Dans la bruyère/Dans la Bruyère (Tiercelin)

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Dans la bruyèreH. Caillères ; Muses Santones (p. 5-12).

PRÉLUDE

DANS LA BRUYÈRE


POUR LUD. JAN


Le Poète est couché dans les bruyères roses…
Le soir autour de lui se fait silencieux.
Ses bras se sont ouverts, ses paupières sont closes,
Et, dans l’apaisement de la terre et des cieux,
Tout son être s’enivre à la douceur des choses.


Mais le pâle soleil lent et grave descend
Vers le couchant de pourpre où le regard se borne ;
Et l’astre disparaît à l’horizon, laissant,
Afin de prolonger l’heure de l’adieu morne,
Un reflet de sa gloire au ciel incandescent.

Et voici que, là-haut, s’épaississent les voiles
De l’ombre bleue où tout s’enveloppe et s’endort ;
Au firmament déjà la lune tend ses toiles,
Où viennent s’accrocher, comme des mouches d’or,
Le lumineux essaim des tremblantes étoiles.

Soudain, la nuit plus noire a croulé comme un poids
Lourdement sur le cœur inquiet du poète.
Il se dresse, sentant, par tous ses membres froids,
S’enrouler le frisson de cette horreur muette
Où ses yeux ont perçu d’invisibles effrois.

Et puis, voici le jour. Des lumières très douces
Se forment et bientôt se détachent dans l’air

Sur les arbres, sur les buissons et sur les brousses ;
Par flocons on les voit tomber du ciel plus clair,
Piquant de petits points radieux dans les mousses.

Avec un long soupir s’arrachant au sommeil,
La terre a tressailli sous la tiède caresse ;
De tous côtés le jour resplendit plus vermeil,
Et, dans le pur éclat de l’aube enchanteresse,
Mayestueusement se lève le soleil !



Vous vous les rappelez, cher Poète, ces heures
De l’enfance joyeuse et libre à travers champs ;
Vous en avez fixé les souvenirs touchants
En des pages qui sont peut-être vos meilleures.

Vous avez parcouru nos longs petits sentiers,
Escaladé nos hauts talus. Dans nos prairies

Vous avez égaré vos lentes flâneries
Et rêvé dans nos bois pendant des jours entiers.

Vous avez respirè l’odeur des fraîches herbes,
Écoutant les oiseaux vous dire leurs chansons ;
Promptes à la cueillette et promptes aux moissons,
Vos jeunes mains ont fait des bouquets et des gerbes.

Vous avez su les durs travaux des paysans,
Les labeurs obstinés sur les sillons voraces ;
Dans le sol entr’ouvert vous avez vu les traces
De la vaine action des hommes et des ans.

Et vous avez appris les choses de la terre,
Et vous avez connu tous les êtres d’en bas :
Les haines, les désirs, les amours, les combats,
Voués par leur silence à l’éternel mystère.

Vous avez regarde le ciel aussi. Vos yeux
Ont cherché dans l’azur des routes non tracées,

Vers ces mondes lointains qui hantent nos pensées
Et courbent désormais votre front soucieux.

Mais ce n’est pas en vain qu’on scrute les nuages
Et ce n’est pas en vain qu’on a couru l’azur ;
Le regard du poète en redescend plus pur
Et pour jamais son âme est pleine de mirages.

Toutes les visions que vos yeux grands ouverts
Ont vu passer au ciel de Bretagne, ce livre
A fixé leur splendeur éparse et nous en livre
Le secret merveilleux dans le charme des vers.

Vos vers, nous les aimons comme la fleur des landes,
Rose sous le ciel gris, vivace en maigre sol ;
Les abeilles pourtant la couvrent de leur vol
Et nos enfants toujours y cueillent des guirlandes.

Cependant qu’on en fait des bouquets et du miel,
Un pâtre dont la voix franche et claire est touchante,

Un jeune pâtre assis dans la bruyère chante,
Les mains pleines de terre et les yeux pleins de ciel.


Louis Tiercelin.