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Défense des droits des femmes/04

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Paris : Chez Buisson, lib., rue Haute-Feuille, n° 20 ; Lyon : Chez Bruyset, rue Saint-Dominique (p. 112-183).

CHAPITRE IV.

Observation sur l’état de dégradation auquel les Femmes sont réduites par différentes causes.

Il est, je crois, évident que la Femme est naturellement foible ou dégradée par le concours des circonstances ; mais j’appliquerai simplement à cette proposition un raisonnement que j’ai entendu répéter souvent en faveur de l’aristocratie ; c’est que la totalité du genre humain ne peut pas être homogène, parce que les esclaves soumis qui se laissent enchaîner complaisamment, sentiroient leur propre dignité et rejetteroient leurs fers. Les hommes, ajoutent ces raisonneurs, se soumettent par-tout à l’oppression ; quand ils parviennent à se débarasser du joug, au lieu de profiter de ce moment pour assurer leurs droits naturels, ils ne tardent pas à recourber la tête : mangeons et buvons, disent-ils, car nous mourons demain ; je crois, par analogie, que les Femmes sont également dégradées par la même propension à jouir du moment présent, et qu’enfin elles méprisent la liberté, n’ayant pas assez de vertu pour s’efforcer même d’y prétendre.

On permet unanimement de cultiver le cœur des Femmes ; mais quand à l’esprit, on ne veut pas qu’elles puissent jamais passer la ligne de démarcation établie entr’elles et les hommes[1]. Toute leur raison doit être en agrément, et c’est la réduire à très-peu de chose ; car en leur refusant le jugement et le génie, il est assez difficile de deviner ce qui reste pour caractériser l’intelligence. Le tissu de l’immortalité, si l’on veut bien me passer cette expression, est la perfectibilité de la raison humaine ; car si l’homme avoit été créé parfait, ou s’il avoit la science infuse, je douterois de son immortalité ; mais dans l’état actuel des choses, les difficultés morales qui échappent à l’investigation des penseurs les plus profonds et aux brillans éclairs de génie, sont l’argument sur lequel je m’appuie pour croire à l’immortalité de l’ame : la raison est conséquemment le simple pouvoir de perfectionnement, ou pour mieux dire, de discerner la vérité. Chaque individu est, à cet égard, un monde en lui-même. La raison est plus ou moins sensible dans tel ou tel individu ; mais elle doit être de la même nature pour tous, si elle est une émanation de la divinité, si elle forme le nœud qui lie la créature au créateur ; car comment auroit-il empreint son image céleste sur une ame qui ne seroit pas perfectible par l’exercice de sa propre raison[2] ? cependant, soigneusement ornée au-dehors pour plaire à l’homme, « afin qu’il puisse s’honorer de son amour »[3], l’ame féminine n’aura pas le même caractère, et l’homme placé entr’elle et la raison, il faudra qu’elle s’en rapporte à lui sur toutes choses, sans pouvoir en juger par elle-même.

Mais en rejettant ces théories imaginaires, en considérant la Femme comme un tout, quel qu’il soit, et non comme une partie de l’homme, il s’agit d’examiner si elle a la raison, ou si elle ne l’a pas : si elle l’a, ce que je veux admettre pour un instant, elle n’a pas été uniquement créée pour être la consolation de l’homme, et le caractère sexuel ne doit pas détruire le caractère humain.

Les hommes ont probablement été entraînés à cette erreur, en envisageant l’éducation sous un faux point de vue, en la considérant, non comme le premier pas pour former un être qui s’avance graduellement vers la perfection[4] ; mais seulement comme une préparation pour la vie ; d’après cette erreur sensuelle, car il faut que je l’appelle ainsi, on a bâti le systême des mœurs des Femmes. Systême qui ôte au sexe toute sa dignité, et range la blonde et la brune dans la classe de ces fleurs brillantes, dont l’unique destination est d’orner la surface de la terre. Tel a toujours été le langage des hommes, et la crainte de déroger au caractère supposé de leur sexe, a porté les Femmes, même d’un esprit supérieur, à adopter les mêmes principes[5].

C’est ainsi que l’entendement, proprement dit, a été refusé aux Femmes, et qu’on lui a substitué l’instinct sublimisé en esprit et en finesse pour la conduite de la vie.

Le pouvoir de généraliser des idées, de tirer des observations individuelles, des conclusions collectives, est pour un être immortel la seule acquisition qui mérite réellement le nom de science. Observer purement sans tâcher de se rendre compte d’aucune chose, ce n’est qu’une faculté machinale qui peut, quoique d’une manière incomplette, servir comme sens-commun de la vie ; mais dans cette supposition, que resteroit-il à l’ame séparée du corps ? quelle acquisition auroit-elle fait dans sa dépouille mortelle ?

On n’a pas seulement refusé aux Femmes ce pouvoir de généraliser les idées ; quelques écrivains ont encore prétendu qu’il étoit incompatible, sauf un petit nombre d’exceptions, avec leur caractère sexuel. Que les hommes prouvent cette assertion, et je conviendrai que la Femme n’existe que pour l’homme. Je dois préalablement observer que le pouvoir de généraliser ses idées à un degré éminent, n’est pas très-commun, ni parmi les hommes, ni parmi les Femmes ; mais cet exercice est la vraie culture de l’entendement, et tout conspire à le rendre plus difficile pour les Femmes que pour les hommes.

Ceci me conduit naturellement à l’objet principal de ce chapitre : Je vais tâcher de mettre en évidence quelques-unes des causes qui, dégradant le sexe, empêchent les Femmes de généraliser leurs observations.

Je ne remonterai point aux annales reculées de l’antiquité, pour tracer un récit historique de l’état de la Femme dans les différens siècles ; il suffit de dire qu’elle a toujours été esclave ou tyran, et que ces deux positions sont également contraires au progrès de la raison. J’ai toujours cru que la grande source de l’extravagance et des vices des Femmes, provenoit du retrécissement de leur esprit, et tous les gouvernemens semblent s’être attachés à mettre des obstacles presque insurmontables à la culture de leur intelligence ; cependant il n’est pas d’autre base sur laquelle on puisse établir la vertu : les mêmes obstacles entravent le riche, et les conséquences en sont les mêmes.

On dit proverbialement que la nécessité est la mère de l’invention ; cette maxime peut s’étendre à la vertu : c’est une acquisition et une acquisition à laquelle il faut sacrifier le plaisir ; est-on capable de ce sacrifice quand on est dans un étau ? quand l’esprit n’a été ni ouvert, ni renforcé par l’adversité ? quand la nécessité ne nous a pas aiguillonnés à acquérir des connoissances ? il est heureux que les soins de la vie nous coûtent des efforts, car ils nous empêchent de devenir la proie des vices corrupteurs qui résultent de l’oisiveté ; mais si les hommes et les Femmes se trouvent, dès leur naissance, placés dans une zône torride où le soleil du plaisir frappe directement sur eux, comment pourroient-ils s’attacher à remplir les devoirs de la vie, ou seulement à modérer les affections qui les entraînent ?

D’après l’organisation actuelle de la société, le plaisir est l’unique affaire des Femmes, et tant que les choses resteront dans cet état, que peut-on attendre de ces êtres foibles et dégradés ? Héritières en ligne directe du sceptre de la beauté, pour conserver cet empire, elles renoncent aux droits naturels que l’exercice de la raison auroit pu leur procurer, et elles préfèrent cette royauté éphémère à ce qu’il leur en coûteroit pour obtenir les satisfactions durables de l’égalité. Exaltées par leur infériorité, ce qui semble impliquer une espèce de contradiction, elles réclament un hommage constant, quoique l’expérience dut leur avoir appris que les hommes qui se vantent de payer, avec la plus scrupuleuse exactitude, ce tribut arbitraire, d’un insolent respect pour le sexe, sont les plus enclins à tyranniser et à mépriser cette foiblesse qui leur est si chère : ils rappellent souvent l’observation de M. Humes lorsque, comparant les français aux athéniens, il fait allusion aux Femmes : « mais une chose bien plus singulière dans cette capricieuse nation, je parle aux athéniens, c’est que la folie passagère de vos saturnales, quand les esclaves sont servis par leurs maîtres, se continue chez elle pendant toute l’année, et même pendant toute la vie, avec des circonstances qui la rendent plus absurde et plus ridicule ; c’est pour vous amuser, que vous accordez quelques jours d’élévation à ceux que la fortune a abaissé et qu’elle peut aussi, pour son amusement, élever réellement au-dessus de vous ; mais les habitans de cette nation exaltent gravement des personnes que la nature leur a soumises, et dont la foiblesse et l’infériorité sont absolument incurables. Les Femmes, quoique sans vertus, sont leurs maîtres et leurs souverains. »

Ah ! je le dis avec une tendre sollicitude, pourquoi les Femmes souffrent-elles qu’on leur accorde un degré d’attention et de respect différent de cette civilité réciproque que l’humanité inspire et que la politesse sociale autorise d’homme à homme ? Comment ne s’apperçoivent-elles pas que si on les traite en reines dans le Midi de leur beauté, ce n’est que pour les tromper par un respect futil, jusqu’à ce qu’on les ait amenées à l’abnégation de leurs droits naturels ? Alors, renfermées dans des cages comme l’espèce emplumée, il ne leur reste qu’à s’y pavaner avec leur majesté dérisoire : il est vrai qu’elles sont pourvues de nourriture et de vêtement sans se donner aucune peine ; mais elles les reçoivent en échange de la santé, de la liberté, de la vertu. Cependant où trouver, dans toute l’espèce humaine, un être douée d’une assez grande force d’esprit pour rejetter des avantages étrangers ; pour s’élever avec une dignité calme et raisonnée au-dessus de l’opinion, et s’enorgueillir des droits inhérens à l’humanité ? Il est inutile de l’espérer, tant que le pouvoir héréditaire étouffera les affections et détruira la raison dans son germe.

C’est ainsi que les passions des hommes ont élevé des trônes aux Femmes ; et jusqu’à ce que le monde devienne plus raisonnable, il est à craindre que les Femmes ne se prévallent elles-mêmes d’un pouvoir qui leur coûte si peu à obtenir, et qui est le moins susceptible de contestation. Elles souriront, oui, elles souriront, quoiqu’on leur dire : « Que dans l’empire de la beauté, la Femme est esclave ou reine, et qu’il n’y a point de milieu pour elles entre l’adoration ou le mépris ». Il est vrai que l’adoration marche la première, et que le mépris vient ensuite.

Louis XIV, particulièrement, introduisit des mœurs factices, et par des moyens spécieux, prit toute la nation dans ses filets : le peuple, enlacé d’une chaîne tissue avec art, devint lui-même complice de son despotisme ; et les Femmes qu’il flatta par une puérile attention pour le sexe en général, obtinrent sous son règne cette espèce d’empire si fatal à la raison et à la vertu.

Un roi est toujours roi, et une Femme est toujours Femme[6]. L’autorité de l’un, et le sexe de l’autre, s’interposent toujours entr’eux et un commerce raisonnable. Avec un amant, je garantis qu’une Femme sera toujours Femme, et que sa sensibilité la conduira naturellement à exciter une passion pour satisfaire son propre cœur et non pour charmer sa vanité ; ce n’est point que la coquéterie, c’est une impulsion purement naturelle, et me ne me récrie que contre le désir sexuel de conquérir quand le cœur n’est point engagé.

Ce désir n’est pas exclusivement réservé aux Femmes : « J’ai tâché, dit lord Chesterfield, de captiver le cœur d’une vingtaine de Femmes, pour la personne desquelles je n’aurois pas donné la valeur d’une figue ». Le libertin, qui dans un excès de passion, abuse d’une tendresse confiante, est un saint, en comparaison de ce coquin à cœur-froid ; car j’aime à me servir du mot propre. Cependant, uniquement instruites à plaire, les Femmes n’ont pas d’autre vœu, d’autre ambition, et elles travaillent avec une ardeur vraiment héroïque à gagner les cœurs, pour le seul plaisir de les dédaigner ou de les mépriser, quand la victoire est assurée et manifeste.

Mais entrons dans les moindres détails : Je me plains de la dégradation systêmatique des Femmes, par les attentions bannales que les hommes croyent devoir montrer pour le sexe, en leur qualité d’hommes, lorsque dans la réalité ils lui font supporter outrageusement leur supériorité. Ce n’est point complaisance, que de s’incliner devant son inférieur ; et, dans le fait, toutes ces cérémonies me paroissent si dérisoires, qu’à peine puis-je me contenir, quand je vois un homme se précipiter avec une inquiète et sérieuse sollicitude, pour relever un mouchoir, ou fermer une porte, afin d’en éviter la peine à la dame qui, moyennant un ou deux pas, auroit pu le faire elle-même.

Un désir singulier a passé de mon cœur dans ma tête, et, dût-on en rire à mes dépens, je ne saurois le dissimuler. Je désire ardemment que, les momens de l’amour exceptés, il n’y ait aucune distinction de sexe dans la société ; car je suis fermement persuadée que c’est cette distinction qui est le principe de la foiblesse de caractère attribuée aux Femmes. C’est par cette raison qu’on néglige leurs facultés intellectuelles, et qu’elles préfèrent les qualités agréables aux vertus héroïques.

Tous les individus de l’espèce humaine en général désirent d’être aimés et estimés par quelque chose, et la tourbe commune prendra toujours la route qui se présentera la première pour arriver à l’accomplissement de ses désirs. Le respect pour la richesse et pour la beauté est la plus certaine, la moins équivoque ; il s’ensuit qu’elle attirera toujours l’œil vulgaire des communs esprits. Les hommes de la classe moyenne ont absolument besoin de talens et de vertus pour se faire remarquer ; il est donc évident qu’on doit trouver plus de talens et de vertus dans cette classe, et qu’il existe au moins pour les hommes, une condition dans laquelle ils peuvent se travailler eux-mêmes avec dignité, et s’élever par des efforts qui réellement perfectionnent une créature raisonnable : il n’en est pas de même des Femmes ; toutes sont dans la condition du riche ; car elles naissent, (je parle de l’état actuel de la société), avec certains privilèges sexuels, et tant qu’elles en jouiront gratuitement, peu songeront à d’autres moyens d’obtenir l’estime d’un petit nombre de gens d’un mérite supérieur.

Où trouverons-nous des Femmes qui, sortant de l’obscurité, commandent le respect par des grands talens ou par des vertus audacieuses ? « Attirer les regards, les attentions, les complaisances, les flatteries, voilà les seuls avantages qu’elles recherchent ». C’est très-vrai, diront probablement mes lecteurs masculins. Je dois pourtant leur rappeler que ce passage n’a pas été originairement écrit pour caractériser les Femmes : on a voulu peindre le riche. En effet, j’ai trouvé dans la théorie des sentimens moraux du docteur Smith, un portrait général des gens opulens, qui, à mon avis, pourroit s’appliquer plus convenablement au sexe. Je renvoie le lecteur judicieux à l’entière comparaison, me permettant seulement de citer un passage à l’appui d’un raisonnement sur lequel je crois qu’il est à propos d’insister, parce que je le regarde comme un des plus concluans contre le caractère sexuel. Si, à l’exception des guerriers, la nobilité n’a jamais produit de grand-hommes d’aucune espèce, ne peut-on pas en inférer que cette situation locale absorbe l’homme et l’assimile aux Femmes qui sont localisées, s’il m’est permis de m’exprimer ainsi, par le rang qu’elles occupent et par la courtoisie ? Les Femmes communément appelées ladis, n’éprouvent jamais de contradictions ; n’exercent leur force physique par aucun travail pénible : si l’on peut attendre d’elles quelques vertus, ce ne sont que des vertus négatives, telles que la patience, la docilité, la bonne-humeur, la flexibilité ; vertus incompatibles avec les profondes combinaisons de l’intelligence. D’ailleurs, toujours en société, vivant rarement dans une solitude absolue, elles sont plutôt sous l’influence des sentimens que des passions ; car la solitude et la réflexion sont nécessaires pour donner aux désirs, l’intensité des passions, à l’imagination, l’aptitude à aggrandir un objet, et à l’envisager comme le plus désirable. On peut dire la même chose des riches : ils ne généralisent pas assez leurs idées ; ils ne réfléchissent pas assez pour acquérir cette force de caractère qui est la base des résolutions magnanimes. Mais écoutons ce que dit des grands, un observateur ingénieux :

« Les grands sont-ils insensibles au peu qu’il leur en coûte pour acquérir l’admiration publique, ou s’imaginent-ils que, comme les autres, ils doivent l’acheter de leur sang et de leurs sueurs ? Comment leur apprend-on à soutenir la dignité de leur rang ; à se rendre eux-mêmes dignes de cette supériorité sur leurs concitoyens qu’ils doivent aux vertus de leurs ancêtres ? Est-ce par la science, l’habileté, la patience, la modestie, ou par des vertus quelconques ? L’attention qu’on donne à tous leurs propos, à leurs moindres discours, les habitue à péser sur les circonstances les plus ordinaires de la vie ; ils s’étudient à remplir exactement le vain formulaire du cérémonial des sociétés : persuadés qu’on les distingue, et qu’on est disposé à favoriser toutes leurs inclinations, ils agissent dans les occasions les plus indifférentes avec cette liberté, cette hauteur qu’une idée pareille doit naturellement inspirer. Leur ton, leurs manières, leur conduite, tout porte l’empreint du sentiment flatteur de leur supériorité, auquel les gens d’une classe inférieure ne peuvent presque jamais atteindre : c’est sur cette présomption qu’ils fondent leur prééminence, et l’empire qu’ils se proposent d’exercer sur les inclinations des autres. Rarement sont-ils trompés dans ce calcul : ces moyens appuyés du rang, suffisent, dans les circonstances ordinaires, pour gouverner le monde. Louis XIV, pendant la majeure partie de son règne, fut regardé, non-seulement en France, mais même dans toute l’Europe, comme le plus parfait modèle d’un grand prince ; par quels talens, néanmoins, et par quelles vertus avoit-il obtenu cette grande réputation ? Étoit-ce par la justice rigoureuse de ses entreprises, par l’immensité des dangers et des difficultés dont elles étoient accompagnées, ou par son application infatigable à les surmonter ? Étoit-ce par l’étendue de ses connoissance, par son jugement exquis, par sa valeur héroïque ? Non, rien de tout cela ; mais il fut le prince le plus puissant de l’Europe, et conséquemment il tint le plus haut rang parmi les rois. En outre, dit son historien, il surpassoit tous ses courtisans par la beauté majestueuse de ses traits ; le son de sa voix noble et affectueuse gagnoit les cœurs qu’intimidoit sa présence : il avoit un port, une démarche, qui ne convenoient qu’à lui et à son rang, et qui auroient été ridicules dans tout autre. L’embarras de ceux qui lui parloient, flattoit la secrette satisfaction avec laquelle il sentoit sa propre supériorité. — Ces frivoles avantages, étayés de son rang et sans doute aussi de quelques autres talens et de quelques vertus qui semblent toute fois n’avoir pas été fort au-dessus de la médiocrité, établirent ce prince dans l’estime de son siècle, et lui ont ménagé, même dans la postérité, un tribut assez considérable de respect pour sa mémoire. De son tems, et en sa présence, aucune autre vertu ne pouvoit soutenir la concurrence de ses qualités personnelles ; elles éclipsoient tout : la science, l’habileté, la valeur, la bienfaisance.

De même une Femme « ainsi complette en elle-même », change tellement la nature des choses par la possession de tous ces frivoles avantages, — « que tout ce qu’elle dit ou fait semble ce qu’il y a de plus sage, de plus vertueux, de plus à propos, de mieux ; toutes les hautes connoissances perdent leur éclat et tombent à son aspect. La sagesse décontenancée s’égare dans les discours qu’elle lui tient, et déraisonne comme le feroit la folie elle-même ; l’autorité, la raison sont à ses ordres. » — Toutes ces magnifiques prérogatives, c’est un joli minois qui les lui vaut.

Mais reprenant ma comparaison, je prie d’observer que, dans la classe moyenne de la vie, on prépare les hommes dès leurs jeunesse à embrasser une profession, et que le mariage n’est pas l’époque marquante de leur carière, tandis qu’au contraire c’est l’unique but des Femmes qui dirigent toutes leurs facultés pour y arriver. Leur attention n’est point occupée d’affaires, de plans vastes ; jamais elles ne prennent l’essor de l’ambition ; elles ne consacrent pas leurs pensées à bâtir de magnifiques projets. Il faut qu’elles fassent un mariage avantageux pour s’élever dans le monde et y voler d’un plaisir à l’autre ; c’est à cet objet qu’elles sacrifient leur tems, et livrent souvent leur personne par une espèce de prostitution légale. Un homme qui entre dans quelque profession, a constamment en vue quelques avantages futurs, (or on ne sauroit croire combien l’ame acquiert de force en dirigeant toute sa tendance vers un seul point) ; et, plein de ses affaires, ne regarde le plaisir que comme un délassement, tandisque les Femmes en font le principal but de l’existence. En effet, d’après l’éducation qu’elles reçoivent dans la société, on peut dire que l’amour du plaisir les gouverne toutes ; mais cela prouve-t-il que les ames ayent un sexe ? il seroit précisément aussi raisonnable d’assurer que les courtisans, en France, n’étoient pas des hommes, quand un horrible systême de despotisme formoit leur caractère, parce qu’ils sacrifioient la liberté, la vertu, l’humanité aux plaisirs et au vain orgueil. — Fatales passions qui ont toujours dominé toute l’espèce !

Le même amour du plaisir, nourri par toute la marche de leur éducation, donne à la conduite des Femmes, dans la plupart des circonstances, une tournure d’insouciance et de légéreté : par exemple, ne songeant point au principal, elles se tourmentent pour obtenir les accessoires, et quêtent toujours des aventures, au lieu de s’occuper de leurs devoirs.

Un homme, quand il entreprend un voyage, a généralement un but en vue ; une Femme pense davantage aux incidens, aux choses singulières qu’elle pourra rencontrer sur la route ; à l’impression qu’elle espère faire sur ses compagnons de voyage ; et, par-dessus tout, elle est sérieusement occupée du soin des parures qu’elle emporte avec elle, et qui font toujours plus qu’une partie d’elle-même, surtout quand elle va figurer sur un nouveau théatre ; quand elle va faire sensation, pour me servir de l’expression française qui rend très-bien mon idée. La dignité de l’ame peut-elle exister avec des soins si puérils !

En un mot, les Femmes, généralement parlant, aussi bien que les riches des deux sexes, ont gagné toutes les folies, tous les vices de la civilisation, et perdu tous les avantages qu’on pouvoit en tirer. Il est inutile, je crois, d’avertir que je parle de l’ensemble de mon sexe, sauf le petit nombre d’exceptions convenables. Les sens des Femmes sont enflammés, et leurs facultés morales négligées, conséquemment elles deviennent la proie de leur sens, dont le pouvoir est délicatement nommé sensibilité, et sont toujours tirées de leur assiette par la moindre impression faite sur une machine aussi frêle et aussi mobile. Aussi sont-elles dans une condition pire que si elles se trouvoient plus près de la nature. Toujours en mouvement et tiraillée, leur sensibilité trop exercée les rend non seulement incapables d’éprouver du bien-être, mais même leur fait troubler celui des autres. Toutes leurs pensées roulent sur des objets calculés pour exciter des émotions, et, sentant quand elles devroient raisonner, leur conduite n’a point d’appui, leurs idées flottent au hazard ; incertitude qui n’est point le fruit de la délibération ou de vues plus étendues, mais de mouvemens qui s’entrechoquent. Ardentes à la poursuite de plusieurs choses par accès, par soubresauts, leur chaleur ne se concentre jamais jusqu’à devenir persévérance. Elles ont bientôt jetté leur premier feu qui s’épuise de lui-même, ou qui, se portant sur quelqu’autre objet fugitif, aussi peu digne de les fixer que le premier, ne leur laisse que le dégoût de tous. Il est bien malheureux en effet, cet être dont la culture de ses facultés morales n’a tendu qu’à enflammer ses passions. Car il faut distinguer entre les enflammer et les fortifier. Les passions ainsi exaltées, tandisqu’on laisse le jugement imparfait, quel doit-être le résultat ? — Nécessairement un mélange de fureur et d’imbécillité.

Cette observation ne se borne point au beau sexe ; mais c’est à lui seul que je veux l’appliquer pour le moment.

Les romans, la musique, la poësie, la galanterie, tout semble disposer les Femmes à ne se conduire que par leurs sensations ; on forme leur caractère là-dessus durant tout le tems consacré à acquérir des avantages du corps et de l’esprit, de manière qu’arrivées dans le monde et au poste qu’elles y doivent occuper, c’est tout ce qu’elles y apportent en effet : cette sensibilité étendue au-delà des intentions de la nature, affoiblit d’autant les autres facultés de l’ame ; et empêche le jugement d’arriver à cette prédominance qu’il lui faut pour rendre une créature raisonnable utile aux autres et contente de son sort ; car l’exercice du jugement, à mesure que la vie avance, est la seule méthode indiquée par la nature pour calmer les passions.

Il y a beaucoup de différence dans l’effet de la satiété, et j’ai été souvent très-frappée par une description emphatique des maux éternels, où l’on nous peint l’ame comme errante inutilement autour du corps qu’elle a quitté, désormais incapable de jouir de rien par la privation des organes de ses sens qu’elle regrette. Les Femmes sont encore esclaves des leurs, parce que c’est à la sensibilité qu’elles doivent leur empire actuel.

Et des moralistes oseront nous soutenir que, c’est là l’état dans lequel il faut encourager une moitié de l’espèce humaine à rester, en s’y plaisant stupidement et demeurant dans une inactivité impardonnable ! Ô les dignes, les bienfaisans instituteurs ! Pour quelle fin avons-nous été créés ? Pour demeurer, nous répondront-ils peut-être, dans un état d’innocence ; je sens trop bien qu’ils veulent dire un état d’enfance. — Il vaudroit autant pour nous ne pas être nées, à moins qu’on n’ait la barbarie de nous soutenir que notre existence est consacrée à mettre l’homme plus en état d’acquérir le noble privilège de la raison et la faculté de discerner le bien du mal, tandisque nous rampons dans la poussière dont nous fûmes tirées, sans espoir de nous en relever jamais.

Ce seroit une tâche, sans fin, de détailler tout l’avilissement, les inquiétudes et les chagrins où les Femmes sont plongées par l’établissement de cette opinion qu’elles ont été créées plutôt pour sentir que pour raisonner ; et que c’est par leurs charmes et leur foiblesse qu’elles doivent obtenir ce qu’on leur accorde d’influence : « belles par défaut de force et aimablement foibles » comme dit le poëte ; que résulte-t-il de cette aimable foiblesse ? C’est qu’elle les rend entièrement dépendantes de l’homme, non seulement pour la protection, mais même pour les conseils, excepté dans quelques circonstances où leurs attraits leur valent un pouvoir illicite. A-t-on donc lieu d’être surpris de ce que négligeant les devoirs que la raison seule intime, et se refusant à des épreuves faites pour fortifier leur ame, elles ne s’essayent qu’à masquer leurs défauts d’une manière agréable qui serve à rehausser le prix de leurs attraits aux yeux de l’épicurien, quoiqu’elles les rabaisse effectivement dans l’échelle de l’excellence morale ?

Frèles dans toutes les acceptions de ce mot, les Femmes sont forcées de s’adresser à l’homme dans toutes les occasions en suppliantes. Elles s’attachent à leur appui dans les plus petits dangers comme le lière parasite au chêne, et lui demandent du secours d’une voix plaintive ; alors leur protecteur naturel étend son bras puissant ou éleve sa voix pour rassurer la jolie trembleuse ; — mais sur quoi ? Sur le mugissement d’une vielle vache ou le cris d’une souris, car, s’il étoit question d’un rat, oh ! le danger seroit vraiment sérieux. Au nom de la raison et même du sens commun, qui pourroit sauver du mépris de pareilles poupées, quelques jolies et douces qu’elles fussent d’ailleurs ?

Ces craintes, quand elles ne sont pas affectées, peuvent effectivement être assez touchantes ; mais elles dénotent un dégré d’imbécillité qui dégrade une créature raisonnable à un point que les Femmes ne soupçonnent peut-être pas ; — car l’amour et l’estime sont des choses très-différentes.

Je suis bien persuadée que ces airs enfantins disparoîtroient, si l’on permettoit aux jeunes personnes de prendre un exercice suffisant pour fortifier leurs nerfs, et qu’on cessât de les tenir renfermées dans des appartemens trop clos où leurs muscles se détendent et leur esthomac se gâte. Il y a plus, c’est que si, au lieu de nourrir et peut-être même de créer cette timidité dans les jeunes filles, on la traitoit comme la poltronnerie dans les garçons, nous ne tarderions probablement pas à voir les Femmes plus respectables ; il est vrai qu’on ne pourroit plus les appeler avec justesse les douces fleurs qui naissent sous les pas de l’homme, dans le chemin de la vie ; mais elles y gagneroient ainsi que la société, dont elles deviendroient des membres plus utiles, en y remplissant les devoirs importans de la vie, d’après leur conscience et les lumières de leur raison. « Élevez les Femmes comme les hommes, dit Rousseau, et plus elles ressembleront à notre sexe, moins elles auront d’empire sur lui. » C’est précisément là le but où je vise. Je voudrois leur voir de l’empire non sur les hommes, mais sur elles-mêmes.

J’ai entendu s’élever de la même manière contre l’instruction des pauvres ; car l’aristocratie prend plus d’une forme : « apprenez-leur, nous disent-ils, à lire et à écrire, vous les tirerez de la place où la nature les avoit mis. » Un français a victorieusement réfuté cette fausse maxime. Je lui emprunterai son principal argument. Ils ne savent donc pas qu’en réduisant l’homme à l’état d’une brute, ils doivent s’attendre à tout moment à le voir devenir une bête féroce. Non, il ne sauroit y avoir de moralité sans instruction !

L’ignorance est une base bien fragile pour la vertu ; telle est cependant la condition à laquelle la Femme est destinée, du moins au dire des défenseurs les plus zélés de la supériorité de l’homme, supériorité non de dégré, mais d’essence, à ce qu’ils prétendent ; quoique pour adoucir notre arrêt, ils ayent essayé de prouver avec une générosité chevaleresque, qu’il ne faut point comparer les sexes ; que l’homme doit raisonner et la Femme sentir ; qu’ils sont deux moitiés, esprit et corps, dont la réunion forme le tout le plus parfait, en fondant heureusement la raison et la sensibilité dans un seul et même caractère.

Et qu’est-ce que la sensibilité ? « Promptitude de sensation ; promptitude de perception, délicatesse ». Voilà, du moins, la définition qu’en donne le docteur Johnson ; or, j’avoue qu’elle ne me présente que l’idée d’un instinct exquis et rafiné. Je ne trouve point de traces de l’image de Dieu dans la sensation ou la matière qui la reçoit. En vain vous rafineriez les sensations soixante et dix fois sept fois, elles seront toujours matérielles ; l’intelligence ne s’y trouvera jamais ; c’est comme si l’on vouloit changer le plomb en or, en le poussant au feu de reverbère.

J’en reviens à mon ancien argument. Si l’on accorde une ame immortelle à la Femme, il faut lui reconnoître en même tems, pour occupation de sa vie, une intelligence à perfectionner. Or, quand, afin de rendre l’état actuel le plus complet, quoique tout prouve qu’il n’est qu’une petite fraction d’une grande somme, la Femme oublie sa grande destination pour des plaisirs présens, elle contrarie la nature, ou bien elle n’étoit née que pour propager l’espèce, et se dissoudre dans la tombe. Admettroit-on un autre systême, et voudroit-on supposer aux Femmes, comme aux animaux de tout genre, une ame non-raisonnable, pour en conclure que l’exercice de l’instinct et de la sensibilité est le premier pas qu’elles doivent faire dans cette vie vers la raison qu’elles atteindront dans une autre ? Il résulteroit de cette étrange hypothèse, qu’elles resteroient pendant toute l’éternité derrière l’homme, qui, je ne sais par quel privilège, auroit reçu la faculté d’arriver à la raison dès le premier mode de son existence.

Comme en traitant des devoirs particuliers des Femmes, j’aurai en même tems à traiter de ceux du citoyen ou du père de famille, j’avertis d’avance que je ne prétends pas qu’on doive les tirer du sein de leurs familles, du moins pour la plupart. « Celui qui a une Femme et des enfans, dit Bacon, a donné des ôtages à la fortune ; car ce sont des obstacles aux grandes entreprises, vertueuses ou criminelles ; aussi les meilleurs ouvrages en tout genre, ceux dont le public a tiré le plus d’avantage, sont-ils dûs à des célibataires ou à des hommes mariés qui n’avoient point d’enfans ». J’en dis autant des Femmes. Mais le bonheur de la société ne doit pas dépendre d’efforts extraordinaires ; et plus son organisation sera raisonnable, moins on y sentira le besoin de grands talens ou de vertus héroïques.

Ce qu’il faut pour bien régler une famille et élever des enfans, c’est un bon sens que les préjugés du monde n’ayent point altéré : un chef de maison a besoin de force de corps et d’ame ; cependant les écrivains qui ont le plus vivement travaillé à attacher les Femmes à leur intérieur, ont essayé, en employant des raisonnemens dictés par un égoïsme que la satiété avoit rendu difficile, d’affoiblir leurs corps et d’enchaîner leur intelligence. Encore s’ils eussent réussi par ces méthodes sinistres à persuader aux Femmes de rester chez elles, et d’y remplir les devoirs d’une mère et d’une maîtresse de famille, je ferois grace aux motif et aux moyens en faveur des effets ; et je croirois ne devoir attaquer qu’avec ménagement des opinions qui engageroient les Femmes à se bien conduire, et leur feroient remplir des devoirs qu’elles doivent regarder comme l’affaire de leur vie, quoique d’ailleurs la raison fut insultée par la manière de les leur recommander ; mais j’en appelle à l’expérience, et je demande si négliger leurs facultés intellectuelles ne les détache pas autant et même plus de ces devoirs domestiques, que ne le feroient les travaux de tête les plus sérieux, quoiqu’on puisse observer qu’en général, la masse de l’espèce humaine ne suivra jamais avec beaucoup d’activité la poursuite d’un objet purement intellectuel[7]. On me permettra de conclure que la raison est indispensable pour mettre une Femme à portée de bien remplir des devoirs quelconques ; et je le répéterai, de la sensibilité n’est pas de la raison.

Le parallèle avec les riches se présente encore à moi ; car, quand les hommes négligent les devoirs de l’humanité, les Femmes les négligent également : le même tourbillon entraîne les deux sexes avec une vîtesse qui ne leur permet pas de se reconnoître. Les richesses et les honneurs empêchent un homme de donner de l’étendue à son intelligence, et énervent toutes ses facultés, en renversant l’ordre de la nature, qui a voulu que le plaisir fût la récompense du travail. Le plaisir ! — Le plaisir funeste aux forces physiques et morales, est également à la portée des Femmes, sans qu’elles ayent la peine de le gagner. Mais tant que ces possessions héréditaires de fortune et d’honneurs seront concentrées dans quelques familles, ne nous flattons pas de voir des hommes fiers de leur vertu, et soyons sûrs que, jusqu’à cette heureuse époque, les Femmes les gouverneront par les moyens les plus directs, en négligeant ces ennuyeux devoirs domestiques, pour courir après le plaisir emporté sur les aîles du tems.

Je ne sais quel auteur a dit : « Le pouvoir de la Femme est dans sa sensibilité ». Cependant les hommes, sans s’inquiéter des conséquences, font tout ce qu’ils peuvent pour étendre l’empire de cette sensibilité. Ceux d’entr’eux dont la profession en suppose le plus, et qui l’exercent habituellement, jouissent en effet de plus d’influence dans la société ; par exemple, les poëtes, les peintres et les compositeurs[8]. Or, quand cette sensibilité est ainsi accrue aux dépens de la raison et même de la faculté d’imaginer de fortes et vastes conceptions, la légéreté des hommes est toute naturelle ; et je ne sais pas pourquoi les philosophes se plaignent d’un effet dont ils devroient saisir la cause. À l’égard des Femmes, les attentions, les soins des hommes agissent particulièrement sur leur sensibilité sexuelle, et cette sympathie s’est trouvée exercée dès leur jeunesse. Un mari ne sauroit long-tems rendre de ces soins avec le sentiment passionné qu’il faut pour exciter des émotions vives ; le cœur qui s’en est fait un besoin d’habitude, cherche un nouvel amant ou languit en secret, victime de sa vertu, quelquefois seulement de sa prudence. Je ne parle ici que des Femmes rendues réellement sensibles par leur éducation, et dont le goût a été formé ; car d’après ce que j’ai vu dans la haute classe, le mode d’éducation et le commerce entre les deux sexes que j’ai blâmé, nourrit plus souvent l’orgueil que la sensibilité ; leur coquetterie est bien plus ordinairement le produit de la vanité que de cette inconstance, résultat naturel d’une sensibilité trop exaltée.

Une autre considération d’un grand poids auprès de moi, n’en aura pas moins, je l’espère, auprès de tous les gens réfléchis et bienveillans. De jeunes filles, ainsi mal élevées, sont souvent abandonnées par leurs parens, dont la cruelle négligence n’a pas daigné pourvoir à leur sort ; elles se trouvent dépendre, non-seulement de la raison, mais même de la bonté de leurs frères. Ces frères, quelqu’honnêtes que je veuille bien les supposer, leur donnent, comme une faveur, des secours auxquels elles avoient un droit égal, en qualité d’enfans des mêmes parens. Une jeune personne timide et docile peut se souffrir pendant quelque tems dans cette situation humiliante et précaire ; mais dès que son frère se marie, ce qui ne manque guères d’arriver, au lieu de jouir de la considération due à une maîtresse de maison, elle voit se détourner d’elle, avec humeur, des yeux qui ne la regardent plus que comme une étrangère, mal-à-propos à charge au maître de la maison et à sa nouvelle compagne.

Qui pourroit raconter toutes les peines qu’éprouvent, en pareil cas, une foule d’êtres infortunés aussi foibles d’ame que corps, incapables de travailler et rougissant de solliciter des secours ? L’épouse, Femme bornée, cœur froid (cette supposition n’est pas déplacée, car la manière actuelle d’élever les Femmes n’est pas plus favorable à leur cœur qu’à leur esprit) la Femme, dis-je, est jalouse de l’affection, bien tiède pourtant, que son mari témoigne à ses parens ; et sa sensibilité ne s’élevant pas jusqu’à l’humanité, elle voit avec dépit la propriété de ses enfans prodiguée à une belle-sœur sans ressources.

Voilà des faits positifs que j’ai vus et revus. Qu’arrive-t-il ? La Femme a recours à la ruse pour étouffer une tendresse qu’elle n’ose combattre ouvertement ; elle n’épargne ni larmes, ni caresses, jusqu’à ce qu’elle ait éconduit de chez elle la personne qu’elle regarde comme un espion, une surveillante incommode. L’infortunée se trouve jettée dans le monde, sans être préparée à en éviter les pièges ; ou bien, le frère, croyant faire un grand effort de générosité ou consulter la décence, rélègue la pauvre fille avec une chétive pension dans une triste solitude, dont le peu de culture qu’elle a reçu n’adoucira pas l’ennui.

La persécutrice et sa victime sont peut-être sur la même ligne quant à la raison et à l’humanité. Changez les rôles, vous auriez trouvé autant d’égoïsme dans celle qui en souffre ; mais une éducation différente eut donné des résultats bien différens. La Femme n’auroit pas montré cette sensibilité qui se concentre sur nous-mêmes et rapporte tout à soi ; plus raisonnable, elle auroit senti qu’il ne falloit point s’assurer ou être flatée de l’affection d’un époux qu’elle eut conduit à violer les droits de la nature ; elle ne l’auroit pas aimé uniquement parce qu’elle en étoit aimée elle-même, mais à cause de ses vertus ; et la sœur se fut trouvée capable de s’aider elle-même, au lieu de manger le pain amer de la dépendance.

Dans le fait, je suis persuadée que la culture ouvre le cœur aux sentimens honnêtes aussi bien que l’esprit aux lumières ; et, ce qui ne paroîtra peut-être pas aussi évident, que l’une et l’autre gagnent beaucoup à une éducation qui fortifie les organes ; je ne parle pas des éclairs de sensibilité, mais des affections permanentes. La chose la plus difficile dans l’éducation des deux sexes, est, peut-être, de combiner l’instruction de manière à ne pas rétrécir l’esprit, tandisque le cœur est échauffé par la fermentation électrique du printems de la vie ; et sur-tout de ne pas le dessécher en tournant l’esprit vers des recherches trop éloignées de la science usuelle.

L’effet d’une éducation soignée à l’égard des Femmes, est d’en faire ou des déesses ridicules par l’exagération de leur sensibilité, et remplies de caprices ; ou simplement des Femmes estimables. Ces dernières sont pour la plûpart d’aimables et honnêtes personnes, et ont une sorte de bon sens fin et délicat, joint à une grande connoissance des affaires du monde, qui les rend souvent des membres plus utiles de la société que ces merveilleuses sentimentales, quoiqu’elles n’ayent ni leur fausse élévation d’ame, ni leur goût raffiné. Le monde intellectuel leur est fermé ; tirez-les du sein de leur famille ou de leurs sociétés, elles s’ennuient, parce qu’elles ne trouvent point de quoi occuper leur tête, car la littérature fournit une sorte d’amusement qu’elles ont souvent cherché à tourner en ridicule, au lieu d’en prendre le goût. C’est toujours ainsi qu’elles ont jugé les sentimens et les plaisirs délicats des ames plus cultivées, même dans ceux que le hazard ou des liaisons de famille les ont conduites à aimer. Quant à leurs simples connoissances, elles croyent que c’est chez elles affectation pure.

Un homme de bon sens ne sauroit aimer une pareille Femme, qu’à cause de son sexe, et la respecter, que parce qu’il y trouve une domestique fidèle. Il ne la garde que pour se débarasser des soins du mènage, avoir l’œil sur ses gens et asister au culte, vétue d’une manière à désigner sa compagne ; probablement un homme aussi borné, vivroit moins bien avec elle ; il empiéteroit sur sa prérogative, et voudroit, pour faire quelque chose, se mêler des soins de l’intérieur. Cependant les Femmes dont l’ame n’a pas été aggrandie par la culture, ou l’égoïsme naturel de la sensibilité tiré de ses bornes étroites par la réflexion, ne sont pas propres non plus à tenir les rênes d’une famille ; en effet, abusant de leur pouvoir, elles se montrent despotes, pour soutenir une supériorité qu’elles ne doivent qu’aux distinctions arbitraires de la fortune. Le mal est quelquefois encore plus sérieux ; elles refusent un repos légitime aux domestiques dont elles excèdent les forces, afin de mettre madame en état de tenir une meilleure table et de briller plus que ses voisins ; si elle s’occupe de ses enfans, c’est en général pour les mettre d’une manière coûteuse ; et que cette attention vienne de vanité ou de tendresse, elle n’en produit pas un effet moins dangereux.

En outre, combien de femmes de cette sorte, passent leur journée ou du moins leur après-midi dans l’ennui le plus complet. Leurs époux leur rendent justice ; mais tout en convenant qu’elles sont de bonnes ménagères et des Femmes vertueuses, ils fuient d’un logis où ils se déplaisent, pour aller chercher ailleurs une société plus piquante, et la patiente ouvrière, qui remplit sa tâche comme la pauvre bête de somme au moulin, se trouve privée de sa juste récompense ; car les gages qui lui sont dûs, consistent dans les caresses d’un mari ; et les Femmes qui ont si peu de ressources en elles-mêmes, ne supportent pas très-patiemment cette privation d’un droit naturel.

On apprend au contraire à une jolie Femme à mépriser les occupations ordinaires de la vie, quoiqu’on pique uniquement son émulation pour des perfections d’un dégré au-dessus de l’usage des sens ; car les perfections corporelles même ne peuvent être acquises avec quelque précision, sans l’exercice de l’entendement. Le goût est superficiel, s’il n’a pas des principes ; et la grace doit tenir à quelque chose de plus solide que l’imagination. L’imagination, toutefois, est exaltée, et les sentimens deviennent fastidieux, s’ils ne sont pas raisonnés ; et le jugement n’a nul contrepoids quand le cœur n’a point l’art de diriger sa sensibilité.

Ces femmes sont ordinairement douces ; leurs cœurs ont réellement plus de penchant à la bienveillance générale, aux sentimens qui civilisent la vie, qu’aux occupations du ménage ; mais leur raison et l’art de se conduire elles-mêmes, n’étant pas chez elles dans une proportion suffisante, elles ne savent qu’inspirer de l’amour, et ne sont les maîtresses de leurs maris, qu’autant qu’elles ont de prise sur leur affection. Ce sont ces sortes de Femmes, qu’on peut considérer comme de jolis défauts dans la nature, elles qui paroissent avoir été créées, non pour jouir de la société de l’homme, mais pour l’empêcher de tomber dans une brutalité absolue, en polissant son caractère, et en donnant, par leurs charmes attrayans, quelque dignité à l’appétit sensuel qui le porte vers elles. — Gracieux auteur de l’espèce humaine, n’as-tu créé la Femme, cet être suceptible de te connoître et retracer ta sagesse dans tes ouvrages ! ne l’as-tu créée, dis-je, que pour cette destination ? Doit-elle se persuader qu’elle n’existe que pour se soumettre à l’homme son égal, envoyé comme elle dans le monde pour acquérir la vertu ? Doit-elle consentir à ne s’occuper qu’à lui plaire ; à n’être qu’un ornement sur la terre, quand son ame est susceptible de s’élever à toi ? Peut-elle se résoudre à n’avoir de raison qu’autant que l’homme veut bien lui en accorder, lorsqu’elle peut arriver comme lui au sommet des connoissances humaines ?

Cependant, si l’amour est le bien suprême, que les Femmes soient élevées uniquement pour l’inspirer ; qu’on cultive en elles tous les charmes qui captivent les sens. Mais si elles sont des êtres moraux, que ces êtres puissent aussi devenir intelligens ; que l’amour soit considéré comme une partie de cette flamme ardente et universelle qui, après avoir embrâsé l’humanité, monte comme l’encens aux trône de l’Éternel.

Pour remplir les devoirs domestiques, il faut beaucoup de courage et une sorte de persévérance sérieuse qui demande un appui plus solide que les émotions douces et vraies de la nature. Pour donner l’exemple de l’ordre qui est l’ame de la vertu, il faut adopter une certaine austérité de conduite qu’on peut à peine attendre d’un être qui, depuis son enfance, a été le jouet de ses propres sensations. Quiconque se propose d’être utile, doit avoir un plan de conduite ; car dans les plus simples devoirs de la vie, nous sommes souvent obligés de contrarier l’impulsion actuelle de la tendresse ou de la pitié ; il arrive fréquemment que la sévérité est la preuve la plus certaine et la plus sublime de l’affection. Le manque de cet empire sur la sensibilité, de cette hauteur et de cette dignité de bienveillance, qui fait préférer l’avantage futur de l’objet chéri à sa satisfaction actuelle ; voilà ce qui conduit une foule de mères très-tendres à perdre leurs enfans, et nous force à mettre en question, si l’indifférence est plus pernicieuse qu’une tendresse trop indulgente : quant à moi, je pense que cette dernière a fait beaucoup plus de mal que l’autre.

On semble s’accorder à laisser aux Femmes la conduite des enfans dans le premier âge ; mais d’après toutes les observations que j’ai pu faire, les Femmes sensibles sont les moins propres à remplir cette tâche ; car, emportées par leur sensibilité, elles changent infailliblement le naturel des enfans ; le soin de le diriger, qui est le point le plus important de l’éducation, exige une surveillance, une attention paisible et raisonnée, un plan de conduite également éloigné de la tyrannie et de l’indulgence. Cependant les gens très-sensibles dépassent toujours le but et tombent alternativement dans ces deux extrêmes. J’ai creusé ce raisonnement jusqu’au point d’en conclure que les gens d’esprit sont les moins propres à être employés à l’éducation publique ou privée, car ces sortes de gens voyent les choses trop en masse, et rarement ont-ils un bon naturel : cette gaîté habituelle qu’on appelle bonne-humeur, est aussi rarement unie à la force intellectuelle qu’)à la profondeur des sentimens. Ceux qui suivent avec intérêt et admiration le vol du génie, ou qui cherchent à s’instruire par les méditations d’un profond penseur, ne doivent pas se rebuter, s’ils trouvent le premier colère, et le dernier morose, car la vivacité de l’imagination et l’opiniatreté méditative de l’esprit, sont à peine compatibles avec l’urbanité flexible qui montre de la déférence pour les opinions et les préjugés, au lieu de les affronter brusquement.

Mais quand on traite de l’éducation morale, il faut faire abstraction des esprits d’un ordre supérieur ; ceux-là peuvent être abandonnés au hazard ; c’est la multitude, ce sont les gens d’un esprit ordinaire qui appellent l’instruction et prennent la couleur de l’atmosphère qui les environne ; il ne faut pas, par une molle indolence, fomenter les sensations de cette multitude respectable aux dépens de l’entendement ; car sans un lest d’intelligence, ils ne deviendront jamais vertueux ni libres. L’aristocratie des richesses balayera toujours les esclaves, tour-à-tour timides et féroces, de la sensibilité.

On peut opposer une foule d’objections au systême adopté avec quelqu’apparence de raison, parce qu’il suppose déduits de la nature, les moyens physiques et moraux que les hommes ont mis en usage, pour dégrader le sexe. Je me contenterai d’en noter quelques unes.

On souvent à rabaisser l’intelligence des Femmes, en disant qu’elle est plus tardive que celle des hommes : je répondrai à cet argument en montrant des preuves prématurées de raison et de génie dans Cowley, Milton et Pope[9] ; mais j’en appellerai seulement à l’expérience, pour décider si les jeunes gens qu’on introduit de bonne-heure dans le monde (les exemples en sont maintenant fréquens) n’acquièrent point la même précocité. C’est un fait si notoire, qu’il suffit d’un premier coup d’œil sur la société, pour y découvrir une foule d’hommes singes, dont l’intelligence a été rétrécie pour y avoir été introduits dans un tems où ils auroient dû fouetter le sabot ou jouer avec le cerceau.

Quelques naturalistes ont également assuré que les hommes n’atteignent le complément de leur croissance et de leur force qu’à trente ans, tandisqu’à l’âge de vingt ans, les Femmes sont en pleine maturité. Je crains bien qu’ils ne partent d’un faux principe, du préjugé masculin qui regarde la beauté comme la perfection de la Femme, — uniquement la beauté des traits et du visage, tandisque la beauté virile est censée avoir quelque rapport à l’esprit. La force du corps et cette expression caractéristique que les français appellent physionomie, les Femmes ne peuvent pas plus en avoir le complément avant trente ans, que les hommes. Il est vrai que les petites malices innocentes des enfans ont un charme particulier ; mais quand la première fraîcheur de la jeunesse est passée, ces grâces naïves deviennent des airs étudiés, et déplaisent aux personnes de goût ; on ne cherche dans la contenance des jeunes filles que la vivacité et la modestie ; mais, dans l’âge mûr, on veut de la dignité dans la figure, on y regarde moins l’impression des esprits animaux que la trace des passions, pour démêler le caractère individuel qui se prononce d’après les affections[10] ; alors on veut converser et non jouer. On veut donner carrière à l’imagination, raisonner et sentir.

À vingt ans, la beauté des deux sexes est la même ; mais le libertinage des hommes y met de la différence, et les coquettes surannées sont communément de la même opinion ; car quand elles ne peuvent plus guères inspirer d’amour, elles s’en prennent à la jeunesse.

Les français qui font rentrer plus de morale dans les notions de la beauté, donnent la préférence aux Femmes de trente ans ; je veux dire qu’ils regardent comme l’état le plus parfait dans les Femmes, celui où la vivacité fait place à la raison et à cette sérieuse majesté de caractère qui marque la maturité, — ou le point d’équilibre. Jusqu’à vingt ans, la taille augmente ; jusqu’à trente, les solides acquièrent de la densité, et les muscles flexibles, prenant tous les jours plus de rigidité, donnent un caractère au maintien ; c’est-à-dire, qu’ils tracent les opérations de l’ame avec la plume de fer du destin, et nous indiquent, non seulement les facultés intérieures, mais encore la manière dont elles ont été employées.

Il est à propos d’observer que les animaux qui arrivent lentement à la maturité, vivent le plus long-tems, et sont de la plus noble espèce : les hommes toutefois ne peuvent réclamer aucune supériorité naturelle à raison de la longevité ; car la nature n’a point distingué le mâle à cet égard.

La polygamie est une autre dégradation physique, et un argument plausible pour un usage qui flétrit les vertus domestiques ; c’est un fait bien constaté que, dans les pays où cette coutume a lieu, il naît plus de Femmes que d’hommes : ceci semble une indication de la nature à laquelle doivent, sans doute, se soumettre les spéculations de la raison ; on peut en tirer une conclusion qui se présente d’elle-même : si la polygamie est nécessaire, la Femme est faite pour l’homme, et doit lui être inférieure.

Nous ignorons absolument le mystère de la formation du fétus dans la matrice ; mais il me semble qu’une cause accidentelle et physique peut expliquer le phénomène dont je viens de parler, et prouver qu’il ne tient point à une loi de la nature. Le voyage de Forster dans les îles de la mer du Sud, va me fournir quelques observations qui développeront mon opinion. Après avoir remarqué que parmi les animaux, et entre les deux sexes, la constitution la plus vigoureuse et les plus chaude prévaut toujours et produit son espèce, il ajoute : « Si l’on applique cette observation aux habitans de l’Afrique, il est évident que, dans cette contrée, les hommes accoutumés à la polygamie, sont énervés par l’usage de plusieurs Femmes, et par conséquent moins vigoureux : les Femmes au contraire y sont d’une constitution plus ardente, non-seulement à cause de la plus grande irritabilité de leurs nerfs, de leur organisation plus sensible, et de la plus grande vivacité de l’imagination ; mais parce qu’elles sont privées dans l’union conjugale de cette portion d’amour physique qu’elles auroient toute entière dans l’état de monogamie : il s’ensuit que la plus grande partie des enfans sont du sexe de la mère ».

« Il a été prouvé en Europe, par les tables les plus exactes de mortalité, que la proportion des hommes aux Femmes est presque égale, ou que, s’il y a quelque différence, c’est que le nombre des mâles l’emporte sur celui des femelles dans la proportion de cent-cinq à cent ».

On ne voit donc pas la nécessité de la polygamie ; cependant, lorsqu’un homme séduit une Femme, je pense que cela doit être regardé comme un mariage de la main gauche, et que l’homme doit être légalement obligé d’entretenir la Femme et ses enfans, à moins que l’adultère, qui est un divorce naturel, ne l’affranchisse de ce devoir. Cette loi doit subsister aussi long-tems que la foiblesse des Femmes pourra faire employer le mot séduction, pour servir d’excuse à leur fragilité et au défaut de principes, et mêmes, tant qu’elles dépendront des hommes pour leur subsistance, au lieu de se la procurer par leurs propres moyens. Cependant, ces Femmes ne doivent pas porter le nom d’épouses : ce seroit subvertir le véritable but du mariage, ainsi que toutes des affections délicieuses que produite la fidélité personnelle, et qui sanctifient le nœud de l’hymen. Quand l’amour ni l’amitié n’unissent plus les cœurs, il est sur le point d’être dissous par l’égoïsme. La Femme qui reste fidelle au père de ses enfans, commande le respect et ne doit pas être traitée comme une prostituée ; enfin, je soutient que s’il est nécessaire que l’homme vivent ensemble pour élever leurs enfans, il n’a jamais pu être dans l’intention de la nature que l’homme eut plus d’une femme.

Cependant, quoique je respecte le mariage comme la base de presque toutes les vertus sociales, je ne puis me défendre du sentiment de la pitié la plus vive pour ces infortunées, qu’une erreur sépare de la société, et prive de toutes ces affections et de ces liens qui perfectionnent le cœur et l’esprit. Souvent même la cause de leur infortune ne mérite pas le nom d’erreur ; car plusieurs filles très-innocentes sont les victimes d’un cœur sincère et passionné ; il en est encore davantage qui succombent avant de connoître en quoi le vice diffère de la vertu. — C’est ainsi qu’étant élevées pour l’infamie, elles deviennent infames. Les asyles, les refuges ne sont pas des remèdes propres à ces sortes d’abus : c’est de justice, et non de charité qu’on a besoin dans le monde.

Une Femme qui a perdu son honneur, s’imagine être tombée au dernier dégré d’avilissement : ne lui étant pas possible de rentrer dans son premier état, elle regarde sa tache comme ineffaçable. C’est ainsi que, dénuée de toute émulation, et n’ayant pas d’autres moyens de se soutenir, la prostitution devient son unique ressource. Le caractère se déprave bientôt par des circonstances sur lesquelles la pauvre malheureuse n’a qu’un bien foible pouvoir, à moins qu’elle ne possède une portion peu commune, de jugement et d’élévation d’esprit. Les hommes ne sont pas dans le même cas : la prostitution n’est pas pour eux l’écueil de leur vie. Quoiqu’un nombre infini de Femmes deviennent vicieuses par systême, leur dépravation est le plus souvent le fruit de l’oisiveté dans laquelle on les a élevées, en les accoutumant à regarder l’homme comme leur soutien, et à se persuader qu’elles lui doivent leur personne en échange. Des airs licencieux et le code du libertinage fournissent alors de plus puissans aiguillons que le besoin ou la vanité, et cette observation est propre à renforcer l’opinion dominante, qu’en perdant la chasteté, une Femme perd tout ce qui la rend respectable ; sa réputation dépend de l’observation d’une vertu, quoique l’amour soit la seule passion entretenue dans son cœur. Bien plus, l’honneur d’une Femme ne dépend pas même de sa propre volonté.

Quand Richardson[11] a fait reprocher par Clarisse à Lovelace de lui avoir enlevé son honneur, il falloit qu’il eut des notions bien étranges de l’honneur et de la vertu ; car, quoi de plus déplorable, que la condition d’un être qui peut se voir dégradé sans y avoir consenti ! J’ai entendu justifier cet excès de rigueur, présenté comme une erreur salutaire ; je réponds avec Leibnitz : — Les erreurs souvent sont utiles ; mais c’est ordinairement pour remédier à d’autres erreurs.

La plupart des maux de la vie proviennent d’un désir immodéré de jouir du présent qui se devance lui-même : l’obéissance qu’on exige des Femmes dans l’état de mariage, rentre dans ce calcul. L’esprit affoibli par la dépendance de l’autorité, n’exerce jamais ses propres facultés, et c’est ainsi que l’épouse soumise, devient une foible et indolente mère. En supposant que cette conséquence ne soit pas toujours de rigueur, et qu’il y ait quelques exceptions, à peine songe-t-il à l’avenir, l’être dans lequel on n’a cultivé que des vertus négatives. En traitant des mœurs, et particulièrement dans leur rapport aux Femmes, les écrivains ont souvent considéré la vertu dans un sens très-limité, et lui ont uniquement donné l’utilité pour base : que dis-je ! ils lui en ont donné une bien plus fragile encore en plaçant l’enseigne de la vertu dans les sentimens versatiles des hommes. Oui, la vertu, comme la religion, a été soumise aux décisions du goût.

Si les vaines absurdités des hommes ne nous blessoient pas en tout sens, on ne pourroit se défendre d’un sourire de mépris, quand on observe leur sollicitude à dégrader un sexe auquel ils prétendent être redevables du plus grand plaisir de la vie. J’ai fréquemment et consciencieusement rétorqué sur eux le sarcasme de Pope ; ou, pour parler explicitement, il m’a paru applicable à toute l’espèce humaine. L’amour du plaisir ou de l’autorité, semble diviser le genre humain, et l’époux qui seigneurise dans son petit harem, ne songe qu’à son plaisir ou à sa convenance. C’est l’amour immodéré du plaisir, qui porte quelques hommes prudens, ou des libertins blasés qui se marient pour avoir une compagne saine, c’est, dis-je, l’amour immodéré du plaisir qui les porte à séduire leurs propres Femmes, à agir avec elles comme avec des courtisanes. — L’hymen bannit la modestie, et l’amour chaste disparoît.

L’amour, considéré comme un besoin physique, comme un appétit animal, ne peut pas long-tems se nourrir de sa propre substance sans se détruite, et cette extinction de l’amour dans sa propre flamme, peut être qualifiée de mort violente de cette passion ; mais la Femme qu’on aura rendue ainsi licencieuse, tâchera probablement de suppléer à la négligence de son mari. Elle ne consentira point à n’être que sa première domestique, après avoir été traitée comme une déesse ; elle est encore aimable, et au lieu de porter sa tendresse sur ses enfans, elle ne songera qu’à jouir du midi de la vie. D’ailleurs, il est des maris si dépourvus de sens et d’affection paternelle, qu’ils ne permettent point à leurs Femmes d’allaiter leurs enfans dans le premier tems de leur passion. Elles ne doivent avoir d’autre occupation que celle de se parer pour leur plaire, et l’amour même, l’amour innocent dégénère bientôt en brutalité, quand on se permet de lui sacrifier l’exercice de ses devoirs.

L’attachement personnel est une heureuse base pour l’amitié ; cependant lors-même qu’un jeune et vertueux couple s’unit pas les liens du mariage, il seroit peut-être à désirer que quelque circonstance ralentit leur passion ; si le souvenir d’une première inclination, ou d’un attachement malheureux, produit cet effet, le mariage sera plutôt fondé sur l’estime ; les époux porteront leurs regards dans l’avenir, ils essayeront d’imprimer le respect sur toute leur vie, en règlant leur attachement de manière qu’il ne s’éteigne qu’avec eux.

L’amitié est la plus sérieuse et la plus sublime de toutes les affections, parce qu’elle est fondée sur des principes et cimentée par le tems ; on peut dire tout le contraire de l’amour : ces deux passions ne peuvent guères subsister en même tems dans la même personne. Quand elles sont inspirées par des objets différens, elles s’affoiblissent et se détruisent mutuellement : lorsqu’un seul objet les inspire, on ne peut les éprouver que successivement ; jamais d’une manière simultanée ; car les vaines craintes, les jalousies qui, employées à propos, attisent l’amour, sont incompatibles avec la tendre confiance et l’estime sincère de l’amitié.

L’amour tel que nous l’a dépeint la plume brulante du génie, n’existe point sur la terre, ou réside seulement dans ces imaginations exaltées qui en ont esquissé le dangereux tableau ; dangereux, non seulement parce qu’il fournit une excuse plausible au voluptueux qui déguise sa sensualité sous le voile du sentiment ; mais parce qu’il répand l’exagération et se sépare de la dignité de la vertu ; la vertu dans sa vraie acception doit avoir une apparence, sinon austère, du moins sérieuse ; et tâche de se révêtir des atours du plaisir ; car on l’emploie souvent comme synonime de beauté, pour la porter sur un écueil et précipiter insidieusement sa chûte par un respect simulé. Le plaisir et la vertu ne sont pas unis dans cette vie aussi étroitement que quelques écrivains éloquens ont essayés de le prouver. Les guirlandes du plaisir se fanent, sa coupe enchanteresse est frelatée ; mais le fruit que nous donne la vertu est la récompense de la peine ; il se montre graduellement à mésure qu’il approche de la maturité, et ne nous apporte qu’une satisfaction calme et tranquille ; à peine s’en apperçoit-on, tant elle paroît résulter de la tendance naturelle des choses. Le pain, cet aliment usuel qui soutient nos forces et conserve notre santé, est rarement regardé comme un bienfait, tandisque les mets somptueux réjouissent le cœur de l’homme ; il sourit aux festins quoique la maladie et la mort même se cachent dans les liqueurs qui exaltent ses esprits, ou dans des friandises qui flattent son palais. Une imagination ardente peint l’amour, comme tous les autres objets, avec des couleurs enflammées ; la main qui les trace est dirigée par une ame condamnée dans ce monde à prouver sa noble origine, en courant après une perfection inabordable ; elle poursuit sans cesse ce qu’elle reconnoît elle-même n’être qu’un songe fugitif. Une imagination de cette trempe peut donner l’existence à des formes insubstancielles, et la stabilité aux rêveries dans lesquelles l’esprit tombe naturellement quand il se blâse sur les réalités : il peut alors peindre l’amour avec des charmes célestes, et en doter l’objet idéal : il peut imaginer un dégré d’affection mutuelle qui épure l’ame, et qui, comme la dévotion, absorbe et dévore tous les autres sentimens. Le monde disparoît aux yeux de ces amans dont toutes les pensées et tous les désirs émanent de la tendresse la plus pure, de la vertu la plus constante, — une vertu constante ah ! Rousseau, respectable visionnaire ! ton paradis seroit bientôt prophané par l’intrusion de quelqu’hôte inattendu. Comme celui de Milton, il contiendroit seulement des anges ou des hommes ravalés au dessous de la dignité des créatures raisonnables. La félicité n’est point une chose matérielle, elle ne tombe pas sous les sens ; cependant la poursuite inquiette du bien que chacun se peint à sa manière, proclame l’homme souverain de ce bas monde, et le désigne pour une créature intelligente, faite pour acquérir et non pour recevoir le bonheur. Ceux donc qui se plaignent des mensonges des passions, ne font pas attention qu’ils déclament contre la preuve la plus frappante de l’immortalité de l’ame.

Mais laissons les esprits supérieurs se corriger eux-mêmes et payer chèrement le fruit de leur expérience : il est bon d’observer que ce n’est pas de la force persévérante des passions, mais de la fluctuation romanesque des sentimens que je désire préserver les cœurs des Femmes, en exerçant leur intelligence ; car ces réveries enchanteresses sont bien plus souvent l’effet de l’oisiveté que de la vivacité de l’imagination.

Les Femmes ont rarement assez d’occupations sérieuses pour se distraire de leurs sentimens. Toute la force de leur esprit et de leurs organes s’éparpille sur un cercle de petits soins et de vains projets ; en un mot, l’ensemble de l’éducation des Femmes (je parle de celle de la société) tend à rendre celles qui ont les meilleures dispositions, romanesques et inconstantes, et les autres vaines et méprisables. C’est un mal auquel on ne peut pas presque remédier dans l’état actuel de la société ; mais si une ambition plus louable pouvoit jamais s’établir, elles se trouveroient rapprochées de la nature et de la raison ; elles deviendroient plus vertueuses, plus utiles, et parconséquent plus respectables.

J’ose pourtant assurer que leur raison n’acquerra jamais assez de force pour les rendre propres à régler leur conduite, tant que le premier désir de la majorité de l’espèce humaine sera de briller dans le monde ; car les affections naturelles et les vertus les plus utiles sont constamment sacrifiées à cette folle ambition. Les filles se marient uniquement pour se doter elles-mêmes, suivant l’expression vulgaire, et elles ont assez de pouvoir sur leur cœur pour ne lui permettre d’aimer qu’au moment où il se présente quelqu’un d’une fortune supérieure. Je me propose de m’étendre sur cet objet, dans un autre chapitre ; car les Femmes sont trop souvent dégradées, en souffrant que la prudence égoïste de l’âge glace l’ardeur de la jeunesse.

C’est de la même source que dérive l’opinion, qu’il faut que les filles consacrent la plus grande partie de leur tems à des ouvrages d’aiguille ; cependant de toutes les occupations qu’on pourroit leur donner, c’est celle qui rétrécit le plus leurs facultés, en concentrant toutes leurs pensées sur leur personne. Les hommes commande leurs vêtemens, et ne s’en occupent plus ; les Femmes au contraire font leurs propres ajustemens, soit de nécessité, soit de parure ; c’est l’objet continuel de leurs entretiens, et l’on peut dire que leurs pensées suivent leurs mains. Á la vérité, ce n’est pas la façon des choses de nécessité qui nuit à leur esprit, mais la fripperie de la parure ; car lorsqu’une Femme de la dernière classe fait les habits de son mari ou de ses enfans, elle remplit son devoir ; elle s’acquitte de la tâche qui lui revient dans les affaires du ménage ; mais lorsqu’une Femme travaille uniquement pour renchérir sur sa parure, cette occupation est pire que la perte absolue du tems. Pour que le pauvre ait des vertus, il lui faut du travail ; il faut aussi que les Femmes de la classe moyenne soient occupées, si l’on ne veut pas qu’elles imitent les airs des Femmes du haut rang, sans en avoir les aises ; qu’elles se chargent du soin de leurs familles, de l’instruction de leurs enfans ; qu’elles exercent leur esprit. Le jardinage, la philosophie expérimentale, et la littérature peuvent fournir matière à leurs pensées, à leurs conversations, et exercer leur entendement jusqu’à un certain point. La conversation des françaises qui ne sont pas si strictement clouées à leur fauteuil, pour ne s’occuper que de coëffures et de rubans, est fréquemment superficielle ; cependant je soutient qu’elle est moitié moins insipide que celle des anglaises qui passent leur tems à faire des chapeaux, des bonnets et tout l’attirail des garnitures etc. etc. Ce sont les Femmes sages et décentes qui sont le plus dégradées par ces occupations, car leur motif est la simple vanité : les coquettes qui exercent leur goût afin de rendre leur personne plus attrayante, ont quelque chose de plus en vue.

Tout ceci tient à une observation générale que j’ai déjà faite, et sur laquelle on ne peut trop souvent insister ; soit qu’on parle des hommes, des Femmes ou des professions, on trouvera que l’emploi des idées forme le caractère général et individuel. Les pensées des Femmes, tournant toujours autour de leur personne, est-il surprennant que leur personne soit ce qu’elles estiment le plus ? Cependant une certaine liberté d’esprit est nécessaire, même pour la tenue personnelle, et ceci peut rendre raison du peu d’attraits acquis de certaines jolies Femmes ; ajoutons que les occupations sédentaires rendent la plupart des Femmes maladives, et que par les fausses notions qu’elles se font de la perfection du sexe, elles tirent vanité de cette délicatesse, quoique ce soit un autre genre d’entraves qui, en appellant une attention continuelle sur le corps, paralyse l’activité de l’esprit.

Les Femmes de qualité, prennant rarement une part active à leur parure, il s’en suit qu’elles exercent seulement leur goût, et que l’affaire de leur toilette étant finie, elles acquièrent en pensant moins à leurs ornemens, cette aisance qu’on découvre rarement dans les Femmes qui ne se parent que par goût pour la parure. Dans le fait, l’observation relative à la classe intermédiaire, où les talens ont plus de facilité à se développer, ne s’étend point aux Femmes ; car celles d’un rang supérieur, en prennant au moins quelques légères connoissances en littérature, en conversant davantage avec les hommes, sur des sujets d’un intérêt général, acquièrent plus de savoir que les Femmes qui singent leurs manières sans participer aux mêmes avantages. Quant à la vertu, dans le sens collectif, c’est dans la basse classe que j’en ai vu le plus. Une infinité de pauvres Femmes entretiennent leurs enfans à la sueur de leur front ; elles réunissent et maintiennent des familles que les vices des pères auroient dispersées. Les Femmes d’un certain rang sont trop indolentes pour être vertueuses ; elles sont plutôt ammolies que polies par la civilisation. En vérité, le bon-sens que j’ai rencontré chez de pauvres Femmes qui n’avoient eu que peu d’éducation, et dont cependant la conduite étoit héroïque, m’a fortement confirmé dans l’opinion que les occupations futiles ont rendu les Femmes insignifiantes comme elles : les hommes prennent leur corps[12], l’esprit reste en friche ; de manière que, tandis que l’homme s’énerve par l’amour physique, il tâche d’asservir la Femme : — et qui nous dira ce qu’il faudra de générations pour rendre quelque vigueur à la vertu et aux talens de la postérité affranchie d’une race abjecte d’esclaves[13].

En traçant les causes qui, dans mon opinion, ont dégradé les Femmes, je me suis bornée à celles qui agissent généralement sur les principes et les mœurs du sexe, et il me paroît évident qu’elles résultent d’un défaut d’entendement ; est-ce l’effet de la foiblesse physique, ou accidentelle de leurs facultés ? C’est ce que le tems seul peut déterminer ; car je ne fais pas grand fonds sur l’exemple d’un petit nombre de Femmes[14] qui, ayant reçu une éducation masculine, ont montré du courage et de la constance. Je nie seulement que les hommes qui ont été placés dans des situations pareilles, ayent acquis le même caractère, je parle collectivement, et je dis que les hommes de génie et de talent sont sortis d’une classe dans laquelle les Femmes n’ont jamais été placées.

  1. Dans quelles inconséquences les hommes ne tombent-ils pas lorsqu’ils s’écartent des principes ! On ne cesse de comparer les Femmes aux anges ; cependant des êtres d’un ordre supérieur, doivent avoir plus d’intelligence que l’homme ; il faut absolument le supposer, car autrement en quoi consisteroit leur supériorité ? C’est aussi pour se moquer qu’on attribue aux Femmes plus de sensibilité, de piété, de bienveillance : J’en doute, quoiqu’on puisse le dire, par courtoisie, à moins que l’ignorance ne soit la mère de la dévotion ; car je suis fermement persuadée que la proportion, entre les vertus et les lumières, est plus égale que ne le croit communément.
  2. Les brutes, dit le Lord Monboddo, restent dans l’état où la nature les a placées, elles ne s’en écartent qu’autant que leur instinct reçoit de nous quelque perfectionnement ; car il n’est pas susceptible d’un perfectionnement spontané.
  3. Vide Milton.
  4. Ce mot n’est pas de la plus grande justesse ; mais je n’en trouve pas de meilleur.
  5. Le plaisir est le partage de l’espèce inférieure ; mais la gloire, la vertu, le ciel les a réservées pour l’homme.

    Comment après ce passage, madame Barbauld a-t-elle pu se permettre la comparaison avilissante que je vais rapporter.

    Envoi de fleurs peintes à une Dame.

    Je vous adresse ces fleurs pour vous donner une image prématurée du printems. Fleurs douces, gaies et délicates comme vous ; emblême de l’innocence et de la beauté. C’est avec des fleurs, que les graces tressents leurs blonds cheveux ; elles forment des guirlandes, dont s’enlacent les amans : C’est le seul luxe que connoise la nature ; elles croissoient dans Eden, quand il étoit le jardin de l’innocence. Les plantes plus élevées ont une tâche plus difficile à remplir : le chêne hospitalier brave la tempête. L’if sert à repousser l’ennemi, et le pin croit pour les navires ; mais cette douce famille, exempte de sollicitude, est née uniquement pour le plaisir : Celles qui la composent, gaies, sans étude, aimables, sans art, n’ont d’autre emploi que celui de charmer les sens, et réjouir le cœur. Imitez-les, ne brillez pas pour vous seule, et songez que votre empire le plus doux, est de plaire.

    C’est ainsi que nous parlent les hommes ; mais la vertu ne peut s’acquérir que par des efforts constans, et des travaux pénibles.

  6. On peut ajouter que l’esprit est toujours de l’esprit, et qu’il ne sauroit être confondu avec les caprices, qu’affectent les gens d’esprit et les Femmes, pour se faire remarquer.
  7. Les hommes sont plutôt esclaves de leurs appétits que de leurs passions.
  8. Les hommes de ces sortes de profession mettent de la sensibilité dans leurs ouvrages pour en lier les matériaux ; et les fondant pour ainsi dire avec la passion, ils donnent une ame à un corps privé de vie ; mais dans l’imagination des Femmes, il n’y a que l’amour qui concentre ces rayons éthérés.
  9. On pourroit en citer bien d’autres.
  10. La force d’une affection, est généralement en proportion du caractère de l’espèce dans l’objet aimé ; mais elle se perd dans celui de l’individu.
  11. Le docteur Young soutient la même opinion dans ses drames, quand il parle de l’infortune qui se dérobe à la clarté du jour.
  12. Je prends son corps, dit Ranger.
  13. En supposant que les Femmes soient volontairement esclaves. — La servitude de toute espèce, est contraire au bonheur & à la perfectibilité humaine. Essais de Knox.
  14. Sapho, Eloïse, madame Macaulay, l’Impératrice de Russie, mademoiselle d’Eon, &c. Toutes ces Femmes, et plusieurs autres, doivent être regardées comme des exceptions ; mais les héros ne sont-ils pas, comme les héroïnes, des exceptions à la règle générale ? Je ne désire point de voir les Femmes héroïnes, ni brutes ; mais créatures raisonnables.