Tout vit, tout aime ! et moi, triste et seul, je me dresse
Ainsi qu’un arbre mort sur le ciel du printemps.
Je ne peux plus aimer, moi qui n’ai que trente ans,
Et je viens de quitter sans regrets ma maîtresse.
Je suis comme un malade aux pensers assoupis
Et qui, plein de l’ennui de sa chambre banale,
N’a pour distraction stupide et machinale,
Que de compter des yeux les fleurs de son tapis.
Je voudrais quelquefois que ma fin fût prochaine ;
Et tous ces souvenirs, jadis délicieux,
Je les repousse, ainsi qu’on détourne les yeux
Du portrait d’un aïeul dont le regard vous gêne.
Même du vieil amour qui m’a tant fait pleurer
Plus de trace en ce cœur, blasé de toute chose,
— Pas plus que n’a laissé de trace sur la rose
L’ombre du papillon qui vient de l’effleurer.
Ô figure voilée et vague en mes pensées,
Rencontre de demain que je ne connais pas,
Courtisane accoudée aux débris d’un repas
Ou jeune fille blanche aux paupières baissées,
Oh ! parais ! si tu peux encore électriser
Ce misérable cœur sans désir et sans flamme,
Me rendre l’infini dans un regard de femme,
Et toute la nature en fleur dans un baiser.
Viens ! Comme les marins d’un navire en détresse
Jettent, pour vivre une heure un trésor à la mer,
Viens ! je te promets tout, âme et cœur, sang et chair,
Tout, pour un seul instant de croyance ou d’ivresse.
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