Aller au contenu

Dans la bruyère/Réponse à un Poète Breton

La bibliothèque libre.
Dans la bruyèreH. Caillères ; Muses Santones (p. 105-108).

RÉPONSE À UN POÈTE BRETON


À Louis Daligaut


Hélas ! je n’étais pas couché sous la ramure
Ou dans la lande en fleurs de mon pays natal,
Lorsque vint jusqu’à moi, comme un divin murmure,
La chanson d’un ami qui parlait d’idéal.

Hélas ! elle apportait un écho de la grève,
Un rayon expirant de l’occident vermeil !
Poète ami, nos chants sont nés du même rêve,
Et nos cœurs ont fleuri sous le même soleil.


Oui, l’âme des lointains aïeux est dans notre âme
Et nos yeux sont voilés par le vague du soir ;
Notre pensée en deuil, où palpite une flamme,
Aime un peu de tristesse autour d’un mâle espoir.

Là-bas, par les sentiers des bois ou des prairies
Où mes chers souvenirs me reportent souvent,
Vous, au moins, vous bercez vos lentes rêveries
Dans le chant de la feuille et les soupirs du vent.

Ici, pas de bruyère ! ici, toujours la plaine,
La plaine sans coteaux et sans bleus horizons,
Où, dans un désespoir suprème, la Vilaine
Croupit lugubrement sans frôler les gazons.

Merci donc ! votre voix me caresse et m’éveille :
Voix d’ami qui se mêle au bruit de l’Océan,
Aussi douce à mon cœur que sonore à l’oreille,
Elle m’a fait rèver de mon cher Morbihan ;


Terre où les paysans ont l’âme douce et grande,
Où l’infini des flots sous l’infini des cieux,
Attirant malgré lui le pâtre de la lande,
Met un chant à sa lèvre, un rêve dans ses yeux.

Alors il vous admire en son âme naïve,
Vous, l’homme des cités et le poète instruit,
Qui pouvez prendre au vol la beauté fugitive
Ou dans un vers profond donner la voix au bruit.

Mais poètes, bergers, tous ignorent l’envie ;
Tous les chanteurs d’Arvor ont le cœur généreux ;
Tous, unis par l’amour, séparés par la vie,
Ont le cœur assez grand pour se comprendre entre eux.

Aussi, quand vous m’offrez votre main fraternelle,
Je suis trop bon Breton pour pouvoir m’étonner :
Quoiqu’elle flatte un peu, votre chanson est belle ;
Si j’étais sans orgueil, vous pourriez m’en donner.


Merci donc ! vous avez en vous la sainte flamme,
Et vous êtes de ceux qui seront grands demain :
Je connaissais vos vers, je connaîtrai votre âme,
Poète, et je suis fier de vous serrer la main.