Délicieuses voluptés/08

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(pseudo non identifié)
Éditions de Minuit, 8 rue de Tracy (p. 79-84).
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VIII

Comment Madame de Rembleynes ne s’aperçut-elle pas de la profonde transformation de sa fille ? C’est là un mystère que nous ne chercherons pas à expliquer.

Car Jacqueline était changée. En un mois presque, elle était devenue plus femme, sans toutefois abandonner son charme juvénile.

Et ce, tant à l’extérieur qu’à l’intérieur. Bien sûr, Madame de Rembleynes ne pouvait deviner ce qui se passait dans l’âme de sa fille, ni supposer que la grande cousine l’avait initiée — et comment ! — aux plaisirs défendus. Quoi ! Pouvait-elle se douter, la bonne et pieuse femme, que tous les jours, dans le grand parc touffu, Jacqueline et Colette, telles deux bacchantes ivres, se livraient aux plus voluptueux ébats, à rendre jalouses les belles nymphes de marbre ! Pouvait-elle croire que ces ébats continuaient toutes les nuits dans la chambre à coucher, sur les draps du grand lit, quand tout dormait dans le château !

Non, la sévère et pieuse Madame de Rembleynes ne pouvait pas savoir ! Et encore moins la vieille et innocente Mariette…

Et cependant, si elle y avait regardé de plus près, elle eût surpris dans les yeux de sa fille, d’étranges lueurs langoureuses qui disaient toute sa voluptueuse joie.

Mais non, Madame de Rembleynes ne voyait rien. Et elle attribuait à l’arrivée proche du jeune Roger de Huchetelles, cette soudaine coquetterie qui s’était emparée de la douce Jacqueline.

Les robes s’étaient considérablement raccourcies, et il n’avait pas fallu longtemps à l’experte Colette, pour mettre à la mode, à grands coups de ciseaux et d’aiguilles, le trousseau de la petite provinciale ! Il s’en trouvait soudain rajeuni. Les chemises s’adornaient maintenant de rubans roses du plus délicieux effet, les combinaisons avaient un je ne sais quoi de canaille, les chapeaux de paille étaient devenus étrangement provocateurs, et les petits pantalons qui s’ornaient maintenant de volants de dentelles très fines et transparentes, ménageaient en leur devant, une splendide fente qui donnait de l’air à la toison blonde.

Oh oui ! la délicieuse Jacqueline s’était transformée complètement…

Le soleil caresse de ses rayons, les marbres du parc, et il met une majesté sur les bosquets taillés et les ifs alignés sévèrement comme des soldats à la parade.

Il fait chaud, mais les jardins anglais, dans leurs ombrages, avec leurs fontaines délicieusement chantantes, doivent offrir une oasis de fraîcheur… et une promesse de volupté !

Souriantes sous leurs grands chapeaux de paille, doublés pour se garantir des rayons de Phébus, d’une élégante ombrelle, Colette de Verneuse et Jacqueline de Rembleynes parcourent lentement les nobles allées du vieux parc. Et elles vont vers les fourrés les plus touffus, là-bas, où nul ne saurait les découvrir.

Elles partent bien sagement avec un livre sous le bras, et elles conservent un maintien de demoiselles convenables et modestes, tant qu’elles sont en vue du château.

Mais attendez un peu qu’elles aient tourné le petit bois ! Et vous les verrez se prendre par la taille, dans une attitude rien moins que chaste, et préluder par des baisers, aux scènes lesbiennes qui vont se dérouler à l’ombre propice des épais buissons, sous les grands arbres plusieurs fois centenaires, sur un lit moelleux de feuilles et de mousse…

Elles arrivent enfin sur le lieu favori de leurs ébats. Personne du dehors n’y peut entrer, et ni Madame de Rembleynes, ni la vieille Mariette, n’auraient l’idée de venir les y rejoindre.

D’ailleurs, le jardin anglais est comme un labyrinthe, et bien malins ceux qui seraient capables d’arriver jusqu’au centre, là, où immédiatement l’impudique Colette se déshabille vivement, pour s’allonger nue sur le sol herbeux, et offrir son beau corps aux subtiles caresses de sa chère Jacqueline…