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Dans la bruyère/Les Landes et les Grèves

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Dans la bruyèreH. Caillères ; Muses Santones (p. 15-19).

LES LANDES ET LES GRÈVES


À Victor Thomas


Je me souviens encor des landes et des grèves.
Du sommet des menhirs j’ai contemplé jadis,
Dans le brouillard des mers, le vol des premiers rêves
Emportant mes espoirs vers les bleus paradis.

Oui, c’est là que fleurit mon enfance éphémère.
Dans la plaine où les blés roulent des vagues d’or,
J’ai regardé flotter une auguste chimère,
Jusqu’à l’ombre lointaine où la forêt s’endort.


Voici l’étroit sentier bordé par des fleurs blanches :
Je marchaïs à pas lents, je murmurais des vers ;
Il fallait me baisser pour passer sous les branches,
Et je voyais l’azur entre les rameaux verts.

L’avenir souriait à mon âme enfantine ;
Il savait revêtir de si riches couleurs,
Quand la brise de mai, secouant l’aubépine,
Baignait mes cheveux noirs d’une neige de fleurs.

Mais, lentement, le ciel triste, les mers sauvages,
Pénétrèrent mon cœur de solennels effrois :
Et ma jeunesse en deuil erra sur les rivages
Où des menhirs païens sont mêlés à des croix.

Nul ne peut échapper à l’attrait du mystère,
Devant les vastes flots et l’infini du soir :
La pensée est plus grave et l’âme plus austère,
Et l’homme est soulevé par un immense espoir.


Le soleil, reculant à l’horizon sans bornes,
Fait rêver les regards d’une autre immensité ;
La mort semble guetter au bord des écueils mornes ;
D’immobiles granits parlent d’éternité.

Les Bretons ont encore un autel et des prêtres :
Entêtés dans l’espoir des lendemains plus beaux,
Ils vont vers l’avenir en songeant aux ancêtres
Et vivent gravement au milieu des tombeaux.

Plus immuable encor que ton roc solitaire,
Enfoncé dans les flots qui l’assaillent toujours,
Tu gardes, ô Bretagne, aux confins de la terre,
Pour éclairer nos soirs la foi des anciens jours ;

Et, comme tes vaisseaux, joyeux, ouvrent leurs voiles,
Dès que s’allume au ciel la mystique Stella,
Tu passes dans la nuit, le regard aux étoiles,
Sûre qu’un Dieu te guide et que le port est là.




Landes, grèves, salut ! — Et toi, terre natale,
Merci de m’avoir fait le rêveur ingénu
Que tentent les lointains de l’ombre occidentale,
Et qu’attire au couchant un désir d’inconnu.

Tu m’as montré, plus haut que la foule qui passe,
Hors de ce cercle étroit où l’homme fut banni,
Les abimes égaux du temps et de l’espace,
Dont l’idéal divin étoile l’infini.

Je n’ai pas vainement sur les bruyères roses,
Au hasard du chemin semant mes jours amers,
Contemplé l’attitude inquiète des choses
Dans le deuil éternel des landes et des mers.

Je n’ai pas vainement apaisé ma souffrance,
Parmi les vagues bruits des flots mystérieux,

Et cherché dans la foi l’immortelle espérance,
Aux marches du calvaire où priaient les aïeux.

Je porte dans mon âme une clarté profonde.
Comme en un blanc linceul un mort enseveli,
À travers les orgueils et les dédains du monde,
Je marche enveloppé de silence et d’oubli.

Tel qu’un arc triomphal sur la mer Atlantique
Où doit passer, vainqueur, mon rêve illimité,
Là-bas, à l’occident, le ciel mélancolique
Courbe son dôme bleu dans l’or du soir d’été.