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Dans la bruyère/Le Jardin

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Dans la bruyèreH. Caillères ; Muses Santones (p. 101-104).

LE JARDIN


À l’abbé F. Blanche


Jardin ombreux et frais, parc en miniature,
Il est près de la ville un asile discret,
Où l’artificielle et charmante nature
A mis presqu’un étang et presqu’une forêt.

Une eau dormante est là sous le sommeil des branches,
Et, quand le clair de lune argente le gazon,
On voit, entre les troncs baignés de lueurs blanches,
Comme en un bois immense, un flottant horizon.


La maison est là-bas ; et ses clochetons frêles,
Dans le vague du soir grandissant peu à peu,
Évoquent à l’esprit les bizarres tourelles
D’un manoir romantique au bord d’un étang bleu.

Mais par les lourds midis lorsque l’été s’embrase,
Lorsque l’air est sans brise et les bois sans oiseaux,
C’est là qu’il faut chercher le calme de l’extase
Dans le recueillement des arbres et des eaux !

Par les étroits sentiers semés de sable rose,
Qu’il est doux de se perdre en un rêve charmant,
Sans plus se souvenir que la ville morose,
Là, derrière les murs, gronde éternellement !

Au milieu d’un massif la maison est blottie,
Petite et souriante en un demi-sommeil,
Ou, comme la nature entière, anéantie
Sous la nappe de feu que verse le soleil.


Jamais du clair logis ne s’échappe un murmure,
Car la dame est très vieille et cause lentement ;
Et, de sa robe noire effleurant l’herbe mûre,
Elle rôde sans bruit sous l’ombrage dormant.

Elle vit, autrefois, sa nombreuse famille,
Mélant aux cris d’oiseaux un tumulte joyeux,
Se jouer à travers l’ombre de sa charmille ;
Et s’ouvrir à la fois des âmes et des yeux.

Mais les enfants sont morts : la craintive couvée
S’est enfuie au croissant murmure des sanglots ;
Elle a vu s’effacer l’espérance rêvée
Dans l’insondable horreur des yeux chers qu’elle a clos.

Avec l’austérité d’un éternel veuvage,
Seule et triste, elle vit dans les parfums anciens,
Demandant aux vieux murs, aux sentiers, au feuillage,
Quelque chose qui soit un souvenir des siens.


Puis elle vient s’asseoir sous les fraîches tonnelles ;
Elle regarde au loin, plus loin que le ciel pur :
Une pensée en deuil obscurcit ses prunelles,
Et la paix de l’été l’auréole d’azur.

Et, lasse d’être encor sur ce monde qui passe,
On dirait qu’elle sent de petits bras bénis
Qui l’attirent, là-haut, vers le bleu de l’espace,
Où la vie immortelle emplit les infinis.