne me propose pas, pour le moment, d’anticiper sur les observations que me fourniront ces sujets importans ; et je restreins mes remarques à leur teneur générale, à cette prudence domestique soupçonneuse, à ces vues bornées d’une affection partielle, sans lumières, qui excluent le bonheur et le perfectionnement, en faisant des vœux et des efforts également vains pour nous sauver des peines et des erreurs, et qui, en gardant ainsi le cœur et l’ame, anéantissent aussi toute leur énergie. Certes, il vaut mieux être souvent trompées, que de ne s’abandonner jamais à la douce confiance ; se trouver malheureuses en amour, que de n’aimer jamais ; perdre la tendresse d’un époux, que de mériter de perdre son estime.

Il seroit heureux pour le monde, et par conséquent pour les individus qui le composent, que toute cette vaine sollicitude pour y obtenir le bonheur, inutile dans ses efforts par cela même qu’elle les dirige d’après un plan trop rétréci, fut remplacée par un desir ardent et efficace de perfectionner l’intelligence. — « La sagesse est la principale chose : en conséquence, gagnes la sagesse, et avec tous tes gains, gagnes encore l’intelligence. — Combien de tems encore, insensées que vous êtes, aimerez-vous la simplicité, et haïrez-vous la science ? dit la sagesse aux filles des hommes ».


Section IV.


Je ne prétends point passer en revue tous les auteurs qui ont écrit sur les mœurs des Femmes. À vrai dire, ce seroit recommencer une tâche déjà remplie ; car, en général, ils n’ont fait que se répéter ; mais, en attaquant la prérogative si vantée de l’homme, cette prérogative qu’on peut appeler le sceptre de fer de la tyrannie, le péché originel de nos despotes, je me déclare contre toute puissance établie sur des préjugés, que leur antiquité ne rend pas plus respectables pour moi.

Si la soumission exigée est fondée sur la justice, il ne reste plus d’appel à un tribunal supérieur, car Dieu est lui-même la justice par essence. Qu’on nous permette donc, en qualité d’enfans du même père, à moins que pour avoir été créées un peu plus tard, on ne nous trouve pas aussi légitimes, de raisonner avec nos aînés, et de n’apprendre à nous soumettre qu’à l’autorité de la raison, dont il faut qu’on nous fasse entendre bien distinctement la voix. Mais s’il est prouvé que ce trône d’où l’homme veut nous dominer impérieusement, n’a pour base qu’un cahos de préjugés, sans principes d’ordre pour les lier ensemble, ou que, comme le monde des pauvres Indiens ignorans, il est placé sur un éléphant, porté sur une tortue, ou même sur les puissantes épaules d’un géant fils de la terre, assurément celles de nous qui ôseront braver une auguste autorité reposant sur des bases si solides, peuvent le faire en toute sûreté de conscience, sans manquer à aucun devoir, et sans pécher contre l’ordre des choses.

Puisque la raison élève l’homme au-dessus des brutes, et que la mort, en nous frappant d’une main, nous ouvre de l’autre les portes du bonheur, convenons que ceux-là seulement peuvent s’assujettir à une obéissance aveugle, qui n’ont point confiance en leur propre force. Pour être libre, il suffit de le vouloir[6] ! L’être en état de se gouverner lui-même, n’a rien à craindre dans cette vie. Mais si quelque chose lui est plus cher que sa propre estime, il faudra qu’il en paye le prix jusqu’au dernier sol. La vertu, comme toutes les autres choses précieuses, doit être aimée uniquement pour elle-même, ou elle ne choisira point nos cœurs pour sanctuaire. Elle ne nous donnera pas cette paix « qui passe ce que l’intelligence peut imaginer », tant que nous n’en ferons qu’un moyen de réputation, et que nous ne la suivrons qu’avec une exactitude pharisienne, que parce que l’apparence de l’honnêteté est la meilleure politique.

Le plan de vie qui nous met en état d’emporter quelques connoissances et quelques vertus au-delà du tombeau, est le mieux calculé pour assurer notre bonheur dès ici bas ; c’est ce qu’on ne sauroit nier : peu de gens, néanmoins, se conduisent d’après ce principe, quoique personne n’en conteste la vérité. Le plaisir présent, ou le pouvoir actuel, font disparoître devant eux cette sage persuasion ; c’est pour la journée, et non pour la vie, que l’homme fait son marché avec le bonheur. Qu’il en est peu ! ah ! qu’il en est peu d’assez prévoyans ou courageux pour endurer un petit mal du moment, afin d’en éviter un plus grand dans la suite.

Les Femmes, en particulier, dont la vertu[7] ne porte que sur des préjugés vacillans, atteignent rarement à cette grandeur d’ame ; de sorte que, devenues esclaves de leurs propres sensations, elles se laissent aisément subjuguer par celles des autres. Ainsi dégradées, leur raison nébuleuse ne voit plus de chaînes dès qu’elles sont brillantes.

J’ai entendu avec indignation des Femmes raisonner comme les hommes, et s’engouer, avec tout l’entêtement de l’ignorance, de ces opinions qui les ravalent.

J’éclaircirai mon assertion par quelques exemples.

Madame Piozzi, qui répétoit souvent par routine ce qu’elle ne comprenoit pas, vient nous dire en grandes phrases à la Johnson : « Ne cherchez pas le bonheur dans la singularité ; craignez un rafinement de sagesse, comme un écart de folie. » Elle s’adresse ensuite, d’un ton dogmatique, à un nouvel époux, et pour éclaircir ce pompeux exorde elle ajoute « Je vous ai dit que la personne de votre Femme vous deviendroit insensiblement moins agréable, mais je vous en conjure, ne lui laissez pas soupçonner ce refroidissement. Une Femme pardonne plutôt un affront fait à son esprit qu’à ses charmes, c’est ce que tout le monde sait et qu’aucune de nous ne contestera. Tout nos efforts, tous nos sacrifices sont employés à conquérir et à garder le cœur de l’homme ; et quelle mortification plus cruelle que de manquer ce but. Il n’est point de reproche, quelque piquant qu’il soit, de punition quelque sévère que vous la supposiez, qu’une Femme de courage ne préfère à se voir négligée ; et, si elle endure ces mépris sans se plaindre, cela prouve seulement qu’elle compte se dédommager du peu de soins de son époux, en captivant l’attention d’autres hommes. »

Voilà des sentimens vraiment masculins ! « tous nos artifices sont employés à conquérir et à garder le cœur de l’homme » : qu’en conclure ? Si sa personne, et y eut-il jamais une Femme, même en la supposant belle comme la Vénus de Médicis, qui n’ait éprouvé quelque dédain ? si sa personne, dis-je, est négligée, elle s’en dédommagera, en essayant de plaire à d’autres hommes ! belle morale ! n’est-ce pas là insulter l’intelligence de tout mon sexe, et oter à sa vertu la base commune ? Une Femme doit savoir que sa personne ne peut être aussi agréable à l’homme devenu son mari, qu’au même homme, quand il étoit encore son amant ; et, si elle s’offense d’être descendue de l’autel où il l’adoroit en déesse, au rang d’une simple créature humaine ; elle gémira aussi bien de la perte de son cœur, ou de toute autre chose qui en vaudra aussi peu la peine ; ce manque de discernement, cette colère déraisonnable prouve qu’il ne pourroit pas changer sa tendresse pour les charmes de sa Femme en affection pour ses vertus, ou en respect pour son intelligence.

Tant que les Femmes se conduisent d’après de pareilles opinions et les avouent, leur tête, au moins, mérite le mépris de ces hommes qui, n’insultant jamais leurs charmes, ont toujours dirigé leurs traits épigrammatiques contre l’intelligence des Femmes. Et ce sont les sentimens de ces hommes polis, qui ne veulent pas avoir l’embarras de nous trouver une ame, que des Femmes vaines adoptent étourdiment ! Cependant, elles devroient savoir qu’il n’y a que cette raison dont elles ne vengent point les insultes, qui puisse couvrir leurs charmes de cette sainte réserve, propre à rendre les affections humaines, toujours mêlés de quelque bas alliage, aussi stables que d’accord avec le grand but de l’existence — l’acquisition de la vertu. La Baronne de Staël tient le même langage que je viens de citer, mais encore avec plus d’enthousiasme. Ses lettres, sur les ouvrages et le caractère de J. J. Rousseau, sont tombées par hazard entre mes mains, et ses sentimens, qui se trouvent par malheur être ceux de mon sexe, pourront servir de texte à quelque commentaire. « Quoique Rousseau, dit-elle, ait tâché d’empêcher les Femmes de se mêler des affaires publiques, de jouer un rôle éclatant, qu’il a su leur plaire, en parlant d’elles ! ah ! s’il a voulu les priver de quelques droits étrangers à leur sexe, comme il leur a rendu tous ceux qui lui appartiennent à jamais ! s’il a voulu diminuer leur influence sur la délibération des hommes, comme il a consacré l’empire qu’elles ont sur leur bonheur ! s’il les a fait descendre d’un trône usurpé, comme il les a replacées sur celui que la nature leur a destiné ! s’il s’indigne contre elles, lorsqu’elles veulent ressembler aux hommes, combien il les adore, quand elles se présentent à lui avec les charmes, les foiblesses, les vertus, et les torts de leur sexe ! enfin il croit à l’amour ; sa grâce est obtenue : qu’importe aux Femmes que sa raison leur dispute l’empire, quand son cœur leur est soumis ; qu’importe même à celles que la nature a douées d’une ame tendre, qu’on leur ravisse le faux honneur de gouverner celui qu’elles aiment ? Non, elles préfèrent de sentir sa supériorité, de l’admirer, de le croire mille fois au-dessus d’elles, de dépendre de lui, parce qu’elles l’adorent ; de se soumettre volontairement, d’abaisser tout à ses pieds, d’en donner elles-mêmes l’exemple, et de ne demander d’autre retour que celui du cœur dont, en aiment, elle se sont rendues dignes. » Elle a raison ! car jamais sensualiste n’a payé avec plus de ferveur son tribut d’adoration à l’autel de la beauté. En effet, son respect pour la personne étoit si pieux, qu’excepté la vertu de chasteté, probablement on se doute pourquoi, il désiroit uniquement la voir embellie par des charmes, des foiblesses et des erreurs. Il craignoit que l’autorité de la raison ne flétrit les jeux folâtres de l’amour. Il vouloit en maître avoir une esclave de sérail à mignarder ; mais il la vouloit entièrement dépendante de sa raison, de sa bonté ; il ne cherchoit point une compagne qu’il fut forcé d’estimer, ou une amie à qui il put confier le soin de l’éducation de ses enfans, en cas que la mort les privât de leur père, avant qu’il eut rempli cette tâche sacrée. Il refuse la raison à mon sexe, l’exclût des connoissances, et l’écarte de la vérité ; mais il est sûr de son pardon, parce qu’il admet la passion de l’amour. Il faudroit quelque franchise, pour montrer l’obligation que lui ont les Femmes d’admettre ainsi l’amour ; car il est clair qu’il ne l’admet, que comme le délassement des hommes et un moyen de perpétuer l’espèce ; mais il en a parlé avec chaleur, et ce chant magique a agi sur la sensibilité de sa jeune panégyriste ; c’est ce qui lui a fait dire : « qu’importe aux Femmes que sa raison lui dispute l’empire, quand son cœur leur est soumis. » Insensées ! renoncez à l’empire ; mais conservez du moins l’égalité. Au reste, si ces Femmes ne vouloient qu’étendre leur sceptre, je les avertis qu’il ne faut pas s’en fier uniquement à leurs charmes, car quoique la beauté puisse conquérir un cœur, elle ne peut le garder, même tant qu’elle reste dans tout son éclat, si l’esprit ne lui prête du moins quelques graces.

Quand les Femmes seront suffisamment éclairées pour voir en grand leurs véritables intérêts, je suis persuadée qu’elles résigneront facilement toutes les prérogatives de l’amour, sur-tout si elles ne sont pas réciproques, même en les considérant comme des prérogatives durables, pour la satisfaction paisible et la tendre confiance qu’inspire l’amitié ou une estime habituelle. Elles ne prendront point d’airs insolens, avant le mariage ; elles ne seront point après des esclaves abjectes, mais essayant de se conduire dans les deux situations, comme des créatures raisonnables, elles ne descendront point d’un trône sur un marche-pied.

Madame Genlis a écrit plusieurs ouvrages intéressans pour les enfans ; et ses lettres sur l’éducation, présentent plusieurs vues utiles, dont les parens judicieux ne manqueront pas de se servir ; mais ses vues sont étroites, et ses préjugés aussi déraisonnables que tenaces.

Je laisserai de côté sa véhémente argumentation en faveur de l’éternité des peines à venir, parce que je rougis de penser qu’un être humain puisse prendre avec chaleur la défense d’une pareille cause ; je me contenterai de faire quelques remarques sur sa manière absurde de faire supplanter la raison par l’autorité paternelle ; car elle inculque par-tout, non-seulement une soumission aveugle aux parens, mais à l’opinion du monde[8].

Elle nous raconte l’histoire d’un jeune homme engagé par le désir exprès de son père à une jeune personne d’une grande fortune. Elle la perd avant que son mariage puisse se réaliser, et se trouve sans ressources dans le monde. Le père met en œuvre les artifices les plus infâmes, pour détacher son fils de celle qu’il aime. Le jeune homme découvre les abominables moyens employés par un père, qui n’écoute que la voix de l’intérêt ; sensible seulement à celle de l’amour et de l’honneur, il remplit sa promesse. Le résultat est qu’il tombe dans la misère la plus affreuse, pour s’être marié contre le gré de son père. Sur quelle base peuvent porter la religion et la morale, quand on exclut ainsi la justice ? Elle représente, avec la même invraisemblance et dans le même style, une jeune personne accomplie, aussi prête à donner sa man au premier venu, dont sa maman lui fera l’éloge, qu’à épouser un jeune homme de son propre choix ; en un mot, sans éprouver le plus léger mouvement de passion, parce que, dit-elle, une fille bien élevée est trop occupée pour trouver le tems d’avoir de l’amour. Peut-on faire quelque cas d’un systême d’éducation qui insulte la raison et la nature ?

On trouve dans les écrits de madame Genlis, une foule d’idées pareilles, entremêlées néanmoins de sentimens qui honorent sa têteet son cœur. Cependant, sa religion a un alliage de tant de superstition, et sa morale de ce qu’on appelle la science du monde, que je ne laisserois lire ses ouvrages à une jeune personne, qu’autant que je pourrois en causer après avec elle, et lui faire voir les contradictions dont ils sont pleins.

Les lettres de Mistress Chapone sont écrites avec tant de bon sens, de modestie, sans affectation, et contiennent tant d’observations utiles, que je n’en parle que pour payer à l’auteur un tribut de respect. Je ne saurois, j’en conviens, être toujours de son avis ; mais je l’estime toujours.

Ces mots d’estime et de respect rappellent à ma mémoire madame Macaulay, sans contredit la Femme du talent le plus distingué que l’Angleterre ait jamais produite ; — et cependant ses contemporains ingrats l’on laissé mourir, sans s’acquitter envers elle de son vivant, ni même après sa mort.

Mais la postérité sera plus équitable ; elle se souviendra que Catherine Macaulay fût un exemple des profondes connoissances que peut acquérir une Femme, quoiqu’en disent les détracteurs de mon sexe, qui les supposent incompatibles avec la foiblesse de nos organes. On ne voit rien de féminin dans ses écrits ; le style en est, comme les idées, nerveux et clair.

Je ne veux pourtant par l’appeler une intelligence mâle, parce que je n’admets pas cet arrogant accaparement de raison ; mais je soutiens qu’elle fût une tête forte, et que son jugement, fruit mûr d’une profonde méditation, prouva qu’une Femme peut acquérir du jugement, dans toute l’étendue qu’on a donné à ce mot. Douée de plus de pénétration que de sagacité, de plus d’intelligence que d’imagination, elle écrit avec une énergie sobre, une logique serrée et pourtant la sympathie, la bienveillance prêtent à ses sentimens un intérêt, et à ses syllogismes une chaleur, qui force d’en péser le poid[9].

Quand je pris la plume pour tracer ces apperçus, je me promis d’avance l’approbation de Mme. Macaulay, avec un peu de cette vivacité que la tâche de ma vie a été de réprimer ; mais je ne tardai pas à apprendre, avec la douleur de l’espérance trompée et le deuil d’une perte cruelle, que cette Femme, l’honneur de mon sexe, n’étoit plus.


Section V.


On ne peut, en passant en revue les différens ouvrages sur l’éducation, se dispenser de parler des lettres du lord Chesterfield ; non que je me propose d’analyser son systême inhumain et immoral, ou seulement d’y glaner quelques remarques utiles, quoique malhonnêtes, qui se rencontrent par hazard dans cette frivole correspondance. — Mon unique projet est de faire quelques réflexions sur le but avoué de cet ouvrage. — L’art d’acquérir de bonne heure la connoissance du monde, art, je ne crains point de l’assurer, qui dévore secrètement, comme le ver dans le bouton, nos facultés morales prêts à s’épanouir, et tourne en poison la sève généreuse qui devroit monter avec vigueur dans le jeune individu, pour lui inspirer des affections tendres et de grandes résolutions[10].

Chaque chose a sa saison, dit l’homme sage : demande-t-on les fruits de l’automne aux mois générateurs du printems ? Mais c’est de la déclamation, et mon projet est de raisonner avec ces sages précepteurs du genre humain, qui, au lieu de cultiver le jugement, sèment des préjugés, et endurcissent les cœurs qu’une expérience graduelles auroit seulement tempérés. Une connoissance prématurée des défauts de l’humanité, ou ce qu’on appelle la science du monde, est, dans mon opinion, le moyen le plus sûr de resserrer le cœur, et de glacer cette ardeur naturelle qui produit les grands talens et les grandes vertus ; car essayer d’obtenir les fruits de l’expérience, avant que le jeune plant ait poussé ses feuilles, c’est seulement épuiser sa force, et l’empêcher de prendre une forme naturelle, tout comme on altère celle des métaux, quand on dérange la cohésion attractive de leurs parties.

Dites-moi, vous qui avez étudié l’esprit humain, n’est-ce pas un étranger moyen de fixer les principes, que d’en montrer aux jeunes gens le peu de stabilité ? Comment les fortifier par l’habitude, quand l’exemple en aura prouvé la fausseté ? Quelle nécessité d’étouffer ainsi l’ardeur de la jeunesse, et de couper jusqu’au vif, l’exubérance de l’imagination ? Cette précaution stérilisante peut, à la vérité, préserver des excès ; mais, à coup sûr, elle arrête les progrès des vertus et des lumières[11]. Le soupçon, en montrant des écueils à chaque pas, empêche les excursions du génie et de la bienveillance, et long-tems avant le soir calme et tranquille de la vie, elle seroit privée de ses charmes les plus attrayans, si la prudence nous faisoit une loi de la passer dans la contemplation.

Un jeune homme, élevé avec des amis domestiques, l’esprit meublé des connoissances spéculatives que la lecture, les réflections naturelles et les sentimens spontanés peuvent lui procurer ; ce jeune homme, dis-je, entre dans le monde avec des espérances mensongères : il semble pourtant que c’est la marche de la nature, et en morale, comme dans les ouvrages de goût, nous devons observer religieusement ses indications, ne pas prétendre à la guider ; mais la suivre obséquieusement.

Peu de personnes, dans le monde, agissent par principes : les sentimens actuels et les habitudes premières sont les deux grandes sources de leurs actions ; mais comment parviendra-t-on à modérer l’effet de ces sentimens, et à renforcer ces habitudes, si l’on montre aux jeunes gens le monde, précisément tel qu’il est, avant qu’ils soient devenus indulgens par l’expérience acquise du monde et de leurs propres cœurs ? Leurs semblables ne leur paroîtront pont des créatures fragiles, condamnées comme eux à lutter contre les infirmités humaines, montrant quelquefois le côté brillant, et d’autres fois le côté sombre de leur caractère, excitant tour-à-tour des sentimens d’amour et d’aversion ; non, ils les regarderont comme des bêtes féroces, jusqu’à ce que l’humanité, la sociabilité soient entièrement déracinées de leurs cœurs.

Dans l’usage de la vie, au contraire, comme nous découvrons graduellement les imperfections de notre nature, nous découvrons aussi des vertus, et différentes circonstances nous attachent à nos semblables, lorsque, mêlés avec eux, nous voyons ensemble des objets que la connoissance précoce et non-naturelle du monde ne nous auroit jamais montrés. Nous voyons la folie devenir vice, par des gradations presque insensibles, et la pitié se mèle au blame ; mais si le monstre hideux se présente tout-à-coup à nos regards, la crainte et l’aversion nous rendant plus sévères que l’homme ne doit l’être, un zèle aveugle peut nous faire usurper le caractère de la toute-puissance, et vouer tous nos frères à la réprobation, sans songer qu’il nous est impossible de lire dans les cœurs, et que nous portons en nous-même les semences cachées des mêmes vices.

J’ai déjà remarqué que nous attendons de l’instruction plus que la seule instruction ne sauroit produire ; car, au lieu de préparer les jeunes gens à combattre avec dignité les maux de la vie, à acquérir la sagesse et la vertu par l’exercice de leurs propres facultés, on accumule préceptes sur préceptes, et l’on demande une obéissance passive, quand il faudroit convaincre la raison.

Supposons, par exemple, qu’une jeune personne, dans la première ardeur de l’amitié, défie l’objet de son affection, quel mal peut-il résulter de cette méprise enthousiaste ? Peut-être est-il nécessaire que la vertu paroisse d’abord sous une forme humaine, pour s’imprimer dans les jeunes cœurs ; le modèle idéal qu’un esprit plus mur et plus exalté pourroit envisager et former pour lui-même, échapperoit à leurs regards. Celui qui n’aime pas son frère qu’il voit, peut-il aimer Dieu, qu’il ne voit pas, demandoit le plus sage des hommes ?

Il est naturel que la jeunesse orne de toutes les bonnes qualités le premier objet de ses affections, et que l’émulation produite par l’ignorance, ou pour parler plus proprement, par l’inexpérience, entraîne au-dehors l’esprit capable d’un pareil attachement. Quand, par la suite du tems, on voit que la perfection n’est point à la portée des hommes, la vertu, considérée abstractivement, en devient plus belle, et la sagesse plus sublime. L’admiration alors fait place à l’amitié proprement dire, parce qu’elle est cimentée par l’estime, et l’être marche de lui-même, ne dépendant uniquement que du ciel, pour ce zèle ardent de perfection qui brille toujours dans une ame élevée. Cette science, l’homme doit l’acquérir par l’exercice de ses propres facultés. Elle est certainement le fruit heureux de l’espérance trompée ; car celui qui se plut à répandre le bonheur, et à montrer de la commisération pour de foibles créatures qui doivent apprendre à le connoître ; celui-là, dis)je, ne nous donna pas de bonnes inclinations pour qu’elles ne fussent que des feux follets propres à nous tourmenter.

Nos arbres poussent des feuilles en abondance, sans qu’on essaye d’unir forcément les empreintes majestueuses du tems aux graces de la jeunesse ; on attend patiemment qu’ils ayent jetté de profondes racines et brâvé plusieurs tempêtes. — Doit)on donc traiter avec moins de respect, l’esprit qui, en proportion de sa dignité, s’avance plus lentement vers la perfection ? Pour raisonner d’après l’analogie, chaque chose autour de nous est dans un état progressif, et lorsque la connoissance fâcheuse de la vie en produit presque la satiété ; quand nous découvrons, par le cours naturel des choses, qu’ici bas tout est vanité, nous touchons à la catastrophe terrible du drame dont nous sommes le acteurs : les jours de l’espérance et de l’activité sont passés, et les occasions que les premières scènes de la vie nous ont fourni pour avancer dans l’échelle de l’intelligence, doivent être bientôt calculés. À cette époque, la connoissance de la futilité de la vie, ou même plutôt si elle est obtenue par l’expérience, est très-utile, parce qu’elle est naturelle ; mais quand on montre à un être fragile, les vices et les folies des hommes, afin de le prémunir contre les chances ordinaires de la vie, par le sacrifice de son propre cœur, — ce n’est pas être trop morose que de prétendre que cette sagesse du monde est en contraste avec le plus noble fruit de la piété et de l’expérience.

Je vais hazarder un paradoxe et montrer mon opinion toute entière : Si les hommes étoient uniquement nés pour parcourir le cercle de la vie à la mort, il seroit sage de prendre la route que la prévoyance pourroit nous suggérer pour nous rendre heureux ; la modération, dans chaque entreprise, seroit alors la suprême sagesse, et le voluptueux circonspect jouiroit d’un certain dégré de contentement, quoiqu’il ne s’attachât ni à cultiver son intelligence, ni à maintenir en lui la pureté du cœur. En supposant que tout périt avec nous, la prudence seroit la vraie sagesse, ou, pour parler plus explicitement, elle nous procureroit la plus grande somme de bonheur, dans la teneur entière de la vie ; mais la science, poussée au-delà des convenances de cette même vie, seroit une calamité.

Pourquoi altérerions-nous notre santé par une assiduité constante à l’étude ? Le plaisir exalté que procurent les travaux intellectuels, équivaudroit à peine aux heures de langueur qui leur succèdent, surtout s’il faut faire entrer dans ce calcul, les doutes et les erreurs qui obscurcissent toutes nos recherches : l’inquiétude et la vanité en sont le terme ordinaire ; car, la chose que nous désirons particulièrement découvrir, fuit devant nous comme l’horizon, à mesure que nous avançons. L’ignorant, au contraire, ressemble à l’enfant, et suppose qu’en marchant droit devant soi, l’on arriveroit au point de l’horizon où, selon lui, la terre et le ciel se touchent. Cependant, trompés comme nous le sommes dans nos recherches, l’esprit se fortifie par l’exercice, assez peut-être pour devenir susceptible de recevoir dans un autre point de l’existence, les réponses aux questions inquiètes qu’il fait lorsque, d’un œil foible, l’intelligence flotte autour des effets visibles, pour en découvrir la cause secrette.

Les passions aussi, ces vents de la vie, seroient, sinon pernicieuses, du moins sans utilité, dans la supposition où la substance qui compose notre être pensant, après que nous en aurions vainement fait usage, deviendroit uniquement le soutien de la vie végétale, et se borneroit à alimenter un chou ou à fleurir dans une rose. Les appétits seroient proportionnés aux besoins terrestres, et produiroient un bonheur plus constant et plus modéré ; mais les facultés de l’ame qui ne sont pas d’une grande utilité dans ce monde, et qui probablement contrarient nos jouissances animales, lors mêmes que par la conscience de notre dignité, nous nous glorifions de les posséder ; ces facultés, dis-je, prouvent que la vie n’est qu’une éducation, état d’enfance auquel nos espérances les plus chères ne doivent pas être sacrifiées. J’en conclus qu’il faut que nous ayons une idée précise du but auquel nous désirons d’arriver par éducation ; car une infinité de personnes qui font profession de croire fermement à l’immortalité de l’ame, contrarient leur croyance par leurs actions.

Si vous embarrassant peu de l’avenir, vous regardez comme le point le plus important de s’assurer, l’aisance et la propriété sur la terre ; vous agissez prudemment, en donnant à votre fils la connoissance anticipée des foiblesses de sa nature. Vous ne pouvez pas, il est vrai, en faire un Inkle[12] ; mais n’imaginez pas qu’il fasse plus que la loi n’ordonne ; ni qu’ayant conçu de très-bonne-heure une basse opinion de la nature humaine, il cherche à s’élever au-dessus du vulgaire. Il pourra éviter les vices grossiers, parce que l’honnêteté est la meilleure politesse ; mais il ne visera jamais aux grandes vertus. L’exemple des écrivains et des artistes peut éclaircir cette observation.

Je me permettrai donc de mettre en question si ce qu’on nous a donné comme un axiome en morale, n’est pas plutôt une assertion dogmatique de quelques hommes qui ont froidement étudié le genre humain dans des livres, et je dis, contradictoirement à leur opinion, que la régulation des passions n’est pas toujours sagesse. — Il semble au contraire que si les hommes ont plus de jugement et plus de courage que les Femmes, c’est parce qu’ils donnent un plus libre cours aux grandes passions, et que s’égarant plus fréquemment, leur esprit profite de leurs écarts. S’ils peuvent donc arriver par l’exercice de leur propre raison à quelques principes invariables, ils doivent probablement en remercier la force de leurs passions, qui s’est nourrie par de faux apperçus de la vie, et qui leur a fait franchir des limites qu’ils n’auroient jamais dépassées[13]. Mais si, dans le commencement de la vie, on nous en montre froidement toutes les scènes ; s’il nous est donné de voir toutes les choses sous leurs vraies couleurs, comment les passions acquerront-elles une force suffisante pour le développement des facultés.

Je me suppose maintenant sur une éminence d’où je découvre le monde depouillé de tous ses charmes faux et séducteurs : la pureté de l’atmosphère me permet de voir chaque objet dans son vrai point de vue ; mon cœur est tranquille ; je suis calme comme l’aspect d’un beau matin, quand les nuages se déroulant peu à peu, dévoilent silencieusement les beautés de la nature raffraichie par le repos.

Sous quel jour le monde s’offre-t-il à mes regards ? Je frotte mes yeux, et je crois sortir d’un songe agréable.

Je vois les enfans des hommes, poursuivre des ombres fugitives, et épuiser soucieusement leurs forces à nourrir des passions qui n’ont point d’objet correlatif ; — si toutefois l’excès de ces impulsions aveugles, caressé par ce guide infidèle, mais constamment suivi, l’imagination, n’a pas pour but de rendre plus sages, les hommes à courte vue, en les préparant pour quelque autre part ; ou, ce qui revient au même, quand ils poursuivent un bien présent qui n’existe pas.

Après avoir considéré les objets sous ce point de vue, il n’est pas très-extravagant d’imaginer que ce monde est un théâtre sur lequel se joue une pantomime continuelle, pour l’amusement des êtres supérieurs. Quel divertissement pour eux, de voir l’ambitieux courir après un fantôme, et poursuivre la fragile renommée dans la bouche du canon qui va l’anéantir ; car, quand on a perdu le sentiment de l’existence, peu nous importe de monter dans un tourbillon, ou de descendre dans la pluie : mais si l’on renforçoit la vue de l’ambitieux, si on lui montroit le sentier épineux de l’élevation qui, tel qu’un sable mouvant, se dérobe sous ses pieds, et trompe ses espérances au moment où il croit les réaliser ; ne céderoit-il pas à d’autres l’honneur d’en être les dupes ? ne travailleroit-il pas à s’assurer du moment présent, quoique d’après la nature de sa constitution, il ne dût pas trouver facile d’arrêter le torrent fugitif ? C’est ainsi que la crainte et l’espérance nous traînent en esclaves !

Mais quelques vains que soient les projets de l’ambitieux, il s’agite souvent pour quelque chose de plus substanciel que la renommée, — qui est en effet la plus bisarre de toutes les erreurs ? — Quoi ! se refuser jusqu’aux moindres satisfactions pour être applaudi quand on ne sera plus ! Que sert de disputer sur l’immortalité de l’ame, si cette noble passion ne doit pas élever l’homme au-dessus des êtres qui coexistent avec lui.

Et l’amour ! quelles scènes comiques ne produit-il pas ? — Les tours de Pantalon n’ont rien d’aussi plaisant. Quoi de plus ridicule, que de voir un homme orner un objet de charmes imaginaires, et tomber ensuite aux pieds de l’idole qu’il s’est fait lui-même ? Mais il s’ensuivroit les plus sérieuses conséquences, si l’on dépouilloit l’homme de cette portion de bonheur que l’Être suprême lui a indubitablement promise en l’appelant à l’existence : toutes les intentions de la vie auroient-elles été mieux remplies, si l’homme avoit éprouvé seulement ce qu’on appelle l’amour physique ? L’objet n’étant plus vu à travers le milieu de l’imagination, sa présence ne réduiroit-elle pas bientôt la passion à un simple appétit, si la réflexion qui distingue si éminemment l’homme, n’en renforçoit l’effet, et n’en faisoit un instrument propre à l’élever au-dessus de cette écume terrestre, en lui apprenant à aimer le centre de toute perfection, ce centre dont la sagesse se montre plus évidemment dans les œuvres de la nature, à mesure que la raison est plus éclairée, plus exaltée par la contemplation et par cet amour de l’ordre que produisent les efforts de la passion.

On peut démontrer que l’habitude de réfléchir, et les lumières qu’on retire des passions, sont également utiles, quoique l’objet en soit également fallacieux : car on les verroit dans le même sens, si elles n’étoient pas rehaussées par la passion dominante que l’auteur de tout bien a mise en nous, pour fortifier les facultés de chaque individu, et l’instruire par l’expérience, comme un enfant qui fait certaines choses sans pouvoir en dire la raison.

Mais je descends de mon apogée, et, mélée avec mes semblables, je me sens entraîner dans le torrent commun à tous ; l’ambition, l’amour, l’espérance et la crainte, exercent leur pouvoir magique, quoique nous soyons bien convaincus par la raison, que leurs promesses les plus séduisantes ne sont que des rêves imposteurs ; mais si la froide main de la circonspection proscrit tout sentiment généreux avant qu’il ait acquis un caractère de permanence, ou déterminé quelque habitude, pouvons-nous attendre autre chose qu’une prudence egoïste et une raison à peine supérieure à l’instinct ? Quoiconque a lu d’un œil philosophique dans Swift, l’insipide description des Yahoos et des Houyhnlims, peut-il s’empêcher de reconnoître combien il est inutile de déprécier les passions, ou de vouloir que les hommes restent tranquiles ?

Il faut que la jeunesse agisse ; car si elle avoit l’expérience de l’âge mûr, elle seroit plus propre à la mort qu’à la vie : ses vertus, siégeant dans la tête plutôt que dans le cœur, ne produiroient rien de grand, et son intelligence préparée pour ce monde, ne prouveroit point par ses nobles élans, qu’elle a des droits à un meilleur.

Il est d’ailleurs impossible de donner aux jeunes gens une idée juste de la vie. Il faut qu’ils se soient débatus avec leurs propres passions, avant qu’ils puissent évaluer la force de la tentation qui a conduit leurs frères dans le vice. Ceux qui entrent dans la vie, et ceux qui la quittent, voyent le monde sous des points de vue si différens, qu’il est rare qu’ils puissent penser de même, à moins que la raison non-développée des premiers ne se soit jamais hazardée à voler de ses propres aîles.

Quand nous entendons parler de quelque crime audacieux, il se présente à nous couvert de turpitude, et excite notre indignation ; mais l’œil, accoutumé graduellement à en pénétrer la profondeur, ne peut se défendre d’un sentiment de compassion. Un spectateur immobile ne voit pas le monde ; il faut se mêler dans la foule, et sentir comme les autres sentent, avant de juger leurs sentimens : en un mot, si nous voulons vivre dans le monde, devenir plus sages et meilleurs, et ne pas nous borner uniquement à jouir des bienfaits de la vie, il faut que la connoissance des autres soit liées à la nôtre. Tout autre mode d’instruction ne fait qu’endurcir le cœur et troubler l’entendement.

On me dira peut-être que l’instruction acquise de cette manière, est quelquefois trop coûteuse ; je répondrai que je doute très-fort qu’aucun genre de connoissance puisse s’obtenir sans travail et sans inquiétude ; et ceux qui veulent épargner l’un et l’autre à leurs enfans, ne doivent pas se plaindre s’il ne sont, ni sages, ni vertueux. Ils ne visent qu’à les rendre prudens, et la prudence, dans les premiers tems de la vie, n’est que le métier circonspect d’un amour-propre ignorant.

J’ai remarqué que les jeunes gens, à l’éducation desquels on a donné une attention particulière, sont très-superficiels, suffisans, et ne plaisent sous aucun rapport, parce qu’ils n’ont, ni la chaleur confiante de la jeunesse, ni la froide profondeur de l’âge. Cette manière d’être non-naturelle, je ne puis m’empêcher de l’imputer sur-tout à cette instruction hative et prématurée, qui les conduit à répéter présomptueusement les notions non-digérées qu’ils ont adoptées de confiance ; c’est donc par l’éducation soignée qu’ils ont reçue, qu’ils sont toute leur vie esclaves des préjugés.

L’exercice de l’esprit comme celui du corps est d’abord fatiguant, au point que plusieurs trouvent fort commode que d’autres travaillent et pensent pour eux. Une observation que j’ai souvent eu occasion de faire, éclaircira mon idée. Lorsque, dans une société d’étrangers ou de personnes de connoissance, quelqu’un d’un mérite médiocre, soutient une opinion avec chaleur, j’ose affirmer, car je l’ai très-souvent vérifié, que c’est un préjugé. Ces échos ont un grand respect pour l’intelligence de quelque parent ou de quelqu’ami, et, sans comprendre pleinement les opinions qu’ils sont si impatiens de débiter, ils les soutiennent avec un dégré d’opiniâtreté qui doit surprendre la personne même à qui elles appartiennent.

Je sais qu’il est de mode à présent de respecter les préjugés, et que, lorsque quelqu’un s’avise de les heurter de front sans autre motif que celui de la raison et de l’humanité, on lui demande gravement s’il croit que nos ancêtres étoient des fous ? Non, répondrai-je ; les opinions quelles qu’elles soient, ont, sans doute, d’abord été fondées en raison ; mais le plus souvent elles ont eu pour base un motif de localité plutôt qu’un principe essentiel et raisonnable dans tous les tems. Les anciennes opinions prennent la forme des préjugés, quand on les adopte paresseusement et à cause de l’âge qui leur a donné un aspect vénérable, quoique le motif en ait cessé, ou qu’on ne puisse plus en rendre compte. Pourquoi serions-nous attachés à des préjugés, uniquement parce qu’ils sont préjugés[14] ? Un préjugé est une persuasion folle et obstinée dont on ne peut rendre raison ; car du moment où l’on peut donner la raison d’une opinion, elle cesse d’être un préjugé, quoiqu’elle puisse être une erreur de jugement ; or devons-nous caresser les opinions uniquement pour nous défier de la raison ? Cette manière de raisonner, si on peut l’appeler ainsi, me rappele ce qu’on dit vulgairement de la raison des Femmes ; car les Femmes déclarent quelquefois qu’elles aiment ou qu’elles croyent certaines choses, parce qu’elles les aiment ou les croyent.

Il est impossible de converser sur aucune matière avec des gens qui ne savent employer que ce style affirmatif et négatif. Avant de les amener à un point d’où vous puissiez partir pour raisonner avec eux, vous êtes obligé de revenir aux principes simples et antérieurs, aux préjugés établis, et vous n’en êtes guère plus avancé ; car on vous oppose l’assertion philosophique, que certains principes sont aussi faux dans la pratique que vrais dans la spéculation[15]. On peut même augurer que la raison a semé quelques doutes ; car il arrive généralement que les gens soutiennent leurs opinions avec le plus de chaleur, au moment où ils commencent à en douter ; ils cherchent à sortir de leurs doutes par la conviction de leurs adversaires, et ils se mettent en colère, quand on les leur renvoye, et qu’on trompe l’espoir où ils étoient de s’en affranchir.

Il est de fait, que les hommes attendent de l’éducation, ce que l’éducation ne peut pas leur donner. Un père ou un instituteur judicieux peuvent fortifier le corps, et préparer les instrumens avec lesquels l’enfant doit acquérir des connoissances ; mais c’est à lui seul à les convertir en miel substanciel. Chercher à rendre un jeune homme sage par l’expérience d’autrui, est une chose presque aussi absurde, que de vouloir qu’il puisse augmenter ses forces corporelles, par la seule vue ou par le récit de l’exercice fait par d’autres[16]. La plûpart de ces enfans, dont la conduite a été scrupuleusement surveillée, deviennent les plus foibles des hommes, parce que leurs instructeurs se bornent à jetter dans leur esprit quelques notions, qui n’ont d’autre base que leur autorité ; et quand ces instructeurs sont aimés et respectés de leurs élèves, l’entendement de ces derniers est gêné dans ses opérations, et incertain dans ses progrès. Toute l’éducation se réduit donc à placer les enfans dans les positions les plus propres à leur instruction : cependant, après avoir entassé précepte sur précepte, sans permettre à l’enfant de former lui-même son propre jugement, les parens espèrent qu’à la lueur de cette lumière empruntée, il se conduira comme s’il s’étoit éclairé lui-même, et qu’en entrant dans la vie, il sera ce qu’ils sont eux-même en la quittant. Ils ne font pas attention que l’arbre et même le corps humain n’acquièrent la force des fibres, que lorsqu’ils sont parvenus à leur entier développement.

Il semble qu’il y ait quelque analogie entre cette marche et celle de l’esprit. Les sens et l’imagination donnent la forme au caractère, dans les tems de l’enfance et de la jeunesse. À mesure qu’on avance dans la vie, l’entendement fortifie les premières impressions de la sensibilité, jusqu’à ce que la vertu, s’élevant plutôt par la conviction intime de la raison, que par l’impulsion du cœur, établisse la moralité sur une base contre laquelle viennent se briser les orages des passions.

J’espère qu’on ne se méprendra pas le sens de mes expressions, quand je dis que la religion n’auroit pas cette double énergie, si elle étoit fondée sur la raison. Quels effets pourroit-on en attendre, en n’y voyant que l’asile de la foiblesse timorée, ou le refuge du fanatisme, et non un principe gouvernant de conduite, tiré de la connoissance de soi-même, et d’une opinion raisonnable sur les attributs de la Divinité ? La religion, qui consiste à échauffer les affections, et à exalter l’imagination, n’est que la partie poëtique de la religion ; et elle peut procurer du plaisir à un individu, sans le rendre un être plus moral. Elle peut remplacer les poursuites mondaines, les recherches du bonheur dans cette vie ; cependant, ne nous dissimulons pas, qu’alors elle rétrécit le cœur, au lieu de nous l’agrandir ; et pourtant, il faudroit aimer la vertu pour sa sublimité, son excellence en elle-même, et non parce qu’elle nous procure des avantages et nous sauve des malheurs ; c’est la seule manière de l’envisager, qui puisse donner des résultats dignes d’elle. Les hommes n’acquéreront jamais une moralité suffisante, tant qu’ils se borneront à bâtir des châteaux en l’air dans un monde à venir, pour compenser les peines qu’ils trouvent dans celui-ci ; jamais vous ne ferez rien d’eux, tant qu’ils détourneront leurs pensées de leurs devoirs relatifs vers les chimères religieuses.

La vaine et incohérente sagesse des hommes qui, oubliant tout à la fois à servir Dieu et Mammone, essayent d’associer les contradictoires, gâte la plûpart des situations de cette vie, sur lesquelles elle nous abuse. — Voulez-vous faire votre fils riche ? suivez une marche. — Plus honnête dans vos vues, n’êtes-vous jaloux que de le rendre vertueux ? suivez en une différente ; mais n’imaginez pas pouvoir sauter à volonté d’un sentier à l’autre, sans perdre votre chemin[17].


  1. Ce passage a été déjà cité plus haut.
  2. Quelle déraison !
  3. Quelle sera la conséquence, si par hasard l’opinion de la mère et du mari, ne s’accorde pas ? On ne sauroit tirer de son erreur par le raisonnement une personne supposée trop ignorante pour le saisir ; et lui persuader de renoncer à un préjugé, pour en embrasser un autre, n’est pas donner de l’assiète à ses idées. Dans le fait, il est possible que le marie n’ait aucune religion à lui enseigner, quoiqu’indépendamment des considérations de ce monde, elle en ait grand besoin dans cette situation, pour soutenir sa vertu.
  4. Pouvez-vous ? Pouvez-vous ? répéter ces mots du ton mocqueur qui convient, seroit peut-être le meilleur commentaire de cet étrange passage.
  5. Eh ! que les Femmes acquièrent seulement du bon sens, et s’il mérite réellement ce nom, il leur enseignera bientôt à quoi il est bon, et comment l’y employer.
  6. « Il est libre, l’homme affranchir par la vérité ! » Cowper.
  7. J’entends, par ce mot, plus qu’une seimple vertu sexuelle, telle que la chasteté.
  8. Une personne ne doit pas se conduire de telle ou telle manière, quoique convaincue qu’elle fait bien, parce que quelques circonstances équivoques peuvent faire soupçonner qu’elle s’est conduite d’après des motifs différens. C’est sacrifier la réalité à l’ombre. Qu’on veille sur son propre cœur, qu’on agisse aussi bien qu’on le croit possible, et puis on peut attendre tranquillement ce que le monde en pensera, ce qu’il en voudra dire. Le mieux est toujours d’obéir à sa conscience, et d’être dirigé par un motif simple et pur ; — car la justice ne s’est vue que trop souvent sacrifiée à l’apropos, ou pour le dire autrement, à la convenance.
  9. De l’avis de madame Macaulay sur plusieurs branches de l’éducation, je renvoie le lecteur à son excellent ouvrage, au lieu de citer ici ses opinions pour appuyer les miennes.
  10. Qu’il faille constamment tenir en garde les enfans, contre les vices et les folies du monde, c’est une opinion qui me paroît très-fausse, car dans le cours de mes observations, et je les ai assez étendues, j’ai vu que les jeunes gens, élevés de cette manière, imbus de ces soupçons refroidissans, et répétant machinalement le si dubitatif de l’âge ; j’ai vu, dis-je, que tous annonçoient un caractère égoïste.
  11. J’ai déjà observé que la connoissance prématurée du monde, obtenue par une voie naturelle, c’est-à-dire, en le pratiquant de bonne heure, produit le même effet : j’ai cité en exemple les militaires et les Femmes.
  12. Tout le monde connoît l’histoire touchante d’Inkle et Yariko.
  13. « Tout cela, dit Sydnei, n’est que science de langue à laquelle il manque l’expérience. »
  14. Voyez M. Burke.
  15. Parvenez à convaincre un homme malgré lui, il n’en conservera pas moins la même opinion.
  16. On ne voit rien quand on se borne à la contemplation ; il est nécessaire d’agir soi-même pour être en état de voir comment les autres agissent. Rousseau.
  17. Voyez, sur ce sujet, un excellent essai de madame Barbauld, dans ses mêlanges en prose.